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10 décembre 2012

Mer d’alors

Classé dans : Actualité, Langue, Littérature, Musique — Miklos @ 17:27

L’homophonie – à ne pas confondre avec l’homophobie qui, à l’instar de l’Hydre de Lerne, redresse présentement ses têtes à l’occasion du projet de mariage pour tous – ne cesse de séduire les auteurs, et pas des moindres. C’est ainsi que, quelques centaines d’années avant Freud, l’Oulipo et Raymond Devos, le poète Pierre de Marbeuf (1596-1645, cf. biographie en fin du billet) sut en user pour tourner des vers destinés à exprimer les délices et les affres des amours qui lui tournaient la tête.

Le plus célèbre de ses poèmes dans le genre est sans conteste l’un des sonnets du recueil Pour Philis. Le miracle d’amour – la dédi­cataire était la belle du moment qui tenait sa vie captive dans ses yeux et lui avait l’âme ravie, pour reprendre l’expression de Jehan Tabourot –, qui est bien plus qu’un exercice de style (fort réussi), une lecture « moderne » pouvant y trouver sans peine des interprétations psychanalytiques à ses évocations du feu et de l’eau, des abîmes et de l’exaltation, et de la mère omniprésente :

Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.

Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

La mère de l’amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau,
Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

On retrouve ce jeu sur l’homophonie créée par la mer, la mère, l’amer, l’amour (plus exactement : des paronymes) et sur l’opposition eau – feu dans Le Procès d’amour, dédié Au Roy dont on ne citera qu’un passage :

Je ne m’étonne plus si l’Amour est amer,
Puis qu’on dit que sa mère est fille de la mer,
Et la mer et l’Amour sont cause du naufrage,
Et la mer et l’Amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’Amour est amer,
L’on s’abîme en l’Amour aussi bien qu’en la mer,
S’il est bâtard de Mars il se plaît à la guerre,
Et de troubler toujours le repos de la terre,
S’il est fils de Vulcain, son plaisir et son jeu
Est de brûler le monde et d’y mettre le feu,
Soit donc qu’il soit bâtard, soit qu’il soit légitime,
Il doit être du fer ou du feu la victime.

Ce ne sont pas les seuls paronymes qu’on trouve dans ses poèmes ; un autre Sonnet s’ouvre ainsi : « O Nuit pour mes ennuis tant seulement féconde… ».

Les textes de Marbeuf ne sont pas uniquement du Desbordes-Valmore avant l’heure. Il manie fort bien l’ironie, comme on peut le voir dans sa Consolation sur la mort du Perroquet de Madamoiselle D.&.c. :

Ne pleurez plus pour votre perroquet,
Puis qu’il est mort vos pleurs sont inutiles,
La pauvre bête a laissé son caquet
Par testament à l’une de vos filles.

C’est net, bref et précis. Plus long est Le misogyne qui célèbre le décès de sa femme qu’il envoie prestement au diable, et s’il se targue d’aller jusqu’en enfer à l’instar d’Orphée, ce n’est pas comme « ce sot [qui y] veut séjourner afin que sa femme revienne », mais, dit-il, « J’y descends afin que la mienne n’en puisse jamais retourner ».

Il n’hésite pas à manier du paradoxe en mettant la plume à la main pour lancer quelques imprécations bien senties dignes du meilleur Hugo :

Un jeune sot de secrétaire,
L’excrément de quelque notaire,
Ou le bâtard d’un écrivain,
Ne mérite pas cette gloire
Que pour punir son écritoire
Je mette la plume à la main.

Une de ses Épigrammes fournira une apte conclusion à ce billet en faisant écho à l’évocation de l’actualité qui ouvre ce billet :

Quand je te vois, visage de poupée,
            Je dis qu’en ta façon
            Nature fut trompée,
Pensant faire une fille elle fit un garçon.

Marbeuf (Pierre de), poète français, naquit vers 1596 aux environs de Pont-de-1’Arche, de noble famille. Son père avait les titres d’écuyer, sieur d’Imare et de Sahurs en partie, et lui-même se donne celui de chevalier. Il fit ses premières études à la Flèche, au célèbre collège qu’y possédaient les jésuites, et il se rendit de là, sans doute afin de faire son droit, à Orléans. Mais il s’y livra aux Muses au moins autant qu’à la jurisprudence, et dès 1618, il fit paraître un double échantillon de son talent poétique : l’un était le Psalterion en l’honneur de Marie, dont l’intitulé seul indique assez quelle influence exerçait toujours sur lui l’éducation religieuse reçue chez les pères ; l’autre consistait en Poésies mêléesDans l’épîtrе dédicatoire, en tête de sa Poésie meslée, on lit :
A monsieur mon père, monsieur de Marbeuf, etc.
, parmi lesquelles se trouve une imitation du chapitre 1er des Lamentations de Jérémie. Aussi, dans une de ses pièces laudatives que jadis il était d’usage de mettre en tête de tout ouvrage nouveau, un de ses amis, Piedevant d’AquignyAquigny est aussi aux environs de Pont-de-l’Arche., le loue-t-il de ne point avoir admis de vers érotiques, et, sous ce rapport, il le préfère aux Ronsard, aux Desportes, aux du Bellay. Mais Marbeuf ne mérita pas longtemps cette louange toute spéciale. De retour à Orléans, il y fit connaissance avec une jeune Parisienne qui eut le pouvoir, dit-il, de lui faire négliger ses dernières études, et qu’il a chantée sous le nom réel ou emprunté d’Hélène. Ce n’est pas tout, à Hélène succéda Jeanne ; puis vinrent, nous ne saurions plus dire dans quel ordre, Madeleine, Gabrielle, et Philis et Amaranthe. Quoi qu’il en soit, Marbeuf finit d’assez bonne heure par reprendre la route de sa patrie, et nous le retrouvons aux environs de Pont-de-1’Arche investi de la maîtrise des eaux et forêts. Il continua de cultiver la poésie au milieu de ses bois et de ceux de la couronne et de l’État, et il fait allusion à cette vie forestière en se donnant dans ses vers le nom de Sylvandre. On ne sait à quelle époque il mourut, mais il vivait encore au commencement du règne de Louis XIV. Toutefois la dernière pièce qu’on ait de lui est de 1633. Il avait été marié, et, s’il faut l’en croire, il avait eu fort à souffrir de cette union, mais il ne spécifie rien sur les griefs qu’il pouvait avoir à l’égard de sa femme qu’il appelle Alecton et Mégère. Voici les titres exacts des deux premiers petits recueils de Marbeuf : 1° Psallerion chrestien dédié à la mère de Dieu, Rouen, 1618 ; 2° Poésies mêlées du même auteur, Rouen, 1618. Il faut y joindre, pour avoir ses œuvres complètes, les pièces nouvelles insérées dans l’édition de 1629, laquelle a pour titre : Recueil de vers de M. P. de Marbeuf, etc., et une ode intitulée Portrait de l’homme d’Etat, 1633, in-4°. Parmi ses œuvres complètes se trouvent diverses pièces latines, et au total ce recueil offre une variété assez séduisante, des éloges et des satires, des vers galants et des poésies pieuses. Quant à ce que Marbeuf a déployé de talent, nous ne pouvons être tout-à-fait de l’avis de ses amis et notamment de celui de son fidèle d’Aquigny. Cependant on ne saurait lui dénier toutes les qualités qui font le poète. Il a la versification facile, et souvent sa phrase est nette et précise.

P—от, in Biographie universelle (Michaud) ancienne et moderne, t. 26. Nouvelle édition. Paris, 18..

Un commentaire »

  1. bonne mer !!!!

    Commentaire par Jeff — 11 décembre 2012 @ 0:04

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