Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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21 janvier 2009

Une extravagance de Borromini

Classé dans : Architecture, Lieux, Photographie — Miklos @ 8:41

Escalier en colimaçon. Église San Carlo alle Quattro Fontane à Rome

«Le carrefour qui est formé par l’intersection de deux grandes rues, dont l’une va de Monte-Cavallo à la porte Pie, & l’autre de la Trinité du Mont à Ste. Marie Majeure, est orné par quatre fontaines, qui donnent leur nom à ce quartier-là, appellé quatro Fontane, où l’on a une des plus belles vues de Rome. Mais ces fontaines font mauvaises, à l’exception de celle du prince Barberini, qui est décorée de pilastres d’ordre dorique ; l’arrangement en est assez heureux, & l’enfoncement produit un bon effet, ainsi que la figure couchée qui est dessus ; elle représente une femme drapée, avec un chien ; mais cette figure en elle-même n’est point belle.

S. Carlo alle quatro Fontane, petite église du Borromini. On assure que l’église n’occupe pas plus d’espace qu’un des piliers de S. Pierre. Il y a dans une petite chapelle, un tableau de Romanelli, représentant la Vierge qui tient l’enfant Jésus, à qui un ange apporte une croix & la couronne d’épines, tandis que deux anges sont en adoration devant lui. L’enfant Jésus est joliment colorié : ce tableau est foible d’ailleurs.

Le tableau du grand autel & l’annonciation, qui est sur la porte de l’église, sont de notre célèbre Mignard, surnommé Mignard le Romain, à cause du long séjour qu’il avoit fait à Rome, mais qui mourut à Paris en 1695.

Le plan de cette église est ovale, aussi-bien que celui de la coupole. L’architecture est dans le goût singulier que le Borrimini affectoit pour l’ordinaire ; » on peut même la regarder comme une des plus grandes extravagances de cet architecte. Il a affecté de mettre de la bizarrerie jusques dans les moindres détails. (Voyez ce que j’ai dit aux sujets de ces innovations, Tom. I.)

M. de La Lande, Voyage en Italie, t.3. Paris, 1787.

Symboles pour le peuple

Classé dans : Architecture, Histoire, Langue, Lieux, Photographie — Miklos @ 2:09


L’obélisque de la Piazza del Popolo à Rome

«L’obélisque de la place du Peuple est de granit rouge couvert d’hiéroglyphes ; il a soixante-quatorze pieds de haut. La mode, toute-puissante dans les sciences comme ailleurs, fait qu’en 1829 on croit fermement à Rome aux découvertes hiéroglyphiques de MM. Young et Champollion. Le pape Léon XII les protégeait ; car enfin un prince, au dix-neuvième siècle,» doit bien protéger quelque chose de relatif aux arts ou aux sciences. Croyons donc, jusqu’à de nouvelles découvertes, que cet obélisque fut érigé à Héliopolis par le roi Ramessès pour servir de décoration au temple du Soleil.

Stendhal, Promenades dans Rome. Paris, 1858.

«On a pensé depuis l’antiquité que les inscriptions des obélisques renfermaient de grands mystères. Si l’on en croyait Pline, les deux obélisques qu’Auguste avait fait transporter à Rome auraient contenu l’explication des phénomènes naturels selon la philosophie égyptienne. Ces obélisques existent encore, l’un est sur la place du Peuple, l’autre sur la place de Monte-Citorio, et on peut affirmer qu’ils ne présentent aucun enseignement philosophique ou scientifique. Les obélisques n’ont offert jusqu’ici rien de pareil ; tous sont couverts de formules assez vagues exprimant la majesté, la puissance du Pharaon qui les a élevés, mentionnant les édifices qu’il a fait construire, les ennemis qu’il a vaincus.» La traduction des hiéroglyphes qu’on lit encore aujourd’hui sur l’obélisque de la place du Peuple, et qu’Ammien-Marcellin a donnée d’après Hermapion, offre une idée assez juste de ce genre de dédicace. »

Ampère, « Voyage et recherches en Egypte et en Nubie », Revue des Deux mondes, 1846.

20 janvier 2009

Ils sont partout

Classé dans : Littérature, Médias — Miklos @ 23:12

La dernière page de Libé propose chaque jour un portrait bref, souvent amusant ou percutant, décalé ou iconoclaste, d’une personnalité. Le mariage parfois très réussi entre le texte et la photo choisie pour l’illustrer est un plaisir qu’on ne peut savourer que dans la version papier (bonne raison de l’acheter ; en plus, les mots croisés sont un défi stimulant).

Cette rubrique était consacrée hier à Hervé Claude. Il faisait partie de ces présentateurs de France 2 (et autrefois Antenne 2) intelligents, fins, cultivés et pince-sans-rire, pour certains plus british que british, dont l’incarnation absolue aura été sans nul doute le regretté Bernard Rapp. Mais on se souvient aussi avec plaisir de l’élégant Claude Sérillon, du séduisant Philippe Lefait ou du pétillant Bruno Masure.

Pour les besoins de l’article, Hervé Claude a été photographié en peignoir (la version en ligne de l’article est illustrée bien plus sagement ; raison de plus d’acheter le journal). La journaliste laisse entendre que c’était une suggestion du photographe, tout en précisant que « le nudisme a les faveurs » de l’interviewé (on suppose donc que le photographe était déjà au courant).

Hervé Claude a quitté l’antenne en 19941, même s’il en a disparu en 1990, et est devenu écrivain, ce que nous ne savions pas. « Agréables polars », dit l’article… Formulation plus retenue que « se laissent lire » ? Il aurait fallu, pour s’en assurer, pouvoir voir l’œil de la journaliste au moment où elle écrivait ces mots, et en comparer le pétillement à ceux d’un Bruno Masure parlant au second degré. En tout cas, l’article ne s’étend pas sur sa production littéraire ; curieux, on a posé le journal et consulté l’internet. Oh surprise, on est tombé sur deux versions d’un de ses ouvrages, dont la seconde ne manque pas de nous intriguer :

Nous avons cherché une explication à ce titre plus mystérieux (et british) que le premier, et c’est dans le Musée des familles. Lectures du soir de 1858-1859 qu’on l’a trouvée :

— Il faut, dit-elle tout à coup en hochant la tête, que Gaspard ait une raison pour refuser si beau parti !

— Certainement, murmura Roquebrune, mais laquelle ?…

— Celle qui prévaut à son âge… Il a d’autres visées !…

— Nous y voilà ! s’écria le syndic, et je sais maintenant pourquoi il passe toutes ses soirées rue du Loup…

— Qui vous a dit qu’il s’y rendait ? demanda Roquebrune.

— Le fifre Mathelin, qui l’y a suivi par mes ordres.

— Ah ! et où va-t-il, le bandit ? dans quelque tripot, je m’assure !…

— Point ! Il va dans une maison qui appartient au juif, l’inondé de Tounis.

— Eh quoi ! le misérable ose entrer dans cette maison ?

— Et il paraît s’y plaire, car il n’en sort souvent qu’après minuit sonné.

— Je suis sûr qu’il se passe là des mystères diaboliques!

— Et moi, je croirais plutôt que la principale diablerie gît dans les yeux de la fille du juif, qu’on dit d’une beauté rare…

Mary-Lafon, « Le Capitoul de Toulouse »

Espionnage, orientalisme, amour… ça promet !


1 La Wikipedia française est très floue sur les dates de la carrière d’Hervé Claude au journal de France 2 (et Antenne 2 auparavant) : dans le corps de sa biographie, elle affirme : « Il a présenté le journal d’Antenne 2, puis France 2, de 1975 à 1994 ». Au bas de ce même texte, elle indique qu’il a présenté le journal de 20h de 1983 à 1994, tandis que dans la page consacrée à la liste des présentateurs de ce créneau à France 2, il y est mentionné « 1990-1994 » (une différence non négligeable de sept ans, tout de même). Quant au journal de 13h, il y serait resté de « mars 1985 à septembre 1986 », puis de « septembre 1990 à 1992 », selon la page consacrée à ce créneau-là. On est curieux de savoir quels autres créneaux il a pu occuper à cette antenne de 1975 à 1983 (ou 1990).

19 janvier 2009

Life in Hell : Akbar appelle un chat un chat et un corbeau un corbeau

Classé dans : Actualité, Société — Miklos @ 23:57

« Se reconnaîtra qui voudra dans cette fidèle peinture, on n’en craint point les conséquences ; on est bien aise même que Thersite sache à quel point on le hait et on le méprise : on en fera profession publique quand il le faudra. » — Voltaire, Lettre II à M. Le Comte d’Argental

«Je ne suis point doué de cette flexibilité d’esprit et de talent qui laisse à la disposition de l’écrivain qui la possède le choix du sujet qu’il veut traiter. La pensée qui me saisit, le sentiment qui me domine est le seul que je puisse exprimer. Ce serait donc en vain que j’essaierais aujourd’hui d’occuper mes lecteurs d’objets étrangers à la profonde indignation qui s’est emparée de moi. Je dois dénoncer au tribunal de l’opinion publique (puisque les lois ne peuvent l’atteindre) un délit dont les progrès annoncent le dernier degré de la corruption des mœurs : on voit déjà qu’il s’agit de ces messagers de ténèbres, de ces auteurs et facteurs d’écrits anonymes contre lesquels les honnêtes gens ne sauraient trop se prémunir. (…) Comment se fait-il que ce soit à l’époque glorieuse où nous vivons, dans une ville, » centre de la politesse et de toutes les qualités sociales, que se développe le germe du fléau le plus odieux dont la société puisse être infectée, que se multiplient les exemples d’un délit qui ne diffère de l’empoisonnement que par l’impunité légale dont il jouit encore ?

M. de Jouy, L’Hermite de la Chaussée-d’Antin, ou Observations sur les mœurs et les usages français au commencement du xixe siècle. Paris, 1815.

«L’orthographe de ces lettres anonymes est assez correcte, l’écriture jolie ; » elles sont, à proprement parler, littéraires, comme la révolution de Juillet. Ce sont les jalousies, les haines, les vanités écrivassières, à l’aise sous l’inviolabilité d’une poltronnerie qui, ne montrant pas son visage, ne peut pas être rendue visible par un soufflet.

Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe. Paris, 1860.

«Apollonius en Philostrate appelle la medisance : Un abregé de tous vices, faisant patir au prochain toutes sortes de maux. Quelqu’un aussi la comparoit aux mouches, qui naissent de corruption, & la rejettent par tout : & quelqu’autre escrivoit; Qu’elle enterre les vivans, & deterre les morts. Un Laconien d’ailleurs enquis, si son espée qu’il affisloit estoit bien aiguë, ne sçeut trouver de plus sortable comparaison à representer le fil mortel de sa poincte, que celle-cy : Elle perce, repliqua-il, comme une calomnie. Or toute medisance sans necessité publique ou privée, fust-elle vraye, est reprochable à l’égal d’une calomnie, c’est-à-dire à l’égal d’une medisance menteuse & appostée : » & de plus, tient lieu de medisance fance sur la conscience du parleur, & s’appelle calomnie pure & supposée, si elle n’est entierement cogneuë de luy pour veritable : tous ces excés de langue emportent un pareil reproche : cela n’est qu’une mesme cadence.

Marie de Gournay, Textes relatifs à la calomnie. Textes établis, annotés et commentés par Constant Venesoen. Gunter Narr Verlag, [s.d.].

«Un abus plus intolérable encore est celui des lettres anonymes. Ce n’est pas qu’il ne soit quelquefois utile de donner un avis charitable a des personnes auxquelles on s’intéresse » et dont on ne peut pas se faire connaître sans inconvénient ; mais le plus ordinairement la lâcheté, la perfidie se servent de cette arme hypocrite pour porter le trouble dans les familles ou pour jeter dans l’anxiété des personnes qui ont besoin de repos.

M. W. Duckett (éd.), Dictionnaire de la conversation et de la lecture. Inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous…. Paris, 1853.

«Par le statut 9 Geo. I, chap. 22, (Black Act), il est déclaré que toute personne qui enverra des lettres anonymes, ou sous un nom supposé, contenant des menaces et demandant de l’argent &c. ou autre chose, sera coupable de félonie sans bénéfice du clergé. Tout délinquant qui ne se constituera pas prisonnier après qu’il en aura été requis par proclamation du roi à cet effet, et qui ne révélera pas les noms de ses complices, » sera de même coupable de félonie, sans bénéfice du clergé. Enfin toute personne qui sciemment, après le temps fixé par la dite proclamation, recevra, cachera ou assistera et aidera tels délinquants, sera coupable du même crime.

Jacques Crémazie, Les Lois criminelles anglaises traduites et simplifiées. Québec, 1842.

«Un autre enfant de la verte Erin, actuellement à New-York, a dit ces jours derniers un mot qui, pour la naïve bonhomie, ne le cède en rien à la lettre d’O’Connell. » « Je reçois, disait-il à un de ses amis, une infinité de lettres anonymes tout à fait insultantes, mais je les méprise trop pour m’en chagriner ; car lorsque moi je m’abaisse à écrire des lettres anonymes, je les signe ».

Joseph Marie Le Quérard, Le Quérard. Archives d’histoire littéraire, de biographie et de bibliographie françaises. Paris, 1855.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

Prêt-à-porter : culture pour tous

Classé dans : Histoire, Langue, Lieux, Médias — Miklos @ 22:28

La rubrique Culture du fil des nouvelles de l’AFP sur Le Monde met en exergue – c’est le moins qu’on puisse dire – la nouvelle stratégie d’une marque de prêt-à-porter. Ses brèves développent : « Cacharel, célèbre dans les années 70 pour son imprimé Liberty, veut “revenir à un produit conforme à son identité” et “repartir à la conquête du marché français”, a déclaré lundi à l’AFP le directeur général délégué de la marque de prêt-à-porter, Marc Rama­nantsoa. “L’idée est de redonner un coup de fouet à la marque, de moder­niser son image”, a ajouté M. Rama­nantsoa. Il s’agit de “revenir à un produit très Cacharel”, avec “un côté très innocent, poétique, romantique”. »

On est en droit d’être interloqué de voir cette nouvelle, aussi importante soit-elle, classée ici : s’agit-il peut-être d’« industries culturelles » ? Suffit-il d’affirmer le côté « poétique et romantique » d’un produit pour en faire un objet culturel ? Et quand Cacharel assure avoir entrepris « une montée en gamme très forte », parlent-ils là de celles sur lesquels nous peinions, enfants, au piano ?

La confusion entre couture et culture n’est pas récente (et n’est pas sans évoquer celle qui rapproche costume et coutume). Ainsi, on pouvait lire la définition suivante au xixe siècle :

«Couture. s. f. division d’une commune rurale, désignation de situation d’un champ.» Le nom de chaque — est le plus souvent dû au genre de végétaux qui y croissait, avant qu’elle fut tout entière livrée à la culture : couture d’aulnoi, du quesnoi, du jonquoi, du genestroi, du frasnoi. Le mot provient sans doute d’une corruption de culture. v. fr, costure.

J. Sigart, Dictionnaire du wallon de Mons, Bruxelles et Leipzig, 1866.

Admettons : il s’agit ici de la culture des végétaux et non pas de celle des esprits, mais l’on voit bien la périlleuse proximité de ces deux termes. D’ailleurs, bien plus près de nous géographiquement – à Paris – et bien plus loin dans le temps – au xiiie, on trouvait déjà l’usage de l’un pour l’autre :

«Couture. — On prétend qu’au commencement du xiii° siècle, quatre professeurs de l’Université, dégoûtés du monde et saisis d’un vif désir de se sanctifier dans la solitude, choisirent pour retraite une vallée déserte de la Champagne, où, du consentement de l’évêque de Langres, ils fondèrent un oratoire et se bâtirent des cellules. Le bruit de leurs vertus attira autour d’eux une grande quantité d’écoliers, et leur réunion donna naissance à l’ordre du Val des Écoliers, qui fut approuvé par le pape Honorius III, en 1219. Cet ordre fit des progrès rapides. En 1229, un bourgeois de Paris, à l’instigation de Jean de Milly, trésorier du Temple, fit don aux chanoines du Val des Écoliers de trois arpens de terre cultivée qu’il possédoit près de la porte Saint-Antoine. Sur ces entrefaites, les sergens d’armes de Saint-Louis voulurent, dit-on, accomplir un vœu qu’avoient fait les sergens d’armes de Philippe-Auguste pendant la bataille de Bouvines, de bâtir une église s’ils triomphoient de leurs ennemis. Ils construisirent donc l’église destinée aux chanoines du Val des Écoliers, dont Saint-Louis posa la première pierre. Elle fut dédiée sous le nom de sainte Catherine que l’ordre avoit prise pour patronne, et le prieuré prit le nom de Sainte-Catherine de la Couture (culture), ou de Sainte-Catherine du Val des Écoliers. En 1767, les chanoines de la Couture furent transférés dans la maison des Jésuites, dont l’église est aujourd’hui une paroisse » sous le titre de Saint-Paul-Saint-Louis, et l’on destina l’emplacement du prieuré Sainte-Catherine à l’établissement d’un marché qui fut créé quelques années après, et qui se tient encore au même endroit.

H. Géraud, Paris sous Philippe-le-Bel. Paris, 1837.

Le marché a disparu, mais la petite place tranquille qui en perpétue la mémoire vaut le détour et mérite qu’on s’y attarde.

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