Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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27 août 2010

Facebook s’approprie le livre, ou, la raison du plus fort est toujours la meilleure

Classé dans : Actualité, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 7:54

Selon le Chicago Tribune, le méga réseau social, non content d’avoir voulu s’approprier les informations, toutes les informations (pour reprendre une expression non encore © par notre AMI à tous), concernant son demi milliard d’abonnés même après qu’ils s’en soient désabonnés (encore faut-il oser le faire, et le mouvement qui encourage à le faire n’a pas eu un franc succès), poursuit en justice une startup qui développe des outils à destination des instituteurs pour leur permettre de gérer leurs classes et de partager des ressources.

Où est le crime ? elle a eu le culot d’utiliser le mot « book » dans son nom : Teachbook.com. Où est la terrible menace pour Facebook ? C’est un concurrent potentiel, qui a (selon la victime) une activité de réseau social et donc la confusion nuira au monopole de Facebook.

Si ce signe des temps – les Molochs paranoïaques dévorant tout et étouffant ainsi l’initiative individuelle et citoyenne – n’était si triste, il ne manque pas d’ironie : cette entreprise compte deux employés et vingt abonnés…… Caveat, Google Books…

26 août 2010

Aujourd’hui il y a 66 ans

Classé dans : Actualité, Histoire, Médias — Miklos @ 23:17

Le Figaro, 26 août 1944

Le Figaro, 26 août 1944 : extraits de l’article de L. Gabriel-Robinet.

Le Figaro, 26 août 1944 : encadré.

La (miss) France éternelle

Classé dans : Actualité, Médias, Société — Miklos @ 19:55

Malgré ses déboires avec une certaine Société de Production Télévisuelle et/ou avec son fils qui avait vendu le bijou de famille à la dite Société pour une somme qu’elle ne connaît pas, juré promis, mais ce n’est pas un million d’euros, c’est sûr, ça elle le sait, donc malgré ces déboires, la célèbre et tant aimée Dame au Chapeau à Larges Bords continue de porter haut et fort non seulement son non moins célèbre couvre-chef, mais sa mission quasi religieuse (l’enfance, ça marque pour toute la vie) de dégotter la plus belle et mieux dimensionnée jeune femme – toutes couleurs comprises, mais pas tous genres de vie, et la morale, hein ? – à la démarche et au comportement très cadrés, et lui faire conquérir pour un an les médias de France, de Navarre et du monde. Elle ne peut plus se prévaloir du titre qu’elle a inventé, mais elle en a un autre dans sa manche (car elle en a : elle ne s’habille pas comme ces filles qui vont jusqu’à montrer leurs seins nus et les laisser peindre), c’est une fameuse joueuse de poker, qu’on se le dise.

Comble du preview télévisuel et réussite de la science fiction, France 5 nous a fait voir aujourd’hui l’émission qui sera enregistrée dans un an avec la Mère des Miss (les vraies), où l’on constate qu’elle est une des valeurs sûres de la France : elle ne change pas. On ne pourra voir ou revoir la vidéo sur le site : la page qui le propose de façon alléchante ne diffuse qu’une publicité, suivie d’un écran noir annonçant Vidéo non disponible. Rendez-vous dans un an ?

Entre temps, on espère que la chaîne apprendra l’orthographe (ou alors que celle-ci sera réformée à temps pour correspondre à ces nouveaux usages avant le 26 août 2011).

22 août 2010

Tant qu’on a la santé…

Classé dans : Actualité, Cinéma, vidéo, Société — Miklos @ 15:36

Le 7 juillet 2010 doit être marqué d’une pierre blanche : c’est le jour où est ressortie l’intégrale des films du réalisateur Pierre Étaix, le Buster Keaton français, disent ces Américains en mal de comparer tout à leur aune. L’analogie n’est toutefois pas si fausse, ce genre de burlesque qui met en scène un personnage aux prises avec une réalité qui le dépasse, qui le transforme en pantin, se retrouve bien chez nous au cirque – Étaix s’y était produit en tant que clown – mais au cinéma il rappelle plutôt les anglophones, à l’instar de Laurel et Hardy et de Charlie Chaplin (dont il avait adoré les films dans son enfance), ou de Harold Lloyd. Et, c’est frappant, Jacques Tati, pour lequel il avait travaillé plus tard – « il m’a jeté dans l’eau bouillante, il m’a mis sur le tas tout de suite, c’est la meilleure façon d’apprendre son métier » –, lui ouvrant ainsi le chemin vers la réalisation cinématographique.

Ces films, on le sait, étaient bloqués à la suite d’un imbroglio juridique sur les droits (et leurs détenteurs, on le constate malheureusement de nos jours, mettent de façon croissante des freins parfois insurmontables à la sauvegarde et à la diffusion du patrimoine de la création artistique du xxe s.). C’est heureusement réglé pour Étaix de son vivant. Le cinéma parisien Le Latina projette en ce moment une rétrospective de ses films remarquablement bien restaurés avec sa collaboration.

Tant qu’on a la santé est une courte tétralogie tendre et hilarante, où l’on voit bien en quoi Étaix se distingue de Tati. Chez ce dernier, le cadre est une hyper-réalité hyper-esthétique, qui fait ainsi ressortir les travers de la société, ses aspects superficiels, consensuels, mécaniques et déshumanisants, tandis que chez Étaix c’est Alice de l’autre côté du miroir, là où l’inversion, l’abolition des frontières entre le rêve et l’éveil, le fantastique et le banal, la fiction et la réalité en font ressortir les contradictions et les défauts.

Pierre Étaix relate ainsi le contexte de la sortie de ses films :

C’était au lendemain de mai 68. Mai 68 fut une révolution, ou une pseudo révolution sans le sang, un besoin éperdu de changer une société à travers le monde, d’ailleurs, pas seulement au point de vue national mais partout. On avait le sentiment qu’après mai 68 on ne reverrait plus tous ces abus dans la publicités, toutes ces plages inondées de monde, tous ces campings, ce Tour de France qui proposait des choses inimaginables, des jeux imbéciles, enfin, que sais-je… Pas du tout : c’était reparti à cent à l’heure et ça dépassait même tous les espoirs.

Alors j’ai été profondément ulcéré par l’attitude des gens qui organisaient ça et j’ai voulu montrer des victimes consentantes, en quelque sorte, en me disant que ces victimes, lorsqu’elles allaient se voir, allaient dire « Ben non, alors ça c’est pas vrai qu’on soit reparti dans ce monde-là ». Mon seul souci était de faire rire les spectateurs avec ça.

Au lieu de ça, il s’est passé le phénomène inverse. Ça a révulsé la critique entière, qui a dit : « Vous vous attaquez à une couche sociale » alors que je tapais dans le tas, je n’étais pas particulièrement axé sur une couche sociale.

Effectivement : Tant qu’on a la santé met en scène des couples (l’assortiment ne manque pas de surprises) au lit comme à dans à la campagne, un médecin et ses patients (on se demande qui est le plus malade), un bourgeois qui se prend pour un chasseur mais incapable de tirer un animal, un paysan tout aussi incapable de monter une barrière, la publicité qui déborde de l’écran (ambiguïté que l’on retrouvera bien plus tard dans La Rose pourpre du Caire de Woody Allen, par exemple), les embouteillages homériques que les conducteurs sont contraints de prendre en souriant, la pollution omniprésente – bruits, fumées… – bien loin de l’univers parfai­tement propre de Tati –, tout ce qui ne manquera de faire écho, pour le spectateur contemporain, avec certaines de ses expériences personnelles.

Ben non, alors ça c’est pas vrai qu’on soit reparti dans ce monde-là… Merci, Pierre Étaix.

Le poids d’un livre

Classé dans : Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 8:25


Mathias Stomer (1600?-1652?) : Jeune homme lisant à la chandelle.

Chaque livre possède deux poids différents : d’une part, un poids physique et, d’autre part, un poids subjectif qui se rapporte au contenu du livre, voire à son importance. Combien de fois nous retrouvons-nous, en quittant un lieu, devant ces décisions difficiles : quels livres aimerions-nous ou pourrions-nous emporter ? — Walter Benjamin, Je déballe ma bibliothèque.

Il entre dans la grande librairie, les mains dans les poches. Son regard embrasse les nombreuses étagères où se pressent les uns contre les autres, comme la foule dans le métro aux heures de pointe, des livres de toutes tailles. Sur les tables qui dessinent un labyrinthe qu’il parcourt tranquillement, ils sont disposés à leur aise, étalés comme des vacanciers sur une plage exhibant leurs belles couleurs.

L’un d’eux attire son attention, et pourtant – ou parce que ? – c’est le plus discret de tous : sur sa couverture jaune pâle, le nom de l’auteur est écrit en petites capitales ; plus bas, les quatre mots du titre sont disposés sur deux lignes comme un haïku, la première en romaine, la seconde en italique ; puis vient la rose des vents de l’éditeur entourée de sa noble devise, et enfin son nom et l’année. Il n’a rien d’aguicheur, il est posé là, patiemment, on ne sait depuis quand, comme hors du temps.

L’homme tend calmement la main gauche vers lui ; le livre n’a pas de geste de recul, au contraire, on dirait qu’il pressent que sa longue attente, qui n’a pourtant rien de pesant, va se terminer. Les doigts effleurent le carton fin et à peine ondulé de sa couverture sur laquelle on distingue des lignes horizontales presque imperceptibles. Ils se glissent sous la tranche et soulèvent délicatement le livre.

Son poids. La juste mesure : il se laissera lire sans se terminer trop rapidement ni en lasser le lecteur qui l’abandonnerait avant la fin, comme un plat trop copieux.

L’homme le retourne et parcourt du regard la liste des autres ouvrages de l’auteur chez le même éditeur qui en habille la quatrième de couverture. S’il osait – mais il n’est pas ici chez lui, dans l’intimité de sa bibliothèque –, il humerait alors le livre tel un tastevin un verre de vin de Loire, en espérant que les odeurs criardes de ses voisins ne l’aient pas imprégné.

Sa main droite sort finalement de sa poche. Le pouce sur la tranche, il l’entr’ouvre avec attention ; le livre est relié, mais il ne veut en casser le dos. D’ailleurs, c’est ainsi qu’il traite tous les livres qu’il a lus ; une fois refermés, ils reprennent leur aspect d’origine et, quand il y reviendra bien plus tard, ils seront comme neufs, peut-être à peine un peu fanés comme des amis qu’on avait perdus de vue sans pourtant les oublier, et ce sera une nouvelle découverte.

Le velin presque blanc a une texture agréable : il ne glisse pas sous les doigts comme une peau distendue et froide. Les lettres y semblent à leur aise, leur disposition est aérée, dans une même ligne comme d’une ligne à l’autre. Les paragraphes sont indiqués par un simple retrait, ou, quand ils sont plus conséquents, séparés de leurs voisins par un espace au centre duquel se trouve un astérisque.

Les pages ne sont pas massicotées, l’homme ne goûte qu’un peu du texte ici et là, il ne peut céder à la tentation de lire le livre là, tout de suite, ou dans la rue en sortant de la librairie : il ne s’effeuille pas ainsi. Quand il l’entamera vraiment chez lui, le coupe-papier à la main, il devra s’arrêter régulièrement pour se frayer un chemin plus avant. C’est en le dégustant ainsi qu’il en saisira mieux encore le poids, celui de son contenu.

*

Ce n’est pas un livre qu’il trouverait en ligne. Numérisé, il n’aurait ni poids, ni odeur, ni texture ; il n’aurait pas d’épaisseur, ne se laisserait feuilleter des doigts ; petit ou grand il s’afficherait de la même façon à l’écran. Il ne pourrait le mettre dans sa poche, le lire dans son lit ou en marchant dans la rue, le disposer ouvert sur la table auprès d’autres livres ouverts pour en comparer un passage. Quant à son bon vieux et ventripotent dictionnaire encyclopédique Larousse, qu’il aime lire enfoncé dans un fauteuil, l’un des volumes confortablement installé dans son giron, les yeux errant d’une définition à l’autre au hasard de sa curiosité, tout réduit à l’écran il en deviendrait illisible.

Le livre une fois rangé dans sa bibliothèque, il peut l’y retrouver rien qu’en déam­bulant les mains dans les poches balayant les étagères du regard ; numérisé, ce sont ses doigts qui feraient le travail, ils n’effleureraient que quelques dizaines de touches, toutes les mêmes…

Et à la première panne, toute sa bibliothèque disparaîtrait d’un coup comme le carrosse de l’histoire à minuit, nulle lampe ni bougie pour lui permettre de lire dans l’obscurité.

*

C’est tout son corps qui lit.

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