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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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19 avril 2013

La taille d’une bibliothèque, ou, « Non refert quam multos, sed quam bonos, habeas libros » (Sénèque, lettre XLV à Lucilius).

Classé dans : Littérature, Livre — Miklos @ 23:41

«Puisqu’il n’est pas possible de lire tous les livres que l’on peut avoir, il faut donc se borner au nombre de ceux qu’on a le temps de lire. Cum legere non possis quantum habueris, sat est habere quantum legas1. Ce n’est pas leur quantité accumulée qui fait les savants, c’est leur qualité bien choisie2.

Quelqu’un a dit  Gardez-vous de disputer avec l’homme d’un seul livre : Cave ab homine unius libri. Il s’est si bien nourri de la matière qui en fait l’objet, il se l’est tellement incorporée, qu’il est devenu redoutable à tous ceux qui voudraient argumenter contre lui sur le même sujet.

Celui, au contraire, qui a un peu lu de tout, qui a essayé tous les genres de doctrine et qui a goûté de tous les sucs, s’est fait une mauvaise nourriture, plus capable d’épuiser les forces que de les augmenter. Comme une lecture sagement réglée mène à l’instruction, ainsi celle qui est mal entendue et trop variée conduit à la dépravation de l’esprit. L’âme fatiguée par la complication des idées éprouve, de même qu’un estomac trop rempli, un certain dégoût plus nuisible que la privation des aliments3.

Quiconque veut parvenir à un but n’avancera jamais s’il s’égare dans des chemins de traverse, s’il entre dans différentes voies4. C’est en quelque sorte n’exister nulle part que de vouloir être partout. A force de faire des incursions, on ne trouve aucun point fixe où se reposer. On ressemble à ces voyageurs qui sont en pèlerinage toute leur vie. Ils rencontrent des hospices sur leur route, mais ils n’ont jamais d’habitation décidée.

Nous pourrions aussi comparer ceux qui voltigent ainsi sur les livres à ces gens qui vont chercher des avis auprès de tout le monde, qui ne fixent leur confiance sur personne, qui ont beaucoup de conseils et n’ont point d’amis5. Tels sont ceux qu’Apulée nomme Curiosulos, et Cicéron Helluones librorum6. Sans s’arrêter à un bon choix, ils parcourent tous les pays de la littérature à l’aide d’une lecture rapide et superficielle.

Il en est cependant de l’esprit humain comme des végétaux : il ne gagne rien à être sans cesse transplanté7. Il ne faut donc pas être surpris si les possesseurs des grandes bibliothèques sont ceux qui étudient le moins. Eh ! comment un homme, accablé sous le poids énorme des volumes, en aurait-il le temps ? Il n’a le loisir de faire aucune autre lecture que celle de quelques catalogues. À peine sa vie suffirait-elle pour connaître seulement les titres de tous les livres, les noms de leurs auteurs, de leurs imprimeurs, les différentes dates de leurs éditions. Une pareille étude exclut infailliblement toutes les autres8. »

Bollioud-Mermet, De la bibliomanie. La Haye, 1761.

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1. Senec., epist. 2.

2. […] Senec., epist. 2. […] Petrarc., de Lib.cop., dialog. 43. […] Senec., epist. 45.

3. […] Petrarc., de Lib.cop., dialog. 43. […] Thriv.,in Apopht., 126. […] Senec., epist. 2.

4. […] Id., epist. 45. [...] Petrarc., de Lib. cop., dialog. 43.

5. […] Senec. epist. 2.

6. […] Cic., de Fin., lib.3, cap. 7.

7. […] Senec., epist. 2.

8. […] Petrarc., de Lib. cop., dialog. 43. […] Senec., de Tranq. an., cap. 9.

«Quantité d’hommes célèbres ont composé leur bibliothèque de quatre ou cinq ouvrages tout au plus. Alexandre ne quittait jamais Homère ; César étudiait continuellement Xénophon ; Comines a été l’auteur favori de quelques uns de nos grands capitaines ; Machiavel le guide exclusif de quelques uns de nos hommes d’État. Henri IV avait un goût particulier pour les Hommes illustres de Plutarque ; Turenne pour Quinte-Curce ; Pierre Corneille pour Tacite, Tite-Live et Lucain ; Ménage pour Plutarque ; Antoine Arnauld pour Cicéron ; La Fontaine pour Rabelais, l’Arioste, Boccace et le Tasse ; Jean Racine pour Platon et Plutarque. Chevreau disait qu’on pouvait se passer de tous les écrivains de tous les temps avec maître Michel, maître François et maître Benoît ; c’est-à-dire, Montaigne, Rabelais et Spinoza ; Saint-Évremond, qu’on pouvait lire toute sa vie Don Quichotte sans en être dégoûté. Bossuet, consulté sur celui de tous les ouvrages qu’il voudrait avoir fait, répondit, les Lettres provinciales. Boileau disait au P. Bouhours : « Mon père, lisez les Provinciales ; et, croyez-moi, ne lisez pas d’autres livres. » On connaît la prédilection de J. J. Rousseau pour Plutarque, Charron et Robinson Crusoé ; celle de Voltaire pour les Provinciales de Pascal et le Petit Carême de Massillon. Les auteurs chéris de Montesquieu étaient Plutarque, Montaigne, Malebranche et Rollin. « Cet honnête homme, disait-il en parlant de Rollin, a, par ses ouvrages d’histoire, enchanté le public. On sent, en les lisant, une secrète satisfaction d’entendre parler la vertu. » Grosley faisait ses délices d’Érasme, de Rabelais, de Montaigne, et de la Satire Ménippée.

Napoléon Bonaparte eut toujours une grande prédilection pour Corneille. Dans sa captivité à Sainte-Hélène, la promenade qu’il avait coutume de faire après son dîner était suivie d’une lecture à haute voix. Corneille et Racine obtenaient la préférence sur Voltaire. La France, dit-il un jour, doit à Corneille une partie de ses belles actions. »

M. de la Mésangère, Dictionnaire des proverbes français. Paris, 1823.

5 février 2013

Quand Microsoft et Facebook s’y mettent…

Classé dans : Actualité, Langue, Littérature, Livre, Musique, Photographie, Sciences, techniques — Miklos @ 20:31


Felicja Blumental Music Center & Library. Tel-Aviv (Israel).
Cliquer pour agrandir.

Facebook fournit gracieusement à son audience internationale mondiale la traduction des messages qui seraient, autrement, de l’hébreu pour eux. Pour ce faire, le système de traduction automatique de Bing (= Microsoft) y est intégré. À en voir le résultat, on se demande si le résultat n’est pas autant de l’hébreu que la source, dans certains cas.

On a pris pour exemple les deux derniers messages du (très beau) Centre musical Felicja Blumental et de sa bibliothèque qui, du fait de sa localisation à Tel-Aviv, publie ses riches informations en hébreu sur sa page Facebook.

On a comparé cette traduction avec celle de Google Translate auxquelles on a rajouté la nôtre (au cas où les deux autres n’auraient pas suffi à nos lecteurs), intentionnellement littérale. Bilan : Microsoft peut mieux faire. On se demande ce que « vapilog » et « hhtmi » veulent dire, et pourquoi ils se mettent à parler d’une poupée de tombe et de la famille Strauss, là où on ne parlait que de Richard (pas III, celui dont on vient de trouver le corps sous un parking). De son côté, Google nous surprend avec ses millions d’euros tombés d’on ne sait quelle loterie.

Il est aussi curieux comment ces deux géants (dont la traduction est un pied d’argile) traitent les noms d’œu­vres : celle de Strauss est traduite dans son appellation française par Google (Ainsi parlait Zara­thous­tra), tandis que le « Sprach » de Microsoft est une curieuse abréviation de son titre original (Also sprach Zarathustra), et quant au film de Kubrick, c’est l’inverse. Google est le seul des deux à avoir bien identifié le nom du chef d’orchestre (Antonio) Pappano, mais l’un et l’autre se sont mêlés les pinceaux en ce qui concerne le nom de l’ensemble.

Est-ce demain que les robots nous remplaceront ? Eh bien, le résultat ne sera pas brillant.

Miklos

Google

Bing (Microsoft)

Source

L’œu­vre du com­po­si­teur Richard Strauss « Ainsi parlait Zara­thous­tra », basée sur l’œu­vre phi­lo­so­phi­que ré­vo­lu­tion­naire de Nietzsche. Cette œu­vre a été créée aux Etats-Unis il y a 116 ans aujourd’hui. L’œu­vre de Nietzsche est devenue célèbre grâce à la phrase subversive « Dieu est mort », tandis que la notoriété de l’œu­vre de Strauss est due à des causes fort dif­fé­ren­tes – la bande-son du film « 2001 – Odyssée de l’espace ».

Voici dans l’in­ter­pré­ta­tion de Dudamel la célèbre ouverture.

Travail du com­po­si­teur Richard Strauss « Ainsi parlait Zara­thous­tra », basé sur le travail phi­lo­so­phi­que – Nietzsche ré­vo­lu­tion­naire. Ce travail a été Lbkorth Etats-Unis il ya 116 ans aujourd’hui, l’œu­vre de Nietzsche est devenu célèbre pour subversive Cour «Dieu est mort» dans le travail de Strauss a été publié pour des raisons très différentes – la bande-son du film. « 2001:. A Space Odyssey »

Performances Dudamel est la célèbre ouverture.

Le travail du com­po­si­teur Richard Strauss « Sprach », basé sur son phi­lo­so­phi­que – percée de Nietzsche. Ce travail a remporté le lbchorta il y a 116 ans aujourd’hui. Les travaux de Nietzsche sont pour ins­truc­tion de hhtrni « Dieu est mort » lors de la mise en place de la famille Strauss était pour d’autres raisons tout à fait la BO du film « 2001 : un Odyssée de l’espace. »

Voici comment Dudamel ouvert.

יצירתו של המלחין ריכרד שטראוס « כה אמר זרתוסטרא », המבוססת על יצירתו הפילוסופית – מהפכנית של ניטשה. יצירה זו זכתה לבכורתה בארה »ב היום לפני 116 שנה. יצירתו של ניטשה התפרסמה בזכות המשפט החתרני « אלוהים מת » בעוד שיצירתו של שטראוס התפרסמה מסיבות אחרות לגמרי – הפסקול של הסרט « 2001: אודיסאה בחלל ».

הנה הביצוע של דודאמל לפתיחה המפורסמת.

Et maintenant, il est temps pour l’œu­vre entière.

L’œu­vre de Strauss divise le livre de Nietzsche en 8 parties (+ un prologue et un épi­logue) dont le but est de transmettre la vision du monde de Nietzsche.

Nietzsche demandait à l’homme de revoir notre système de valeurs et nos cro­yances (que ce soit dans la religion ou dans la science).

Voici les parties :

a. Introduction.

b. De ceux du monde détaché.

c. Des grandes aspi­ra­tions.

d. Des plaisirs et des instincts.

e. Chant du tombeau.

f. Le convalescent.

g. Chant de danse.

h. Chant de nuit.

i. Chant du som­nam­bule.

Voici l’excellente in­ter­pré­ta­tion sous la direction de Pappano et de l’orchestre Santa Cecilia.

Au centre de musique et à la bibliothèque vous pourrez trouver l’œu­vre interprétée par le com­po­si­teur lui-même et dans des in­ter­pré­ta­tions dif­fé­ren­tes, telles d’Ormandy, Mehta, et autres.

Maintenant il est temps pour terminer le travail.

Les travaux de Nietzsche Strauss livre département de 8 pièces (+ Prologue et Epilogue) conçus pour transférer la vision du monde de Nietzsche.

Nietzsche a demandé à la personne de revenir sur notre système de valeurs et de nos croyances (si elle la religion ou de la science).

Voici les chapitres:

A. introduction

Dans. Le monde de l’détaché

C. Le grand désir

D. Les plaisirs et passions

L’. Chanson tombe

Et. sur la science

M. récupération

Millions d’euros. Dance Song

T.. Night Song

L’. Chant de la nuit à errer

Voici un excellent conducteur de la performance Ffano et orchestre de Santa Tztz’ilih.

Music Center and Library, vous trouverez le travail effectué par le com­po­si­teur lui-même et de performance tels que Ormandy, Mehta et d’autres

Et maintenant il est temps de terminer.

Livre de Strauss, département de Nietzsche présenté ci-dessous sont des pièces (+ Prologue vapilog) pour faire avancer le monde de Nietzsche.

Nietzsche a demandé à la personne de revenir sur nos valeurs et nos croyances (qu’il s’agisse de religion ou la science).

Voici les chapitres: a. introduction b. Du monde brisé de c. D. gros avait les plaisirs de la chanson de la poupée de la tombe et oindre la science g. Danse chanson t. y. Chanson nuit itinérance de la chanson de nuit est une excellente exécution menée par Pappano et le צצ de l’orchestre de Santa’יליה .

Dans le centre de la musique et le com­po­si­teur lui-même dans la création et l’in­ter­pré­ta­tion comme Ormandy, Moreau et d’autres.

כעת הגיע הזמן ליצירה השלמה.
יצירתו של שטראוס מחלקת את ספרו של ניטשה ל8 חלקים (+ פרולוג ואפילוג) שמטרתה להעביר את תפיסת עולמו של ניטשה.
ניטשה ביקש מהאדם להתבונן מחדש על מערכת הערכים שלנו ועל האמונות שלנו (אם זה בדת או במדע).
הנה הפרקים:
א. הקדמה
ב. על בני העולם המנותק

ג. על הכיסופים הגדולים
ד. על תענוגות ויצרים
ה. שיר הקבר
ו. על המדע
ז. המחלים
ח. שיר מחול
ט. שיר לילה
י. שיר נודד הלילה

הנה ביצוע מצוין בניצוח של פפאנו ותזמורת סנטה צצ’יליה.

במרכז למוזיקה וספריה תוכלו למצוא את היצירה בביצוע המלחין עצמו וגם .בביצועים שונים כגון אורמנדי, מהטה ועוד

28 janvier 2013

« Numériser pour conserver » ? on ne rigole pas !

Classé dans : Littérature, Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 2:37

Ce slogan technologiquement prometteur et sous-jacent à bien de grands projets des « industries culturelles » doit être pris avec des pincettes – ou, en l’occurrence, avec des gants – lorsqu’on en voit les résultats dans Google Books, par exemple.

On ne résiste à l’envie de montrer la version intégrale d’un de ces ouvrages que Google identifie comme Épitaphe de M. l’avocat Hellebaut d’Egide Norbert Cornelissen, publié en 1820 et tel qu’il a été numérisé en 2011 à partir des fonds de l’Université de Gand.

Il consiste, dans sa version ainsi conservée, d’une curieuse couverture, suivie de quatre pages numérotées de 201 à 204, puis de deux pages blanches, et enfin d’une tout aussi curieuse quatrième de couverture. L’épitaphe à la mémoire de cet homme du barreau commence au milieu de la page 202. Elle est précédée d’un poème et demi – un tronqué concernant une jeune et belle bergère et un vieillard, l’autre entière consacrée à une bergère joliment vêtue et faisant ses dévotions.

– Drôle de livre, dites-vous ? Trouve-t-on un autre exemplaire –même titre, même auteur – ailleurs chez Google ou sur l’internet, que l’on pourrait consulter in extenso, demandez-vous ?

– Non, répondrons-nous.

– Pourquoi ?

– A’ xiste pas.

– … ?

– Vous trouverez le fin mot de l’histoire ci-dessous.


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En fait, ce livre n’existe pas en tant que tel. Ces pages sont extraites des Annales belgiques (sic) des sciences, arts et littératures, tome sixième, publié à Gand en 1820, et qui regroupe plusieurs livraisons. Celle d’octobre 1820 – la quatrième de ce volume – commence à la page 197 par une section Poésie, qui comprend Le sacrifice de Caïn d’Aug. Clavareau, suivi d’une Élégie d’un certain L.B. et dont on ne voit que la dernière partie dans cette curieuse numérisation, puis la poésie concernant la bergère en prière, et enfin l’Épitaphe en question. S’il avait été l’intention d’un quelconque éditeur ou bibliothécaire d’en faire une sorte de tiré-à-part, pourquoi y avoir gardé la page 201 ?

Ce mystère, comme celui de la grande pyramide, restera sans doute à jamais sans réponse.

Pour ceux qui souhaiteraient savoir ce qui fait suite à cette Élégie dans les Annales, on précisera qu’on y trouve la section Sciences, qui débute par un article consacré à « un nouveau chronomètre propre à mesurer de très petites fractions de seconde, et de ses applications à l’artillerie. » Plus loin, le lecteur curieux pourra se plonger dans « l’influence de la mode sur les arts du dessin, dans les provinces méridionales du royaume », voire dans le problème mathématique suivant, où il leur sera demandé de démontrer cette curieuse propriété géométrique : « Soit ABC un triangle quelconque inscrit dans un cercle, si par chacun des sommets A, B, C on mène une tangente au cercle, prolongée jusqu’à la rencontre du côté opposé, en a, b et c, ces trois points seront en ligne droite. »

Nul doute que vous ne vous en sortiez brillamment.

1 janvier 2013

Au gui l’an neuf !


Statue Au-gui-l’an-neuf au jardin des Tuileries.
(Source : Ministère de la Culture – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine –
diffusion RMN)

Le baron Jérôme Pichon (1812-1896) a été un grand amoureux – et collectionneur – de livres, ce qu’il a exprimé dans une lettre à Georges Vicaire :

Depuis ma plus tendre jeunesse, j’ai aimé, adoré les livres ; et, comme tout homme qui aime, j’ai tout aimé d’eux, le fond et la forme. Plus tard, j’ai appris à apprécier leur reliure et leur provenance. Quel charme de tenir dans ses mains un livre élégamment imprimé, revêtu d’une reliure contemporaine de son apparition, donnant la preuve, par un signe quelconque, qu’il a appartenu à un personnage illustre ou sympathique, et de penser qu’en touchant ce volume qu’il a touché, lu, aimé, on entre avec lui dans une mystérieuse communion.

Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été élu président de la Société des bibliophiles françois en 1844 et réélu chaque année jusqu’en 1894, où il se retira pour raisons de santé… Cette société a tenu ses assises dans la bibliothèque ou les salons de l’hôtel de Lauzun, que Pichon avait acheté en 1842. C’est peu dire que le quartier n’était pas à la mode, voici ce qu’il en dit en 1885 :

J’achetai ma maison du quai d’Anjou, je pourrai dire à la risée presque universelle comme pour le Petrone. Pouvait-on aller demeurer à l’Île Saint-Louis ! Et comment meubler une pareille maison ! Mais je laissai dire et je poursuivis mon chemin. On vint chez moi par curiosité, puis on trouva qu’après tout on pouvait vivre à l’Île Saint-Louis, puis après m’avoir blâmé, on me loua, on me vanta et… il y a 43 ans que j’y suis.

Son intérêt pour la demeure lui venait-il de son grand-père maternel, le célèbre architecte Brongniart ? On pourra lire d’autres détails intéressants sur sa vie et son œuvre dans la Notice qu’a écrite Georges Vicaire après le décès de Pichon.

Les deux chansons ci-dessous sont de circonstance : ce sont des aguillenneufs (ou anguilaneu, auguilaneuf, a(n)guillaneuf, (a)guillanné(e)…), tirés de son ouvrage Noëls de Lucas le Moigne, curé de Saint-Georges du Puy la Garde en Poitou, publiés sur l’édition gothique par la Société des Bibliophiles françois. On y a joint les Noëls composés (vers 1524) par les prisonniers de la Conciergerie et [de] deux Aguillenneufs tirés du recueil des Noëls du Plat d’argent. À Paris, imprimé par Ch. Lahure avec les caractères de la Société des Bibliophiles françois, MDCCCLX, in-16. IX-XVI et 172 pp. Tiré à 29 exemplaires pour les membres de la Société, plus 2 exemplaires pour le dépôt légal.

Ces Noëls étaient bien plus coquins – l’époque le voulait, le permettait – que leur nom ne le laisserait supposer à nos contemporains. En voici quelques titres (dont le sens doit avoir aussi changé avec le temps, mais on ne peut s’empêcher de rêver) :

– Ung petit coup en attendant.

– Crac, crac, jamais ne m’aviendra.

– Le branle de Saumur.

– Alons, alons, gay.

– Le mignon qui va de nuyt.

– Monsieur vault bien madame.

– Tire tes chausses, Guillemette.

– Mon cueur joliet, fringue sur la rose.

– Sy j’ayme mon amy.

– Amours, mauldit soit la journée.

– En contemplant la beaulté de ma mye.

Quant à Nicolas le Moigne, (ou Lemoigne), c’était un intéressant personnage. Voici ce qu’en disent Henri Lemaître et Henri Clouzot, dans leur préface à Trente noëls poitevins du xve au xviiie siècle (Niort et Paris, 1908) :

Le plus ancien de ces poètes populaires, Lucas Lemoigne, curé de Saint-Georges et de Notre-Dame-du-Puy-la-Garde en Poitou, ne nous a laissé que son nom. Encore n’est-il pas certain qu’il n’ait pas pris un pseudonyme, comme Jean Daniel, l’organiste d’Angers, qui signait Mitou. Dans ce cas, nous n’hésiterions pas à reconnaître dans ce curé de Saint- Georges, le « vieux oncle, seigneur de Saint-Georges, nommé Frapin », qui selon Rabelais avait « faict et composé les beaux et joyeux Noels en langage poictevin ». Guil. Frapin, personnage véritable, était réellement grand oncle de l’auteur de Pantagruel, puisque la grand’mère maternelle de Rabelais, Andrée Pavin, s’était remariée à un Frapin. Il vivait à la fin du xve siècle, ce qui correspond assez bien à l’allure générale du recueil. Le ton fort gaillard de certaines pièces suffirait à expliquer qu’il n’ait pas publié l’ouvrage sous son nom.

[Aguillenneuf]

Nous sommes bons compaignons,
Qui venons a vostre porte,
Sans que nully se deporte,
Tous jours irons de mieulx en mieulx,
Et chantons tous aguillenneuf.
Libraires et imprimeurs
Nous sommes tous d’une sorte,
Qui bien bouvons des vins meurs.
Mais que force on en aporte,
Faictes nous ouvrir la porte
A ceste vieille d’an neuf.
Et donnez-nous Aguillenneuf.

Si avions force ducatz
Et des nobles à la rose,
Point ny chanterions si bas,
Chascun de nous dire l’oze.
Vostre bource soit descloze ;
Donnez-nous ennuyt d’aneuf,
Nous en dirons : Aguillenneuf.

Nous ne viendrons de cest an :
Faictes la distributive ;
Que Dieu vous garde de malan !
Qui pour la viveos iniveos.
Nous crirons tous à voix vives,
A plein gosier franc et neuf :
Donnez-nous tous Aguillenneuf !

Aguillenneuf
Sur le chant Puisqu’en amours

Aguilleneuf, de cœur joyeulx,
Tous ensemble l’on vous demande
Plaine d’une bourse d’escus vieulx ;
Nous les prandrons, et sans amende,
Pour resjoyr toute la bende :
Si vous plaist de les mectre en jeu,
Nous en dirons : Aguillenneuf.

Nous sommes plusieurs compaignons
Assemblez et d’une alliance,
Qui tous deliberé avons
De tresbien garnir nostre pance.
S’il vous plaist, vous ferés l’advance,
Car nous n’avons pas, par grant adveu,
Puis nous dirons : Aguillenneuf.

Parquoy n’avons cause de rire :
Donnez-nous poulles ou chapons,
Esclairez près pour nous conduyre ;
Donnez de quoy rostir ou frire,
Ou ung jambon pour mettre au feu :
Nous en dirons : Aguillenneuf.

D’andouilles point nous ne voulons,
Nous ne ferons pas grans prieres :
Pour mieulx faire, nous laissons :
Gardés-les à vos chamberieres ;
Frotés-leurs-en bien le darriere,
Et vous aurés partie on veu ;
Puis nous en dirons : Aguillanneuf.

Adieu, filles aux blancs tetins,
Et frisquettes chamberieres ;
Que d’andouilles et gros boudins
L’on vous puisse faire crouppieres !
Vous en seriez beaucoup plus fieres
Quant vous auriez senty le jeu ;
Et donnés-nous Aguillanneuf.

Amen.

19 novembre 2012

Rocambolesque !

Classé dans : Langue, Littérature, Livre, Progrès, Sciences, techniques — Miklos @ 1:59

Google Books n’aura de cesse de nous émerveiller : voici qu’il nous présente un trésor, un ouvrage écrit et publié 143 ans avant la naissance de son auteur. On ne peut qu’applaudir des deux mains tout en en tournant les pages– exercice rocambolesque – à la lecture (fort salutaire et recommandée) de l’Apologie du livre de Robert Darnton (Folio essais n° 570), directeur de la bibliothèque universitaire de Harvard, lorsqu’il écrit :

Le ton de [Niccolò] Perotti [dans une lettre de 1471] ressemble à celui de certains critiques de Google Book Search, dont je suis, qui déplorent les imperfections textuelles et les inexactitudes bibliographiques de la « nouvelle espèce d’écriture » que nous apporte Internet. L’avenir, quel qu’il puisse être, sera numérique.

Et si, dans cet avenir, les seules informations concernant la littérature du passé seront celles de cet acabit, on est bien en droit de se demander ce que signifie « progrès », en l’occurrence.

Il ne nous reste plus qu’à utiliser les deux grandes références incontournables de l’Internet pour retrouver l’historique du mot « rocambolesque », qui ne peut qu’être dû à la popularité du Rocambole de Ponson du Terrail.

Selon la Wikipedia, le premier roman où notre héros fait son apparition date de 1857. Il s’agit, nous dit-elle, de « L’Héritage mystérieux (parfois connu sous le titre Les Drames de Paris) ». Ce qui n’est d’ailleurs pas exact (et pour ne pas faire du mauvais esprit, on ne rajoutera pas qu’on n’en est pas étonné), si l’on consulte le catalogue de la Bibliothèque nationale de France : L’Héritage mystérieux est la première partie des Drames de Paris, qui sera suivi du Club des valets de cœur, puis des Exploits de Rocambole, de La Revanche de Baccarat, des Chevaliers du clair de lune et enfin du Testament de Grain de sel . C’est sans doute peut-être pour cela que la Wikipedia semble se contredire plus loin dans cette phrase sibylline « Le titre au long du roman est Les Exploits de Rocambole ou les drames de Paris ». On en retiendra au moins la date de naissance de Rocambole : 1857.


Cliquez pour voir toutes les réponses

Lorsqu’on recherche dans Google Books l’émergence du terme « rocambolesque », on constate à la lecture des 10 réponses couvrant le 19e s. que la toute première occurrence est datée de 1807, un demi-siècle avant la naissance de notre personnage, il s’agirait du 27e volume du Mercure de France, qui écrit : « Monsieur de Vogüé publie dans la Revue des Deux-Mondes un roman appelé Les Morts qui parlent et beaucoup moins rocambolesque que ce titre ne le ferait croire. C’est même un assez bon roman, écrit avec facilité et où il y a des lueurs de passion. » Problème : ce roman a été écrit en 1899, 92 ans après la critique qui en parle ici. Google fait vraiment de l’anticipation.

L’entrée suivante, datée de 1864, utilise ce terme à propos d’un téléfilm de Jean L’Hôte (lui-même né en 1929 – et, pour mémoire – décédé en 1985). Sans commentaire.

Ensuite, La Revue Historique de 1885 en parle dans un article publié en fait 99 ans plus tard.

Etc., etc. La seule référence qui semble plus ou moins correcte serait celle à une utilisation du terme en anglais… dans un article de la revue Truth consacré à l’Affaire Dreyfus, et publié – selon Google Books – en 1898, année de la publication du J’Accuse de Zola. Impossible de vérifier la date de Google, mais cette étonnante revue (dont on peut lire l’histoire ici) s’étant métamorphosé en 1901 en magazine pour femmes, cette date est plausible.

À ceux qui penseraient utiliser Google Books pour une recherche scientifique on conseillerait de prendre les résultats avec des pincettes. Il aurait suffi, pour satisfaire notre curiosité, de consulter Le Trésor de la langue française, qui nous informe, à l’article qu’il consacre à ce terme, qu’il serait apparu à la fin du 19e s. ou au début du 20e. Il rajoute une hypothèse concernant l’étymologie du nom du personnage de Ponson du Terrail : il serait dérivé de rocambole, « attrait piquant de quelque chose ». Et là, Google Books nous montre une édition de 1709 du dictionnaire de Richelet, où l’on peut lire :

Rocambole, s. m. [Capula ascalonia.] Sorte de petit ail doux. Il se dit aussi d’une espèce de graine qui vient au haut de la tige de cette sorte d’ail. (Froter son assiéte de rocambole. La rocambole réveille l’apétit.)

Rocambole [Epula.] Ce mot est burlesque & du petit peuple de Paris, pour dire bonne chére. (Il n’aime rien tant qu’à faire la rocambole. La rocambole coûte, mais elle réjoüit.)


La Complainte de Rocambole. Source : Bibliothèque nationale de France.
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