Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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28 avril 2008

Une information corsée

Classé dans : Actualité, Langue — Miklos @ 23:15

Selon Rue89, « la côte de Nicolas Sarkozy ne semble pas prête de repartir à la hausse. Son effondrement trouve sa source dans les principaux soutiens qui l’ont porté à l’Élysée. ». Ce problème anatomique – thorax en carène ou scoliose ? – aurait effectivement nécessité le port d’un corset : Louis Fleury ne dit-il pas1 que « le corset doit contenir et soutenir » ? En plus, il possède des vertus utiles à l’homme qui veut séduire une femme et conquérir un pays : « Le corset est un attirail très évocateur et ambigu dans la culture occidentale. La dimension érotique lui est en quelque sorte surajoutée puisqu’à l’origine il était plutôt un instrument de la domination mâle (…). Ils contribuent à l’effet de distance, une distance qui n’est pas seulement historique mais symbolique, le corset enfermant le sujet dans une identité inaccessible et mystérieuse. »2

Tout ceci a manqué en l’occurrence. Il aurait fallu immobiliser la douzième côte, dite flottante et donc sujette à chuter, à propos de laquelle l’Encyclopédie méthodique d’Hypp. Cloquet (Paris, 1823) dit : « elle ne diffère de la précédente que par son excessive brièveté ». La durée maximale du mandat actuel à l’Élysée est effectivement plus courte que la précédente, mais de là à en prédire l’excessive brièveté est encore quelque peu prématuré.


1 Dans son Cours d’hygiène, fait à la Faculté de médecine de Paris (1852).
2 Sylvie Camet, Tableau de l’Homme Nu. Essai sur Richard Lindner, p. 119. Éditions Complicités, Paris, 2005.

L’abus d’alcool…

Classé dans : Langue — Miklos @ 0:46

« Bientôt, les patois auront complètement disparu ; beaucoup de mots employés par les pères ne sont déjà plus intelligibles pour les enfants, et l’on doit se hâter de les recueillir, si l’on porte quelque intérêt aux origines de la langue. » — Edélestand du Méril, Dictionnaire du patois normand, [1849] (cité par Decorde, cf. ci-desous)

En cette période de célébrité médiatique du chti, il est bon de rappeler qu’il n’y avait pas qu’un unique dialecte dans le nord de la France (voire au nord de Paris…), mais une grande variété. Quoi qu’il en soit, cette notoriété aura permis à quelques expressions savoureuses de monter (ou descendre) à Paris et ailleurs en France.

C’est en feuilletant le Dictionnaire du patois du pays de Bray de Decorde1 (Paris, 1852) que l’on est tombé sur une expression somme toute encore assez familière : à tire-larigot, utilisée souvent dans l’expression boire à tire-larigot. Selon le Trésor de la langue française, on la trouve déjà chez Rabelais ; elle possède aussi le sens plus général de « en grande quantité, en abondance », et proviendrait d’une chanson du xve siècle dont le refrain est « Larigot va Larigot, Mari, tu ne m’aimes mie ». Par contre, Decorde fournit une définition plus intéressante dans son Dictionnaire :

Tirlarigo (boire à), boire avec excès. Ce proverbe remonte au xiiie siècle. A cette époque, Eude Rigaud, archevêque de Rouen, fit don à sa cathédrale d’une cloche qui était si difficile à mettre en branle, qu’il dut s’engager à fournir à boire aux sonneurs. C’est de là que nous vient le proverbe : Boire à tire la Rigaud (Voir notre Essai sur Londinières, page 237).

Cette étymologie est ancienne : on la retrouve par exemple dans les Memoires pour l’histoire des sciences et des beaux-arts, anthologie de textes publiée en 1741.

Une explication différente en fait remonter l’origine à un instrument de musique moins encombrant :

« Fleury de Belligen explique autrement ce proverbe : “Le larigot, dit-il, est une petite flûte d’ivoyre, semblable au sifflet d’un enfant, qui rend un ton fort haut, et parce que ceux qui en jouent soufflent de toute leur force, et tirent à perte d’haleine, quand nous beuvons à longs traits et que nous levons le coude et haussons le menton avecques le verre comme ceux qui flutent avec un larigot, pour boire jusqu’à la dernière goutte, nous appelons cela boire à tire-larigot. (Page 203.) »

M. Le Roux de Lincy, Le Livre des proverbes français,
tome second. Paris, 1859

Tout organiste aura entendu parler du larigot, nom d’un des jeux imitant le son de cette flûte. Un curieux passage des Remarques nouvelles sur la langue françoise (troisième édition, Paris, 1682) de Dominique Bouhours fait d’ailleurs remonter larigot à fistula, flûte, en latin. Nous ne résistons au plaisir d’en citer quelques extraits savoureux (et notamment sa conclusion à la fin du second paragraphe, tout en humour très british) :

M. Ménage2 est sans doute un des premiers grammairiens du Royaume ; car quoy-qu’il ait l’esprit universel, & que ce soit une des plus grandes memoires du monde, il s’est attaché toute sa vie à la grammaire. Mais c’est particulièrement dans les étymologies où il excelle : il semble avoir l’esprit fait tout exprés pour cette science ; il semble mesme quelquefois inspiré, tant il est heureux à découvrir d’où viennent les mots. Par exemple, n’a-t-il pas eû besoin d’une espece d’inspiration pour trouver la veritable origine de jargon & de baragouïn. Jargon, selon luy, vient de barbaricus, & et voicy sa généalogie en droite ligne : Barbarus, barbaricus, baricus, varicus, üaricus, guaricus, guargus, gargus, gargo, gargonis, jargon. Baragoüin est le proche parent de jargon : Barabarus, barbaricus, barbaracuinus, baracuinus, baraguinus, baragoüin.

Il n’y a rien de plus clair, & de plus net, & je ne doute pas que M. Ménage ne se sçache tres-bon gré de cette nouvelle découverte : car autrefois il ne croyoit pas que jargon & baragoüin fussent originaires du mesme païs, ni qu’il sortissent de la mesme tige. Il veut dans ses Origines de la Langue Françoise que jargon soit espagnol, & baragoüin bas-breton. Il fait descendre l’un de gerigonza, & l’autre de bara & guin, qui signifient en Bas-Breton pain & vin3. Tant il est vray que les mots, comme les hommes, viennent d’où l’on veut.

(…) Quoy qu’il en soit, nous devons à M. Ménage une infinité de connaissances semblables : & c’est luy qui avec cette faculté divinatrice que M. de Balzac luy attribuë, a découvert que (…) boire à tire larigot, venoit de fistula ; fistula, fistularis, fistularius, fistularicus, laricus, laricotus, larigot, & de-là, dit-il, boire à tire larigot. Tout cela est beau & curieux. M. Ménage triomphe en ces sortes de matieres ; c’est son fort que les étymologies. Aussi dans ses Observations sur la Langue il réüssit admirablement, quand il s’agit un peu d’étymologie : comme on peut juger par les chapitres de jargon, de baragoüin, de laquais, de larigot, & par les chapitres où il demande s’il faut dire trou de chou, ou tronc de chou ; letrin, lutrin, ou lieutrin ; salmigondin, salmigondis, ou salmigondi, &c. Dés qu’il sort de l’étymologie, il sort en quelque façon de son caractere (…)

Enfin, Pierre Borel, dans son Dictionnaire des termes du vieux français (1882) affirme (sans preuve, selon ses critiques) :

Larigaude. Le gosier; de larinx. D’où vient ce que l’on dit, Boire à tire-larigaud.

Devrait-on répéter à propos de son étymologie ce que Bouhous disait de celles de Ménage ? Et pourtant, on trouve aussi cette définition dans le Glossaire de la langue romane de Jean-Baptiste Bonaventure de Roquefort (Paris, 1808), et l’on remarquera que la contrepartie du larynx de l’homme est le syrinx chez l’oiseau, terme synonyme de flûte de Pan (cf. Debussy) : on en revient toujours à la flûte, musicale ou d’alcool… Ce qui nous ramène, pour finir, vers ce souvenir personnel d’une affiche d’autrefois dans le métro sur laquelle un enfant implorait : « Papa, ne bois pas. Pense à moi. » Et l’on a vu de nos yeux vu celle où une main facétieuse avait rajouté « tout » à la fin de la première phrase. Santé !


1 L’Abbé Jean-Eugène Decorde, curé de Bures, membre de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen, de la Société des Antiquaires de Normandie, de la Société des Antiquaires de Picardie et de la Société d’Émulation d’Abbeville.
2 Gilles Ménage (1613-1692), grammairien, lexicographe, auteur du Dictionnaire étymologique de la langue française (1694) et de Mulierum Philosopharum Historia, récemment traduit et publié chez arléa sous le titre Histoire des femmes philosophes.
3Ménage aurait dû s’en tenir à ses premières dérivations : selon le Trésor de la langue française et d’autres sources (Littré, Britanica), jargon proviendrait de gargun, « gazouillement des oiseaux » et serait effectivement apparenté à l’espagnol gerigonza. Quant à baragouin, le Trésor de la langue française indique que son origine est contestée et, après avoir repris l’étymologie bretonne proposée par Ménage, rajoute :

Différents faits confirment cette hyp. : ce mot apparaît dans l’ouest de la France et s’est vulgarisé un siècle après la réunion de la Bretagne à la France; il est en 1391 opposé à chrestian et françois et est appliqué à un habitant de Guyenne par un homme d’Ingré, Loiret (Dauzat, Festschrift für Ernst Tappolet, supra); prob. à l’orig. sobriquet désignant les Bretons, tiré de leur expression favorite « pain vin » entendue dans les auberges fr.; cf. le nom de famille Painvin relevé par Dauzat dans Fr. mod., t. 17, p. 162, en Loire inférieure; cf. aussi la chanson citée par le Dict. de bas-bret. de Villemarqué, p. XL dans Littré : Baragouinez, guas De basse Bretagne, Baragouinez, guas, Tant qu’il vous plaira.

On retrouve cette explication chez Littré.

27 avril 2008

De clics et de claques

Classé dans : Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 17:04

« Fluctuat nec mergitur. » — Devise de la Ville de Paris

Pour qui ne veut être noyé dans le flux incessant des informations dont il est la cible numérique, la vie est parfois tout aussi dure que s’il s’y laisserait engloutir par facilité ou par fatalité. Prenons pour exemple Biblio-FR, la foisonnante liste de diffusion des bibliothécaires et documentalistes francophones, qui comprend plus de 16.000 abonnés : au lieu d’en recevoir les vagues de messages – plus rares aujourd’hui qu’auparavant mais bien plus volumineuses – dans une boîte à lettres, qui, filtrée ou non, se remplit à en déborder des spams et autres courriers indésirables qui la transforment en dépotoir dont il est difficile d’en extraire ce qui s’en démarque, on pourrait choisir d’en consulter les messages à la demande : son hébergeur, le CRU, a mis à disposition des archives en ligne des échanges remontant à son origine en 1993, et, comble de la modernité, des flux RSS.

Or si l’on souhaite consulter un message dont l’intitulé est signalé par l’entremise du fil RSS (par exemple : « Re: Ras-le-bol (5 messages) »), on n’y parvient qu’après une série de n clics et de quelques claques. Comptons-les : le premier (1), sur l’intitulé du fil, ouvre un message dans lequel il est enjoint de cliquer (2) sur « Je ne suis pas un spammeur » ; on se trouve alors renvoyé sur la page d’accueil des listes du CRU, dans laquelle il faut cliquer (3) sur « Documentation », puis sur « biblio-fr@cru.fr » (4), et enfin sur « Archives » (5).

À ce stade, la liste des messages s’affiche. Elle diffère de celle qu’annonce le flux RSS, les contenus ne sont pas dans le même ordre, puisqu’ils y sont regroupés par discussions ; claque, l’article en question n’est pas visible. Pour y remédier, il suffit – encore faut-il le remarquer – d’un clic (6) sur « chronologique » puis finalement (7) sur l’article.

Par contre, si l’on pensait retrouver l’article après le 5e clic en sélectionnant (6) la case « Recherche » pour y saisir l’objet (« Ras-le-bol », ce qu’on commence d’ailleurs à marmonner tout bas) et l’ensuivre d’un clic (7) approprié, ce n’est pas forcément la meilleure stratégie, car après un moment qui paraît bien long, autre claque : le serveur répond « Internal Server Error »1. On revient patiemment en arrière (8), on tente la recherche avancée (9) où l’on décoche (10) « Contenu du message » et on limite l’étendue de la recherche au mois en cours (11) puis on la lance (12). Claque : « 0 occurrence(s) dans le champ Objet ». On revient en arrière (13), modifie le champ recherche (14) pour y inscrire « ras le bol » et rajouter (15) l’option « tous ces mots » ; puis on relance (16) la recherche : finalement, la liste s’affiche (et l’on comprend pourquoi l’étape 12 n’avait pas abouti : le serveur a rajouté partout des balises HTML qu’il n’ignore pas lors de la recherche). Le 17e clic permettra de lire l’article.

Bilan : au mieux, 7 clics pour accéder à l’article, au pire 17. Il se mérite… Et dire que les fils RSS étaient censés permettre d’y accéder rapidement !


1 À une autre heure de la journée, cette étape a réussi. Un 8e clic a permis de lire l’article.

Life in Hell : questionnement métaphysique

Classé dans : Actualité, Cuisine, Philosophie — Miklos @ 14:10

« Une chose parfaite est celle qui a un commencement, un milieu et une fin. (…) Or la fin est tout ce qu’il y a de plus important. » — Aristote, Poétique (VIII.3, VI.12)

« Tout est dans la fin ». — Gérard de Nerval (carnet trouvé sur son cadavre avec la suite du Rêve)

« C’est à cause que tout doit finir que tout est si beau. » — Charles-Ferdinand Ramuz, Adieu à beaucoup de personnages

Il fait beau. Akbar déjeune seul (Jeff chante) à la terrasse de son restaurant favori et déguste son menu préféré, tartare de saumon et verre de vin blanc, dont il avait été privé, pour raisons historiques, pendant la semaine passée.

Il se lève pour payer. Une dame s’approche, et lui demande, avec un délicieux accent américain : « Vous êtes fini ? »

Qu’aurait pu répondre Akbar à une telle question sans entrer dans d’inévitables considérations philosophiques sur sa fin qui auraient moins intéressé à ce moment, la cliente que sa propre faim ? Qu’il eusse fallu le demander à sa mère, chargée de sa conception qui lui semblait pourtant arrivée à terme depuis sa naissance ? Que son tailleur aurait pu la renseigner sur la finitude de sa circonférence pourtant croissante ? Que son employeur précédent n’était pas arrivé à le liquider, malgré ses tentatives ?

Il ne restait qu’une personne capable de la renseigner sur ce point. Akbar répondit : « Veuillez demander au serveur. » Conseil qu’elle s’empressa de ne pas suivre pour occuper immédiatement la table récemment libérée. Ils n’avaient pu le faire en 1944, ils le firent aujourd’hui.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

26 avril 2008

Drôles d’animaux

Classé dans : Actualité, Musique, Nature — Miklos @ 17:11

L’Angleterre est le pays de l’expression retenue et des bonnes manières. Et pourtant : le très sérieux Guardian rapportait, en 2005, que Barney, un perroquet âgé de cinq ans et pensionnaire du Nuneaton Warwickshire Wildlife Sanctuary, avait insulté le maire et le vicaire, lançant au premier un « Fuck off » et au second « You can fuck off too ». On taira ce qu’il a dit à deux policiers. Depuis cet incident, il n’est plus montré au public que sur demande et passe son temps enfermé dans une cage, condamné à écouter la chaîne Radio 4, et, le soir, à regarder les nouvelles et des documentaires à la télévision. Son maître, Geoff Grewcock, propriétaire du sanctuaire, espère que ce traitement améliorera le vocabulaire de son protégé qui est, par ailleurs, très poli : il dit « Thank you » chaque fois qu’on lui donne une friandise.

Trois ans plus tard, c’est au tour d’une autre pensionnaire de cette réserve de se distinguer : selon la tout aussi sérieuse BBC, Pippa, une cacatoès femelle frustrée âgée de dix-sept ans, s’est mise à couver des œufs de chocolat qu’elle a aperçus sur une table. Elle en est très protectrice, et attaque toute personne qui s’en rapproche, surtout si c’est un homme. On espère pour elle qu’ils écloront bientôt malgré leur nature ou fondront un jour de canicule : la durée de vie d’animaux de son espère étant de soixante-dix ans, elle pourrait attendre longtemps.

La vie est dure dans le Warwickshire. Non seulement on peut s’y faire insulter par un perroquet, mais piétons, cyclistes et conducteurs y sont exposés à des dangers bien plus réels : ces derniers jours, plus de 150 regards de chaussée en métal, ont été dérobés en l’espace d’une semaine, dont plus d’une trentaine en une nuit. Serait-ce l’affaire d’un gang de pies voleuses hébergées au Sanctuaire ? La police enquête.

Il y a tout de même quelques occasions de sourire et de se rincer l’œil en écoutant de la bonne musique dans ce comté. Selon le Coventry Telegraph, cinq musiciens de l’Orchestra of the Swan (établi à Stratford-upon-Avon, toujours dans le Warwickshire) ont participé à l’enregistrement de l’émission télévisée How To Look Good Naked (diffusion le 20 mai sur Channel 4, pour les amateurs de musique, rien que de musique). Cette émission aidera-t-elle à renflouer l’orchestre, qui s’était vu signifier, quelques jours plus tôt, l’arrêt de sa subvention la plus importante que lui versait le British Arts Council ? On le leur souhaite, d’autant plus que cet orchestre encourage régulièrement la création contemporaine : le 29 avril, il créera Broken Lute, œuvre commandée au compositeur Alexander Goehr.

Enfin, pour les amateurs de sport, on signalera que la ville de Rugby, où a été inventé le sport éponyme, se trouve dans ce comté. Elle a d’autres états de gloire : c’est là que sont nés le poète Rupert Brooke (que Yeats – écrivain, poète et dramaturge, prix Nobel de littérature – avait qualifié de « plus beau jeune homme de tout l’Angleterre ») et le scientifique Norman Lockyer, qui a découvert le hélium et fondé la revue Nature.

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