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19 août 2013

Truands de Paris

Classé dans : Histoire, Lieux, Photographie — Miklos @ 23:35


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«Truand. C’est le nom générique d’une grande famille qui a commencé dans le moyen âge, dont la puissance fut parfois colossale, et que la civilisation a tuée. Ce mot de truand a longtemps été jeté à la face comme une injure grossière ; mais il a vieilli singulièrement depuis Villon et les poésies burlesques des noëls, où l’on trouvait parfois des vers tels que ceux-ci :

Vous n’êtes que truandaille,
Vous ne logerez poinct céans.

Des travaux spéciaux sur cette caste singulière qui remplissait Paris de terreur il y a cinq siècles, nous ont mis à même d’entrer assez profondément dans leurs habitudes et dans leurs mœurs ; nous les esquisserons à grands traits. La première existence des truands est complètement ignorée. Quelles que soient les recherches que nous ayons faites, toutes ont été infructueuses ; seulement on croit que ce nom leur fut donné vers le xiiie siècle sous le règne de Louis VIII dit le Lion, et père de saint Louis. Cependant Robert Cénalis ne l’affirme pas, malgré ses profondes études sur les vieux âges. Les truands, si nous en croyons les anciens chroniqueurs, avaient entre eux une sorte de code disciplinaire très rigoureusement observé. Le chef qu’ils se choisissaient avait sur eux droit de vie et de mort ; leurs statuts variaient peu ; le fruit de leurs vols et de leurs brigandages était partagé sur-le-champ comme chez les Arabes errants, qui vivent du pillage des caravanes : tout était disséminé , aussi vivaient-ils au jour le jour. Et pourtant chaque soir, il leur était imposé par les statuts d’apporter au chef ou roi une certaine taxe pour subvenir aux dépenses légères qu’il faisait pour l’honorable corporation, puis aussi pour aider à nourrir les associés qui avaient eu le malheur de vieillir dans la profession, et que la potence des rois ou des seigneurs avait épargnés. Au milieu du crime, l’amour de l’humanité était observé.

Les truands ne sortaient guère de Paris ; là était leur vie tout entière : ils naissaient dans la cité et mouraient à Montfaucon, sans crainte comme sans remords. Ils se protégeaient mutuellement ; aucune basse jalousie ne les armait l’un contre l’autre, le partage du butin étant égal. C’était une association puissante, admirablement organisée, complète et pleine de mystère. Leur roi était une espèce de Vieux de la Montagne, de chef d’illuminés. À sa voix, au moindre signal, ils répondaient par le poignard. Souvent on les vit embrasser la cause du peuple contre les exactions de la royauté ; souvent aussi ils servirent les seigneurs contre le peuple. Celui qui payait le plus pouvait compter sur leur adresse, leur audace, leur bâton ou leur dague.

Une chose digne d’être remarquée, et qu’on ne peut guère résoudre qu’en accusant la police des gouvernements, c’est l’accointance que de tout temps les voleurs et les assassins eurent avec ces mêmes gouvernements. Sous Philippe-le-Bel, la plupart des truands faisaient partie des agents du roi des ribauds, et la charge de cet honorable édile avait beaucoup d’affinité avec celle du préfet de police de nos jours. Vivant presque tous dans la plus honteuse prostitution avec les ribaudes, tribades, filles amoureuses ou bourdelières des clapiersAu treizième siècle on appelait les filles publiques ribaudes, bourdelières,
et leurs demeures clapiers ou bourdeaux.
, il leur était facile de faire découvrir les conspirations ou sourdes menées des seigneurs ou du populaire, d’autant plus que, les uns et les autres, continuellement armés, audacieux, ils n’apportaient pas de grandes précautions à leurs desseins de rébellion. Plusieurs auteurs modernes ont écrit que cette espèce de parias habitait seule, depuis des siècles, les rues de la Grande et Petite Truanderie ; il n’en est rien pourtant. Les truands habitaient généralement les rues étroites et tortueuses de la Cité : ils aimaient à se tenir près du Palais-de-Justice, demeure habituelle des rois, afin d’être à portée de déposer promptement et en lieux sûrs les vols qu’ils commettaient, soit dans la somptueuse galerie du palais, rendez-vous habituel des flâneurs, soit à Notre-Dame.

« La rue de la Grande-Truanderie, dit Sauval, a été autrefois comme une Cour des Miracles ou une rue des Francs-Bourgeois, puisque ces mots de truand ou de truanderie ne signifiaient autre chose que cela. » Cénalis, dans sa Grande hiérarchie, les interprète de la sorte, appelant la rue de la Grande-Truanderie Via mendicatrix major, et celle de la Petite-Truanderie Via mendicatrix minor. Truand signifie aussi scélérat, soldat sans pitié et déterminé ; c’est pour ces causes, sans doute, que Jean de Bourgogne, ce même Jean-sans-Peur qui fut assassiné sur le pont de Montereau, logea les gens de guerre que lui et ses amis avaient levés contre le duc d’Orléans, dans cette rue de la Truanderie, et que depuis cette époque elle n’a pas eu d’autre nom. En cela l’abbé de Choisy se trompe ; car dans un cartulaire de Saint-Lazare passé longtemps avant cette époque, elle est appelée Vicus Trulenariae.

Si nous devons en croire le savant Sauval, voici la meilleure origine. Comme ce mot, tant en latin qu’en français , commence par tru, mot ancien pour dire tribut, levée, subside ; de plus que truage signifiait autrefois la même chose, et qu’enfin la rue de la Truanderie aboutit à celle de Saint-Denis, qui, pendant plusieurs siècles, conduisait à la seule porte de la ville qui existait de ce côté, quelques uns pensent que le nom de la Truanderie lui a été donné parce que les marchands , pour arriver aux halles, y payaient l’impôt de leurs denrées et marchandises. Galland dans son Franc-Alleu, et Jaillot, partagent au reste l’opinion de Sauval, et c’est beaucoup en sa faveur.

Les truands florissaient encore sous le règne de Louis XIII ; mais après la révolte des Pieds-nus, le cardinal de Richelieu les houspilla si fort qu’ils commencèrent à tomber en décadence. On se rappelle les magnifiques et spirituelles eaux fortes gravées par Callot d’après cette caste singulière ; pour eux c’était toujours le bon temps. La grande police créée par Louis XIV, le guet, les réverbères et M. de La Reynie, leur portèrent des atteintes considérables ; sous Louis XV, leurs statuts allèrent s’affaiblissant, et la révolution française vint leur donner le coup de grâce. Alors cessa bien réellement cette vaste et mystérieuse association ; la guerre engloba tout, et si quelques uns existent encore, grâce à la tradition, c’est au fond de nos provinces, dont ils exploitent les marchés, les fêtes et les foires. Mais chacun gueuse pour son compte ; ce sont des individus isolés, la corporation est morte, et il n’y a plus au fond de cela une pensée-mère pour les faire agir. Du reste, depuis dix années, le nombre en est bien restreint ; le système pénitentiaire, en se perfectionnant, finira par tout extirper de notre sol. Aujourd’hui, la classe qui rappelle le plus nos fameux truands, c’est celle des bateleurs, mais la plus redoutable est celle des vendeurs de contremarques, des marchands de bijoux contrôlés et vérifiés par la Monnaie : tous ces filous sont flanqués de compères ; et des ignobles escrocs qui pullulent chez les marchands de vin, dans les passages, sur les boulevards, et que la police correctionnelle dit ne pouvoir atteindre en leur demandant leurs moyens d’existence, parce que ces misérables vivent avec les courtisanes de la démoralisation publique : voilà ce qui reste des truands. »

Lottin de Laval, in Encyclopédie du dix-neuvième siècle, Paris, 1842.


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«Rue du Cygne. Elle va de la rue Saint Denis dans celle de Montédour, et doit ce nom à une enseigne. Dès la fin du xiiie siècle, on connaissait la Maison o Cingne ; Guillot indique la rue au Cingne, et le Rôle de 1313, la rue au Cigne. Ainsi Sauval et ses copistes se sont trompés en ne lui donnant ce nom que dans le xvie siècle ; ils sont également dans l’erreur, en disant qu’en 1445 elle avait le nom de la ruelle Jehan Vigne ; c’est sans doute la rime qui les a séduits. Sauval lui-même cite un Compte où ces deux rues sont nommées, en 1445, immédiatement l’une après l’autre ; et dans un autre endroit il dit que cette rue doit son nom à l’Hôtel du Cygne, qui en 1413 y était situé.

Jaillot, Recherches critiques, historiques et topographiques sur la Ville de Paris, depuis ses commencements connus jusqu’à présent. Paris, 1777.


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