Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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18 août 2005

Souvenirs d’Italie : art

Classé dans : Architecture, Lieux, Littérature, Peinture, dessin — Miklos @ 20:01

L’éblouissement incessant que procure le parcours du musée de l’Accademia à Venise se prolonge à la contemplation des bâtiments, des statues, des tableaux ou des fresques de maîtres tels que Bellini, Carpaccio, Véronèse ou le Tintoret que l’on trouve à tout coin de rue ou de canal, jusque dans l’église la plus modeste, mais aussi dans d’autres musées ou des demeures et des palais de cette ville figée dans l’éternité.

Tout chef-d’œuvre est par essence unique et nécessite du temps pour commencer à l’apprécier, de pouvoir y revenir ultérieurement pour en découvrir d’autres aspects ; que faire alors devant cette pléthore ? Quel était le regard de ceux pour lesquels Palladio avait construit ces villas splendides qu’ont illustré les plus grands peintres de l’époque ? Peut-on vivre en perpétuel état d’émerveillement ou devient-on blasé, à l’usage ?

Goethe affirmait ne pas pouvoir exprimer ce qu’il avait ressenti à la vue de la Basilique palladienne à Vicenza, chef-d’œuvre du XVIe s. Que dire, alors, devant la quantité et la densité des chefs-d’œuvre que l’on trouve en Vénétie (et ailleurs en Italie) ? Les superlatifs s’épuisent et tournent en platitude, il ne reste plus que le discours descriptif pour en parler.

Mais après tout, le vrai mystère est celui qui entoure le créateur de génie : comment peut-il produire chef-d’œuvre après chef-d’œuvre ? Et pourquoi l’Italie semble en avoir eu une concentration plus grande que tout autre pays en Occident, se plaçant en héritière directe des Grecs de l’antiquité ? Il n’y a pas que les arts plastiques où elle a excellé : de Virgile à Dante, puis Pétrarque, Boccace, l’Arioste ou le Tasse, de Machiavel à Vasari, Leopardi, Calvino, Svevo ou Buzzati, sa littérature s’est élevée à des sommets incomparables.

Serait-ce un climat qui encourage le dévoilement des corps et le développement des sens, une classe supérieure hédoniste, un pouvoir impérial qui exhibe fièrement son patrimoine artistique et humain dans une représentation exaltée, littérale ou symbolique, par tous les moyens à la disposition de l’homme : le regard, le toucher, l’ouïe, la parole…, en une jubilation bien différente du plaisir qu’on n’atteint qu’avec la raison pure, si chère à la culture française, par exemple ?

Odessa, Odessa

Classé dans : Cinéma, vidéo, Lieux — Miklos @ 0:48

Nommé en 1803 gouverneur d’Odessa par le tsar Alexandre I, Armand-Emmanuel du Plessis, duc de Richelieu, qui s’était réfugié en Russie après la Révolution française, transforma ce qui était alors un misérable village de pêcheurs en une ville fière, jusqu’à son retour en France en 1814.

Ma mère me parlait avec nostalgie de la maison où elle était née et avait grandie, située sur la Richelievskaya (au centre de laquelle se trouve le célèbre Opéra), de l’odeur des lilas, le printemps, dans la grande cour…

Grande ville portuaire créée par un français, elle y voit arriver, au fil du temps, des armateurs grecs, des marchands juifs et arméniens, des vignerons tatars, des propriétaires polonais qui en font une capitale cosmopolite haute en couleur… Pouchkine y sera exilé par le Tsar : c’est là qu’il écrit son chef-d’œuvre, le poème Eugène Oneguine et devient l’amant de la femme du Comte Vorontsov, gouveneur de Nouvelle-Russie. Plus tard, la ville accueillera de nombreux Juifs venus s’y réfugier pour tenter d’échapper à leur misère terrible dans la « zone d’établissement » au nord-est d’Odessa, où ils étaient contraints de résider depuis 1791.

Isaac Babel, né à Odessa en en 1894 (et disparu dans les geôles russes en 1939 sur une injuste dénonciation), décrit dans ses contes1 (très bien traduits en français dans la collection de poche Folio) le petit monde juif d’Odessa : ouvriers, marchands, jeunes et vieux, riches et pauvres, avec un regard lucide et attendri, teinté d’humour et parfois d’ironie, avec un sens de la description qu’on compare souvent à celui de Maupassant. Écoutons-le :

Cette ville réunit, avant tout, les conditions purement matérielles nécessaires à l’éclosion d’un talent comme celui de Maupassant. L’été, on y voit briller au soleil, dans les bains de mer, les formes de bronze musclées des jeunes sportifs, les corps vigoureux des pêcheurs qui ne font pas de sport, les corpulences grasses, ventripotentes et débonnaires des négociants, et, boutonneux et maigres, les rêveurs, inventeurs et courtiers. Et non loin de la vaste mer, les fabriques fument et Karl Marx fait sa besogne habituelle.

À Odessa, il y a ghetto juif très pauvre, très populeux et très malheureux, une bourgeoisie très imbue d’elle-même, et un conseil municipal ultra-réactionnaire.

À Odessa, il y a des soirs de printemps doux et alanguissants, la senteur épicée des acacias et la lune qui répand au-dessus de la mer sa lumière égale et irresistible.

À Odessa, le soir, dans leurs villas ridicules et vulgaires, des bourgeois gros et ridicules sont couchés en chaussettes blanches sur des canapés sous le ciel de velours sombre, et digèrent leur copieux dîner, tandis que, derrière les buissons, leurs épouses poudrées, empâtées par l’oisiveté et naïvement sanglées dans leur corset, sont ardemment enlacées par de fougueux étudiants en médecine et en droit.

À Odessa, les bons à rien qu’on appelle en yiddish des Luftmenschen, des « hommes de vent », rôdent autour des cafés pour essayer de gagner un rouble et nourrir leur famille, mais ils n’ont pas l’occasion de se faire un rouble, et d’ailleurs à quoi bon laisser un « homme de vent » gagner un peu d’argent ?

À Odessa, il y a un port, et dans ce port des bateaux venus de Newcastle, de Cardiff, de Marseille et de Port-Saïd, il y a des Nègres, des Anglais, des Français et des Américains. Odessa a connu une ère de prospérité, elle connaît une période de déclin, un déclin poétique, un tantinet insouciant et très désemparé.

« Odessa, dira en fin de compte le lecteur, Odessa est une ville comme les autres, et vous êtres d’une partialité excessive. »

C’est vrai, je suis en effet partial, et peut-être le suis-je sciemment, mais parole d’honneur, cette ville a quelque chose. Et ce quelque chose, tout homme digne de ce nom le percevra et il dira que la vie est triste, monotone, – ce qui est exact, mais que néanmoins, quand même et malgré tout, elle est extraordinairement, vraiment extraordinairement intéressante.

C’est de ce quelque chose dont parle le très beau film documentaire Odessa, Odessa2 – ou plutôt de souvenirs de ce quelque chose qui n’existe plus, qui s’est transformé en mythe d’un paradis dont on a été expulsé – , c’est d’une nostalgie dans le cœur de ceux qui l’ont connu, qui auraient aimé y revenir, mais on ne remonte pas le temps. C’est un film sur la génération de l’exil, celle qui aura quitté un lieu ou un temps et ne sera jamais arrivée ailleurs, arpentant le Boulevard of broken dreams, celle que la Bible appellait « génération du désert », ceux qui sont sorti d’égypte mais qui ne devront pas entrer en Terre promise.

Il y a tout d’abord les souvenirs couleur sépia de la poignée de Juifs très âgés qui vivent encore dans ce quartier d’Odessa maintenant déserté, aux rues vides et silencieuses, aux bâtiments lézardés ou en partie effondrés, aux cours remplies de cadavres de voitures, aux appartements bourrés de vieilleries ne laissant parfois que peu de place pour se déplacer et pourtant donnant le sentiment d’un nid rassurant, au centre duquel trône tout de même un samovar. Entre le yiddish et le russe, ils se chantent d’une voix chevrotante des airs d’antan, entament une danse avec un pas chancelant, se demandent s’ils vont partir, et se souviennent.

Puis il y a Little Odessa de brique, le quartier autrefois élégant de Brighton Beach à Brooklyn où ont abouti tant d’immigrés russes croyant arriver dans un pays paradisiaque où l’argent pousse sur les arbres et se ramasse au sol mais ont rapidement déchanté. Ils parlent russe, mangent russe, chantent russe, même si certains se disent américains. Et ils se souviennent.

Enfin, il y a Ashdod, ville portuaire d’Israël en plein sables du désert et sous un soleil aussi éblouissant que celui dont parlait Camus dans L’étranger, une chaleur à laquelle on ne s’habitue pas quand on vient d’ailleurs, et où se retrouvent les Odessites qui auront immigré en Terre promise, sans pour autant y avoir trouvé ce dont ils rêvaient. Ici aussi ils se sont recréés leur Odessa : ils lisent le journal russe publié localement, écoutent la radio ou la télévision en russe, tapissent leurs murs de photos d’Odessa, et se souviennent : « ah, la nostalgie c’est la nostalgie », et boivent un verre de vodka cul sec.

Après ce tour des trois villes portuaires où vivent les épaves humaines d’une Odessa disparue échouées au bord de trois mers (Noire, Atlantique, Méditerranée), le film revient, pour un dernier regard triste, à son point de départ : les rues vides d’Odessa, les voix chevrotantes qui entonnaient des chansons à la mémoire de l’odeur de l’acacia en fleur dont parlait Babel…

Il y a quelque chose à Odessa. Ma mère me l’avait bien dit.


1 Fort bien traduits en français et disponibles en poche chez Folio dans un excellent recueil, Mes Premiers honoraires.
2 De la réalisatrice Michale Boganim, sorti aujourd’hui en salle, qui invoque explicitement la lecture des contes de Babel comme source d’inspiration.. à lire : cette très belle page consacrée au film.

24 juillet 2005

Invitation à la valse

Classé dans : Lieux, Musique — Miklos @ 1:48
Deux personnages sont omniprésents à Varsovie : Chopin (l’aéroport, le conservatoire, l’hôtel Accor, des cafés…) et Jean-Paul II (presque chaque église, l’avenue principale, le musée des croûtes…). À défaut d’offrir les homélies du second, voici un concert des œuvres du premier dans des interprétations historiques.


1. Valse n° 7 en ut dièse mineur, op. 64 n° 2
Zofia Robcewiczowa (1885-1948), enr. en 1932
 

2. Polonaise n° 6 en la bémol, op. 53
Alexander Brailowsky (1896-1976), enr. en 1961(?)
 

3. Valse n° 17 en la mineur, op. posthume
György Cziffra (1921-1994), enr. en 1977-8
 

4. Nocturne en fa dièse majeur, op. 15 n° 2
Jozef Hofmann (1876-1957), enr. en 1935
 

5. Mazurka en si bémol mineur, op. 24 n° 4
Ignacy Ian Paderewski (1860-1957), enr. en 1906
 

Fryderyk Chopin, Complete Works VIII: Polonaises for Piano,
edited by Ignacy J. Paderewski, Ludwik Bronarski and Jozef Turczynski,
Warsaw, Instytut Fryderyka Chopina,
Polskie Wydawnictwo Muzyczne, 1951.

19 juillet 2005

Varsovie

Classé dans : Lieux, Shoah — Miklos @ 22:42

Non, je n’y étais pas parti pour enseigner le français aux candidats plombiers, mais pour de bonnes raisons professionnelles. Je n’y serais d’ailleurs pas allé si je n’avais participé, il y a quelques années, à un voyage d’étude à Auschwitz et à Majdanek : comme je l’avais dit ailleurs, cette terre est imbibée du sang de mes proches et ses nuages sont la tombe de mes grands-parents1.

Le visage qu’offre Varsovie est celui d’un grand brûlé que des interventions successives de chirurgie esthétique — certaines bonnes, la plupart non — ne seront jamais arrivées à réparer, les cicatrices terribles avoisinant un morceau de peau immaculé et incongru, prélevé ailleurs. La ville fut rasée à près de 90% par les nazis lors de son insurrection en 1944 face à l’avancée allemande, sous le regard impassible des forces russes. Himmler avait ordonné : « Chaque habitant devrait être tué, aucun prisonnier ne sera fait. Varsovie sera rasée jusqu’au sol et ainsi la totalité de l’Europe aura un exemple terrifiant ». Ce qui fut fait. Du ghetto juif il ne reste qu’un bout de rue et des lambeaux du mur qui en cernait les habitants. Et, curieusement, une synagogue : les allemands l’avaient transformée en étable.

Aujourd’hui, la vieille ville, le château royal, quelques bâtiments historiques, de nombreuses églises — remplies d’une foule recueillie, certains des fidèles agenouillés au sol dans une attitude de profonde vénération — s’offrent à l’œil éberlué et admiratif du visiteur : reconstruits à l’identique souvent à partir d’un tas de ruines fumantes, dans un pays alors communiste qui plus est ; la décoration intérieure, moulures, peintures et ors, resplendit — même si les fresques ont un curieux aspect moderniste, les tableaux paraissent souvent être des copies maladroites de maître, les marbres semblent de toc et les raccords sont parfois approximatifs. Partout ailleurs, de longues barres d’habitation staliniennes aux façades grises et mornes, lacèrent le paysage monotone zébré d’immenses avenues, pour certaines de dizaines de mètres de largeur et traversées par de rapides tramways bringuebalants. De nombreux parcs parsèment la ville, mais même l’herbe y pousse tristement sous les chênes touffus, et les statues et les monuments classiques qui en décorent certains laissent deviner le béton récent déguisé en pierre ancienne. La modernité y arrive accompagnée de l’avidité des marchés : des tours s’élèvent ici et là, mais, sauf exception, formes et façades sont plates et efficaces ; on est allé au moins cher et au plus rapide sans ambition ni créativité architecturales, sauf exception.

Varsovie est une ville triste, qui semble ne pas avoir retrouvé son âme. Elle est peuplée de fantômes, dont les traces, et parfois seulement la trace des traces, hantent les rues.


1 Le poète Paul Celan écrit, dans Fugue de mort, son poème le plus célèbre : « alors vous montez en fumée dans les airs / alors vous avez une tombe au creux des nuages ».

28 juin 2005

Berlin

Classé dans : Architecture, Lieux, Shoah — Miklos @ 23:45

Après avoir quitté la Potsdamer Platz futuriste et lorsqu’on remonte la Ebertstraße, le regard aperçoit au loin des pierres tombales grises et sobres identiques d’apparence, alignées côte à côte comme dans un cimetière militaire en des rangées qui se perdent à l’infini sur un plateau ondulant qui fait se brouiller le regard déjà voilé par des larmes. En s’en rapprochant, on commence à distinguer les stèles, si semblables de loin mais pourtant légèrement différentes les unes des autres par leur hauteur ou leur inclinaison, ni tout à fait parallèles ou horizontales. Des sentiers étroits permettent de s’engager dans ce champ funéraire. D’où qu’on entre, les pierres arrivent à peine aux genoux ; puis à mesure que l’on progresse, on s’enfonce imperceptiblement dans cette forêt funeste jusqu’à ce que l’on soit noyé par ces blocs sombres et tristes qui s’élancent vers le ciel. De curieux effets d’optique rendent la scène encore plus étrange : des silhouettes, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, apparaissent et disparaissent au loin comme des spectres, lorsque leur chemin croise celui que l’on parcourt. Le sol, légèrement vallonné, ne manque d’attirer vers ce qui serait l’épicentre de ce lieu mais où il n’y a rien de particulier. On erre, tout droit, à droite ou à gauche, en arrière, pour graduellement émerger de cette plongée dans le silence et l’absence au cœur de cette ville si vivante. C’est le monument qui commémore l’extermination des Juifs d’Europe.

Berlin est une ville qui porte la gloire de son passé ainsi que ses cicatrices et ses scories ; monuments spec­taculaires et emblé­matiques, palais orgueilleux métho­diquement res­tau­rés, d’autres encore véro­lés par les marques des obus ; bâti­ments staliniens ano­nymes, immenses et encore plus lépreux que des barres à La Courneuve ; terrains vagues en pleine ville, là où s’étaient dressés des immeubles détruits par les folies humaines. Berlin est une ville qui respire, irriguée par la Spree et quelques canaux, aérée par de larges avenues rectilignes et de nombreux espaces verts et, près de son cœur, du poumon qu’est le parc de Tiergarten. Berlin est une ville multi­colore et inter­nationale tournée vers le futur, dans un foison­nement de créati­vité archi­tecturale osée, défiant passé et présent et s’élevant vers le ciel telle une nouvelle tour de Babel. Berlin est une ville impériale.

Le musée de Pergame — l’un des nombreux musées plus magni­fiques les uns que les autres de cette ville qui en possède un nombre imposant — garde d’ailleurs une trace splendide de la Babylone d’origine : l’immense Porte d’Ishtar, haute de 25m, et la Voie proces­sionnelle de la ville légendaire du temps de Nabuchodonosor II, il y a plus de 2500 ans, en briques émaillées bleues sur lesquels se dessinent des animaux mythiques et des guerriers vaillants destinés à terroriser le visiteur d’alors et qui ne manquent d’impres­sionner celui d’aujourd’hui. Ce n’est d’ailleurs pas le seul témoignage monumental du passé que l’on y trouve : la frise de l’autel de la ville de Pergame (en Turquie) sur lequel est représentée en hauts reliefs sculptés avec réalisme et sensualité comme seuls les Grecs savaient le faire une scène mythique de gigantomachie — la lutte des dieux de l’antiquité contre les géants — en une sorte de bande dessinée fascinante par ses détails et son expressivité. Ailleurs, la Porte du marché de Milet, façade hellénistique à deux étages, occupe toute une pièce, tandis que la frise du Palais ommeyade de Mshatta, qui doit bien faire 5m de haut et n’était que la base de la façade, en occupe une autre.

À voir ces vestiges du passé, on ne peut éviter d’être saisi par un mélange de sentiments contra­dictoires ; d’abord, l’admiration boule­versante devant ces chefs d’œuvre qui montrent à qui ne le savait que nos ancêtres lointains — par le temps et l’espace —, bien avant que l’idée du « monde civilisé » ne soit identifié à une certaine Europe, étaient de grands artistes et architectes. Ensuite, le constat que l’on ne peut voir ces traces que parce qu’elles ont été enlevées, démontées et transportées hors de leur cadre, et cette décontextualisation ne peut que fausser l’image que l’on se fait de ces civilisations du passé, n’en montrant qu’un aspect, certes spectaculaire, mais loin d’en être l’unique caractéristique. Ces traces, d’ailleurs, ont fait l’objet de nombreuses restaurations : combien de briques de la Porte d’Ishtar datent-elles de ce passé révolu et combien sont-elles des copies, voire des reconstitutions ? La présentation même des ouvrages les plus imposants n’a pu respecter leur disposition d’origine, que ce soit la Voie processionnelle — rétrécie de 25m à 8m — ou la frise l’autel de Pergame — dont la disposition sur les murs d’une salle est à l’inverse de sa disposition d’origine, autour de l’autel — le bâtiment du musée ne le permettait pas. Enfin, si le département de la statuaire grecque montrait des pièces souvent splendides, c’est bien parce que c’étaient des copies — romaines antiques, ou parfois récentes. Sic transic gloria mundi : les nouveaux empires se sont toujours appropriés les vestiges les plus remarquables de leurs prédécesseurs, en tant qu’héritiers ou vainqueurs. Jusqu’à ce qu’ils tombent, eux aussi, en poussière, et rejoignent musées et reliquaires.

En cette année 2005, l’Allemagne célèbre l’année Einstein, cinquan­tenaire de la mort du père de la théorie de la relativité et centenaire de sa publication des trois articles qui l’ont fondée et ainsi changé notre vision de l’univers et du temps. C’est à Berlin et à Potsdam qu’Einstein avait enseigné jusqu’à son départ aux États-Unis en 1933, et nombreux bâtiments publics portent des bande­roles reproduisant des citations du célèbre physicien. Curieuse revanche de l’histoire dans l’épicentre de l’enfer qui avait voulu effacer de la face du monde toute trace de ses semblables et de leurs œuvres qui ont tant marqué cette ville.

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