Quel bouleau !
La mélodie qu’on entend dès la dixième mesure du Finale de la Quatrième symphonie de Tchaïkovski est simple. Et pourtant, quelle atmosphère orientale et mélancolique ! combinaison savante du tempo haletant et de la répétition lancinante de la première note, de la tonalité (mineure), de la direction (descendante), du rythme, et surtout du timbre et donc de l’orchestration, elle est de ces airs qui, une fois entendus, ne nous quittent plus. On retrouve d’ailleurs l’essentiel de ces « procédés » dans les premières mesures de la Cinquième symphonie de Beethoven.
P. I. Tchaïkovsky : Finale de la Quatrième symphonie (extraits).
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Tchaïkovski, lui, s’était inspiré d’une chanson populaire russe (comme il l’a fait ailleurs), en l’occurrence Во поле берёза (ou берёзка, ou encore берёзынька) стояла, littéralement : « Un petit bouleau se dressait dans le pré », connue sous le titre français de La Chanson du bouleau. D’autres grands compositeurs russes s’en sont inspirés : Balakirev (dans sa première Ouverture sur des thèmes russes), Mikhaïl Glinka (Tarentelle), Dimitri Chostakovitch (Le Grand éclair) ou Alfred Schnittke (La Vie avec un idiot). Elle se trouve citée intégralement dès 1787 dans l’opéra comique en un acte Les Cochers au relais d’Evstignei Fomine (1761-1800) auquel Nikolaï Lvov (1753-1803/4) avait collaboré comme parolier (sourceRichard Taruskin, Defining Russia Musically: Historical and Hermeneutical Essays.
Princeton University Press, 1997.), et apparaîtra quelques années plus tard dans le recueil de Chants populaires russes avec leurs mélodies que Lvov publiera avec Ivan Pratch (republié en facsimile en 1987 par UMI Research Press).
E. Fomine : Les Cochers au relais (extrait).
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J’avais entendu cette chanson envoûtante pour la première fois, adolescent, sur le 33T du concert que le Chœur Alexandrov de l’Armée rouge avait donné à Paris en 1960 et auquel mes parents avaient assisté. Je n’ai eu de cesse de réécouter ce disque, et particulièrement cette chanson-là (bien moins connue en France que Plaine ma plaine qui s’y trouve aussi, à côté d’autres œuvres en russe et en français), interprétée avec une énergie et un élan prodigieux mâtinés de tendresse par le ténor Constantin Lissovski et la chorale. Le Chant du Monde, qui avait publié le disque original, l’avait réédité en disque compact en 1993, puis cette année-ci : on le trouve donc dans les bacs, au bouleau, donc ! En l’écoutant j’y retrouve le même plaisir, la même excitation, que cinquante ans plus tôt. On peut en entendre ici la même interprétation [le site Chant du Monde s’est vidé avec le changement d’activité de la marque. -- 4/2018] que je trouve toujours nonpareille.
Les racines russes de ma mère devaient y être pour quelque chose : cette musique me parlait et me parle toujours. En outre, le bouleau, si commun en Europe du Nord, est omniprésent dans la poésie et la chanson russes et est considéré comme l’arbre national du pays. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait donné aussi son nom à un ensemble chorégraphique russe, dont la spécialité est le khorovod, dansé en cercle par des femmes aux amples robes touchant le sol, ce qui leur permet de se déplacer comme en glissant sans un geste, effet particulièrement magique, comme on peut le voir dans cette ancienne vidéo (les plus récentes sont moins intéressantes) :
On aura remarqué le son reconnaissable entre tous de la balalaïka, autre « objet » mythique russe. Ce n’est pas uniquement du fait de son utilisation fort commune pour accompagner ce genre de musique, voici ce que dit une des versions de la chanson : « Je couperai trois branches du bouleau, j’y taillerai trois petits sifflets. Dans la quatrième – une balalaïka… » Voici l’interprétation amusante (et savante) qu’en donne l’ensemble Koumouchki (« commères », en russe) :
Pour finir, on signalera d’abord que la partition (voix, accompagnement) de cette splendide chanson et de son vertigineux refrain est disponible en ligne, avec les paroles, leur fidèle translittération et traduction en anglais. Enfin, le blog de Philippe Michel consacre à cette chanson une page où l’on trouve le texte complet (en russe, en translittération et en une traduction très approximative – cf. ci-dessous notre tentative) accompagné de la vidéo d’une autre interprétation par les chœurs de l’Armée russe intéressante à plus d’un égard : on les voit jouer de la balalaïka et dans une position bien plus détendue que celles qu’ils ont en général, que ce soit lors de leurs défilés ou de leurs interventions chez les pays « amis ».
I. Во поле берёза стояла, |
I. Un petit bouleau s’élevait dans le champ, |
Refrain Тары, бары, растабары, |
Refrain Bavardages et commérages, |
II. Некому берёзу заломати, (Refrain) |
II. Personne n’élague le bouleau, (Refrain) |
III. Пойду я в лес погуляю, (Refrain) |
III. Je vais me promener dans la forêt. (Refrain) |
Bonjour,
Je cherche la partition de « La Plaine Russe ». Je ne la trouve pas. L’auriez vous disponible par hasard ? Merci
Thibault
Commentaire par Manchon — 5 octobre 2015 @ 10:29
Bonjour,
S’il s’agit de la chanson appelée en français Plaine, ma plaine, en voici la partition.
Cordialement,
Miklos
Commentaire par Miklos — 5 octobre 2015 @ 10:33
En fait, il s’agit d’une autre chanson, faisant partie de la musique du film Les Nouvelles aventures des insaisissables, et composée par le compositeur et chanteur russe Yan Frenkel (partition ici. Le film a été réalisé en 1968 par Edmond Keossaian.
On en trouve sur le site SovMusic.ru quatre interprétations très différentes – celle de l’Armée rouge, flamboyante, à côté d’une autre très intimiste, de Vladimir Ivanov
En voici les paroles :
Поле, русское поле…
Светит луна или падает снег —
Счастьем и болью вместе с тобою,
Нет, не забыть тебя сердцу вовек!
Русское поле, русское поле…
Сколько дорог прошагать мне пришлось!
Ты моя юность, ты моя воля,
То, что сбылось, то, что в жизни сбылось.
Припев:
Не сравнятся с тобой ни леса, ни моря,
Ты со мной, мое поле, студит ветер висок.
Здесь Отчизна моя, и скажу, не тая:
— Здравствуй, русское поле,
Я твой тонкий колосок.
Поле, русское поле…
Пусть я давно человек городской,
Запах полыни, вешние ливни
Вдруг обожгут меня прежней тоской.
Русское поле, русское поле…
Я, как и ты, ожиданьем живу,
Верю молчанью, как обещанью,
Пасмурным днем вижу я синеву.
Припев.
Commentaire par Miklos — 5 octobre 2015 @ 13:14