Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

31 décembre 2010

Sur les rives de la Lys

S’il n’y avait qu’une seule raison d’aller à Gand, ce serait l’admirable rétable de l’Agneau mystique des Van Eyck que l’on trouve dans sa cathédrale. Quoiqu’il s’élève bien au-dessus de la tête du visiteur qui en est éloigné et séparé par une épaisse vitre, le spectateur saisi aussi bien par l’ensemble – la mise en scène autant large que profonde qui force le regard à revenir toujours vers le centre (qui n’est pas au premier plan), là où se dresse l’agneau sur l’autel – que par la foison des détails des avant- et arrière-plans : objets, plantes et animaux, bien sûr, mais aussi la foule des figurants qui recouvre littéralement la scène, les détails de leurs habits et de leurs bijoux reflétant leur statut social – juges intègres, bienheureux, saints ermites, pèlerins, dona­teurs… –, et surtout les visages vivants, expres­sifs et fascinants d’individus, tel ceux de ces anges en haut à gauche qui forment une petite chorale, qui s’appliquant à déchiffrer la musique en fronçant les sourcils, qui l’air rêveur, ou ceux des musiciens concentrés sur leur jeu, à droite… On ne se lasse de le regarder, de tourner autour, on aimerait tant s’en rapprocher, le scruter de plus près, ou s’en écarter plus que ne le permet la petite salle où il est présenté, pour le contempler dans toute sa splendeur.

Une promenade autour de la cathédrale mène vers un pont qui surplombe la Lys, et d’où l’on aperçoit des façades remarquables de maisons romanes, gothiques et renaissance, et, plus loin, la silhouette du château moyenâgeux des comtes de Flandre (bien plus beau de loin que de près, l’édifice actuel quasiment entièrement reconstruit à partir de 1885). Une promenade sur les berges offre de belles perspectives sur ces ensembles.

Mais le nom de la Lys évoque encore chez celui qui a lu, adolescent, Alexandre Dumas, une scène terrible, inoubliable, celle de l’exécution de la belle, mystérieuse et perverse Milady de Winter. Comme d’Artagnan, on se serait écrié « Oh ! je ne puis voir cet affreux spectacle ! je ne puis consentir à ce que cette femme meure ainsi ! » mais Athos nous aurait retenu pour que le bourreau fasse son devoir, et l’on a continué à lire.

Le bateau s’éloigna vers la rive gauche de la Lys, emportant la coupable et l’exécuteur ; tous les autres demeurèrent sur la rive droite, où ils étaient tombés à genoux.

Le bateau glissait lentement le long de la corde du bac, sous le reflet d’un nuage pâle qui surplombait l’eau en ce moment.

On le vit aborder sur l’autre rive ; les personnages se dessinaient en noir sur l’horizon rougeâtre.

Âmes sensibles, on vous passe les détails qui s’ensuivent. Une fois l’œuvre accomplie,

Arrivé au milieu de la Lys, il arrêta la barque, et suspendant son fardeau au-dessus de la rivière :

— Laissez passer la justice de Dieu ! cria-t-il à haute voix.

Et il laissa tomber le cadavre au plus profond de l’eau, qui se referma sur lui.

Trois jours après, les quatre mousquetaires rentraient à Paris ; ils étaient restés dans les limites de leur congé, et le même soir ils allèrent faire leur visite accoutumée à M. de Tréville.

— Eh bien ! Messieurs, leur demanda le brave capitaine, vous êtes-vous bien amusés dans votre excursion ?

— Prodigieusement ! répondit Athos en son nom et en celui de ses camarades.

À chacun sa façon de s’amuser sur les bords de la Lys

30 décembre 2010

Des mots, des mots, des mots…

Classé dans : Peinture, dessin, Photographie, Éducation — Miklos @ 17:30

Nous avons passé, nos pères ont passé et nos fils passeront dix ans de leur vie à peser des mots. Car on ne fait pas autre chose au collège. Des mots, des mots, des mots : pas d’idées. (…) Peseurs de mots, nous ne savons point peser les idées ni les faits. (…) Il est temps de ne point passer dix ans à essayer d’écrire élégamment, au lieu d’apprendre à penser solidement. (…) Avec notre pédagogie actuelle nous arrivons à former, sur cent élèves, quatre-vingt-dix-neuf ignorants et un pédant. Il faut mépriser, il faut repousser cette fatale méthode : delenda est.

Léon Gautier « Chronique : II. L’ensei­gnement de l’histoire dans les lycées et collèges. Néces­sité très-pressante d’une réforme absolue », in Revue des questions historiques, t. 10, 1871.

Léon Gautier (1832-1897) était archiviste et paléographe. Les quelques phrases ci-dessus sont extraites d’une chronique qu’il avait rédigée dans la Revue des questions historiques, t. 10. Paris, 1871. On trouvera ici ses deux premières parties, l’une concernant la conservation à long terme des sources historiques où il discute de divers modalités – réédition ou reproduction (bien avant l’invention de la numérisation) –, et l’autre consacrée à la critique des méthodes pédagogiques de son époque.

29 décembre 2010

Bye bye, Miss American Pie

Classé dans : Cinéma, vidéo, Musique, Peinture, dessin, Photographie, Politique — Miklos @ 19:55

En 1952, Charlie Chaplin se fait tirer le portrait par Richard Avedon. Quelques heures plus tard, il quitte les États-Unis pour assister à la première des Feux de la rampe à Londres. Edgar Hoover en profite pour faire révoquer son visa : on était en plein maccarthisme et Chaplin en est l’une de ses nombreuses cibles autant pour ses opinions de gauche (anathème aux US) que pour certaines de ses attirances (qui ne sont pas sans rappeler celles de Polanski). Charlot ira donc s’installer définitivement à Vevey, non loin d’Évian (Polanski, lui, vit à Gstaad).

Il ne remet les pieds aux Etats-Unis que vingt ans plus tard, et y est reçu de façon spectaculaire. Au Lincoln Center de New-York, par exemple, une réception est organisée en son honneur, à laquelle assiste la jet set de l’époque : Ethel Kennedy (veuve de Robert F. Kennedy), Paul Newman (mister ice-blue eyes), Gloria Vanderbilt (dans le rayon blue, vous connaissez sans doute ses blue jeans), Oona O’Neill (fille du poète Eugene O’Neill et quatrième et dernière femme de Charlie Chaplin), Candice Bergen (épouse de Louis Malle, et la Catherine Deneuve américaine – bien plus belle et sympathique à notre avis que notre ice cold actrice), Norman Mailer (qui n’en était alors qu’à la première de ses six femmes, un record se rapprochant de celui de Barbe Bleue, curieux comme cette couleur baigne cette soirée), Leopold Stokowski (il n’a alors que 70 ans, il continuera à diriger jusqu’à l’âge de 95 ans), Otto Preminger (qu’on avait vu tourner une scène de Rosebud – on se demande si on n’y figure pas d’ailleurs –, quel sale caractère… !), Paulette Goddard (qui avait été précédemment mariée à Chaplin, c’était la n° 3)… et on en passe.

Richard Avedon en est. Après coup, la pose de Charlie Chaplin dans cette photo de 1952 est une sorte de pied-de-nez qu’il fait à l’Amérique. L’année de son retour, 1972, est aussi celle du succès de Bye bye, Miss American Pie de Don McLean, chanson élégiaque et mystérieuse qui marque la fin d’une époque et qui n’a cessé d’interpeller ceux qui l’ont entendue, puis écoutée.

27 décembre 2010

Pas de salisettes !

Classé dans : Langue, Littérature — Miklos @ 21:01

Du temps – et du lieu – où j’étais enfant, il n’y avait pas de petites filles (ni de grandes) qui s’appelaient Lisette, impossible donc de deviner l’orthographe correcte du Padessalisette ! qu’on prenait plutôt comme une injonction à plus d’hygiène.

Maintenant qu’on sait, on se demande bien qui était cette Lisette pour qu’on l’interpellât ainsi au fil des siècles. Lorédan Larchey, dans ses Excentrictés du langage publié dans les années 1860, écrit :

Pas de ça, Lisette : Formule négative due sans doute à la vogue de cette chanson connue: Non! non! vous n’êtes plus Lisette, etc. — « Un jeune drôle fait la cour à ma nièce… pas de ça, Lisette! » — Ricard.

La chanson dont il s’agit ici est due au célèbre Béranger et s’intitule en fait Ce n’est plus Lisette. Elle commençait ainsi :

Quoi ! Lisette, est-ce vous ?
Vous, en riche toilette !
Vous, avec des bijoux !
Vous, avec une aigrette !
    Eh ! non, non, non,
Vous n’êtes plus Lisette,
    Eh ! non, non, non,
Ne portez plus ce nom.

Elle date sans doute de 1821. On ne peut éviter de la comparer avec la charmante Pourquoi t’es-tu teinte, Philaminte ? de Mireille et de Jean Nohain (qui se poursuit ainsi : J’aimais bien mieux ta vieille teinte, j’aimais bien mieux tes vieux cheveux… pour se terminer comico-tragiquement pour la belle) quelque 110 années plus tard.

La chanson de Béranger se chantait, d’après son sous-titre, sur l’air de Eh ! non, non, non, vous n’êtes pas Ninette, refrain de l’Épigramme contre les coiffures à la Ninon :

Pour se mettre en renom
Chez nous mainte coquette
Se transforme en Ninon ;
Mais près d’elle on répète :
    Eh ! non, non, non,
Ce n’est pas là Ninette ;
    Eh ! non, non, non,
Ce n’est pas là Ninon.

On la trouve dans Encore un ballon, ou Chansons et autres poésies nouvelles d’Armand-Gouffé, pour faire suite aux Ballon d’Essai et Ballon Perdu du même auteur, publié en 1807. La coiffure en question, considérée comme particulièrement prétentieuse en d’autres temps mais qui ne serait même pas remarquée aujourd’hui, est due à un geste d’une élégance rare de Ninon de Lenclos :

Ninon avait toujours été fidèle à ses « caprices » ; ce n’était pas avec un amant tendrement chéri qu’elle aurait commencé à se montrer déloyale. Mais la jalousie prête au soupçon le plus absurde. Une nuit, Villarceaux aperçut une bougie allumée dans la chambre de sa maîtresse. Il envoya un valet pour s’informer si la jeune femme souffrait de quelque malaise. Le valet revint avec une réponse négative. Villarceaux se persuada qu’elle écrivait à un rival. Fou de colère, il se précipita pour aller surprendre l’infidèle ; mais dans sa hâte, croyant prendre son chapeau, il se coiffa d’une aiguière d’argent . . .

— C’est, dit Juliette, ce que j’appelle de la passion.

— Quand il pénétra chez Ninon . . .

— Avec son aiguière sur la tête ? demanda Juliette.

— Il l’avait enlevée, en se déchirant la peau, d’ailleurs. Elle se retint de rire, mais elle refusa de se justifier.

Quelques jours après, Villarceaux s’alitait. Son valet rapporta à la jeune femme que, dans son délire, il ne cessait de prononcer le nom de sa maîtresse. Ninon sentit qu’elle devait le rassurer par un geste décisif : avant d’avoir pu réfléchir, elle prit des ciseaux et coupa sa magnifique chevelure, qu’elle envoya à son amant pour lui signifier combien elle se souciait peu de tout autre galant. La vue de ces tresses aux reflets fauves rendit la santé au jaloux. Il écrivit aussitôt à Ninon pour lui demander pardon de ses soupçons offensants et lui annoncer que le cher message l’avait d’un seul coup guéri de sa fièvre. Elle se précipita chez lui, se glissa dans son lit, et, nous dit Tallemant, « ils demeurèrent couchés ensemble huit jours entiers ».

C’est ainsi que naquirent la coiffure à la Ninon et un petit garçon. Le coiffeur Champagne adopta la coiffure, le marquis reconnut l’enfant, que Ninon éleva tendrement.

Jean Duché, L’histoire de France racontée à Juliette. Presses de la Cité, 1962.

Mais revenons à Lisette. L’hypothèse de Larchey ne semble pas fondée : on retrouve cette expression une trentaine d’années avant la chanson de Béranger (qui, d’ailleurs, n’y fait pas vraiment référence) : en 1788 chez Rétif de La Bretonne par exemple, où le fils d’un riche boucher essaie de conquérir une jeune et belle blonde en en partant à l’assaut : « — Croyez-vous donc la Belle, que je vous propose d’être ma maîtresse ? Pas de ça, Lisette ! Je ne suis pas un Seigneur, pour être un poliçon : c’est le titre et l’honneur d’épouse que je vous offre. Je ne vous demande pas de réponse ; je n’en ai que faire : c’est une chose faite. » (in Les Nuits de Paris, ou, Le Spectacteur Nocturne).

Deux ans plus tôt, Antoine Gorsas – satiriste révolutionnaire guillotiné en 1793 – publiait L’Âne promeneur, ou, Critès promené par son âne, chef-d’œuvre pour servir d’apologie au goût, aux mœurs, à l’esprit et aux découvertes du siècle : titre prometteur s’il en est (celui de la préface est encore plus fantaisiste), dans lequel on peut lire (les majuscules sont dans le texte) – ne croirait-on pas entendre le capitaine Haddock ? – :

Massacre ! mort ! enfer ! mille millions de pipes de diables ! reprit Chrysostôme Critès, en rebroussant son bonnet sur l’oreille gauche, et en roulant ses gros yeux louches, je ne sais pas si je fais un jugement ténébreux ; mais par la santa barbara ! sans savoir trop bien mon latin, ou je ne suis pas si grec que lui ; aussi je ne m’approxime pas contre ce pot de fer, moi qui ne suis qu’un… qu’une cruche : t’as raison, grégoire, gaudeat benet nanti, puisqu’il l’est ; mais je gage chopine qu’il a de la poudre d’Attrape nigauds, pour avoir comme ça quinze et bisque sur les jugements de tous nos badaudiers, et pour les enfiler comme son maître. God-dam ! qu’il ne m’enfilera pas ! eh, non, pas de ça, Lisette ! Ah ! Nicolas, que tu ne me le…(1)

_____________
(1) Pas de ça, Lisette. Ah ! ah ! Nicolas, tu ne me le, etc. — Expressions oubliées par M. Délicieux…. Les grands hommes ne pensent pas à tout.

On n’a pas trouvé de source plus ancienne, bien que la note de l’auteur semble indiquer que c’était une expression désuète déjà à son époque.

Quant au prénom Lisette, diminutif de Lison ou de Louise, on le retrouve attaché à des personnages de comédies et d’histoires galantes, sans pour autant qu’ils y aient toujours le beau rôle : est-ce dû au fait que le nom commun lisette désignait « un petit insecte verdâtre qui en Mai et en Juin gâte les jeunes jets des arbres fruitiers et de la vigne », appelé aussi assez coquinement coupe bourgeon ?

C’est ainsi que chez le fabuliste allemand Christian Fürchtegott Gellert (1715-1769) Lisette est une « jeune épouse ayant été atteinte de petite vérole » et qui « eut en plus l’infortune, après sa maladie, de perdre aussi la vue », ce qui l’a heureusement empêché de voir les infidélités que son mari n’a manqué de commettre avec sa garde-malade… Il est évidemment curieux (mais l’est-ce vraiment ?) que la Wikipedia écrive à propos de l’auteur qu’il « interprète des sentiments intimes, il enseigne la vertu, la religion ; il purifie l’art pour l’introduire dans la famille » sans qualifier cette information…

Bien plus tôt, dans « Le Cordelier de Venise » du Décaméron de Bocace (XIVe s.) on trouve « une jeune femme d’un esprit faible et niais, nommée Lisette de Caquirino […] fière et orgueilleuse comme sont tous les Vénitiens » venue se confesser à un certain frère Albert, qui n’était autre qu’un libertin, « un mauvais sujet nommé Bertho de la Massa ». Il comprend « sans peine que sa pénitente avait le cerveau un peu creux, quoique effectivement elle fût assez jolie ; et voyant que c’était là précisément ce qu’il lui fallait, il la convoita aussitôt et en devint passionnément amoureux ». Quelles salisettes !

Life in Hell: Who’s who?

Classé dans : Peinture, dessin, Photographie — Miklos @ 13:13

Sur les photos, Akbar est toujours à gauche (mais jamais à l’extrême) et Jeff à droite (près du centre)…

…sauf quand le tirage est à l’envers.

Dans les photos en couleur, Akbar est en rouge (ça va bien aux bruns) et Jeff en bleu (ça rehausse celui de ses yeux).

Akbar est râleur. Jeff est taiseux.

Akbar passe ses nuits à écrire. Pas Jeff.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos