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17 décembre 2010

Life in Hell: c’est le cas de le dire !

Classé dans : Actualité, Littérature, Musique, Théâtre — Miklos @ 3:30

« En l’an 1462, un certain Jean Faust, qui se disait citoyen de Mayence, vint à Paris et obtint une audience du roi Louis XI, auquel il fait un présent rare. Ce présent était une superbe Bible in-folio que ledit Faust affirmait avoir copiée et écrite toute entière de sa propre main… » — François-Victor Hugo, introduction à sa traduction du Faust de Christophe Marlowe, Paris, 1858.

Akbar aime Faust. Pour les esprits mal tournés, il précise que c’est Faust qu’il adore. Il l’a découvert enfant à l’opéra dans l’œuvre de Gounod. Depuis, la magie de l’œuvre – ou du moins de certains de ses passages les plus mémorables – ne s’estompe pas (contrairement à celle de Fantasia qu’il a vu une fois de trop), c’est « un rêve charmant qui n’a de cesse de l’éblouir », à l’instar de Victoria de los Angeles dans L’air des bijoux si magistralement repris par la sublime Bianca Castafiore, ou du Salut ! demeure chaste et pure que chante Nicolai Gedda avec des intentions qui n’ont rien de chaste ni de pur à l’égard de l’âme innocente et divine qui y est présente.

Car c’est justement de magie qu’il s’agit (comme d’ailleurs dans Fantasia) : Faust est avide d’en connaître tous les secrets pour les pouvoirs illimités qu’elle lui accordera, et au diable son âme (c’est le cas de le dire, opine Akbar) : le hic et nunc compte plus que le futur lointain même s’il sera l’objet d’un réchauffement infernal. En ce sens Faust est bien inscrit dans la modernité. Mais en sus, ce n’est pas un savant : c’est un savant fou.

Le personnage à l’origine de la légende a vécu en Allemagne au XVe siècle. Il commence par étudier la théologie – pour percer le secret des dieux ? – puis la médecine – le secret des corps vivants – et enfin l’astrologie – le secret du futur, de la vie éternelle, de la victoire sur la mort. L’homme veut savoir. Or depuis la scène symbolique de « l’arbre de science de bien et mal » (dans la traduction que donne Castellion de la Genèse), on sait que le savoir se paie parfois très cher : comme le dit l’Ecclésiaste, « car tant de sagesse, tant de chagrin : et qui plus apprend, plus se tourmente ».

Il semblerait que le principal tour de magie de ce Faust-là ait été la production d’exemplaires identiques de cette Bible (aurait-il utilisé de procédés d’imprimerie, connue d’ailleurs avant son inventeur officiel), avec lesquels il inonde le marché parisien : emprisonné et condamné à être brûlé comme magicien à Paris, il s’en échappe. À Mayence où il fabrique ces ouvrages et continue à les diffuser, il met en péril le monopole des moines : ceux-ci ameutent le peuple qui prend d’assaut la maison du magicien en 1462. Mais il persiste et signe avec d’autres livres, profanes cette fois. De retour à Paris, il y est rattrapé par la peste (le Ciel a le bras long) et disparaît sans laisser de traces en 1466.1

Deux cents ans avant Goethe en 1806, Christopher Marlowe donne sa version de la légende. C’est celle à laquelle Jeff et Akbar assistent au Théâtre de la Ville. Les notes de programme du metteur en scène Victor Gauthier-Martin font ressortir cet aspect toujours actuel de l’emballement du progrès qu’il décèle dans cette pièce écrite il y a quatre siècles. Jeff et Akbar se frottent les mains : ça promet.

Mais dès le lever de rideau… En fait il n’y a pas de rideau, on aperçoit sur scène une estrade sur laquelle est placé un fauteuil de dentiste, et, à l’arrière, des habits accrochés à des cintres (Akbar, qui avait déposé son manteau au vestiaire, ne se souvenait pas d’y être passé), quelques écrans d’ordinateur… ça fait très grunge, ça sent le roussi. Dès l’entrée de Faust, Akbar devine le pire : l’homme, jeune, en jeans, se démène sur scène avec des gestes vulgaires hors de propos (si c’est dû à de la pédiculose inguinale, ça se traite), et il en sera de même avec les autres protagonistes. Le théâtre élisabéthain n’était pas prude, bien au contraire, et les allusions plus ou moins graveleuses ne devaient de manquer de faire rire de bon cœur le public : mais ici, dans la mise en scène, aucune finesse, aucun humour, c’est lourd, ça tombe à plat et ça écrase le pied. Jeff et Akbar ne prennent pas les leurs.

Puis ils voient les autres personnages. Ça craint : les rôles des deux amis de Faust, Valdès et Cornélius, sont tenus par deux femmes (ça se faisait à l’époque, mais pourquoi maintenant, pour souligner le côté féminin de l’homme… ?), tandis que celui de Méphistophélès, « l’esprit serviteur de Faust », nécessite ce soir un homme et une femme (comme ça le metteur en scène ne peut être accusé de sexisme, se dit Akbar) qui se contorsionnent sous l’estrade éclairée de rouge néon (ça doit signaler l’anti-chambre de l’enfer ou alors une boîte de nuit dans un quartier chaud, pense Jeff). La scène de la signature du pacte diabolique de Faust fait appel à des grands écrans pour montrer la trace sanguinolente de la transfusion effectuée sur scène à l’aide de seringues et de tuyaux.

Mais ce n’est même pas gore. On dirait une pâle tentative d’imitation du style d’une bande dessinée genre Fluide glacial, mais ça tombe à plat. Le comble du ridicule est l’apparition de Belzébuth en vieux et gros rockeur (aucun rapport avec l’actualité people) torse nu poilu avec du cuir et d’autres atours.

Akbar et Jeff se lèvent comme un seul homme et quittent la salle sans déranger personne : le bruit sur scène est tellement fort… Ils n’assisteront pas à la scène où Faust donne un soufflet au Pape (Akbar aurait été curieux de savoir s’il était représenté ici sous les traits d’une Sœur de la Perpétuelle Indulgence, par exemple), ni à la mort du pécheur, tant pis.

Au vestiaire, le vrai pas celui sur la scène, on leur dit qu’ils sont loin d’être les seuls à partir, c’est une hécatombe jamais vue.

Il n’y avait donc pas que Faust en enfer, il y avait aussi une bonne partie du public, mais eux ont pu y réchapper et nous aussi, se consolent Jeff et Akbar.

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1 Source : l’introduction de François-Victor Hugo.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

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