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17 mars 2006

C’est la vie, mais est-ce de l’art ?

Classé dans : Danse — Miklos @ 13:51

Six hommes sont actuellement en soins intensifs après avoir participé à un essai clinique de phase 1 qui venait d’avoir lieu en Grande Bretagne. Ils testaient un nouvel anti-inflammatoire. La petite amie de l’un d’eux, un jeune homme de 28 ans, a dit qu’il « ressemblait à Elephant Man » : un peu plus d’une heure après l’administration du médicament, il a commencé à se sentir mal ; sa tête a triplé de volume ; « ses poumons, son cœur et ses reins sont sous support, des tuyaux sont branchés sur son nez, sa bouche, son cou, ses bras et son ventre », rajoute l’amie ; tous ses autres amis ne peuvent plus supporter de le regarder. Un médecin a annoncé qu’il faudrait un miracle pour qu’il survive. « Les six patients sont tombés malades quelques minutes après la prise du médicament expérimental », témoigne Raste Khan, qui un de ceux qui ont pris le placebo. « Tout le monde vomissait sans cesse. Ils s’évanouissaient, puis reprenaient conscience. J’imagine qu’ils avaient des migraines, parce que beaucoup se tenaient la tête », a-t-il expliqué. Le porte-parole de l’association de l’industrie pharmaceutique britannique a déclaré que c’était un événement exceptionnel de mémoire d’homme. (Sources : Nicole G., The Australian, The Guardian, Le Nouvel Obs).

Ce n’est pas la seule récente nouvelle de ce genre d’« essai clinique raté», mais c’est l’une des plus terribles, et elle tombe au moment du spectacle Replacement de la chorégraphe américaine Meg Stuart au Théâtre de la Ville : sadisme, domination/soumission, tentatives d’étranglement, défiguration, masturbation, viol, sodomie, angoisse, hystérie, épisodes maniaco-dépressifs, épilepsie, tétanie, autisme, solitude, dédoublement de la personnalité, voyeurisme, cannibalisme, nécrose – les huit protagonistes, souvent victimes, parfois tortionnaires, sont l’objet de forces d’une violence paroxystique qui les poussent à ces comportements, explicitement ou non, les uns à l’égard des autres et à leur propre encontre. Décrite visuellement par leur comportement sur scène mais aussi par une vidéo sur grand écran, soulignée par une musique tout aussi violente, elle est difficilement soutenable.

Quelle en est la raison ? Sont-ils drogués ? Qui en est l’ordonnateur ? On ne le saura pas vraiment, mais une voix off indique qu’il y a une opération médicale en cours (remplacement de parties d’un corps ? clonage ? et si oui, d’un être parfait ou d’un monstre ? tests cliniques ? Combien de temps dure-t-elle, quelques heures comme le laisserait entendre une réplique, ou une centaine de jours, d’après le décompte qui s’affiche sur un des écrans ? On ne le sait. Il n’y a pas que les repères temporels qui sont bouleversés : la pièce, hexagonale, dans laquelle se tient une partie du spectacle, se mettra à basculer, puis à tourner, les parois et le plafond devenant tour à tour le sol, chavirant ceux qui y entrent ou en sortent tels des pantins désarticulés. La notion même d’intérieur et d’extérieur – de cette pièce, qui n’est qu’une partie de la scène, et qui pourrait être un laboratoire – est altérée. À la fin, les huit personnages apparaissent avec des têtes de monstres. Serions-nous tous les monstres d’une création qui aurait mal tourné ?

Ce spectacle, parfois noyé dans une musique électronique d’un niveau sonore extrême (est-ce légal ?), ne laisse pas de la place à l’humour ou à la poésie. Et pourtant, la scène lors de laquelle une des femmes à l’allure de Marilyn Monroe évolue dans cette pièce tandis qu’y est projeté sa propre image de façon à ce qu’elle semble doublée, voire démultipliée, et qui évolue indépendamment du personnage « réel » tout éperdu et paraît même plus réelle que lui, est saisissante. Les premières minutes des évolutions des personnages dans (et autour de) la chambre qui s’est mise à pivoter telle une grande roue ne manquent pas aussi d’un certain humour décalé – même s’ils s’éterniseront.

Ces deux scènes sont les seules où une certaine distance est prise avec l’horreur et la violence. Ce sont donc les seules qui peuvent prétendre à la qualité d’art, finalement, de par ce recul et du passage dans le symbolique. Le reste n’est qu’un reflet fidèle de tristes réalités de plus en plus fréquentes. The Elephant Man est de l’art : sa condition est une métaphore. Le malheureux jeune homme qui a été transformé en son simulacre est une tragédie.

À lire :
Jeroen Peeters : « Les corps dansants sont des filtres », Mouvements n° 38, janvier-mars 2006.

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  1. [...] es interprètes de grande qualité. Je n’en ressors que très rarement agacé, ennuyé ou écœuré. Je me faisais donc une joie d’y voir ce travail de Cherkaoui, dont la créativité foisonnante, exu [...]

    Ping par Miklos » Après D’Avant — 4 mai 2006 @ 9:06

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