Le dromadaire (I)
Avec ses quatre dromadaires
Don Pedro d’Alfaroubeira
Courut le monde et l’admira
Il fit ce que je voudrais faire
Si j’avais quatre dromadaires
Guillaume Apollinaire : Le Bestiaire
Indigotier n.m. Plante vivace des régions chaudes, autref. cultivée comme plante tinctoriale. (Famille des papilionacées.)
Indigo n.m. probablement emprunté (1578), d’abord sous la forme indico (1544), au portugais indigo (seulement cité en 1695) ; on a aussi évoqué l’espagnol et le néerlandais. Tous sont issus du latin indicum, neutre substantivé de l’adjectif indicus « de l’Inde », dérivé de India « Inde ». De l’italien indaco (1334 vénitien indego, 1246), également issu de indicus, viennent en français les formes indaco (1556) et indacum (1576) qui ne se sont pas maintenues.
♦ Le mot désigne une substance colorante bleue et, par ellipse, la couleur bleue de l’indigo, d’où par extension tout bleu d’aspect semblable. Indigo se dit aussi (xviiie s.) de la plante qui fournit l’indigo.

Odilon Redon, L’Araignée qui pleure (1881). Fusain, Pays-Bas, collection particulière.
Avec des What if…1 on referait le monde, lui qui se défait à nos yeux, que nous défaisons de nos mains…
– Et si l’électricité venait à disparaître ?
– Et si le culte de l’information se matérialiserait par l’établissement du Ministère de la Vérité (Orwell, 1984) ?
– Et si le novlang d’Orwell serait le pidgin-English de l’Internet ?
– Et si « le » réseau prenait le dessus et que nous devenions (serions devenus) des neurones d’un monstre cybernétique, comme le souhaitait Pierre Levy avec délectation ? (À ce propos, le livre récent de Céline Lafontaine : L’empire cybernétique : des machines à penser à la pensée machine)
– Et si les toiles que l’homme s’évertue à tisser autour de lui – financière, technique – allaient finalement l’étouffer, après qu’il se soit métamorphosé, tel que le décrivait Kafka, en une araignée géante et impuissante ?
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Mais on peut rêver :
– Et si l’homme privilégiait le rapport à l’autre à la communication avec tout le monde ?
– Et si l’homme privilégiait le savoir à l’information ?
– Et si l’homme privilégiait le bien-être social au progrès technologique ?
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J’ai trop lu Ellul, Anders et les autres…
1Réponses à l’appel à contributions Global Information Village Plaza 3, ASIS&T.
Quelques semaines avant le voyage à Auschwitz, Birkenau, Majdanek et Varsovie, organisé par l’Amicale des déportés d’Auschwitz et des camps de Haute-Silésie à l’intention de professeurs d’histoire-géographie et de bibliothécaires, un collègue, contraint de se désister, me proposa de prendre sa place. Jusqu’alors, je n’avais jamais voulu partir en Pologne. Pour des raisons personnelles : la majeure partie de ma famille paternelle y avait été exterminée avec des millions d’autres victimes, cette terre me paraissait imbibée de leur sang, et je ne voulais pas y poser le pied.
Pourtant, au moment où cette proposition me fut faite, j’ai su, avant même que mon collègue ait fini de parler, que j’allais répondre par l’affirmative. Pour des raisons tout aussi personnelles, d’abord : c’était le lieu – Auschwitz ou ailleurs (Belzec, probablement), mais Auschwitz comme lieu symbolique – de leur supplice, et puisqu’ils n’avaient pas de tombe (le poète Paul Celan n’écrit-il pas : alors vous montez en fumée dans les airs / alors vous avez une tombe au creux des nuages), c’était là que je pouvais me recueillir, comme je le fais sur la tombe de mes parents; ceux-ci maintenant disparus, il m’incombait dorénavant d’honorer la mémoire de ceux-là, de façon plus concrète que par le seul souvenir. Par cette visite.
Pour une autre raison aussi. Il y a près de quinze ans, une campagne négationniste éclatait dans la petite ville universitaire américaine où j’étudiais alors (Ithaca, dans l’État de New York). Radio, télévision, journaux, conférences publiques… Ce fut pour moi un choc. La Shoah, je connaissais, tout le monde autour de moi – famille, amis – avait été touché, marqué, tatoué, endeuillé. Voir, des heures durant, Felderer, Faurisson, von der Heide et d’autres nier les souffrances et exterminations des miens et de millions de victimes juives, assortissant leur négation de remarques ironiques et d’accusations antisémites allant du meurtre rituel à l’invention de la Shoah aux fins de récupération financière et de domination du monde, m’était insupportable. Je découvrais ceux que Nadine Fresco avait appelés en 1980 « les redresseurs de morts », et parmi ces morts il y avait les miens.
Cette campagne m’a incité à consacrer depuis lors une partie de mon temps à combattre cette entreprise et ses avatars (racistes, nationalistes…). Non pas sous forme de polémique, parfaitement vaine, mais d’information, d’éducation et d’incitation à la réflexion. Mes compétences professionnelles incluant l’Internet, c’est là que s’est porté l’essentiel de mon activité. Notamment depuis que ce medium a été investi par les négationnistes français, de l’ultra-gauche à l’extrême droite, tissant des alliances qui démentent leurs prétentions démocratiques, tous unis dans la même haine. Ceci m’a amené, entre autres choses, à réaliser un serveur Web qui offre des ressources documentaires sur la Shoah et sa négation : livres, essais, articles, poèmes. Tous ces textes sont disponibles in extenso et complétés par une bibliographie et une liste de ressources complémentaires qu’on peut trouver ailleurs sur l’Internet; sur l’extermination des Juifs mais aussi celle des Tziganes, les autres racismes, les persécutions des homosexuels…
Ce voyage m’a offert l’occasion de m’impliquer plus avant dans mon histoire personnelle et dans mes activités autour de la Shoah. Avant le départ, j’ai pu enfin me plonger pour de bon dans les derniers messages envoyées, de 1939 à 1942, par mes grands-parents à leurs enfants, pour comprendre ce qu’avait été leur dernier parcours : de la Pologne encore libre à la Russie, où ils s’étaient réfugiés après l’invasion, et bientôt occupée par les nazis. Dans leur ultime carte postale, envoyée le 9 août 1942 de Sambor (en Ukraine), estampillée de la croix gammée, ils écrivaient qu’on les emmenait « au bal dans la ville voisine », demandant de ne plus leur écrire et que Dieu vous bénisse. D’après l’Atlas de la Shoah de Martin Gilbert, c’est durant les deux premières semaines d’août 1942 que les Juifs de cette région furent déportés vers le camp d’extermination de Belzec.
Ce voyage m’a permis de connaître les activités de l’Amicale des déportés d’Auschwitz et des camps de Haute-Silésie – les trois accompagnateurs de l’association, sans qui le voyage n’aurait pas eu ce sens aussi personnel. Et leur bulletin Après Auschwitz, où j’ai trouvé des témoignages de survivants, textes essentiels que l’association m’a autorisés à reproduire sur mon serveur, leur donnant ainsi une diffusion accrue. Il existe peu de documents de cette nature qui soient disponibles en français sur l’Internet – ce qui n’est pas le cas pour l’anglais. Il était donc important de commencer à combler ces lacunes. La mise en ligne de ces textes, annoncée dans un forum professionnel de bibliothécaires, m’a permis de nouer d’autres contacts avec des personnes ou des organismes concernés par la mémoire, l’histoire et la transmission, sous formes de conférences, expositions et autres manifestations, et de m’offrir ainsi d’autres champs d’action.
Pour ce qui en est du voyage lui-même, que dire… Le paysage immense, désolé, vide et muet de Birkenau, avec ses squelettes de baraques alignées au garde-à-vous à perte de vue, la cheminée du crématoire de Majdanek en avant-plan des cheminées industrielles de Lublin… l’ordre et l’industrie, la modernité et la mort… Il ne faut pas oublier.
Publié à l’origine dans Après Auschwitz n° 269 (décembre 1998).
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