La deuxième mort annoncée du CD-R
France 2 vient enfin de découvrir – et de nous apprendre – que la Terre est ronde. Ou plutôt qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas si rond que ça dans le monde du numérique. En des tons apocalyptiques, David Pujadas rapportait ce soir aux oreilles de millions de Français suspendus à ses lèvres une découverte catastrophique toute récente : les disques compacts où l’on grave soi-même ses photos, sa musique ou ses papiers, sur lesquels l’hôpital conserve vos données médicales et l’INA le patrimoine audiovisuel français (disques connus sous le nom de « CD-R ») n’auraient qu’une durée de vie non pas de cent ans, non pas de dix ans, mais de deux à cinq ans. C’est une enquête de Michel Momponté et de Jean-François Monnier qui nous révèle ce grand secret, apparemment mis à jour au laboratoire national d’essai, à la grande surprise de l’un de ses chercheurs, Jacques Perdereau. Qu’adviendra-t-il donc de toute l’information numérique dont l’on avait ainsi voulu préserver des ans l’irréparable outrage ? Gérard Poirier, spécialiste du grand industriel du média MPO, interviewé pour l’occasion, affirmait que le changement de technologie nécessaire pour passer à des supports plus pérennes prendrait plusieurs années – il ne faut pas seulement changer les matériaux constituant le disque, mais les graveurs et les lecteurs nécessaires à leur utilisation, répandus en nombre incalculable à la face de la Terre. Ne parlons pas de la tâche herculéenne de recopie de toutes les informations des anciens supports vers leur successeur : une hécatombe annoncée. Il y a de quoi être atterré.
« Stabilité incertaine des CD-R. La stabilité temporelle de l’ensemble des supports d’information, en particulier celle des CD-R, est variable. (…) Il est vrai que le CD-R a été présenté comme inaltérable et pérenne. Ses fabricants annoncent parfois des durées de vie très longues. La réalité est tout autre : la gravure s’avère plus délicate que prévue, des échecs sont parfois constatés ; des CD-R, même apparemment bien gravés, peuvent se révéler illisibles prématurément. » – L’archivage sur CD-R. Acquérir, graver, contrôler, conserver. Eyrolles, Paris, 2006.Le problème de cette « news » n’est pas sa véracité – bien réelle – mais que ce n’est pas si new que ça. Il y a plus de deux ans, Kurt Gerecke, physicien expert du stockage informatique, affirmait que « la durée de la plupart des CD inscriptibles disponibles à bas prix dans les magasins discount a une durée de vie de deux ans environ ; certains des disques de meilleure qualité offrent une durée de vie plus longue, de cinq ans tout au plus. » Il conseillait de sauvegarder non pas sur disques durs – qui ont leurs problèmes – mais sur bandes magnétiques, dont la durée de vie est estimée de 30 à 100 ans. Il concluait que, de toute façon, aucun support de stockage ne dure éternellement – ce que l’on s’entêtait à répéter depuis bien plus longtemps.
Le laboratoire national d’essai devait s’en douter : en 2004, il avait œuvré pour la mise en place d’un groupement d’intérêt scientifique chargé d’étudier la conservation des données sur disques optiques numériques. On peut y lire (l’information n’est pas datée) : « de récentes études ont montré que certaines marques de supports magnétiques (disques durs et bandes) et de disques optiques (CD-R et DVD-R) étaient inutilisables après une période de stockage d’environ un an, alors que des supports d’autres marques, n’avaient montré aucune dégradation notable après 15 ans d’archivage ».
On se demande pourquoi les médias ont attendu si longtemps pour en informer le grand public. Car les professionnels le savaient : certains organismes, au fait de ce petit problème depuis un certain temps, avaient commencé à recopier laborieusement leur patrimoine informationnel sur des nouveaux systèmes de conservation (en général : une cascade de disques durs et de bandes magnétiques servant à effectuer des sauvegardes périodiques de volumes parfois astronomiques et qui ne feront que croître avec le temps). Le labeur du copiste n’est jamais fini, et la course technologique le rend souvent bien plus ardu, malgré les apparences.
Et oui, j’ai vu la meme annonce hier soir sur France2. Super, j’ai plus qu’à vérifier que mes archives video, audio, photo … sont toujours bonnes.
Bon, bein je vais acheter 2 gros disques durs et tout recopier dessus. Comme ca, si l’un des 2 plante, j’en aurai toujours un de secours…
Commentaire par croger13 — 4 mars 2008 @ 8:34
S’il suffisait de recopier, cela se saurait… Même si le disque dur tiendra la route, au fil du temps les logiciels de consultation des vidéos, de l’audio, des photos… évoluent, les formats changent : qui dit que dans dix ans (par exemple) on pourra toujours lire ces fichiers, même s’ils sont en excellente qualité ? Il faut donc aussi penser au transcodage (changements de formats). Et ça ne finit pas.
Commentaire par Miklos — 4 mars 2008 @ 13:24
Je n’ignorais pas ce problème mais je suis étonné de la brièveté de conservation de certains supports et amusé par le désintérêt -souvent intéressé – des acteurs pour cet aspect tout de même essentiel. Il est vrai que vendre du support -massivement – et des instruments de reproduction et de conservation en donnant l’illusion de la pérennité ne manque pas d’attrait
Commentaire par francois75002 — 7 mars 2008 @ 0:04
Le développement technologique est une affaire complexe : il vise à proposer une « solution » à un problème connu ou non, répondre à un besoin (inexistant peut-être au départ et suscité ultérieurement). Au départ, il est expérimental, ce qui permet de tester à un certain degré sa fiabilité. Mais, comme pour les nouveaux médicaments, il est souvent impossible de déterminer en peu de temps (et le minimum est souhaitable, pour l’industrie, dans sa course en avant), avec 100% d’assurance, leur comportement sur une longue durée : il n’y a que le temps qui démontre, finalement, ce qu’il en aura été.
C’est ainsi que le papier produit à partir de pulple de bois (procédé datant du début du XXe s. et qui remplace sa production à partir de coton ou de lin) possède un degré d’acidité qui nuit à sa conservation : qui l’eut su alors ? Mais même quand « on » sait, ça peut payer de taire : il paraît qu’on connaissait les méfaits de l’amiante depuis bientôt 100 ans, et il y a encore des pays qui en produisent (même s’ils en ont changé le nom pour faire moins peur). Et l’on sait les efforts que l’industrie du tabac (ou de l’alcool) fait pour rassurer, faire acheter et « fidéliser » (en clair, développer une dépendance).
Finalement, cette obsolescence des objets techniques arrange bien quelqu’un : l’industrie, qui se voit sollicité d’inventer de nouveaux supports, et des outils pour recopier les anciens vers les nouveaux. À ce jeu de qui-perd-gagne, on sait qui est l’un et l’autre…
Commentaire par Miklos — 7 mars 2008 @ 1:20