Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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1 janvier 2010

L’éternel Offenbach

Classé dans : Musique — Miklos @ 21:01

J’ai découvert Offenbach enfant, quand mes parents m’ont emmené voir La Vie parisienne à l’Opéra-comique. La distribution – je ne pouvais alors m’en rendre compte – était exceptionnelle : Madeleine Renaud (la Baronne de Gondremarck), Jean-Louis Barrault (le Brésilien Pompa di Matadores), Pierre Bertin (le Baron de Gondremarck), Simone Valère (Gabrielle la gantière), Suzy Delair (Metella), Jean Desailly (le vicomte Raoul de Gardefeu), Jean-Pierre Granval (Bobinet)… J’en retrouverai certains à la Comédie-Française, puis, bien plus tard, au Théâtre Renault-Barrault, où j’aurai la chance de voir Madeleine Renaud dans Ah ! les beaux jours vers la fin des années 1980.

Mais là, dans ce qui était l’un de mes premiers spectacles musicaux (le tout premier avait été le Faust de Gounod, à l’Opéra), j’étais fasciné par les décors, par les costumes froufroutants (« sa robe fait frou-frou frou-frou, ses petits pieds font toc-toc-toc »), par la musique vive, par l’orchestration riche et complexe, et surtout par le jeu léger, la diction parfaite, les dialogues enlevés et le chant clair des interprètes : même à cet âge tendre, je comprenais l’argument sans que l’on ait eu à me le raconter, et si quelques sous-entendus devaient certainement m’échapper, l’humour ne manquait pas de me faire rire – depuis le « Connais pas » si pétillant de Metella et le lyrique « vous souvient-il, ma belle, d’un homme qui s’appelle Jean Stanislas Baron de Frascata ? » à l’aria énergique du Brésilien à l’accent exotique, au « je veux m’en fourrer jusque là ! » du Baron et au « vous êtes dans le plus petit des hôtels du Grand-Hôtel » (et pour cause !), au joyeux « il est content, mon Colonel » chanté par sa veuve finalement pas si éplorée que ça, au coquin « mon habit a craqué dans le dos » et au proverbial « qui va piano va sano ».

Cet humour si particulier que je découvrais alors, je le retrouverai plus tard dans les écrits des humoristes de la Belle Époque : Mac-Nab, Franc-Nohain, Charles Cros, Tristan Bernard, Cami, les Hydropathes et tant d’autres du Chat Noir et d’ailleurs, mais aussi et surtout Georges Feydau dont j’ai dévoré adolescent tout le théâtre et Alphonse Allais dont je lirai une partie de l’abondante production au fil des années avec un plaisir toujours renouvelé.

J’étais sorti de cette Vie parisienne magique « gris, tout à fait gris », non pas des bulles du champagne qui coulait à flots à la table d’hôte organisée pour le Baron, mais de celles de cette musique. Et de l’interprétation : je n’en retrouverai jamais aucune autre qui l’égalât : ici, les interprètes étaient, avant tout, des acteurs et parmi les meilleurs de leur temps ; là, souvent des chanteurs d’opéra aux voix capiteuses, au vibrato parfois générateur de cinétose, à la diction difficilement compréhensible (à l’opéra, c’est considéré comme moins important, à tel point qu’on voit de plus en plus d’opéras français sous-titrés en français) et, lorsqu’il s’agit de stars internationales, à l’accent bien peu français ; de surcroît, l’orchestre contemporain, trop parfait et trop présent (je pense par exemple au concert retransmis cet après-midi par France Musique). Or l’œuvre d’Offenbach – lui qui parlait le français avec un accent à couper au couteau – est l’essence, voire l’archétype, d’une certaine « francité », celle de cette si belle époque : la langue, l’accent, les situations… exprimant légèreté coquine et ivresse des sens, sans pourtant oublier le côté si humain des protagonistes. Ce n’est pas étonnant que ce soit un étranger – Allemand, et juif de surcroît – qui en ait produit ces beaux fleurons, ce sera le cas bien plus tard pour le Roumain Ionesco ou, dans la littérature anglaise, pour le Polonais Joseph Conrad, par exemple, auxquels il reviendra de créer cette image idéalisée de la société qu’ils avaient chacun adoptée à fond.

Quant aux mises en scène des œuvres d’Offenbach, ceux qui auront tenté de les mettre au goût du jour – je pense à cette Périchole de Jérôme Savary si lourde et vulgaire que j’ai quitté la salle bien avant la fin – auront souvent échoué, comme, d’ailleurs, pour les pièces de Feydau. Il y a là quelque chose d’intemporel, ou, du moins, qui n’a pas pris une ride depuis un siècle : ne s’agit-il pas finalement de l’éternel féminin et de la fascination et de l’aveuglément qu’il cause aux hommes ? Pourquoi donc le transformer ou le dénaturer à tout prix ? En plus, le côté Belle Époque des décors, des costumes, des pas de danse, ne suffit-il pas à fournir maintenant une petite touche d’exotisme ?

Plus tard, vers la sortie de l’adolescence, j’eus l’occasion de participer à une opérette : il s’agissait de H.M.S. Pinafore, or the lass that loved a sailor, de W.S. Gilbert et Arthur Sullivan, les librettiste et compositeur britanniques que l’on compare parfois à leurs contemporains les librettistes Meilhac et Halévy et Offenbach, au moins pour leur succès durable dans le monde anglophone : les sujets qu’ils abordent sont essentiellement différents du fait qu’ils reflètent un système de classes, voire de castes, si particulier à l’Angleterre victorienne et bien différent de la France de la Troisième République à la sortie de l’empire et de Sedan ; quant à l’humour british, que j’aime autant que l’humour fin-de-siècle français, il en est, lui aussi, essentiellement différent.

Pinafore est sous-titrée An entirely original nautical comic opera in two acts. Et comique, elle l’est à souhait, à la british. Nautique aussi, je tenais le rôle de l’un des marins, qu’il est évidemment assez cocasse d’entendre chanter « We’re sober, sober men and true, and attentive to our duty »… Les airs en étaient aussi mémorables que ceux de La Vie parisienne, et je peux encore fredonner « For I’m called Little Buttercup—dear Little Buttercup, though I could never tell why » (non, cela ne faisait pas partie de mon rôle, je reprécise), ou « I am the captain of the Pinafore » (ce que je n’étais pas non plus, à mon grand regret).

Est-ce que l’ère de ces opérettes est définitivement révolue ? Pas en Angleterre, en tout cas, en ce qui concerne leur patrimoine. Mais en France ? Au moins, il nous reste des enregistrements d’interprétations mémorables. Le premier disque que j’ai eu de La Vie parisienne, sans doute offert par mes parents au vu de l’effet que le spectacle avait produit sur mon imaginaire, était celui de la troupe Renaud-Barrault que j’avais vue : un 33T dans une pochette en carton à deux revers qui se dépliaient – ce que je trouvais particulièrement original – et que j’ai dû écouter jusqu’à l’usure. Heureusement, on le trouve dorénavant en CD. Écoutez-le…

4 commentaires »

  1. [...] sous l’influence de l’humour fin-de-siècle, je cherche dans Google Books des ouvrages d’Alphonse Allais. Voici la liste qui s’offre à mon [...]

    Ping par Miklos » Quand la pensée est confuse, ou, ce n’est demain qu’on cessera d’avoir besoin de bibliothécaires humains — 2 janvier 2010 @ 0:04

  2. Qui étais-tu dans H.M.S. Pinafore, comment as-tu eu cette occasion ? t’avez quel âge ? allez raconte…

    Commentaire par betale — 2 janvier 2010 @ 12:55

  3. Heu… les réponses à deux de tes trois questions se trouvent dans le billet même…

    Commentaire par Miklos — 2 janvier 2010 @ 22:52

  4. [...] retrouvons ici les talentueux librettistes Meilhac et Halévy, qu’on avait entendus pas plus tard qu’hier dans La Vie parisienne d’Offenbach. Finalement, heureusement que cette opérette n’est pas [...]

    Ping par Miklos » Carmen, un documentaire indéterminé de Bizet — 3 janvier 2010 @ 0:43

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