Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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29 novembre 2011

Qu’y peut-on ? C’est l’Amérique !

Classé dans : Histoire, Judaïsme, Langue, Lieux, Musique — Miklos @ 21:25

Un des plus grands performers de la scène musicale yiddish de la première moitié du xxe siècle, Aaron Lebedeff (1873-1960) a enregistré de nombreuses chansons devenues des classiques et reflétant sur des rythmes souvent enlevés, avec humour, intelligence et nostalgie, les tribulations du peuple juif qu’il avait lui-même subies : né en Biélorussie, il parcourt la Russie avec des troupes de théâtre, décroche un contrat à Varsovie, est enrôlé dans l’armée russe qui l’envoie faire des concerts en Mandchourie, part plus tard au Japon et en 1920 aux États-Unis où il devient une star du théâtre musical yiddish.

Enregistrée en 1925, la chanson que l’on peut écouter ici, mâtinée de russe et d’anglais, décrit le choc culturel d’un Juif pratiquant arrivant de son shtetl dans une Amérique moderne et laïcisée (tout est relatif). On ne peut éviter de penser au Chanteur de jazz (The Jazz Singer), premier film parlant de l’histoire sorti en 1927 (et donc contemporain de cette chanson de Lebedeff) qui relate la mutation de Jacky Rabinowitz, fils de chantre (Aaron Lebedeff avait commencé sa carrière en chantant pour un chantre…) devenu chanteur de jazz dans un club.

Pour venir en Amérique je ne me suis pas ménagé,
Je pensais devenir rabbin et me suis laissé pousser la barbe.

קײן אַמעקיקע צו קומען, האָב איך קײן מי געשפּאָרט
כ’האָב געדענקט אַ רבֿ צו װערן און פֿאַרלאָסן זיך אַ באָרד.

J’avais deux belles papillotes comme tout Juif pieux,
Mais à la fin je n’avais plus ni barbe ni papillotes.

כ’האָב געהאַט צװײ שײנע פּאות, װי יעדער פֿרומער ײִד
צום סוף אָנטשאָט אַ באָרד האָב איך די פּאות אױכעט ניט.

Vous me demanderez : Comment se fait-il ?
La raison en est, mon cher ami :

װעט איר מיר פֿרעגן: ס’טײַטש? װי קען דאָס זײַן?
דער תּרוץ דערפֿון איז, ליבע פֿרײַנט מײַן:

Qu’y peut-on ? C’est l’Amérique !
C’est ainsi qu’on s’habille dans ce pays.
Qu’y peut-on ? C’est l’Amérique !
Même le Juif y ressemble à un Gentil.

װאָט קען יו מאַך? עס איז אַמעריקע!
דאָ אין לאַנד דאָ פּוצט מען זיך אַזױ.
װאָט קען יו מאַך? עס איז אַמעריקע!
אַפֿילו דער ײִד האָט דעם פּנים מיטן גױ.

On n’y voit aucune trace de papillote,
Ici, toutes les filles portent des perruques*.

אַז פֿון פּאות דאָ זעט מען בײַ קײנעם ניט קײן שפּאָר,
דאָ טראָגן זיך די פּאהלעך אַלע מײדלעך גאָר.

Qu’y peut-on ? C’est l’Amérique !
C’est l’Amérique, qu’y peut-on ?

װאָט קען יו מאַכן? עס איז אַמעריקע!
ס’איז אַמעריקע, און װאָט קען יו מאַך?

Ici en Amérique tout est à l’envers,
Les hommes se rasent et les femmes se font pousser des barbes.

אַז דאָ אין אַמעריקע איז אַלצדינג פֿאַרקערט,
די מענער – זײ שײװן זיך, און בײַ די װײַבער שפּראָצן בערד.

Qu’y peut-on ? C’est l’Amérique !
Oy !, America, и больше ничего** !

װאָט קען יו מאַך? עס איז אַמעריקע!
אױ, אַמעריקע, און באָל’שע ניע טשעװאָ!

En Europe, on marie une jeune fille,
Et c’est ensuite que les enfants arrivent exactement un an plus tard,
En Amérique ce n’est pas du tout comme ça, ils prennent vraiment leur temps,
Ils se marient plus tard, mais les enfants arrivent avant.

אין יוראָפּ מאַכט מען חתונה יונגע מײדלעך גאָר,
און נאַכער האָבן זײ קינדער, װי עס פֿירט זיך פּונקט צום יאָר,
אין אַמעריקע איז גאָר אַנדערש, מע נעמט זיך זײַט אָן שיעור
מע האָט חתונה דאָ שפּעטער, נאָר די קינדער האָט מען פֿריִער.

Vous me demanderez : Comment se fait-il ?
La raison en est, mon cher ami :
Que peut-on y faire ? C’est l’Amérique !
Tout peut y arriver, je vous le dis,
Que peut-on y faire ? C’est l’Amérique.
Tout s’y fait à la hâte.

װעט איר מיר פֿרעגן: ס’טײַטש? װי קען דאָס זײַן?
דער תּרוץ דערפֿון איז, ליבע פֿרײַנט מײַן:
װאָט קען יו מאַך? עס איז אַמעריקע!
דאָ קען פּאַסירן אַלץ, זאָג איך אײַך,
װאָט קען יו מאַך? עס איז אַמעריקע,
אַז דאָ אײַלט מען זיך דאָך מיט אַ יעדער זאַך.

Ici, tout le monde essaie d’épargner au mieux,
C’est pourquoi ils célèbrent ensemble mariage et circoncision.

דאָ זוכט מען צו סײװן עקספּענסעס אױף געװיס,
דערפֿאַר מאָכט מען די חתונה צוזאַמען מיטן ברית!

Que peut-on y faire ? C’est l’Amérique.
C’est l’Amérique et que peut-on y faire ?

װאָט קען יו מאַך? עס איז אַמעריקע!
ס’איז אַמעריקע און װאָט קען יו מאַך!

Le couple, une fois marié, rentre à la maison,
Il s’y trouve déjà tout prêt un berceau avec un enfant.

אַז חתן־כּלה פֿירן דער חופּה אַהײם נאָר מע גײט
איז שױן דאָרטן אַ װיגעלע מיט אַ קינד אױך אָנגעגרײט!

Que peut-on y faire ? C’est l’Amérique,
Oy, c’est l’Amérique, and that’s all.

װאָט קען יו מאַך? עס איז אַמעריקע!
אױ, ס’איז אַמעריקע אַלײן און דעטס אָל

*   Et pas uniquement les femmes mariées juives pratiquantes.
** Et voilà tout.

26 novembre 2011

« Ton faible cœur balance et n’ose l’entreprendre ?… » (Lady Macbeth)

Classé dans : Arts et beaux-arts, Littérature, Peinture, dessin — Miklos @ 17:33

…enfin il [Bixiou] se balançait dans la vie comme sur une escarpolette, sans s’inquiéter du moment où la corde casserait. — Honoré de Balzac, La femme supérieure*.

L’image de gauche est un détail d’un bel éventail peint sur tissu, datant probablement de la fin du XIXe siècle ; celle de droite, une impression contemporaine sur tissu, en noir et blanc.

Ce motif de l’escarpolette était assez commun aux XVIIIe (notamment un tableau de Fragonard et un autre de Huet) et XIXe (par exemple : Fantin-Latour ou Monvoisin) siècles, avec des connotations amoureuses, voire coquines ou carrément érotiques – les envols de jambes et les froufrous des jupons s’y prêtent si bien –, et parfois humoristiques.

Mais on retrouve aussi l’escarpolette dans la littérature de cette époque. Voici par exemple ce qu’en dit Madame de Genlis dans ses Nouveaux contes moraux (!) en 1802 :

Au moment même je me vis tout-à-coup au milieu d’un superbe jardin ; j’entendis parler ; je m’arrêtai, je regardai autour de moi, et à la faveur du plus beau clair de lune, j’aperçus à quelque distance la belle Elianne que j’avais vue dans la glace ; elle était précisément dans la même situation, sur une escarpolette, se balançant de toutes ses forces ; cette fureur d’escarpolette me paraissait inconcevable. La Princesse s’entretenait avec un petit Sylphe fort joli, qui parlait dans ce moment : Je sais bien, lui disait-il, qu’il est bon de balancer quelquefois ; mais balancer toujours, sur toutes les propositions qu’on pourra vous faire ; balancer éter­nel­lement et dans les plus belles années de votre vie, cela est cruel, j’en conviens….

L’original de cette variante innovante pour l’époque – l’homme est aussi sur l’escarpolette et non pas au sol (ce qui fournissait sans doute un angle de vue plus intéressant) – du motif en question est due à Pierre Auguste Cot (1837-1883) : il s’agit du Printemps, tableau exécuté en 1873 et se trouvant à l’Appleton Museum of Art à Ocala en Floride, et non pas au Metropolitan Museum of Art de New York comme le prétend la Wikipedia en anglais ; le Metropolitan détient par contre un autre tableau de Cot, L’Orage (qui, soit dit en passant, a inspiré la nouvelle de science fiction Alpha Ralpha Boulevard de Cordwainer Smith, publiée en 1961).

Ces deux tableaux de Cot ont été repris par les graveurs Amédée (1818-1883) et Eugène (1831-1911) Varin. L’objet représenté ci-dessus à droite est une (médiocre) reproduction de leur eau-forte Le Printemps.

Il n’est pas aisé de trouver cette œuvre en ligne faute d’en connaître le titre ou l’artiste : si l’on recherche « escarpolette », on trouve surtout le tableau de Fragonard… Ou alors, ce tableau sur un site de vente : la légende précise qu’il est intitulé Amoureux à l’escarpolette, qu’il date « du milieu du XIXe siècle » et qu’il est signé « Catz ap ». Or on peut distinguer à l’œil nu dans l’une des vignettes que fournit le site que la signature est en fait « d’ap. Cot » (suivi d’un paraphe), ce qui veut probablement dire « d’après Cot » et place donc le tableau au plus tôt dans le dernier quart du siècle en question et non pas comme indiqué. Enfin, sa facture plutôt médiocre est sans comparaison avec l’original.

Moins cher et plus amusant : on trouvera ce tableau sous forme de puzzle, ici.

____________
* Et non pas « L’insouciance est l’art de se balancer dans la vie comme sur une escarpolette, sans s’inquiéter du moment où la corde cassera » qu’on ne trouve pas dans les Maximes et pensées de Balzac, contrairement à ce qu’affirment nombre de ressources sur l’internet, y compris Évène (où ce n’est pas la première mauvaise attribution, voire citation, qu’on y a trouvée)…

Fronstispice de Brunettes, ou petits airs tendres, avec les doubles, et la basse-continue ; meslées de chansons à danser. Recüeillies & mises en ordre par Christophe Ballard, seul Imprimeur de Musique, & Noteur de la Chapelle du Roy. À Paris, M. DCC. IV.

Quelles vieilles cloches !

Classé dans : Architecture, Histoire, Langue, Musique — Miklos @ 2:30

De 1976 à 1980, le fils du compositeur britannique Jonathan Harvey, Dominic, était choriste à la cathédrale de Winchester. Le père assistait souvent aux répétitions de la maîtrise, et ce qu’il y entendait – la nature même des sons – a inspiré certaines de ses œuvres ultérieures, comme il le relatait dans un entretien à la BBC. En 1980, il compose Mortuos plango, vivos voco (« je pleure les morts, je parle aux vivants »), très belle œuvre (dont on peut écouter un extrait ici), qui combine les sons de la plus grande cloche de la cathédrale et la voix de l’enfant âgé alors de douze ans (et leurs transformations électroniques). Il poursuit :

Sur cette immense cloche noire est inscrit en belles lettres le texte suivant : Horas avolantes numero, mortuos plango, vivos ad preces voco (« je compte les heures qui s’enfuient, je pleure les morts, j’appelle les vivants à la prière »). La cloche compte le temps (chaque section commence par un son de cloche à une hauteur différente) : c’est un son « mort » malgré toute la richesse de sa sonorité ; l’enfant représente l’élément vital. La cloche entoure le public ; il est, en quelque sorte, en elle : l’enfant « vole » autour tel un esprit libre.

Dans La voix au-delà du chant : une fenêtre aux ombres (nouvelle éd., 2006), Danielle Cohen-Lévinas fournit le texte décorant la cloche dans son intégralité :

Horas avolantes numero, mortuos plango : vivos ad preces voco : Jam Georgi Sexti jubeor resonare Coronam : regis et inscriptum nomen adornat opus. MCM XXXVII.

Ceci permet de dater la cloche : 1937, à l’occasion, comme le rajoute la mention, du couronnement de George VI (le père de la reine Elisabeth), le 12 mai 1937.

Or la première partie du texte, celle d’où Harvey a tiré le titre de son œuvre, est bien plus ancienne. On la trouve en exergue d’un célèbre poème de Friedrich Schiller publié en 1799, Das Lied von der Glocke (« Le chant de la cloche »), sous une forme quelque peu différente :

Vivos voco. Mortuos plango. Fulgura frango

(« J’appelle les vivants. Je pleure les morts. Je repousse les éclairs. » – cette troisième faculté de la cloche était fort utile avant l’invention de Benjamin Franklin). Le poète y décrit avec forts détails techniques la fonte d’une cloche, procédé qu’il devait bien connaître : sa famille habitait à proximité d’une telle fonderie, dont le fils du patron était un ami de classe de Schiller, qui s’était aussi renseigné en lisant un ouvrage consacré à cette activité. (Source : Schiller Institut)

L’inscription campanaire en question est en fait bien plus ancienne encore, puisqu’on la trouvait – ce que devaient savoir les fondeurs de cloche de tout temps – sur une des cloches de l’un des deux temples de Schaffhouse, en Suisse, fondue en 1486. Voici ce qu’en dit Antoine Bruzen de la Martinière dans son Grand dictionnaire géographique et critique (tome 9, Venise, 1737) :

Schaffhouse, Ville de la Suisse, Capitale du Canton de même nom (…). Les Rues y sont grandes, belles, propres & larges. Les Maisons y sont bien entretenues, & presque toutes peintes, & marquées de quelque enseigne. On y voit deux Temples considérables, le Munster, ou 1’Eglise de l’ancien Couvent, qui est un bel Edifice, soutenu sur douze grosses Colonnes de pierre, toutes d’une pièce, à l’honneur des douze Apôtres : elles ont 17 pieds de haut, 9 de tour, & 3 de diamètre ; celle qui doit représenter Judas a d’un côté la figuré d’une tête fendue. Le Clocher a entr’autres une Cloche, qui pèse 96 quintaux, & a 29 pieds de tour : elle fut fondue l’an 1486. Elle a l’Inscription que voici  : Vivos voco, Mortuos plango, Fulgura frango. Durant la Catholicité, on voyoit dans cette Eglise, sous une Arcade un Colosse de 22 pieds de haut, qu’on appelloit le grand Bon-Dieu de Schaffhouse, qui fut érigé l’an 1447. On y alloit en pèlerinage, & il y avoit de grandes indulgences pour les Pèlerins. On l’abbattit l’an 1529. lorsque la Ville embrassa la Réformation.

Une autre source (De campanis templorum, de Paul Christian Hilscher, Leipzig, 1692) indique à deux reprises qu’une version quelque peu différente se serait aussi trouvée sur l’une des cloches de St. Thomas à Leipzig (où Bach avait joué) mais cette information, qui ne précise pas la date de la mention, n’est corroborée dans aucune autre source :

Vivos voco, mortuos plango, tonitrua quoque frango
Jesus Christus, Sanctus Thomas, Sancta Maria Magdalena ora pro nobis
.

La cloche en question repoussait donc non seulement les éclairs, mais aussi le tonnerre.

Des variantes de cette inscription se retrouvent – ou retrouvaient avant la Révolution – sur des cloches en France, telle :

Laudo Deum verum, plebem voco, congrego clerum,
Defunctos ploro, pestem fugo, festa decoro

à Bussière-Boffy (1606 ; source : Nicole Lemaître, « Société et vie religieuse du début du xvie au milieu du xviie siècle », ReSET, 2008-2009) ou sur Emmanuel, le bourdon de Notre-Dame de Paris, fondu en 1685 et baptisé en présence de Louis XIV. Une inscription similaire se trouvait sur la seule cloche de la cathédrale de Rouen qui ait survécu à la Révolution.

Cette formule n’était pas uniquement connue en Europe continentale. Un ouvrage fort utile pour les amateurs de conversation, publié en Angleterre en de nombreuses éditions dans les années 1630-1640 sous le titre de A Helpe to Discourse : or more Merriment mixt with serious Matters; Consisting of Witty, Philosophical, Grammatical, &c. Questions and Answers, as also Epigrams, &c. Together with the Countreyman’s Counsellor, &c., cite un poème en latin de cuisine que l’on pouvait trouver sur des cloches et qui comprend encore une autre variante de cette formule :

En ego campana, nunquam denuntio Vana,
Laudo Deumverum, plebem voco, congrego clerum,
Defunctos plango, vivos voco, fulmina frango,
Vox mea, vox vitas, voco vos ad sacra venite.
Sanctos collaudo, tonitrua fugo, funera claudo,
Funera plango, fulgura frango, Sabbatha pango;
Excito lentos, dissipo ventos, paco cruentos.

Profitons pour signaler que la plus ancienne cloche de Paris, plus vieille encore que celle de Schaffhouse, se trouve dans le clocher de l’église de Saint-Séverin, qui indiquait, au xve siècle, le couvre-feu aux collégiens de l’Université (in Jacques Hillairet, Connaissance du vieux Paris : rive gauche et les îles. Gonthier, 1954). L’inscription qu’elle porte n’a aucun rapport avec celles que nous venons de voir, mais elle ne manque pas d’intérêt, comme on peut le voir ici :

J’ai l’honneur de vous adresser les renseignements que vous m’avez demandés sur la cloche ancienne de Saint-Séverin. C’est, comme vous le savez, en travaillant à la monographie dont vous avez bien voulu me charger, que j’en ai fait la découverte, En disant découverte, je me sers sans doute d’une expression quelque peu ambitieuse ; mais peut-être aussi est-elle justifiée, car aucun écrivain, que je sache, n’a fait mention de cette cloche, et elle était complètement inconnue de toutes les personnes à qui j’ai eu l’occasion d’en parler. Il est facile d’ailleurs de s’expliquer comment, quoique se trouvant à Paris même, elle n’a point encore été signalée au monde archéologique : c’est que, pour constater qu’elle est gothique, il faut pouvoir atteindre jusqu’à sa partie supérieure où se trouve l’inscription qui en établit la valeur. Or, pour cela, comme elle occupe entièrement la largeur du campanile où elle est suspendue, il faut sortir tout le corps hors des baies de ce campanile, ce qui, à quarante et quelques mètres, de terre, n’est ni sans difficulté, ni sans danger, et ce que, par conséquent, on ne tente pas de faire sans y être obligé. La cloche de Saint-Séverin est plus ancienne d’environ un siècle que la flèche du clocher elle-même. Elle n’a point de battant et paraît n’avoir jamais servi que de timbre pour les heures, usage auquel elle est encore destinée. Le son en est clair ; elle donne l’ut dièze, La forme en est élégante, comme vous le montre le dessin très-rigoureux que je vous en ai remis. Elle a 0m,85 de diamètre à sa partie inférieure, et 0m,70 de hauteur, si l’on n’y comprend pas la couronne qui a 0m,17.

Ce qui fait surtout de la cloche de Saint-Séverin un monument vraiment digne d’intérêt, c’est la curieuse inscription qui est gravée en relief, autour de son cerveau. Cette inscription, qui forme deux lignes courant entre des filets d’une fonte assez peu nette, est composée de huit vers, de huit syllabes chacun. Elle est aussi complète qu’on peut le souhaiter ; car elle donne la date (1412) de la cloche, son nom, celui de l’artiste qui l’a fondue, ceux de ses parrains, et enfin sa provenance. Étant parvenu à en prendre un estampage en papier, je l’ai étudiée, et, aidé par le savant M. Paulin Paris, qui a eu l’obligeance de m’éclaircir les trois ou quatre mots qui étaient restes obscurs pour moi, je suis parvenu à la lire complètement. La voici donc, sauf, bien entendu, les erreurs que j’ai pu commettre, et qu’il sera facile à MM. les membres du Comite des arts, à qui je vous prie de la soumettre, de rectifier sur l’estampage même. Je souligne les lettres qui paraissent être en trop et je mets entre parenthèses celle qui semble avoir été omise.

Mil cccc xii annee
des aumosnes des bonnes gens
pour orloge fuz donnée
et daucuns des p[a]roissiens
de Saint Seuerin fuz cy posée
qui lors estoient marregliers
pour y servir — ay nom MaceeDu latin Mathaea, féminin de Mathaeus, Mathias..
Robert Caorn fa li premiers
Regnault Lecleclerc et Ih. Sandrin
et puis de Caville Thomas
me fist de métal pur et fin
ainnsi co[mme] me veoir pourra.

J’ai figuré par une ligne pointée, sur mon dessin, le profil intérieur de la cloche ; vous remarquerez que, assez épaisse vers son bord inférieur, elle est, au contraire, fort mince vers le milieu de sa hauteur. Cette disposition avait évidemment pour but d’économiser le métal, et de l’économiser de façon à ce que cela ne pût être facilement constaté.

Telles sont, Monsieur, les observations que j’ai pu recueillir sur la cloche de Saint-Séverin. Ce n’est pas sans quelque satisfaction, je l’avoue, que j’en ai constaté l’existence, le monument dont vous m’avez confié l’exploration étant tellement connu qu’il n’y avait guère lieu d’espérer que je pourrais y rencontrer quelque chose de neuf ; mais je m’estimerai surtout heureux si vous êtes assez bon pour accueillir ma communication et si les membres du Comité veulent bien penser qu’elle n’est pas tout à fait indigne de leur attention.

Adolphe Berty, « Lettre à Albert Lenoir », citée in Bulletin archéologique publié par le Comité historique des arts et monuments, vol. 4, p. 423. Paris, 1847-1848.

24 novembre 2011

Ode à Saint Omer

Classé dans : Langue — Miklos @ 23:35

La maire
D’une ville au bord de la mer,
Pleure. Elle a perdu sa mère,
Dont l’âme ère,
Amère,
Elle ne sait où, oh mer-
de !

19 novembre 2011

Le Monde : rechute ou récidive ?

Classé dans : Actualité, Langue, Médias, Sciences, techniques — Miklos @ 15:36

La RechuteRechute est formé de re, particule réduplicative, et du mot chute, primitif de choir (en latin, cadere). et la RécidiveRécidive est formé de la même particule re, et du verbe cidere (pour cadere), choir, tomber. marquent l’action de retomber : mais la rechute est celle de retomber dans un état funeste ; et la récidive, de retomber dans un mauvais cas. Toutefois l’idée de tomber est essentielle et rigoureuse dans la rechute, et non dans la récidive. On dit se relever d’une chute : après qu’on s’en est relevé, on retombe par la rechute. Mais on dit, se mettre dans un mauvais cas ; et après qu’on s’en est tiré, on s’y remet par la récidive. Il résulte de là que la rechute marque la faiblesse ou la légèreté ; et la récidive, l’opiniâtreté ou l’imprudence. C’est parce qu’on n’est pas assez ferme ni assez constant, qu’on fait une rechute : c’est parce qu’on ne veut pas se corriger ou s’observer, qu’on passe à la récidive. Guéri, ou rétabli, jusqu’à un certain point, dans son premier état, on retombe : puni, ou ayant obtenu son pardon vainement, on récidive, on recommence. Il y a donc, en général, plus de malice dans la récidive que dans la rechute, et plus de malheur dans la rechute que dans la récidive. — Cependant ces termes, quoiqu’ils aient à peu près le même sens, ne se confondent point, parce qu’ils sont exclusivement consacrés à quelque ordre particulier de choses. Rechute est un ternie de médecine et de morale : un malade ou un pécheur fait une rechute. Récidive est un terme de jurisprudence et de lois pénales : un coupable, un délinquant, fait une récidive. La rechute est donc une maladie funeste, ou du corps, ou de l’âme : la récidive est un délit ou une faute punissable selon la loi. La rechute est plus dangereuse que la première maladie : la récidive est plus sévèrement punie que le premier délit. Leur synonymie consiste donc à désigner le retour dans la même faute, ou dans le même mal. — Boinvilliers, Dict. univ. des synonymes de la langue française. 1826.

Depuis jeudi, impossible de rajouter ou de corriger des billets dans la version de ce blog hébergée au Monde : ce n’est pas une panne généralisée, d’autres blogs du Monde continuent à publier des billets.

Cet hébergement n’est « donné » qu’à ses abonnés contre monnaie sonnante et trébuchante (c’est bien le cas, comme on le verra tout de suite), débitée auto­ma­ti­quement et non pas à l’acte, et en catimini de surcroît (sans notification par mail qu’il a eu lieu, tandis qu’une pléthore d’autres émissions élec­tro­niques proviennent de leur site à raison de plusieurs par jour). Le service effec­ti­vement rendu (quand il l’est) n’est pas, lui, automatique, peu s’en faut.

On s’arme de sa plus belle plume électronique et on le signale le jour même au « service support blogs » et « service clients ». Le premier, à son habitude, ne répond pas, tandis que l’autre renvoie un accusé de réception automatique, assurant que leurs équipes mettent tout en œuvre pour répondre dans les meilleurs délais. Que veut dire « meilleur », concrètement, ça on s’en doute déjà un peu, au vu de l’expérience acquise.

Vendredi matin, l’empereur, sa femme et le p’tit prince… Pardon, vendredi matin, la gestion du blog est toujours impossible. On envoie un autre message au support blogs. On profite pour leur signaler que l’on continue (parce qu’on le leur avait déjà signalé) à recevoir des commentaires n’ayant aucun rapport avec le propos du billet, et dont le but est de faire de la publicité pour un service en ligne, en provenance toujours du même réseau russe mondialement connu – 91.212.226.* – et qu’il serait donc possible de bloquer à la source pour éviter ces notifications (à raison de plusieurs par jour, parfois), mais non, cela fait des semaines que cela continue.

Pas de réponse.

Vendredi après-midi, on envoie encore une fois un signalement sur ce défaut, cette fois via la page du site du Monde pour ce faire (bien cachée au fin fond des FAQs et autres littératures supposées résoudre tous nos problèmes). L’accusé de réception ne se fait pas attendre. Mais la situation est inchangée.

Samedi matin, on teste par acquis de conscience l’accès à la gestion du blog, et, oh miracle !, c’est reparti. On n’en a pas été informé, ce qui peut s’expliquer de deux façons différentes : soit « ça s’est réparé tout seul », mais alors il faut être un grand croyant dans les capacités d’intelligence artificielle des machines ; soit il y a eu une intervention humaine, et alors on est en droit de se demander pourquoi on n’en a pas été prévenu.

Samedi après-midi, le service client répond finalement au courrier qu’on leur avait envoyé deux jours plus tôt. Il demande si l’on a « effectué l’étape d’identification à notre site ». Bien sûr que oui, on le leur avait même précisé. On le leur répond poliment, ils renvoient automatiquement un accusé de réception. On s’attend à recevoir une réponse humaine dans deux jours. On est curieux de voir ce qu’ils vont bien pouvoir écrire.

Alors, chère lectrice, cher lecteur, rechute ou récidive ?

Et deux jours plus tard…

Le service client du Monde répond au courrier qu’on leur avait envoyé deux jours plus tôt. Il demande si l’on a « effectué l’étape d’identification à notre site ». Bien sûr que oui, on le leur avait même précisé. Et même deux fois plutôt qu’une. On le leur re-re-précise. Et on attend deux jours de plus pour voir.

Un air de déjà-vu, dites-vous ? Oui-da, il s’avère que c’est une réponse automatique. Alors pourquoi met-elle deux jours à parvenir, puisque de toute façon il ne semble y avoir plus personne d’humain à l’autre bout ?

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