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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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5 avril 2012

L’ours vert

Classé dans : Littérature, Peinture, dessin, Photographie — Miklos @ 23:14

Je remarque aujourd’hui pour la première fois que les plaisirs bruyants portent à la mélancolie ; le bal masqué me poursuit encore de son fracas : il m’est impossible de trouver le sommeil. L’air pur des champs me fera du bien, allons le respirer.

Devant mes pas s’ouvre un espace sans limites : point d’arbres, point de plantes, point de fleurs. Un doux crépuscule tient lieu d’ombre et de verdure ; un air chaud et embaumé remplace le parfum des fleurs ; rien ne trouble le silence et la solitude qui règnent autour de moi. Je m’avance en livrant à l’écho, qui ne me répond pas, les refrains d’une romance sentimentale.

Au moment où je commence à faire l’observation que le pays ne me semble guère peuplé, sinon complètement désert, un bruit sourd et mesuré retentit dans le lointain. C’est un cheval, me dis-je, et monté sans doute par un cavalier. Ce n’était pas tout-à-fait un cheval, ni absolument un cavalier. Autant que j’en pus juger à travers la rapidité de sa course, l’animal que je vis ainsi lancer sa monture à la poursuite d’un ours vert (que je sus depuis être l’ours-boa), avait beaucoup de l’homme, quoique ses pieds fussent ceux d’un quadrupède et que sa tête ne fût pas entièrement humaine. Il me sembla entendre les aboiements d’un chien ; mais je n’aperçus que le dos rond d’une tortue qui paraissait suivre avec ardeur la piste du gibier. À quelle race peuvent donc appartenir ces créatures que je viens de voir, et comment se fait-il qu’ici les tortues courent comme des lévriers ? J’ai fait une lieue sans avoir pu résoudre cette question.

Toute réflexion faite, j’ai bien marché l’espace de trois lieues, soit douze kilomètres (style moderne et légal), sans pouvoir sortir de ma perplexité. Je sens que je suis fatigué ; je me couche sur le sable et je m’endors. Pas le moindre songe à raconter : Morphée a constamment fermé pour moi la porte d’ivoire, celle par où passent les rêves qui charment les dieux et les mortels.

— Grandville, Un autre monde. Trans­for­mations, visions, incar­nations, ascen­sions, loco­motions, explo­rations, péré­gri­nations, excur­sions, stations. Cosmo­gonies, fantas­magories, rêveries, folâ­treries, facéties, lubies. Méta­mor­phoses, zoomor­phoses, litho­mor­phoses, métem­psy­choses, apo­théoses et autres choses. Paris, 1844.

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