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14 juillet 2013

De l’interdiction de nourrir les pigeons à Paris

Classé dans : Cuisine, Histoire, Santé, Société — Miklos @ 18:29


L’homme aux pigeons (devant le Centre Pompidou, 2008)

Le Traité de la police de Nicolas Delamare (ou de La Mare), publié en quatre volumes au début du XVIIIe siècle, bien qu’inachevé, comprend une somme considérable d’informations de grand intérêt sur « l’histoire administrative, le passé économique, les mœurs et cou­tu­mes d’autrefois, l’évolution de l’agglomération pari­sienne ». (P.M. Bondois, 1935)

Nous citerons d’abord un extrait du livre quatrième (« De la santé »), titre II (« Que la salubrité de l’air contribue à la santé »), chapitre III (« Qu’il ne faut élever dans les villes aucuns des bestiaux qui causent de l’infection ») qui montre bien que la plaie des pigeons – sans doute la onzième de celles d’Égypte – n’est pas récente et préoccupait la maréchaussée autant alors qu’aujourd’hui. En passant, nous apprendrons l’étymologie du nom de la rue aux ours et verrons que les lois de salubrité n’avaient rien d’absolu, et étaient en fait modulables selon le statut social des habitants des divers quartiers (comme quoi, on nettoie mieux le 16e arrondissement que le 18e).

De tous les animaux domestiques, il n’y en a point dont l’infection des excréments soit plus capable de corrompre l’air que les porcs, les pigeons, les lapins, les oies et les canes. La Coutume d’Étampes article 185 y comprend les bêtes à laine : elle porte, qu’il n’est loisible à personne faisant sa demeure en cette ville, d’y tenir bêtes à laine, porcs, oies ou canes ;à peine de confiscation et d’amende arbitraire. Et l’article 192 défend d’y nourrir des pigeons privés, à peine de cent sols parisis d’amende. La Coutume de Nivernois chapitre dix, article dix-huit, fait défendre de nourrir dans la ville de Nevers aucuns pourceaux, truies, boucs, chèvres, cochons, chevreaux, et autres bêtes semblables, et ordonne que ces défenses auront pareillement lieu dans les autres villes de la province.

Saint Louis par une ordonnance du vendredi d’après la Toussaints 1291 défendit de nourrir aucuns porcs au-dedans des murs de la Ville de Paris.

Le Prévôt de Paris par une ordonnance du samedi d’après la Chandeleur 1348 et une autre ordonnance du trente janvier 1350 fit défenses de nourrir dans la ville aucuns pourceaux, à peine de soixante sous d’amende : enjoignit aux sergents de les tuer où ils les trouveraient ; ordonna qu’ils en auraient la tête pour leur salaire, et que le reste du corps serait porté à l’Hôtel-Dieu, à la charge d’en payer le port.

Charles V, par des lettres patentes du vingt-neuvième Août 1368 défendit expressément à toutes personnes de nourrir des pigeons dans la ville, faubourgs et banlieue de Paris.

Une ordonnance du Prévot de Paris du 4 Avril 1502 sur le réquisitoire des avocats et procureur du Roi, fait défenses à toutes personnes de nourrir des pigeons, des oisons, des lapins, ni des porcs dans la ville et faubourgs de Paris, à peine de confiscation et d’amende arbitraire, dont le dénonciateur aura le tiers.

Les oies étaient en ce temps d’un si grand usage à Paris, que les rôtisseurs ne faisaient presque point alors d’autre débit ; c’est de-là qu’ils se trouvent nommés dans les anciennes ordonnances oyers, et non pas rôtisseurs, et que le quartier où ils demeuraient en plus grand nombre prit le nom de rue aux oyers, que l’on nomme aujourd’hui par corruption rue aux ours. Plusieurs pauvres gens des faubourgs ou des extrémités de la ville élevaient de ces volailles, et en faisaient commerce sous le titre de poulaillers. Ils donnèrent leur requête au Prévôt de Paris, pour avoir la liberté de continuer leur commerce dans ces lieux exposés au grand air : ce magistrat commit un commissaire pour y faire une descente en la présence du Procureur du Roi, et sur le rapport de cet officier il rendit la sentence que voici :

« À tous ceux qui ces présentes lettres verront, Gabriel baron et seigneur d’Allègre, Saint-Just, Meillau, Torzet, Saint Dyer et de Pussol, conseiller, chambellan du Roi notre Sire, et garde de la prévôté de Paris, salut, savoir faisons ; que vue la requête à nous faite et présentée par les Maîtres poullaillers de la ville de Paris, par laquelle ils auraient requis leur être permis de pouvoir faire nourrir des oisons ès rues du Verbois en cette dite ville de Paris, rue des Fontaines, et autres lieux de ladite Ville les plus convenables, ainsi que d’ancienneté, et mêmement depuis neuf ans auraient eu congé et pouvoir de ce faire. Sur laquelle eussions ordonné dès le trentième jour de Mai dernier passé, que les lieux seraient visités par le premier Examinateur de par le Roi notredit Seigneur audit Châtelet de Paris, qui en ferait son procès verbal, pour ce fait en être ordonné comme de raison : vu aussi le procès verbal fait en vertu de ladite requête par notre aimé Maître Etienne Migot, Examinateur audit Châtelet ; par lequel Nous est apparu ledit Examinateur, en la présence du Procureur du Roi notredit Seigneur audit Châtelet, avoir visité, et soi être transporté en ladite rue du Verbois, outre les églises du Temple et de saint Martin des champs à Paris, et trouvé icelle rue être détournée de gens, et à l’écart, à laquelle n’habite que menues et simples gens, comme poullaillers, vignerons et non gens d’état ; ne maisons d’apparence, où il y a grands jardins et lieux vagues, et qui aboutit sur les murs et anciens égouts de cettedite Ville de Paris, et comme lieu champêtre. Vu aussi certain congé donné de nous le mercredi second jour de Mai mil cinq cent et quinze, auxdits poulaillers, de faire les nourritures dont il est question : nous pour considération de ce que dit est auxdits Maîtres poulaillers, avons permis et permettons, oy sur ce ledit Procureur du Roi audit Châtelet, de pouvoir nourrir telle quantité d’oisons que bon leur semblera ; pourvu que sous ombre de ce, ne soit fait chose préjudiciable, et de pouvoir révoquer cette présente permission, où il serait trouvé ci-après être au préjudice d’aucuns et de la chose publique. En témoin de ce nous avons fait mettre à ces présentes le scel de ladite Prévôté de Paris. Ce fut fait le jeudi dix-huitième jour de Juin l’an mil cinq cent vingt-trois. Ainsi signé, A. Lormier. »

Ceux qui avaient obtenu cette permission en abusèrent, d’autres se joignirent à eux, la Ville se trouva remplie de volaille ; leur infection jointe à celle des immondices dont le nettoyement avait été beaucoup négligé, causèrent plusieurs maladies. François I y pourvut par un édit du mois de Novembre 1539. […]

Il faut probablement pondérer l’option de Delamare, selon laquelle les rôtisseurs ne faisaient commerce quasiment que d’oies : dans ses Règlemens sur les arts et métiers de Paris rédigés au XIIIe siècle, et connus sous le nom du livre des métiers d’Étienne Boileau (1837), Georges Bernard Depping écrit, à propos de « l’ordenance du mestier des oyers de la ville de Paris » :

Quoiqu’ils fussent appelés alors oyers, et que la rue aux Oues eût été nommée d’après les oyers qui l’habitaient, ce qui ferait supposer qu’ils rôtissaient principalement des volailles, on voit par les articles du statut qu’ils apprêtaient toutes les viandes, et même la charcuterie.

Pour conclure et revenir à nos moutons pigeons, on ne sait si les oyers proposaient les mets dont on voit ci-dessous des recettes tirées du Cuisinier royal et bourgeois, qui apprend à ordonner toute sorte de repas, et la meilleure manière des ragoûts les plus à la mode et les plus exquis, ouvrage très utile dans les familles, et singulièrement nécessaire à tous Maîtres d’Hôtels, et Écuyers de Cuisine, publié à Paris en 1693. Si chaque parisien mettait la main au plat, peut-être pourrait-on finalement éradiquer la plaie en question ?

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