Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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4 juin 2006

Angelus Novus, ou voix du passé et voie du futur

Classé dans : Cinéma, vidéo, Humour, Littérature, Sciences, techniques — Miklos @ 18:27

Selon Associated Press, la voix de Mona Lisa (plus connue ici sous son pseudonyme de La Joconde) a été synthétisée au Japan Acoustic Lab par son président, spécialiste d’anatomie pathologique. Il a attentivement étudié la morphologie du célèbre modèle et en a déduit les caractéristiques vocales. On peut écouter ici le résultat (cliquer sur le bouton sous le portrait, et ne pas se décourager durant l’intro du clip), suivie de celle de son créateur. Ce qui est peu plausible dans cette vidéo (je ne parle pas du reste), c’en sont les aspects linguistiques (langue, accent). À l’entendre, on dirait une opératrice de Telecom Italia.

Comme quoi, Vinci (pas la société, le peintre) est à la mode, et pas uniquement à Cannes (« Le Da Vinci Code a reçu un accueil glacial, mardi 16 mai, sur la Croisette, lors de sa présentation à la presse, à la veille de sa projection – hors compétition – en ouverture du Festival de Cannes. Les quelque deux mille journalistes n’ont pas hésité à siffler le film de Ron Howard », Le Monde du 17 mai), ce qui ne l’a pas empêché d’être interdit au Pakistan. En France, une réunion publique avec Dan Brown, organisée par un groupe protestant évangélique, qui devait avoir lieu dans une bibliothèque, a été annulée par la dite bibliothèque (référence à retrouver).

Japan Acoustic Lab n’en sont pas à leur premier coup médiatique : en collaboration avec Takara, ils avaient développé en 2002 Bow-Lingual, un traducteur chien-homme. Il leur a valu le Prix Ig Nobel (à ne pas confondre, comme certains l’ont déjà fait, avec le « vrai » Prix Nobel), décerné depuis plusieurs années par les Annals of Improbable Research dans la catégorie Paix (entre les espèces vivantes).

Et si vous vous êtes jamais demandé pourquoi Mona souriait (et non pas pourquoi Mona Lisait), une étude réalisée par des chercheurs l’université d’Amsterdam en 2005 a démontré que c’est parce qu’elle était tout simplement « heureuse à 83% ». Ses auteurs reconnaissent son peu de sérieux, bien heureusement. À quand l’invention du fil à couper le beurre ?

Le passé n’a de cesse de nous fasciner, et qui plus est dans un monde en perte de repères autres que technologiques, ce qui encourage la montée des intégrismes et des sectes de tous genres, venus se loger dans les vides de sens et pour faire face à la peur de la mort – de l’individu, de l’espèce humaine, voire de la terre : ce que la science donne d’un côté en espérance de vie, l’hyperconsommation enlève de l’autre en dévorant les ressources de la planète. Ici, c’est la voix d’une personne morte il y a quelque 500 ans (pour autant qu’elle ait existé, ou n’ait pas été un produit de synthèse artistique de son génial créateur) qu’on prétend nous faire entendre. , c’était la reconstruction faciale hyperréaliste qu’effectue Élisabeth Daynès à partir des crânes de nos ancêtres. Ailleurs – c’est de la fiction, mais jusqu’à quand ? –, ce sont les tentatives de clonage d’espèces disparues (sans parler du fantasme sectaire de clonage humain)… Ne serait-il pas grand temps de se préoccuper de notre futur plutôt que de nous réfugier dans le passé ? History is like an angel walking backwards into the future.

1 juin 2006

À propos de la dématerialisation des documents : le cauchemar du bibliothécaire (3 messages)

Classé dans : Actualité, Livre, Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 9:16

Texte publié sur la défunte liste de diffusion biblio-fr, en réponse à une enfilade de messages à ce sujet.

Pour faire suite au message de B. Majour, effectivement, « il n’y a pas photo », l’ordinateur est plus rapide que l’homme moyen, et Google plus rapide que l’ordinateur moyen – pour une question-réponse. Il n’y pas non plus photo : photocopier, imprimer ou copier-coller va plus vite que recopier à la main ou synthétiser (et a fortiori que lire, voire, horreur, apprendre par cœur). Conserver numé­ri­quement coûte moins cher (à court terme) que de le faire maté­riel­lement (imprimer ou acheter). Il est aussi plus facile d’ingérer une bande dessinée qu’un texte (même illustré).

Mais ces tâches sont-elles vraiment comparables ? Si l’élève ou l’étudiant envisage dorénavant son pensum en tant que QRM (questions à réponses multiples) à l’instar de bien de jeux télévisés et auquel il n’y a qu’une seule réponse juste qu’il faut trouver le plus vite possible et fournir avec le minimum d’effort physique, il est clair qu’il cherchera des FAQ (foires aux questions – essentiellement des documents questions/réponses) et des moteurs. Si le chercheur est plus poussé par le PoP (« publish or perish »), il pourrait être tenté par la même démarche qui fait déraper certains sportifs qui ont recours au dopage.

Cela a d’ailleurs toujours existé, ce ne sont que les moyens qui se démultiplient et la difficulté à ne pas se couler entièrement dans « le système » nécessite une vigilance accrue (il faut relire à ce propos Jacques Ellul, par exemple). Dans un terrain ou un marché compétitif (la « visibilité sur l’internet » comme critère de performance et ce qu’elle rapporte – en revenus pour d’aucuns, en subventions pour d’autres), il me semble que l’on tente de répondre à cette demande (nourrie elle-même par cette logique de système) en se conformant à ce modèle de question-réponse (il n’y a qu’à voir les nouveaux interfaces, portails et services que l’on développe), ce qui n’est pas l’approche la plus pédagogique au monde ; elle implique une vision de l’individu, de la société, du monde, du savoir et de la culture dans laquelle tout a une réponse – la même pour tous (c’est la norme statistique) –, et où le questionnement n’a plus qu’une valeur toute transitoire ; un mode où le savoir ne se construit que par accumulation et dans lequel l’esprit critique n’a plus sa place ni le temps de se construire, de penser et de réfléchir, et dans lequel le moteur de recherche moderne réincarne l’oracle omniscient de l’antiquité (je ne suis pas très étonné qu’on voit réapparaître en ces temps de transformation d’autres comportements tribaux et sectaires).

Je ne suis pas persuadé que « La seule solution pour les bibliothèques de rivaliser : obtenir des bibliothécaires “Moteur de recherche” de leur propre bibliothèque », comme l’écrit B. Majour. Les bibliothèques ne sont pas des entreprises de nouvelles technologies (même si bien évidemment elles en utilisent) et ne doivent, ni ne peuvent, « rivaliser » avec. C’est en ce sens d’ailleurs que je trouverais le projet de bibliothèque européenne erroné – en tant que projet à finalités culturelles et sociales – s’il ne vise qu’à rivaliser avec celui de Google et s’il ne se positionnait que de cette façon. Je ne suis pas non plus persuadé que les bibliothèques ne font, ni ne doivent, que fournir de l’information (« L’information reste toujours de l’information, il faut encore la promouvoir, la mettre en valeur, la mettre à disposition du public ») et l’organiser pour une recherche plus efficace (« C’est juste un peu plus facile pour effectuer des recherches transversales à travers tout le fonds [...]. Il reste aussi à trouver comment marier le matérialisé et le dématérialisé, comment les faire cohabiter et comment les mettre en synergie »).

Edgar Morin ne dit-il pas : « Une connaissance n’est pas un miroir des choses ou du monde extérieur. Toutes les perceptions sont à la fois des traductions et reconstructions cérébrales à partir de stimuli ou signes captés et codés par les sens. » (cf. Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur). Sans la reconstruction cérébrale, c’est de l’information brute et ce n’est pas ce qui construit la civilisation. L’apport incomparable du (bon) médiateur est dans son apport pédagogique à la construction de la pensée et des capacités critiques qui sont d’autant plus nécessaires avec la mise à disposition quasi infinie de sources documentaires.

La technoscience étouffera-t-elle la science, comme le demandait Jean-Marc Levy-Leblond en 2000 (Cycle démocratie, science et progrès, café des sciences et de la société du Sicoval) ? La réponse ne se trouvera pas dans un moteur de recherche, et c’est plutôt la question qui devrait nous interpeller.

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