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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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1 janvier 2013

Au gui l’an neuf !


Statue Au-gui-l’an-neuf au jardin des Tuileries.
(Source : Ministère de la Culture – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine –
diffusion RMN)

Le baron Jérôme Pichon (1812-1896) a été un grand amoureux – et collectionneur – de livres, ce qu’il a exprimé dans une lettre à Georges Vicaire :

Depuis ma plus tendre jeunesse, j’ai aimé, adoré les livres ; et, comme tout homme qui aime, j’ai tout aimé d’eux, le fond et la forme. Plus tard, j’ai appris à apprécier leur reliure et leur provenance. Quel charme de tenir dans ses mains un livre élégamment imprimé, revêtu d’une reliure contemporaine de son apparition, donnant la preuve, par un signe quelconque, qu’il a appartenu à un personnage illustre ou sympathique, et de penser qu’en touchant ce volume qu’il a touché, lu, aimé, on entre avec lui dans une mystérieuse communion.

Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été élu président de la Société des bibliophiles françois en 1844 et réélu chaque année jusqu’en 1894, où il se retira pour raisons de santé… Cette société a tenu ses assises dans la bibliothèque ou les salons de l’hôtel de Lauzun, que Pichon avait acheté en 1842. C’est peu dire que le quartier n’était pas à la mode, voici ce qu’il en dit en 1885 :

J’achetai ma maison du quai d’Anjou, je pourrai dire à la risée presque universelle comme pour le Petrone. Pouvait-on aller demeurer à l’Île Saint-Louis ! Et comment meubler une pareille maison ! Mais je laissai dire et je poursuivis mon chemin. On vint chez moi par curiosité, puis on trouva qu’après tout on pouvait vivre à l’Île Saint-Louis, puis après m’avoir blâmé, on me loua, on me vanta et… il y a 43 ans que j’y suis.

Son intérêt pour la demeure lui venait-il de son grand-père maternel, le célèbre architecte Brongniart ? On pourra lire d’autres détails intéressants sur sa vie et son œuvre dans la Notice qu’a écrite Georges Vicaire après le décès de Pichon.

Les deux chansons ci-dessous sont de circonstance : ce sont des aguillenneufs (ou anguilaneu, auguilaneuf, a(n)guillaneuf, (a)guillanné(e)…), tirés de son ouvrage Noëls de Lucas le Moigne, curé de Saint-Georges du Puy la Garde en Poitou, publiés sur l’édition gothique par la Société des Bibliophiles françois. On y a joint les Noëls composés (vers 1524) par les prisonniers de la Conciergerie et [de] deux Aguillenneufs tirés du recueil des Noëls du Plat d’argent. À Paris, imprimé par Ch. Lahure avec les caractères de la Société des Bibliophiles françois, MDCCCLX, in-16. IX-XVI et 172 pp. Tiré à 29 exemplaires pour les membres de la Société, plus 2 exemplaires pour le dépôt légal.

Ces Noëls étaient bien plus coquins – l’époque le voulait, le permettait – que leur nom ne le laisserait supposer à nos contemporains. En voici quelques titres (dont le sens doit avoir aussi changé avec le temps, mais on ne peut s’empêcher de rêver) :

– Ung petit coup en attendant.

– Crac, crac, jamais ne m’aviendra.

– Le branle de Saumur.

– Alons, alons, gay.

– Le mignon qui va de nuyt.

– Monsieur vault bien madame.

– Tire tes chausses, Guillemette.

– Mon cueur joliet, fringue sur la rose.

– Sy j’ayme mon amy.

– Amours, mauldit soit la journée.

– En contemplant la beaulté de ma mye.

Quant à Nicolas le Moigne, (ou Lemoigne), c’était un intéressant personnage. Voici ce qu’en disent Henri Lemaître et Henri Clouzot, dans leur préface à Trente noëls poitevins du xve au xviiie siècle (Niort et Paris, 1908) :

Le plus ancien de ces poètes populaires, Lucas Lemoigne, curé de Saint-Georges et de Notre-Dame-du-Puy-la-Garde en Poitou, ne nous a laissé que son nom. Encore n’est-il pas certain qu’il n’ait pas pris un pseudonyme, comme Jean Daniel, l’organiste d’Angers, qui signait Mitou. Dans ce cas, nous n’hésiterions pas à reconnaître dans ce curé de Saint- Georges, le « vieux oncle, seigneur de Saint-Georges, nommé Frapin », qui selon Rabelais avait « faict et composé les beaux et joyeux Noels en langage poictevin ». Guil. Frapin, personnage véritable, était réellement grand oncle de l’auteur de Pantagruel, puisque la grand’mère maternelle de Rabelais, Andrée Pavin, s’était remariée à un Frapin. Il vivait à la fin du xve siècle, ce qui correspond assez bien à l’allure générale du recueil. Le ton fort gaillard de certaines pièces suffirait à expliquer qu’il n’ait pas publié l’ouvrage sous son nom.

[Aguillenneuf]

Nous sommes bons compaignons,
Qui venons a vostre porte,
Sans que nully se deporte,
Tous jours irons de mieulx en mieulx,
Et chantons tous aguillenneuf.
Libraires et imprimeurs
Nous sommes tous d’une sorte,
Qui bien bouvons des vins meurs.
Mais que force on en aporte,
Faictes nous ouvrir la porte
A ceste vieille d’an neuf.
Et donnez-nous Aguillenneuf.

Si avions force ducatz
Et des nobles à la rose,
Point ny chanterions si bas,
Chascun de nous dire l’oze.
Vostre bource soit descloze ;
Donnez-nous ennuyt d’aneuf,
Nous en dirons : Aguillenneuf.

Nous ne viendrons de cest an :
Faictes la distributive ;
Que Dieu vous garde de malan !
Qui pour la viveos iniveos.
Nous crirons tous à voix vives,
A plein gosier franc et neuf :
Donnez-nous tous Aguillenneuf !

Aguillenneuf
Sur le chant Puisqu’en amours

Aguilleneuf, de cœur joyeulx,
Tous ensemble l’on vous demande
Plaine d’une bourse d’escus vieulx ;
Nous les prandrons, et sans amende,
Pour resjoyr toute la bende :
Si vous plaist de les mectre en jeu,
Nous en dirons : Aguillenneuf.

Nous sommes plusieurs compaignons
Assemblez et d’une alliance,
Qui tous deliberé avons
De tresbien garnir nostre pance.
S’il vous plaist, vous ferés l’advance,
Car nous n’avons pas, par grant adveu,
Puis nous dirons : Aguillenneuf.

Parquoy n’avons cause de rire :
Donnez-nous poulles ou chapons,
Esclairez près pour nous conduyre ;
Donnez de quoy rostir ou frire,
Ou ung jambon pour mettre au feu :
Nous en dirons : Aguillenneuf.

D’andouilles point nous ne voulons,
Nous ne ferons pas grans prieres :
Pour mieulx faire, nous laissons :
Gardés-les à vos chamberieres ;
Frotés-leurs-en bien le darriere,
Et vous aurés partie on veu ;
Puis nous en dirons : Aguillanneuf.

Adieu, filles aux blancs tetins,
Et frisquettes chamberieres ;
Que d’andouilles et gros boudins
L’on vous puisse faire crouppieres !
Vous en seriez beaucoup plus fieres
Quant vous auriez senty le jeu ;
Et donnés-nous Aguillanneuf.

Amen.

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