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16 avril 2005

Les Fakirs pakistanais

Classé dans : Musique — Miklos @ 20:45

Tombe de Shah Abdul Latif Bhitai à Sindh

Aujourd’hui, au Théâtre de la Ville. Les sept fakirs pakistanais du Mausolée du saint soufi Shah Abdul Latif Bhitai, habillés d’une sorte de caftan sombre et coiffés d’un cylindre en toile colorée, s’assoient en demi-cercle face au public, leur damboor à la main. Le meneur, au centre, commence immédiatement à jouer paisiblement quelques notes, pendant que ses compères accordent leurs instruments. Graduellement, ils se joignent à son rythme, à l’unisson avec lui. Puis son adjoint, assis à sa droite, entonne le chant en alternant voix de tête et voix basse. La mélodie se précise, les autres musiciens prennent alors un à un le relais du premier chanteur, selon un ordre précis et complexe, puis chantent en chœur, de leurs voix rugueuses et aigres selon le registre, avec l’accompagnement lancinant des cordes grattées. Le volume du son s’amplifie, le rythme s’accélère, les musiciens le battent avec le poignet de la main droite sur le damboor tout en grattant les cordes puis projetant après chaque accord le bras droit en l’air ; l’excitation croît, la musique incantatoire fascine et hypnotise. Une fois le paroxysme atteint, le calme revient très rapidement, le silence s’installe… et le meneur recommence à jouer le chant suivant.

Les voix rauques, le rythme et certaines mélodies ne sont pas sans rappeler le cante jondo (« grand chant » ou « chant profond »), le style le plus austère et émouvant du flamenco espagnol d’origine tzigane (et donc extrême-orientale, ce qui expliquerait la parenté) : mélopée sur peu de notes, accompagnement sous forme de bourdon, technique de chant de gorge.

Depuis le décès du poète et musicien soufi il y a 250 ans, des dévots jouent chantent chaque nuit, aux portes de son sanctuaire, des œuvres composées par leur maître, inspirés des mélodies et des textes traditionnels de légendes et de balades de la région, en s’accompagnant sur l’instrument qu’il a inventé. « Musicien d’exception, il imagina un chant communautaire où les vers étaient interprétés à différentes octaves dans une stupéfiante harmonie, dépassant les dualités : graves et aiguës, plainte et fougue, passion humaine et amour divin… » Emblème national dans ce pays de croisements, ce chiite n’a pas hésité à intégrer dans son enseignement des influences bouddhistes et du védantisme hindou, et s’éloigner du fondamentalisme religieux, plaie du monde contemporain.

On peut tout de même se demander si la transformation d’un rituel en concert pour un public étranger à cette tradition et qui n’en perçoit finalement que les aspects esthétiques n’est pas une perversion de plus de notre société de consommation et de spectacle, pour laquelle un Requiem ou une cantate sont des œuvres purement musicales, sans égard pour l’intention religieuse qui a suscité leur composition et leur exécution.

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