Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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19 novembre 2020

Apéro virtuel II.17 – mercredi 18 novembre 2020

Classé dans : Arts et beaux-arts, Langue, Lieux, Littérature, Peinture, dessin, Sculpture — Miklos @ 3:55

Bureau de Nikos Kazantsakis (détaii). Musée historique. Héraklion (Crète).
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Après les arrivées successives de Jean-Philippe, Sylvie et Françoise (C.), avec lesquels s’instaure un échange sur les coiffeurs et la disparition de ce métier des trains (avez-vous entendu parler de Tresse Express ?), Françoise (P.) apparaît et nous lit un texte très joli­ment tourné, si joliment qu’on vous le donne à lire ici. De qui est-ce ? Devinez… Jean d’Ormesson ? Eh non, essayez encore… Si vous renoncez, Enfin, là1, c’est-à-dire en bas de page. Trop facile de cliquer… !la réponse est ici.

Sylvie et Michel évoquent alors ce grand écrivain de petite taille ; Sylvie, ayant reçu son numéro de téléphone d’un proche, l’avait appelé pour lui demander de préfacer son ouvrage La vie à la retraite : mode d’emploi. Petit manuel à l’usage des jeunes retraités déboussolés (2015). Il répond, lui demande comment elle a eu son numéro personnel ; elle bredouille « Un ami d’ami » afin d’éviter à avoir à identifier le coupable, il lance « Eh bien, il a eu tort, mes hommââââges, Mâdâmeu ! » et raccroche. C’est Pierre Bellemare qui en fera la préface : « Je suis dans ma 86ème année et je n’ai toujours pas l’im­pres­sion d’avoir pris ma retraite. Pourquoi ? […]. » Michel, et François, eux, avaient dîné avec lui – enfin, à des tables pas si éloignées l’une de l’autre – au Grand Colbert, où il était en compagnie d’une très jeune (quelques générations après la sienne) femme, et il était évident (à leurs expressions respectives) qu’ils n’étaient pas apparentés. Françoise (P.) dit alors qu’il était très machiste et qu’elle ne l’aimait pas à cause de ce machisme, mais comme son mari l’adorait, ils avaient tous ses livres chez eux.

Pour continuer sur le thème de la littérature, Michel montre une brève vidéo (moins de deux minutes) dans la série La p’tite librairie qu’il avait vue sur La Cinq, dans laquelle François Busnel présente de façon simple, claire et synthétique l’essai Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie de Jared Diamond. Ce n’est pas un livre récent récent, puisqu’il a été publié en France en 2006, mais il est encore plus d’actualité en ces temps de discours sur la collapsologie. Cela donne vraiment l’envie de l’acheter (sans forcément passer par Amazon pour ce faire) et de le lire (on connaît trop bien ces livres qu’on achète et empile pour « plus tard »…).

Ensuite, Michel montre quelques photos (dans cet album, à partir du n° 43) d’œuvres – extra­or­dinaires à son avis – du lointain passé (plus de 6800 ans pour celle ci-contre) et pourtant si « modernes » ! et pour certaines assez drôles (telle ce vase en forme d’oiseau réalisé il y a quelque 4500 ans), qui se trouvent au musée archéologique d’Héraklion en Crète, où il avait été invité en 2011 pour une réunion profes­sionnelle.

À propos d’une photo où l’on aperçoit le bout d’un pied émergeant de dessous des plis d’une toge – il s’agit d’une statue de marbre du temple des dieux égyptiens, datant de la fin du IIe siècle –, Françoise (C.) dit qu’elle a constaté qu’il a la forme de ce qu’on appelle « le pied grec », où le second orteil est plus long que le gros orteil, et se demandait si c’était une coïncidence ou avait un sens particulier, à quoi Michel n’a pas de réponse. À ce propos, Sylvie révèle qu’elle a le pied grec, ce qui est déplaisant, le second orteil frottant le bout des chaussures… Celui de Françoise (P.) s’avère l’être aussi, et, paraît-il, cette forme de pied est bien plus belle que celle du pied « normal ».

Autre révélation, celle de Jean-Philippe, aucun rapport avec le pied, si ce n’est qu’il a dû prendre le sien avec une boisson verte qui avait intrigué Françoise (P.) : c’est une boisson sans alcool, qu’il a réalisée en mixant radis, épinards et cornichons en quantités égales.

Ayant pris la parole, il poursuit avec une lecture d’un texte concernant l’eau et le feu. De qui est-ce ? Devinez… Bon, si vous renoncez, vous savez où se trouve la réponse. Jean-Philippe ayant mentionné Edgar Allan Poe dans son survol du contenu de cet ouvrage, Michel dit alors qu’ayant lu Poe très tôt et assez extensivement, la nouvelle qui l’a le plus impressionné alors et dont le souvenir est toujours aussi fort est Le Puits et le Pendule (dans l’original : The Pit and The Pendulum) datant de 1942 et publiée (dans son édition française) dans le recueil Nouvelles histoires extra­or­dinaires. Suspense quasi intenable – il est vivement déconseillé de lire l’argument de Wikipedia si l’on souhaite lire la nouvelle – , haletant, et bien que parlant du passé (bien avant Poe) il fait appel à ce qu’on qualifierait aujourd’hui de science fiction. On pourra le lire ici dans la traduction de Charles Baudelaire. Françoise (P.) se souvient d’avoir eu peur en lisant du Poe, ce qui n’est pas le cas de Sylvie.

Sylvie nous présente un livre qu’elle vient de finir de lire, Terre Ceinte (2015), du jeune romancier sénégalais d’expression française Mohamed Mbougar Sarr : c’est un roman qui se passe quelque part en Afrique, dans un territoire conquis par des islamistes. Malgré la difficulté de passer le cap des dix premières pages quelque peu étranges, Sylvie a trouvé cet ouvrage extrêmement bien écrit et un peu oppressant ; il décrit fort bien la logique – qui nous est étrangère –, le compor­tement cohérent et la jouissance de la violence du chef de la police, un fou de Dieu. Ce livre lui a été recommandé par sa cousine, qui parle non seulement le français, mais aussi l’anglais, le yiddish et le wolof (une des langues du Sénégal, pays où elle habite et dont elle détient la nationalité). Elle a fait des documentaires et écrit des livres, dont la trilogie Boy Dakar, Hivernage et Fouta Street. Sylvie conseille particulièrement la lecture de ce dernier ouvrage, écrit comme un roman policier sans l’être et qui se passe entre le Sénégal et New York et qui montre la confrontation des cultures.

Ce polyglottisme fait penser Michel à Claude Hagège qui, apparemment, connaît un grand nombre de langues sur le plan scientifique, mais sait-il en parler ? D’autre part, il faut dire qu’il n’apprécie pas vraiment ni l’œuvre – écrite dans un style parlé, comme s’il l’avait dictée sans même se corriger – ni le personnage, fort maniéré à son goût. Sylvie opine, disant son étonnement à la difficulté qu’elle a de le comprendre quand il parle de ces sujets…

Michel parle alors des discours de certains experts (non, pas la majorité) dont il lui arrive de détecter des erreurs – pour ceux des domaines qu’il lui arrive de connaître – dues à leur méconnaissance « profonde » de ces domaines ; c’est le cas de George Steiner, essayiste et critique fameux qu’il avait admiré après l’avoir découvert, et auquel il avait demandé (et reçu) l’autorisation de republier la version anglaise de son essai Dans le château de Barbe-Bleue. Notes pour une redéfinition de la culture dans son site anti-négationniste. Puis ce furent des erreurs factuelles ou des omissions dans ses écrits concernant le judaïsme (cf. une critique de Michel à ce propos), un roman, Le Transport de A.H. (il s’agit de Hitler) mal ficelé, et surtout, comme le remarquait l’historien Jacques Le Goff lors de l’émission Apostrophes en 1981 où Steiner présentait son roman, on ne pouvait qu’être « très gêné par la fascination face à Hitler que George Steiner vient d’exprimer », fascination qu’il n’a d’ailleurs eu de cesse d’éprouver pour la force et le mal absolus et leur manifestation dans de tels plumes que le maurrassien et royaliste Pierre Boutang ou les antisémites et collaborationnistes Louis-Ferdinand Céline et Lucien Rebatet. Pour conclure, en écoutant des discours d’experts, il faut être en mesure de se demander sur quoi ils sont « assis ». Françoise (P.) dit alors que ce n’est pas donné à tous, c’est la culture qui permet tout ça, d’où la nécessité d’apprendre.

_____________

1. Texte tiré de La Tête en vrac (2014) de Patrice Métayer.

2. Texte tiré du Miroir des idées (1996) de Michel Tournier, com­pre­nant de petits articles où « les idées s’éclairent en s’opposant deux à deux », comme l’écrit l’auteur lui-même.

5 février 2020

Bernard Palissy

Classé dans : Littérature, Photographie, Sculpture — Miklos @ 0:03

À droite : monument à Bernard Palissy réalisé par le scupteur Louis-Ernest Barrias (1841-1905), square Félix-Desruelles à Paris. Érigé à une date ultérieure à la publication de ce poème, ce n’est pas le monument mentionné au dernier vers et érigé à Saintes, ville où Palissy a effectué ses recherches sur la céramique blanche, et lieu de l’édition de ce poème.
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I

En ce siècle appelé du nom de Renaissance,
Époque merveilleuse, où notre belle France
Revivait à l’amour des lettres et des arts ;
Quand le culte du Beau passionnait les âmes,
L’artisan, humble outil, loin des magiques flammes,
À sa glèbe attaché végétait sans égards.

Il était de la classe ignoble et destinée
À lutter, à souffrir, tout aussitôt que née ;
Machine douloureuse ayant pour mission
De produire sans trêve et toujours de produire ;
Aux maîtres seuls le droit de vivre, de s’instruire.
Travail signifiait : misère, abjection !

Et le peuple naissait et mourait dans sa fange,
Condamné, croyait-on, par un travers étrange,
Au déplorable état que nul n’adoucissait.
L’oisiveté des grands était noble, princière ;
Le travail demeurait la honte roturière ;
Dans son antre assombri nul rayon ne glissait,

Nouveau Tantale auprès de la coupe d’ivresse,
Il ne récoltait rien que douleur et détresse
Lui qui porte l’aisance au sein des nations !
Lui dont les serviteurs, fous s’ils n’étaient sublimes,
Honnis et bafoués, sont martyrs ou victimes
D’un culte fait d’obstacle et d’abnégations !

— Ô travail méconnu ! levier plein de puissance !
Antagoniste né de l’humaine ignorance !
Glorification de l’homme de labeur !
Raison, amour, patrie, humanité, justice,
Toute idée est féconde et régénératrice
Qui prend sa source en toi, principe et pur moteur !

Qui doit te révéler à la nature humaine,
Pour que le malheureux, qui s’agite et se traîne,
Suive tes durs sentiers sans se lasser de toi ?
Pour que l’humble ouvrier, en proie à la misère,
Estime le métier plus haut que le salaire,
Et s’honore de vivre en mourant sous ta loi ?

À nous de proclamer ta juste prescience !
Marcheur infatigable et qui de la science,
Ô travail ! as été le premier bégaiement.
À nous d’encourager l’artisan, de lui dire :
« Garde, garde en ta main l’outil qui la déchire,
» L’outil du travailleur est un noble instrument !

» C’est aux constants efforts qu’appartient la victoire !
» Sois fier de ton métier, premier pas vers la gloire !
» Si tu portes en toi l’amour des saints combats.
» Le travail ennoblit la plus vile matière..,
» Regarde Palissy, l’humble potier de terre,
» Qui d’obscur devint grand sur les grands d’ici-bas !

» Jamais tu n’apprendras mieux qu’en voyant cet homme
» Comme on s’immortalise en travaillant, et comme
» Toute condition possède sa grandeur !
» Véritable grandeur d’autant plus noble et pure
» Qu’elle est moins dans le nom et plus dans la nature.
» Qu’elle est conquise au prix d’un incessant labeur ! »

II

L’esprit est libre et fier : la matière servile.
Palissy, jeune encore, en pétrissant l’argile
Destinée à former la brique cuite, au four,
Dans l’humble tuilerie où travaille son père,
Pensif en façonnant cette glaise grossière,
Rêve de lui donner un plus noble contour.

L’art qu’il a pressenti, qu’en secret il contemple
À travers les vitraux coloriés du temple,
À son âme ravie un jour s’est révélé.
La terre qu’il pétrit lui paraît de la boue ;
Il comprend qu’en ce verre où le soleil se joue
À des corps plus subtils l’esprit est mieux mêlé,

Et que, sous l’action d’un foyer plus intense,
Il a pu contracter sa molle transparence
Et sortir éclatant des mains de l’ouvrier.
C’est un pas vers cet art qui l’attire et l’appelle ;
Quittant sa tuilerie et son humble truelle,
Le jeune homme devient artiste verrier.

C’est alors qu’on le voit prenant sur son salaire,
Prenant sur son sommeil, s’appliquer et se plaire
À l’étude pénible ; il travaille, il apprend.
Ignorant parmi ceux de sa race en détresse,
Pour atteindre son but, il luttera sans cesse…
Fils de lui-même, un jour comme il doit être grand !

Ses mains et son esprit acquièrent même somme ;
Palissy se faisant artiste s’est fait homme ;
Il pressent l’infini par delà le réel,
Car tel est ici-bas l’attribut du génie
De mêler à la fois l’idée et l’harmonie,
D’aspirer vers le beau, le Dieu, l’universel.

Dessin, géométrie et calcul et peinture,
La main qui doit plus tard imiter la nature
Sait déjà se ployer aux délicats travaux ;
Et son esprit ardent en même temps se forme ;
Philosophe, penseur, poète, il se transforme ;
Bientôt il rêvera ses merveilleux émaux.

Oui, l’infini dans l’art, c’est Dieu dans la nature !
Palissy les adore à cette source pure,
Dans l’herbe, dans la plante et l’insecte des eaux ;
Bientôt, obéissant à l’esprit qui l’entraîne,
Il va de ville en ville, erre de plaine en plaine ;
Son âme se dilate, aux horizons nouveaux.

Les Alpes ont fixé sa course vagabonde ;
Sur les hardis sommets, dans la gorge profonde,
Grâce, force et grandeur de la création,
Épiant les secrets de Dieu, suprême artiste,
Bernard, à son insu, devient naturaliste ;
Il assimile tout à sa profession.

Dans les joncs, il surprend le tortueux reptile,
L’insecte qu’il fera revivre sur l’argile ;
Il scrute, infatigable, et les monts et les bois,
Pour former le trésor qu’il amasse en ses courses,
Interrogeant les rocs, les sables et les sources,
Il observe, étudie et compose à la fois.

Mais l’esprit satisfait, bientôt il vient une heure
Où l’homme fatigué souhaite une demeure,
Une épouse au foyer, doux repos du labeur !
Palissy se souvient… au fond de sa pensée,
Une image charmante à son tour s’est dressée…
Pour un temps las d’étude, il a soif de bonheur.

III

Ce fut dans nos vallons, aux bords de la Charente,
Que Bernard Palissy voulut dresser sa tente,
Et nous l’y retrouvons époux, père, homme heureux,
Après les ans trop courts d’une paix sans nuage,
Et travaillant alors au métier d’arpentage,
Pour nourrir ses enfants qui survenaient nombreux.

Le bonheur aisément fait oublier la gloire.
Bernard s’oubliait : l’art lui revint en mémoire
À l’aspect d’un tesson de faïence émaillé.
Pensif, il se remet à son métier de terre,
Pilant le dur caillou, pulvérisant la pierre,
Qu’il arrache du sol incessamment fouillé.

Muni des éléments qu’il compare et mélange,
Il étudie, essaie et renouvelle et change
Les produits imparfaits de ses vastes travaux.
C’est l’heure de lutter rudement et sans trêve.
Pour fondre cet émail qui scintille en son rêve ;
Brique à brique il bâtit ses modestes fourneaux.

La science est l’outil de tout esprit vulgaire ;
Au chercheur qui gravit son douloureux calvaire,
Faute d’instruction, elle manque souvent ;
Mais qu’importe au génie ! il s’en passe ou l’invente,
Et la saisit enfin et la fait sa servante,
La plie à son usage en son effort puissant.

Comme une algue à Colomb révèle un nouveau monde,
Le fragment égaré qu’il interroge et sonde,
Pousse Bernard au but à travers mille maux ;
Ignorant les secrets, sans appui, sans modèle,
Sans guide pour aider sa recherche nouvelle ;
Il réussit pourtant à former ses émaux !

Et nul n’eut deviné les transes et les veilles
Que devaient lui coûter les naïves merveilles
Qu’à nos yeux étonnés retracent ses produits.
Dans les récits poignants que chacun devrait lire,
Mieux qu’aucun écrivain, lui seul a pu décrire
Le labeur de ses jours, l’angoisse de ses nuits.

Seul dans l’obscurité, quand soufflait la rafale,
Sur ses fourneaux courbé, haletant, maigre et pâle,
Que de fois il perdit le fruit de ses labeurs !
Puis chassé par les vents, la pluie et la tempête,
Aux angles des vieux murs heurtant sa noble tête,
Il retrouvait chez lui de nouvelles douleurs !

L’idéal, le réel ou l’art, et la matière,
Tel est l’antagonisme : En son ardeur première,
Comme il était vaillant ! mais après tant d’efforts,
Au foyer désolé trouvant l’épouse morne,
Les enfants affamés, un désespoir sans borne
Dans son cœur accablé ressemblait au remords.

Mais l’esprit lutte encore quand le besoin nous lie ;
En vain découragé, plein de mélancolie,
Bernard renonce au but si longtemps envié.
Possédé de génie et d’âme consciente,
Plus fort il se relève après chaque tourmente ;
L’espoir nouveau sourit : le mal est oublié ?

À demi consolé, son grand cœur plus à l’aise,
L’artisan revenait alors à sa fournaise,
Recommençait l’essai peut-être plus heureux,
Dans chaque erreur il puise une clarté nouvelle,
C’est un progrès de plus qu’un faux pas lui révèle ;
Tant d’efforts devaient être enfin victorieux. •

IV

L’art, pour être saisi dans sa magique essence,
Veut la lutte, l’effort, la longue patience
De l’homme qui perçoit son mobile horizon.
Tel sublime aux appels de son ardent génie,
Fort devant la douleur, fier devant l’ironie,
Bernard brûle les ais, les lits de sa maison ;

Tel l’esprit de l’artiste en lui dominant l’homme
Et voulant l’art pour l’art, mais non pas pour la somme,
Calme, il brise aux regards d’envieux détracteurs
Les essais imparfaits qui ne peuvent lui plaire
Mais dont il eût pourtant tiré quelque salaire
S’il n’estimait plus haut sa gloire et ses labeurs.

Tous le traitent de fou : mais l’art à son disciple
Se révélait alors sous son aspect multiple ;
L’artiste méconnu soudain s’est relevé ;
Il a lutté vingt ans ! Qu’importe? la victoire
A couronné son front d’une immortelle gloire.
Triomphant il peut dire : Eurêka ! J’ai trouvé !

Et l’émail apparaît pur, brillant et limpide ;
Et ses plats onduleux sous une mousse humide,
Par un attrait charmant retiennent les regards ;
Le poisson en fuyant semble ouvrir un sillage
Sur les bords de la coupe où dort le coquillage,
Et la grenouille verte et les jeunes lézards.

Car Palissy n’est plus l’humble broyeur de pierre
Poète et créateur de l’inerte matière
Qui s’épure et palpite en sortant de ses mains,
L’art répond aux besoins de sa tendresse immense ;
Il a conquis aux siens la nouvelle existence
Pleine de jours heureux et d’heureux lendemains.

Aujourd’hui, les puissants se disputent ses œuvres ;
Ses limaçons baveux, ses rampantes couleuvres
Ornent tous les dressoirs. Par les rois appelé,
Des honneurs, sans orgueil, il a gravi le faite ;
Sa. mission pourtant lui paraît imparfaite ;
Dans l’ouvrier heureux l’homme s’est révélé.

Il renaît écrivain, philosophe, poète ;
Aux observations d’autrefois qu’il complète,
S’unit l’expérience ; et d’un style enchanteur,
En ses écrits naïfs il nous fait la peinture
Des beautés qu’il découvre au sein de la nature,
Dont il est demeuré l’ardent adorateur.

En décrivant son art, il dévoile son âme ;
Son style est éclairé d’une étonnante flamme
De grandeur et d’amour et de naïveté ;
On y sent bouillonner la sève jaillissante
D’une langue inconnue, imagée et touchante,
Qui prend sa source au cœur, non dans l’antiquité.

Il étend ses travaux d’histoire naturelle ;
Son esprit organique et puissant se révèle ;
Procédant par le fait, non par l’induction,
Il détrône à jamais le rêveur scolastique ;
Il fonde deux grandeurs en France : art céramique,
Et science d’étude et d’observation,

V

Ce n’était pas assez pour cet homme sublime ;
Son âme infatigable à la plus haute cime
En montant trouve Dieu principe et vérité !
À son art ? Il donna sa maison, sa jeunesse !
À sa foi ? Ce bonheur des jours de sa vieillesse,
Il donnera sa vie avec sa liberté !

En défense, il s’oppose à l’attaque civile ;
Quand le sang protestant inonde chaque ville,
Bernard le réformé doit y mêler le sien.
En ces temps sur lesquels pleure encore l’histoire
Le travail et l’honneur, le génie et la-gloire
Pouvaient-ils protéger un pauvre homme de bien ?

On massacrait alors au nom de l’Évangile !
Aux victimes bientôt sa vertu l’assimile ;
Dans un étroit cachot on jette le martyr,
Et quand, ému, le roi, pour prix d’une bassesse,
Offre de libérer le grand homme qu’il presse,
Fier et calme il répond : « Sire, je sais mourir ! »

Salut, ô Palissy ! sublime patriarche,
Pur et vaillant lutteur, vrai gardien de l’arche,
Du travail qui milite au sein de l’atelier !
Emblème de courage et de persévérance,
Tu restes le patron du génie eu souffrance,
De l’art victorieux et de l’ingrat métier.

Ta vie est bien penser, et bien faire, et bien dire !
Elle est un livre ouvert que nos fils doivent lire,
Où chaque mot renferme un grave enseignement.
Au travail ennobli ton aspect dit : Victoire !
Et pour que l’ouvrier grandisse à ta mémoire
Ton pays, ô Bernard ! t’élève un monument1 !…

Maria Gay, 1875.

___________________

1. Statue de Bernard Palissy [réalisée par le sculpteur Ferdinand Talluet], inaugurée à Saintes le 2 août 1868.

27 octobre 2018

Chimères que tout cela…

Classé dans : Architecture, Arts et beaux-arts, Livre, Peinture, dessin, Sculpture — Miklos @ 8:52

Jean-Baptiste Coriolan, « Icon Monstrosaæ cujusdam Chimæræ », in Ulyssis Aldovandi Monstrorum historia, 1642. Cliquer pour agrandir.

«Voici un centaure, coiffé d’un capuchon et barbu comme un prophète : il se cabre et montre, par devant, deux pieds de cheval ; par derrière, deux pieds humains chaussés de bottes.

Un médecin, qui porte la barrette de la Faculté et étudie gravement, comme le médecin de Gérard Dow, la fiole aux urines, n’est docteur que jusqu’à la ceinture : il finit soudain en oie.

Un philosophe à tête de porc se prend la mâchoire et médite.

Un jeune maître de musique, moitié homme et moitié coq, donne une leçon d’orgue à un centaure.

Une femme à tête de veau entrouvre sa robe. Un homme, changé en chien par l’incantation de quelque sorcière, porte aux pieds une paire de brodequins, comme un souvenir de son ancienne condition. Une femme-oiseau écarte son voile et lève un doigt mystérieux.

Sur les voussures des portes et les arcades des fenêtres, aux angles des tourelles, le long des contreforts, des corniches et des galeries, se trouvent, mêlées aux plus augustes images, d’autres images grotesques ou monstrueuses : têtes d’hommes égarées sur des corps de bêtes, satyres cyniques, singes grimaçants, dragons ailés, griffons, larves et salamandres, êtres hideux qui semblent enfantés par un malade en proie à un horrible cauchemar.

D’autres fois, ce sont des sujets plus plaisants, faits pour distraire le fidèle qui devait s’habituer à la longue à ce spectacle journalier. Ainsi voyait-on, au-dessus de l’autel de la chapelle du château d’Arnboise, un singe emboucher la trompette ; à l’un des vitraux de Notre-Dame de Paris, un homme, jetant son épée, s’enfuir devant un lièvre.

Une truie joue de la vielle à l’église Saint-Sauveur, de Nevers; un lion joue du violon et un âne touche de la lyre (chapiteau de l’église de Meilles).

»À la cathédrale de Poitiers, un chien pince de la harpe et un ours joue de la viole. À Notre-Dame de Tournai, on remarque l’âne qui vielle. »

— Augustin Cabanès (1862-1928), Mœurs intimes du passé (troisième série), pp. 52-54. Albin Michel, s.d.

29 septembre 2018

Ici et là


Façade du château de Versailles.
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Façade latérale du palais Garnier.
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Plafond de la chapelle royale du château de Versailles.
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Grand foyer du palais Garnier
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Pierre Laviron et Louis Le Conte : Bacchanale. 1679-1682. Château de Versailles. Cliquez pour agrandir.


Georges Clairain : Bacchanales. Plafond de la rotonde du Glacier, palais Garnier. Cliquez pour agrandir.


René-Antoine Houasse : Allégorie de la Magnanimité et de la Magnificence royales inspirant et récompensant les Arts. Plafond du sale de l’Abondance, château de Versailles. Cliquez pour agrandir.


Diane Chasseresse dite Diane à la biche ou Diane de Versailles. Cliquez pour agrandir.


Peinture murale de Georges Clairain, 1878. Rotonde du Glacier, palais Garnier. Cliquez pour agrandir.

Autres photos ici.

7 novembre 2017

Hiérogrammates alors et aujourd’hui

Le Scribe accroupi, il y a 4500 ans et aujourd’hui. © Michel Fingerhut.
Le Scribe accroupi (4e ou 5e dynastie, 2600-2350 avant J.-C., musée du Louvre) après s’être, lui aussi comme nous tous, laissé tenter par les mirages de la modernité.

«C’est le nom que les Égyptiens donnaient aux Scribes sacrés chargés de l’administration des revenus des temples. Les villes avaient des idéogrammes comme les temples. Les premiers formaient des collèges, et ils pouvaient joindre d’autres dignités à celle d’hiérogrammate. Une palette de scribe,» le kasch ou roseau taillé, un papyrus ouvert ou roulé, sont les signes auxquels on les reconnaît sur les monuments.

Ange de Saint-Priest (éd.), Encyclopédie du dix-neuvième siècle : répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, avec la biographie de tous les hommes célèbres. 1836-1853.

«C’est aux prêtres de cet ordre qu’était réservée l’administration des choses sacrées, et l’on m’excusera peut-être de dire en passant que l’habitude de poser sa plume sur le haut de l’oreille droite n’est pas une invention du génie bureaucratique moderne : il y a trois mille ans qu’on a peint dans les monuments de Thèbes des scribes de divers ordres paperassant librement de leurs deux mains au moyen de ce secours emprunté à leurs oreilles. Le schenti était leur habillement habituel, courte tunique que l’on» a réservée vraisem­bla­blement pour l’intérieur ; la calasiris, plus longue et plus ample, couvrait le schenti.

Jacques-Joseph Champollion-Figeac, Égypte ancienne. 1839.

«Dans les marais d’Égypte, au bord du Nil, croit en abondance une plante aquatique, qui offre à peu près l’aspect d’un roseau. Sa tige, allongée, ronde, verte, lisse et molle porte à son extrémité un bouquet de feuillage grêle. C’est la plante qu’on nomme papyrus (voir le frontispice). Les Égyptiens coupaient la tige au pied ; enlevant l’écorce verte, ils trouvaient dessous plusieurs couches superposées d’une sorte d’écorce blanche, mince, fine, et qui se détachait facilement en feuillets déliés, semblables à des bandelettes légères, asses larges. On étalait sur une table ces bandelettes encore humides de sève ; on en couchait plusieurs les unes près des autres et se joignant, de manière à former une certaine largeur; puis sur ces bandelettes on en étendait d’autres en travers, pour réunir et maintenir les premières. Puis on les dressait, on les collait ; il en résultait une sorte de feuille mince, légère, assez large, blanche : une véritable feuille de papier enfin ; car c’est du nom de la plante, du papyrus, que nous est venu notre mot de papier. Sur cette mince et fragile matière, le scribe égyptien, l’écrivain ou le copiste, traçait ses caractères déliés à l’aide d’un pinceau, d’un mince et léger roseau semblable à une frêle tige de jonc, effilé à son extrémité. Avec son roseau, il avait pour instrument principal une palette de bois, une planchette de forme rectangulaire, dans laquelle étaient ordinairement creusés deux petites cavités rondes en forme de godets. L’un de ces godets contenait une tablette d’encre noire solide, l’autre une tablette semblable d’encre rouge : ces tablettes étaient absolument pareilles aux pastilles de couleurs de nos boites à couleurs pour l’aquarelle. Une petite fiole, de verre le plus souvent, contenant de l’eau, complétait son attirail. Le scribe trempait son pinceau dans l’eau, puis délayait un peu de couleur sur l’une ou sur l’autre des deux tablettes. D’autres» délayaient à l’avance leurs couleurs et les conservaient liquides dans de petits encriers, où ils trempaient leurs roseaux pour écrire.

Charles Delon, Histoire d’un livre, 7e éd. 1902.

Combien de scribes ?.
M. Josseaume, Arthmétique universelle, Ou, Le calcul développé par l’arithmétique sans le secours de l’algèbre ni des équations. Paris, 1754.

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