Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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17 février 2006

Andante giocoso ma moderato

Classé dans : Musique, Sciences, techniques — Miklos @ 12:26

Le site Andante.com consacré à la musique classique, qui avait disparu au début du mois, vient de réapparaître en ligne. Pas entièrement : certaines de ses fonctionnalités ne sont pas opérationnelles. Mais les archives sont là. On espère, Naïvement peut-être, que cette résurrection inexpliquée sera durable et donnera une nouvelle vie au site et à ses contenus, virtuels et physiques (en clair, son label de disques).

16 février 2006

Ne plus entendre, ne plus écouter

Classé dans : Environnement, Sciences, techniques — Miklos @ 8:10

De nouvelles études indiquent que l’écoute de musique sur des lecteurs portables nuit de plus en plus à l’ouïe : les écouteurs sont placés directement dans l’oreille, ce qui a pour effet de l’exposer à un niveau sonore plus élevé ; mais comme ils isolent moins bien du bruit ambiant, les usagers en augmentent encore plus le volume. D’autre part, leurs piles ont une durée de vie plus importante, ce qui favorise de plus longues écoutes ininter­rompues.

Mais il s’avère que le genre de musique joue aussi un rôle : le rap et le rock sont en général écoutés à un niveau sonore beaucoup plus élevé que la musique classique ou country. C’est ce que confirme Pete Townshend, le guitariste légendaire des Who, qui annonce sur son site web qu’il souffre de troubles auditifs causés par l’utilisation d’écouteurs en studio. Il ajoute : « j’ai malheureusement participé à inventer et à développer un genre de musique qui rend ses principaux acteurs sourds. La perte de l’ouïe est une chose terrible, car elle est irréversible. Si vous utilisez un iPod ou quelque chose de ce genre, il se pourrait que ce soit OK, mais mon intuition me dit que cela entraînera des troubles terribles ».

L’exposition continue à la musique n’affecte pas que l’ouïe, mais l’écoute elle-même. Une étude menée par une équipe de recherche à l’université de Leicester sur la direction d’Adrian North indique que les auditeurs deviennent de plus en plus passifs dans leur façon de consommer de la musique. La facilité d’accès implique une indifférence accrue et une dévalorisation de l’expérience musicale. Celle-ci devient un objet de consommation et une activité secondaire, musique de fond en somme. Si notre attitude envers la musique au quotidien est complexe, voire sophistiquée, elle ne serait plus caractérisée par un investissement émotionnel comme par le passé.

Schoenberg, Adorno ou Walter Benjamin avaient déjà analysé cette perte de l’« aura de l’œuvre » et sa transformation en un objet de consommation comme un autre dues à l’apparition des modes de diffusion de masse tel que la radio et celles de reproduction mécanique – qui ne font que se développer à l’ère du numérique.

15 février 2006

Là où il est utile de se tromper

Classé dans : Littérature, Politique, Société — Miklos @ 11:14

- J’ai envie d’aller à sa rencontre, dit Alice. (Car, bien sûr, les fleurs étaient très intéressantes, mais elle sentait qu’il serait bien plus merveilleux de parler à une vraie Reine.)
- C’est impossible, dit la Rose. Moi, je te conseille de marcher dans l’autre sens.
Alice trouva ce conseil stupide. Elle ne répondit rien, mais se dirigea immédiatement vers la Reine Rouge. A sa grande surprise, elle la perdit de vue en un moment, et se trouva de nouveau en train de pénétrer dans la maison.
Légèrement agacée, elle fit demi-tour, et, après avoir cherché de tous côtés la Reine (qu’elle finit par apercevoir dans le lointain), elle décida d’essayer, cette fois-ci, d’aller dans la direction opposée.
Cela réussit admirablement. À peine avait-elle marché pendant une minute qu’elle se trouvait face à face avec la Reine Rouge, tandis que la colline qu’elle essayait d’atteindre depuis si longtemps se dressait bien en vue devant elle.

Lewis Carroll :
De l’autre côté du miroir
Traduction de Jacques Papy

L’article de Philippe Grangereau et de Laurent Guenneugues Chine : Google et Yahoo censurent gratis dans le journal Libération du 15 février 2006 exploite ce sujet à la mode et en passe de devenir un marronnier. Sous prétexte de « jauger l’impact de cette collaboration pernicieuse » entre ces moteurs et les autorités chinoises, ils « mesurent » la différence de quantité et de qualité à des réponses fournies sur quelques mots-clé bien juteux – que je me garderai bien de mentionner ici (allez voir l’article référencé), afin d’éviter le filtrage et de permettre à mes lecteurs Chinois d’apprendre à contourner ce filtrage.

Il est dommage qu’ils n’aient pas consulté ces moteurs à ce propos avant d’écrire leur article. Un article de CNN daté du 30/1 explique comment trouver les images interdites (information fournie à l’origine par Danny Sullivan) : il suffit de mal orthographier les mots-clé… Cette technique est connue de toute personne qui effectue des recherches approfondies, non pas tant pour contourner un filtrage que pour tenter de trouver des réponses qui auraient échappé à une recherche correcte du fait de coquilles ou de fautes d’orthographe dans le corpus cible.

Certains moteurs de recherche tentent de fournir des alternatives à une orthographe qu’ils jugent approximative, si le nombre de réponses fournies (par exemple, à « Bolkenstein » – 37 réponses, dans Google News) est bien en-deçà de celles renvoyées par une orthographe voisine (« Bolkestein », 533 réponses). Je doute toutefois que ces moteurs fournissent aux internautes Chinois l’orthographe erronée qui leur permettrait de trouver plus de réponses, le filtre devant être placé à un autre niveau.

Outre les leçons politiques qu’on doit tirer de cette affaire, on peut apprendre à développer des stratégies de recherche originales, en imaginant les erreurs probables qui peuvent se glisser dans un texte, dans sa retranscription ou dans sa description – et qui revient aussi à la stratégie de recherche d’un ouvrage sur le rayonnage d’une bibliothèque quand on ne l’y trouve pas : regarder ailleurs. Pour exemple, c’est en cherchant « Gustav Malher » que l’on tombe sur la page du sommaire du livre « Gustav Mahler » d’Henry-Louis de La Grange : le nom du compositeur y est systématiquement mal épelé (à trois reprises), quand bien même il s’étale correctement en grand sur l’image de la couverture de l’ouvrage, incluse dans cette page, qui ne peut être trouvée si l’on effectue cette recherche avec une orthographe correcte. Ce qui est aussi le cas pour l’extrait d’Alice ci-dessus, trouvé sur un site qui l’intitule De l’autre côté du mirroir

Lire, ou feuilleter puis effeuiller

Classé dans : Littérature, Société — Miklos @ 8:23

Le développement du numérique n’est pas sans inquiéter, au premier chef, les bibliothèques, ce qui se reflète dans leur recherche accrue de nouveaux moyens pour refidéliser leur lectorat. Ceux-ci tournent aujourd’hui autour de la reconstruction du lien social, mis à mal par la course effrénée pour la survie dans un monde qui tourne de plus en plus vite et ne laisse plus de temps ni de disponibilité pour lire, qui enferme les uns dans un individualisme exacerbé et en laisse d’autres au bord de la route. L’école en subit aussi les contrecoups, et ses élèves, sans être techniquement analphabètes, n’ont pas forcément l’envie ou la capacité de lire. C’est ainsi que dans les projets architecturaux des nouvelles médiathèques on peut voir un accroissement des espaces destinés à des activités sociales qui n’ont plus forcément un lien direct à la lecture.

Quant à la Belgique, elle a trouvé une façon originale pour attirer et stimuler le public des bibliothèques : le bib-dating, ou speed dating littéraire, testé il y a trois ans par deux bibliothécaires, Eric Van der Straeten et Danny Theuwis : ils avaient réuni une quinzaine de jeunes lecteurs âgés de 18 à 35 ans autour de livres… et de tables décorées de fleurs et de bougies, les accueillant avec un verre de vin. Ce fut un succès. Depuis, il ont formé plus de 300 bibliothécaires à ce concept lors de sessions organisées à la Permeke bibliotheek d’Anvers. Dans ce type de rencontres, les participants ont dix minutes pour se présenter aux autres membres du groupe en discutant d’une question précise – par exemple, quel était votre livre d’enfance favori ? Puis, ils discutent en un bref tête-à-tête de trois livres de leur choix ou d’extraits qu’on leur avait demandé d’amener, et passent à un nouvel interlocuteur et à de nouveaux livres. Et ainsi de suite. À la fin de la session, on demande aux participants d’écrire une petite note qui est placée dans le livre de la personne qu’ils souhaiteraient revoir. Est-ce la renaissance des grands couples littéraires tels que George Sand-Musset, Sartre-Beauvoir, Aragon-Elsa Triolet (même s’ils ne se sont pas rencontrés ainsi – mais il faut vivre avec son temps), et auxquels on souhaite une fin moins tragique que celle d’Héloïse et Abélard ?

14 février 2006

De la popularité de certains morts

Classé dans : Littérature, Musique — Miklos @ 22:17

1649-1793-… ?

Les Anglais se sont montrés fort rudes et fort grossiers dans le régicide. Le roi Charles Ier, à Whitehall, ne put dormir sa dernière nuit ; l’outrage chantait sous sa fenêtre et le marteau clouait son échafaud.
Les Français ne furent guère plus polis. C’est dans un fiacre qu’ils conduisirent Louis Capet au lieu de l’exécution ; ils ne lui accordèrent même pas un carrosse de remise, ainsi que l’eût voulu pour cette Majesté la vieille étiquette.
Ce fut pire encore pour Marie-Antoinette, car on le lui octroya qu’une charrette. Au lieu d’un chambellan ou d’une dame d’atours, un sans-culotte l’accom­pagnait. La veuve Capet relevait dédai­gneu­sement la lourde lippe infé­rieure des Habsbourg.
Français et Anglais sont natu­rel­lement dénués de sen­ti­men­talité. La sen­ti­men­talité, l’Allemand, seul, la possède. Sen­ti­men­tal il sera jusque dans ses com­por­tements terro­ristes. Toujours l’Allemand trai­tera une Majesté avec piété.
Il y aura un carrosse de cour, attelé de six chevaux empa­nachés de noir, enguir­landés, conduits par un cocher armé du fouet de deuil et pleurant sur le siège élevé.
Ainsi sera voituré vers la place d’exécution et très respec­tueu­sement dé­ca­pité le Monarque germanique.

Derniers Poèmes

Vieille chanson

La mort est venue, et tu n’en sais rien : la lumière de tes yeux s’est éteinte, ta bouche rouge est pâlie, et tu es morte, ô ma petite enfant morte.
Par une horrible nuit d’été je t’ai moi-même portée au tombeau : les rossi­gnols chantaient leurs lamen­tations, et les étoiles suivaient ton cercueil.
Le cortège longea la forêt, où résonnait la litanie ; les sapins, en manteaux de deuil, murmurèrent les prières des morts.
Nous passâmes près du lac des saules où dansaient en rondes les elfes ; ils s’arrê­tèrent tout à coup et nous regar­dèrent avec compassion.
Puis, arrivés près de ta tombe, la lune descendit du ciel et prononça un discours. – Un sanglot, des gémis­sements, et, dans le lointain, les cloches qui tintent.

Romancero : Lamentations

Tout le monde doit maintenant savoir qui est mort le 27 janvier, il y a 250 ans : beaucoup d’encre a coulé à son propos avant, pendant et après. Mais aucun journal français ne semble encore s’intéresser à Heinrich Heine, décédé le 17 février 1856, bien qu’il ait vécu les 25 dernières années de sa vie à Paris. Il est vrai que la musique est un genre plus accessible que la poésie, et qu’elle se vend donc beaucoup mieux, facteur premier de médiatisation. Il est vrai aussi que l’œuvre de Mozart est particulièrement aimée, quelle que soit la culture musicale de l’auditeur, et surtout si elle sert de musique de fond à des films tels qu’Elvira Madigan. Enfin, le personnage ne manque ni d’attrait – sacrément déluré, cet Amadeus – ni de mystère – ah, cette étrange commande pré­mo­nitoire du Requiem par un per­son­nage vêtu de noir – et qui n’était que l’émissaire du comte von Walsegg-Stuppach. L’œuvre de Heine, quant à elle, a dû passer par bien des pur­ga­toires, desservi par son origine juive (malgré sa conversion ultérieure au protes­tan­tisme) qui lui valu d’avoir ses livres brûlés par les nazis et sa mise à l’index par l’église catholique jusqu’en 1967.

Les rapports de Heine à la musique ne manquent pas. Tout d’abord familiaux : Giacomo Meyerbeer qui vécut, lui aussi, à Paris, où il composa des opéras sur des livrets d’Eugène Scribe (Robert le Diable, Les Huguenots, Dinorah, L’Africaine…) et à propos de qui Berlioz écrira : « Meyerbeer a non seulement le bonheur d’avoir du talent, mais, au plus haut degré, le talent d’avoir du bonheur ». Mais surtout littéraires : ses poèmes furent mis en musique dans plus de 3.000 mélodies (dont on trouvera une liste partielle ici), par Schumann (Dichterliebe, Du bist wie eine Blume…), Schubert, Mendelssohn, Liszt, Grieg, Strauss, Reynaldo Hahn, Orff… L’une des plus populaires est sans conteste Die Lorelei, sur la mélodie de l’oublié Friedrich Silcher (voir ci-dessous), texte qui a aussi inspiré Clara Schumann et Franz Liszt. De son côté, Heine était inséré dans la vie musicale, et en parle dans ses textes.

Si les débuts lyriques de Heine furent inspirés par le romantisme, il en reviendra plus tard et le critiquera amèrement, s’attaquant par la même occasion au nationalisme ambiant et à ses effets pervers, dont l’antisémitisme. Faut-il s’étonner qu’il ne fut pas très populaire dans son Allemagne natale ? C’est surtout le monde anglo-saxon qui sut apprécier à leur juste mesure le regard ironique et parfois amusé qu’il pose sur les affaires courantes, la philosophie, la politique ou les arts. C’est enfin celui qui a écrit, de façon prémonitoire (il connaissait si bien l’Allemagne) : « Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler les hommes. »


Friedrich Silcher  Die Lorelei
Plusieurs manifestations vont marquer les 150 ans de la mort de Heinrich Heine. La chaîne de télévision Arte lui consacre la soirée de vendredi, de 22h10 à 0h15. À Paris, une gerbe sera notamment déposée vendredi au cimetière de Montmartre, où repose le poète, en présence de personnalités françaises et allemandes. On apprend aussi que les 4500 manuscrits de Heinrich Heine de la Bibliothèque Nationale française seront mis sur Internet d’ici un an. On peut déjà trouver des éditions en français de ses œuvres sur le site de Gallica. (Sources : SwissInfo, BlueWin).

À lire :
Le dossier Heinrich Heine de L’Encyclopédie de l’Agora, qui comprend une notice biographique détaillée tirée de l’édition de 1906 de ses œuvres choisies, une autre sur sa vie et son œuvre, tirée de l’ouvrage Histoire de la littérature allemande d’Adolphe Bossert (1904), une bibliographie et une liste de ressources externes.


Manuscrit de la Loreley de Friedrich Silcher

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