Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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2 mars 2008

Passage

Classé dans : Récits — Miklos @ 20:58

La sonnerie insistante du réveil le tira fina­lement d’un profond sommeil sans rêves. Un tambour lancinant résonnait à l’infini dans sa tête vide. Les tempes battantes, la bouche pâ­teuse, la gorge en feu, il entrouvrit les yeux. Un filet de soleil forçait l’embrasure des ri­deaux, traçait une ligne au sol, puis grimpait, tel un serpent, sur le lit, le traversait pour re­tomber sur le tapis et finissait par se glisser sous la commode dont on devinait la sil­houette tapie contre le mur opposé. Des ima­ges floues d’une salle enfumée remplie d’une foule de jeunes agglutinés ou seuls ondulant une bière à la main aux rythmes d’une musi­que étourdissante sous des spots clignotants se dessinaient à ses yeux, fugaces souvenirs de la fête interminable dont il était rentré à l’aube. Il se recroquevilla sous la couette.

Plus tard, ce fut son esto­mac noué par la faim qui le réveilla. Il se leva et se dirigea titubant vers la porte de la cham­bre. La commode lui lança un coup dont la douleur ne suffit pas à le tirer de sa torpeur. La lumière qui inondait le reste de l’appartement l’éblouit et vrilla son cerveau. Il saisit au passage les Rayban qu’il avait portées la veille et entra dans la cuisine. Il fouilla dans le tas de vaisselle salle qui re­couvrait la table et finit par y trouver quel­ques débris de biscuits. Il lapa un peu d’eau à même le robinet et regagna sa chambre dont l’obscurité l’enveloppa comme une mère son enfant. Rassuré, il se glissa dans son lit. Les bruits de la rue s’estompaient. Les klaxons se faisaient plus rares. Un moteur récalcitrant de moto toussait par intermittence. Des voix avinées s’élevaient sous la fenêtre puis s’éloignaient, accompagnées du tintement de canettes vides roulant au sol. Le silence re­tomba pour s’installer plus confortablement. La fatigue, insurmontable, l’englua.

Quand le réveil se remit à sonner, il lui sembla l’entendre de plus loin comme s’il l’avait enfermé dans un tiroir ou recouvert d’un oreiller. Les bruits matinaux de la rue, en général clairs et distincts, lui parvenaient étouffés. Une lumière incertaine traversait péniblement l’espace séparant la fenêtre du lit, et s’éteignait avant même d’être arrivée sur ses genoux. Essoufflée, se repliant sur elle-même, elle contournait le lit et se glissait sous la porte pour rejoindre les pièces illuminées pour y puiser de la force. Après un fondu au noir dont il n’eut cons­cience de la durée, il sentit une crampe à l’estomac, trop faible pour l’obliger à se re­lever. Le téléphone sonna une ou deux fois, puis se tut définitivement. Les images, les sons, les sensations apparaissaient plus rare­ment, spectres de plus en plus translucides et évanescents. Le temps s’était arrêté.

Il se réveilla l’esprit léger, s’étira langoureusement et se leva. Il se re­trouva dans le salon, puis dans la rue. Le ciel était d’un azur parfait. Les arbres feuillus qui bordaient la chaussée dodelinaient sous l’effet d’une brise caressante. Des moineaux picoraient au sol, surveillés par des pigeons qui cherchaient à leur piquer quelque miette. La chaussée était vide : aucune voiture n’y circulait ou n’y était garée. Un couple apparut au bout du trottoir. La jeune fille, en jupe rose et corsage blanc, parlait joyeusement à son compagnon, habillé d’une chemisette et d’un pantalon de toile beige, qui riait aux éclats. Quand ils se rapprochèrent, il fut saisi du silence absolu qui remplissait l’espace. Ni leur babil, ni le pépiement des oiseaux, ni le bruissement du feuillage ne lui parvenaient. Il les interpella, mais ils continuaient à marcher comme si de rien n’était. Il tendit la main pour attirer leur attention, elle passa au travers du bras du jeune homme. Le couple s’éloignait.

Désemparé, il se retrouva chez lui. Il s’aperçut qu’il en était sorti et rentré sans même avoir ouvert la porte. Dans la chambre, il distingua une forme allongée sur le lit. Il s’en rapprocha. Malgré la pé­nombre, il se reconnut. Il s’assit, puis se coucha, se fondant dans son corps. Au sou­venir du couple heureux qu’il avait croisé, il fut saisi d’un profond chagrin. Il aurait tant aimé être l’homme qui embrassait cette jeune fille, léger et insou­ciant. Il aurait voulu sentir l’air frais effleurer leurs deux visages, entendre encore une fois le ga­zouillis des oiseaux. Mais ce furent les sons toni­truants et les éclairs fulgu­rants de la fête qui l’enva­hirent. Il se recro­que­villa sous la couette, seul.

2 commentaires »

  1. faut absolument en parler à la collègue !

    Commentaire par francois75002 — 3 mars 2008 @ 21:36

  2. Avec les mots pour le dire ?

    Commentaire par Miklos — 3 mars 2008 @ 22:36

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