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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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23 décembre 2010

Statutum est hominibus mori

Classé dans : Arts et beaux-arts, Lieux, Photographie, Religion, Sculpture — Miklos @ 2:58


Jean Delcourt (16??-1707) : monument funéraire d’Eugène-Albert d’Allamont,
évêque de Gand (détail), 1673. Saint-Bavon, Gand (Belgique)

“Statutum est hominibus semel mori” (c’est un arrêt porté contre les hommes de mourir une fois) — Héb. 9:27.

Ce mausolée est l’œuvre du sculpteur liégeois Jean Delcourt, dont il porte la marque. (…) Il faut convenir que la conception de ce monument funèbre n’est pas heureuse. Le squelette inspire un sentiment de répulsion et de terreur que bien certainement le vertueux prélat n’éprouva pas à son heure dernière. La consolante et sublime pensée d’une vie meilleure, dont la foi dépose le germe dans l’âme du chrétien, disparaît en présence de l’horreur que la mort inspire dans ce qu’elle a de plus affreux et de plus désespérant. Cette œuvre a du mérite. La tète et les mains du prélat sont bien modelées. L’artiste, en voulant éviter la roideur dans les draperies, est tombé dans un excès contraire; l’étoffe semble chiffonnée.

Kervyn de Volkaersbeke, Les Églises de Gand. 1837.

DELCOUR (Jean), sculpteur célèbre, naquit vers l’an 1650, à Hamoir, dans la principauté de Stablo1. Personne ne porta plus loin que lui l’amour du travail et le désir de s’instruire. Le goût qu’il avait manifesté dès sa première jeunesse pour la sculpture se fortifia avec l’âge ; et, pour posséder parfaitement son art, il alla deux fois en Italie, et y suivit les plus grands maîtres qui fussent alors connus. Aussi parvint-il à acquérir des talents distingués ; ses compositions sont d’un goût excellent, et on admire dans tous ses ouvrages l’élégance des contours, et l’art avec lequel ses draperies sont jetées. Ce qui donnait un très-grand lustre à la vie de cet artiste était une probité intacte et une modestie peu commune. Après son dernier voyage en Italie, Delcour fixa son domicile à Liège, où il mourut le 4 avril 1707. M. de. Vauban, qui connaissait ses grands talents, lui proposa de faire la statue équestre de Louis XIV, destinée à orner, à Paris, la place des Victoires ; mais Delcour, qui commençait à être âgé, et qui était affligé de quelques infirmités, refusa de se charger de ce travail, qui, quelques années plus tôt, eût fait l’objet de son ambition. L’exécution de cette statue, détruite à l’époque de la révolution, fut confiée à Desjardins, autre sculpteur célèbre, résidant à Breda. On voit à Liège trois ouvrages remarquables de Delcour ; le premier, c’est la belle fontaine de la place Saint- Paul, dont toutes les figures sont en bronze ; le second, qui se trouve dans l’église des religieuses des Bons-Enfans, est le Sauveur au sépulcre ; la statue de saint Jean-Baptiste, placée dans l’église, qui porte ce nom, est le troisième.

Jean Ladvocat, Dictionnaire histo­rique, philosophique et critique. Paris, 1822.

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1 Stavelot, ville de la province de Liège.

19 décembre 2010

L’inexorable marche de la pollution

Classé dans : Actualité, Photographie, Société — Miklos @ 23:58

« Produire toujours plus, consommer toujours plus et… jeter dans les mêmes proportions : la pernicieuse règle de trois de notre société dite “avancée”. Mais ce qui avance surtout, de façon inexorable et vertigineuse, c’est l’emprise des déchets sur notre terre. » — Fabien Bonnet, « Le petit ambassadeur du tri à la pointe du combat », La Nouvelle République, 29/6/2010.

17 décembre 2010

Life in Hell: c’est le cas de le dire !

Classé dans : Actualité, Littérature, Musique, Théâtre — Miklos @ 3:30

« En l’an 1462, un certain Jean Faust, qui se disait citoyen de Mayence, vint à Paris et obtint une audience du roi Louis XI, auquel il fait un présent rare. Ce présent était une superbe Bible in-folio que ledit Faust affirmait avoir copiée et écrite toute entière de sa propre main… » — François-Victor Hugo, introduction à sa traduction du Faust de Christophe Marlowe, Paris, 1858.

Akbar aime Faust. Pour les esprits mal tournés, il précise que c’est Faust qu’il adore. Il l’a découvert enfant à l’opéra dans l’œuvre de Gounod. Depuis, la magie de l’œuvre – ou du moins de certains de ses passages les plus mémorables – ne s’estompe pas (contrairement à celle de Fantasia qu’il a vu une fois de trop), c’est « un rêve charmant qui n’a de cesse de l’éblouir », à l’instar de Victoria de los Angeles dans L’air des bijoux si magistralement repris par la sublime Bianca Castafiore, ou du Salut ! demeure chaste et pure que chante Nicolai Gedda avec des intentions qui n’ont rien de chaste ni de pur à l’égard de l’âme innocente et divine qui y est présente.

Car c’est justement de magie qu’il s’agit (comme d’ailleurs dans Fantasia) : Faust est avide d’en connaître tous les secrets pour les pouvoirs illimités qu’elle lui accordera, et au diable son âme (c’est le cas de le dire, opine Akbar) : le hic et nunc compte plus que le futur lointain même s’il sera l’objet d’un réchauffement infernal. En ce sens Faust est bien inscrit dans la modernité. Mais en sus, ce n’est pas un savant : c’est un savant fou.

Le personnage à l’origine de la légende a vécu en Allemagne au XVe siècle. Il commence par étudier la théologie – pour percer le secret des dieux ? – puis la médecine – le secret des corps vivants – et enfin l’astrologie – le secret du futur, de la vie éternelle, de la victoire sur la mort. L’homme veut savoir. Or depuis la scène symbolique de « l’arbre de science de bien et mal » (dans la traduction que donne Castellion de la Genèse), on sait que le savoir se paie parfois très cher : comme le dit l’Ecclésiaste, « car tant de sagesse, tant de chagrin : et qui plus apprend, plus se tourmente ».

Il semblerait que le principal tour de magie de ce Faust-là ait été la production d’exemplaires identiques de cette Bible (aurait-il utilisé de procédés d’imprimerie, connue d’ailleurs avant son inventeur officiel), avec lesquels il inonde le marché parisien : emprisonné et condamné à être brûlé comme magicien à Paris, il s’en échappe. À Mayence où il fabrique ces ouvrages et continue à les diffuser, il met en péril le monopole des moines : ceux-ci ameutent le peuple qui prend d’assaut la maison du magicien en 1462. Mais il persiste et signe avec d’autres livres, profanes cette fois. De retour à Paris, il y est rattrapé par la peste (le Ciel a le bras long) et disparaît sans laisser de traces en 1466.1

Deux cents ans avant Goethe en 1806, Christopher Marlowe donne sa version de la légende. C’est celle à laquelle Jeff et Akbar assistent au Théâtre de la Ville. Les notes de programme du metteur en scène Victor Gauthier-Martin font ressortir cet aspect toujours actuel de l’emballement du progrès qu’il décèle dans cette pièce écrite il y a quatre siècles. Jeff et Akbar se frottent les mains : ça promet.

Mais dès le lever de rideau… En fait il n’y a pas de rideau, on aperçoit sur scène une estrade sur laquelle est placé un fauteuil de dentiste, et, à l’arrière, des habits accrochés à des cintres (Akbar, qui avait déposé son manteau au vestiaire, ne se souvenait pas d’y être passé), quelques écrans d’ordinateur… ça fait très grunge, ça sent le roussi. Dès l’entrée de Faust, Akbar devine le pire : l’homme, jeune, en jeans, se démène sur scène avec des gestes vulgaires hors de propos (si c’est dû à de la pédiculose inguinale, ça se traite), et il en sera de même avec les autres protagonistes. Le théâtre élisabéthain n’était pas prude, bien au contraire, et les allusions plus ou moins graveleuses ne devaient de manquer de faire rire de bon cœur le public : mais ici, dans la mise en scène, aucune finesse, aucun humour, c’est lourd, ça tombe à plat et ça écrase le pied. Jeff et Akbar ne prennent pas les leurs.

Puis ils voient les autres personnages. Ça craint : les rôles des deux amis de Faust, Valdès et Cornélius, sont tenus par deux femmes (ça se faisait à l’époque, mais pourquoi maintenant, pour souligner le côté féminin de l’homme… ?), tandis que celui de Méphistophélès, « l’esprit serviteur de Faust », nécessite ce soir un homme et une femme (comme ça le metteur en scène ne peut être accusé de sexisme, se dit Akbar) qui se contorsionnent sous l’estrade éclairée de rouge néon (ça doit signaler l’anti-chambre de l’enfer ou alors une boîte de nuit dans un quartier chaud, pense Jeff). La scène de la signature du pacte diabolique de Faust fait appel à des grands écrans pour montrer la trace sanguinolente de la transfusion effectuée sur scène à l’aide de seringues et de tuyaux.

Mais ce n’est même pas gore. On dirait une pâle tentative d’imitation du style d’une bande dessinée genre Fluide glacial, mais ça tombe à plat. Le comble du ridicule est l’apparition de Belzébuth en vieux et gros rockeur (aucun rapport avec l’actualité people) torse nu poilu avec du cuir et d’autres atours.

Akbar et Jeff se lèvent comme un seul homme et quittent la salle sans déranger personne : le bruit sur scène est tellement fort… Ils n’assisteront pas à la scène où Faust donne un soufflet au Pape (Akbar aurait été curieux de savoir s’il était représenté ici sous les traits d’une Sœur de la Perpétuelle Indulgence, par exemple), ni à la mort du pécheur, tant pis.

Au vestiaire, le vrai pas celui sur la scène, on leur dit qu’ils sont loin d’être les seuls à partir, c’est une hécatombe jamais vue.

Il n’y avait donc pas que Faust en enfer, il y avait aussi une bonne partie du public, mais eux ont pu y réchapper et nous aussi, se consolent Jeff et Akbar.

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1 Source : l’introduction de François-Victor Hugo.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

8 décembre 2010

Le musée comme cimetière

Classé dans : Actualité, Théâtre — Miklos @ 0:45

L’angle d’une grande salle de musée éclairée d’une lumière blafarde. Les murs rouge bordeaux tel un sang qui commence à sécher, en angle droit, s’élèvent à perte de vue. D’immenses tableaux néoclassiques sont accrochés très haut. À hauteur d’homme, des affichettes. Deux passages mènent dans les pièces avoisinantes, plus petites, où l’on entrevoit des œuvres de la même époque. Le sol est en parquet de Versailles.

C’est un cimetière. Un homme et une femme s’y retrouvent, par hasard. Ou non. Ils ne s’étaient vus depuis longtemps. Ils errent entre les pierres tombales, déchiffrent les inscriptions gravées sur les stèles. L’homme est marié et a un fils, la femme est seule. Elle a envie de l’homme, elle veut qu’il la prenne, elle veut le prendre pour elle. L’homme hésite, il est marié, il a envie de la femme.

Les parents de l’homme arrivent au cimetière : l’aïeule, la mère du père est morte, ce sont ses obsèques. Leur fils viendra-t-il ? Avec sa femme, dont il est séparé mais qui leur rend visite de temps à autre ? Et leur petit-fils qui a maintenant vingt ans et qu’ils n’ont vus depuis longtemps ?

L’homme, leur fils, arrive avec sa nouvelle femme. La mère ne la voit pas, elle. Elle ne peut se résigner à oublier l’autre, la mère de son petit-fils. Quand finalement elle se dit prête à faire connaissance avec cette femme, elle la fait fuir à force de parler de l’autre. L’homme suit sa femme. Sa mère tente de l’en empêcher, c’est la mort cette femme lui crie-t-elle. Mais il s’en va et n’assiste pas aux obsèques de sa grand-mère. Son ex femme si, bien que son fils soit hospitalisé gravement malade.

Le père de l’homme est mort. L’homme n’est pas venu à son l’enterrement. Il est courbé par l’âge, il semble dorénavant plus vieux que sa propre mère.

Son fils meurt. L’homme ne lui survit pas longtemps. Il meurt, comme ça.

Des années se sont écoulées bien que le temps semble suspendu. Les trois hommes sont morts, et bien morts. Il ne reste que les femmes : la mère de l’homme et ses deux belles-filles qui se comprennent au-delà de leur rivalité – après tout elles avaient désiré, aimé et possédé le même homme –, mais aussi la grand-mère, qui, morte, a erré toutes ces années silencieusement dans l’ombre de sa descendance, serrant tantôt l’un tantôt l’autre des hommes dans ses bras pour un bref instant de tendresse et de réconfort dont ils ne devaient pas comprendre la cause même s’ils en ressentaient les effets, c’est comme ça les hommes. Ce sont elles qui ont été finalement porteuses des sentiments les plus profonds : maternels des trois générations, amoureux des épouses et, dans tous les cas, entières et d’une possessivité violente et exclusive, révoltées. Les hommes, déchirés ou effacés, résignés.

Rêve d’automne de Jon Fosse est une pièce minimaliste à bien des égards : les décors, l’éclairage et les costumes1, mais surtout la mise en scène de Patrice Chéreau et le jeu des acteurs2, sans afféterie, simple, brut, tragique. Les sentiments qui tricotent cette pièce complexe, aussi élémentaires que les couleurs de base qui composent l’arc-en-ciel mais qui permettent de dessiner des tableaux splendides – amour, désir, jalousie, possessivité, solitude, et surtout peur de la mort et deuil impossible –, ballottent ces êtres comme à la dérive dans une tempête en mer, et tour à tour les jettent les uns dans les bras des autres ou les en écartent violemment. Ni psychologisation ni analyse des possibles causes de ces forces irrésistibles, on n’en voit que les terribles effets. Le texte est d’une grande sobriété : il est composé, à l’instar d’une passion de Schütz basée uniquement sur les quelques notes d’une gamme, d’un petit nombre de phrases courtes qui s’enlacent et se délacent pour dessiner la vie et la mort de ces quatre générations. Le style rappelle Koltès (serait-ce dû à la traduction ?) mais la patte suggère Ibsen : après tout, l’auteur est norvégien.

Cette magnifique cérémonie funèbre s’achève. Les femmes s’en vont. Les corps des trois hommes sont allongés sur le sol. La longue danse macabre s’est terminée. La lumière s’éteint et plonge le musée dans l’obscurité silencieuse d’une nuit d’automne.

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1 Décor : Richard Peduzzi. Costumes : Caroline de Vivaise. Lumière : Dominique Brugière.

2 L’homme : Pascal Greggory. La femme : Valeria Bruni-Tedeschi. La mère : Bulle Ogier. Le père : Bernard Verley. La première femme : Marie Bunel. L’aïeule : Michelle Marquais. Le fils : Alexandre Styker.


Matthäus Zasinger (1477-ca. 1503) : Vanitas (memento mori).
[Femme nue debout sur un crâne et tenant un cadran solaire à la main].
Allemagne, ca. 1500-1503.

7 décembre 2010

Une fable d’actualité

Classé dans : Actualité, Littérature, Politique — Miklos @ 0:50

Le vaisseau en péril

Un vaisseau, tourmenté par de longs ouragans,
Contre les aquilons et les flots mugissants
Luttait sur une mer d’écueils environnée ;
Et, plus fatale encor que les flots et les vents,
La Discorde en son sein rugissait déchaînée
        Son équipage mutiné
Ne reconnaissait plus la voix du capitaine.
Il ne pouvait régler la manœuvre incertaine
Du malheureux navire aux vents abandonné.
        Matelots, mousses et novices,
Tous veulent commander; nul ne veut obéir ;
Chacun a son avis, son orgueil, ses caprices.
    C’est un tapage à ne plus rien ouïr ;
    Et le vaisseau, dont l’ouragan se joue,
    Au sud, au nord, au couchant, au levant,
Présentant tour à tour et la poupe et la proue,
Va tantôt en arrière et tantôt en avant.

    De ce désordre innocentes victimes,
Les passagers en vain criaient aux disputeurs :
« Manœuvrez, sauvez-nous, suspendez vos fureurs ;
« Ou cette mer terrible, en ses profonds abîmes,
« Mettra bientôt d’accord et vaincus et vainqueurs. »
D’une frayeur trop juste inutile requête !
Livré sans gouvernail au choc des éléments,
Sur la pointe d’un roc le navire se jette,
        Et d’effroyables craquements
        Répondent aux mugissements
        Des vagues et de la tempête.
Ce malheur éteint-il la rage des partis ?
Non, non ; de leur ruine ils s’accusent l’un l’autre :
La dispute redouble ; on n’entend que ces cris :
         « C’est ta faute. — Non, c’est la vôtre.
         « — C’est vous. — C’est toi qui nous perdis. »

« — C’est la faute de tous, » répond le capitaine,
Dont la voix, libre enfin, domine les clameurs.
« C’est votre vanité qui fit tous vos malheurs.
« De vos divisions vous subissez la peine. »
Un dernier craquement retentit à ces mots.
Le pont s’était ouvert sous la vague en furie.
Un dernier cri s’élève, et l’abîme des flots
Se referme en grondant sur la nef engloutie.

        Je ne sais point sous quels climats
    Ni sous quel nom naviguait ce navire ;
Mais, vous qui me lisez, vous pourriez me le dire,
Et, si vous m’en croyez, vous ne l’oublierez pas.

Fables par M. Viennet
L’un des quarante de l’Académie-française.
Paris, 1845

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