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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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21 juin 2008

Ça compte tellement ?

Classé dans : Actualité, Musique, Sciences, techniques — Miklos @ 1:10

« Quand Boèce au vie siècle développa les idées pyta­go­ri­ciennes, il inscrivit aussi la musique au sein du quadri­vium, au même titre que la géo­métrie, l’astro­nomie, et l’ari­thmé­tique. Et de la même façon, il définissait le plaisir musical comme le plaisir pris à l’écoute des conson­nances qui elles-mêmes mani­festent l’ordre, la propor­tion et l’har­monie du monde. Dans une telle pers­pective, on ne mesure pas, on compare des rapports. Le plaisir musical n’est que la consé­quence phy­sio­lo­gique immé­diate d’un ordre mathé­ma­tique, nombré, mais non mesuré. » — Jean-Marc Chouvel et Makis Solomos (éds.) : L’espace : Musique/Philosophie. L’Harmattan, 1998.

Ce matin, à l’antenne d’une des radios de LVMH, Monsieur Musiques de stars s’entretenait avec Monsieur Téléshopping.

— « Les mathématiques et la musique, c’est presque la même chose », décrète le second.

— « C’est parce que dans les deux il faut compter », répond le premier, en donnant pour exemple les chefs d’orchestre qui battent la mesure.

Vision bien réductrice de l’un et l’autre de ces champs : les mathématiques sont loin de se réduire à l’arithmétique ou même à la théorie des nombres, et traitent – entre autres – du continu, de l’infini et du transfini, de l’imaginaire et de l’innombrable ; nombre de ses branches ne traitent pas de nombres, mais de formes (la géométrie) ou de fonctions (l’analyse), par exemple. Quant à la musique – classique, puisque cette radio porte encore ce qualificatif dans son nom –, on y trouve de tout temps des œuvres « sans mesure » ou « non mesurées »1 depuis les troubadours et le plain chant du Moyen Âge, les préludes, les cadences et les récitatifs de l’époque classique et jusqu’à nombre d’œuvres de nos jours. Ainsi dans le septième livre de madrigaux de Monteverdi2 l’exécution de deux œuvres doit se faire « senza battuta ». Cent ans plus tard, les préludes des quatre Suittes du troisième livre de Pièces de clavecin courtes et faciles (1704?-1720?) de Jean-François Dandieu sont écrits sans indication de mesure, comme l’est plus d’un demi siècle après un prélude (1777) de Claude Balbastre3 dans ses Pieces de clavecin, d’orgue, de forte piano.

En musique contemporaine écrite les exemples ne manquent pas : dans Metastasis (1953) de Iannis Xenakis, il n’y a pas de pulsation et de longs passages de Piano-Rag-Music de Stravinsky (1919) sont sans mesure. Il en va de même pour la Grand Fantasia, Op. 38 (1928-9) du compositeur britannique Gerald Finzi. Quant au finlandais Jukka Tiensuu, il a carrément écrit un Prélude non mesuré pour piano (1976), tandis qu’Archipel 4 (1970) de Boucourechliev est une œuvre ouverte basée sur quatorze matériaux bruts de hauteurs et cent onze schémas.

Non, la « connivence singulière » des mathématiques et de la musique ne se trouve pas dans les comptes d’apothicaire. Elle est ailleurs.


1 Appelée, selon le cas ou l’époque musica immensurata (terme inventé au xive par Jean de Grouchy), senza misura, senza tempo, a suo arbitrio, a piacere, ad libitum en italien ou en latin, unbarred en anglais, ohne bestimmtes Zeitmaß en allemand…
2 Concerto Settimo libro de madrigali a 1., 2., 3., 4. & 6 voci, con altri generi de canti, Venise, 1619. Cité dans George J. Buelow, A History of Baroque Music, Indiana University Press, 2004.
3 Ce qui contredit l’affirmation de la WP française selon laquelle le genre tombe en désuétude vers 1720.

4 commentaires »

  1. « Les mathématiques et la musique, c’est presque la même chose »
    Celle-ci m’a toujours fait sourire aussi, parce que de là à rire il me faudrait un peu plus d’esprit des choses en une telle occurrence.

    Par contre, là j’avoue, que celle-ci surpasse mes délires les plus fous : « C’est parce que dans les deux il faut compter ».
    A ce compte-là, il doit y avoir « nombre » de domaines ou dimensions proches des mathématiques.
    Pour le reste, vous avez résumé l’essentiel et même si l’on pourrait détailler et s’amuser entre autres avec l’espace/temps par exemple, je n’éprouve guère le besoin d’épiloguer.
    Amazing, isn’t it!

    Bien cordialement.

    Commentaire par Ariana — 21 juin 2008 @ 20:19

  2. Je pense qu’à cette aune l’épicerie est très proche de la musique. Quoi qu’il en soit, cette radio est tombée si bas à part ses émissions éco le matin, qui n’ont donc rien à voir avec son nom… ni d’ailleurs ce qu’ils y font le reste de la journée. Amazing, you say? Non, quand on cherche à faire du chiffre (encore un genre de comptage bien loin de notre propos)…

    Commentaire par Miklos — 28 juin 2008 @ 10:21

  3. [...] pour quelque chosenbsp;: Mitsou Carré vient de Radio Classique, connue pour sa programmation… moins classique, dans tous les sens du terme. [...]

    Ping par Miklos » Alla breve. IX. — 26 août 2009 @ 22:59

  4. [...] pour quelque chose : Mitsou Carré vient de Radio Classique, connue pour sa programmation… moins classique, dans tous les sens du terme. [...]

    Ping par L’Œil de la Médiathèque » Alla breve. IX. — 5 septembre 2009 @ 0:57

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