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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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7 août 2013

« L’illusion est un effet nécessaire des passions. »

Classé dans : Philosophie, Photographie, Société — Miklos @ 20:26

«Les passions nous induisent en erreur, parce qu’elles fixent toute notre attention sur un côté de l’objet qu’elles nous présentent, et qu’elles ne nous permettent point de le considérer sous toutes ses faces. Un roi est jaloux du titre de conquérant : la victoire, dit-il, m’appelle au bout de la terre ; je combattrai, je vaincrai ; je briserai l’orgueil de mes ennemis, je chargerai leurs mains de fers ; et la terreur de mon nom, comme un rempart impénétrable, défendra l’entrée de mon empire. Enivré de cet espoir, il oublie que la fortune est inconstante, que le fardeau de la misère est presque également supporté par le vainqueur et par le vaincu ; il ne sent point que le bien de ses sujets ne sert que de prétexte à sa fureur guerrière, et que c’est l’orgueil qui forge ses armes et déploie ses étendards : toute son attention est fixée sur le char et la pompe du triomphe.

Non moins puissante que l’orgueil, la crainte produira les mêmes effets ; on la verra créer des spectres, les répandre autour des tombeaux, et dans l’obscurité des bois les offrir aux regards du voyageur effrayé, s’emparer de toutes les facultés de son âme, et n’en laisser aucune libre pour considérer l’absurdité des motifs d’une terreur si vaine.

Non seulement les passions ne nous laissent considérer que certaines faces des objets qu’elles nous présentent ; mais elles nous trompent encore, en nous montrant souvent ces mêmes objets où ils n’existent pas. On sait le conte d’un curé et d’une dame galante : ils avaient oui dire que la lune était habitée, ils le croyaient ; et, le télescope en main, tous deux tâchaient d’en reconnaître les habitants. « Si je ne me trompe, dit d’abord la dame, j’aperçois deux ombres ; elles s’inclinent l’une vers l’autre : je n’en doute point, ce sont deux amants heureux… » — « Eh ! fi donc, madame, reprend le curé, ces deux ombres que vous voyez sont deux clochers d’une cathédrale. » Ce conte est notre histoire ; nous n’apercevons le plus souvent dans les choses que ce que nous désirons y trouver : sur la terre, comme dans la lune, des passions différentes nous y feront toujours voir ou des amants ou des clochers. L’illusion est un effet nécessaire des passions, dont la force se mesure presque toujours par le degré d’aveuglement où elles nous plongent. C’est ce qu’avait très bien senti je ne sais quelle femme, qui, surprise par son amant entre les bras de son rival, osa lui nier le fait dont il était témoin : « Quoi ! lui dit-il, vous poussez à ce point l’impudence… » — « Ah, perfide ! s’écria-t-elle, je le vois, tu ne m’aimes plus ; tu crois plus ce que tu vois que ce que je te dis. » Ce mot n’est pas seulement applicable à la passion de l’amour, mais à toutes les passions. Toutes nous frappent du plus profond aveuglément. […] Il n’est point de siècle, qui, par quelque affirmation ou quelque négation ridicule, n’apprête à rire au siècle suivant. Une folie passée éclaire rarement les hommes sur leur folie présente.

Au reste, ces mêmes passions, qu’on doit regarder comme le germe d’une infinité d’erreurs, sont aussi la source de nos lumières. Si elles nous égarent, elles seules nous donnent la force nécessaire pour marcher ; elles seules peuvent nous arracher à cette inertie et à cette paresse toujours prête à saisir toutes les facultés de notre âme.

Helvétius, De l’esprit, « Des erreurs occasionnées par nos passions » (Discours I, ch. II). »

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