Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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30 janvier 2012

Life in Hell: les tribulations de Jeff et Akbar en Indochine

Classé dans : Lieux — Miklos @ 8:26

Suivant de très loin le célèbre exemple du jeune, riche et généreux Kin-Fo et de son maître le philosophe Wang, Jeff et Akbar se décident à parcourir l’Indochine, non pas l’un à la poursuite de l’autre, mais ensemble. Ils n’en font pas le tour en ballon en 80 jours, mais la parcourent du nord au sud et à l’ouest en avion, en voiture, en jonque, à dos de scooter, en tuk-tuk et à pied.

Dans les rues de Hanoï se déverse un torrent dense et tumultueux de scooters, qui, à l’instar d’une nuée de sauterelles stridu­lantes, semble se diriger uniformément dans une même direction mais où, lorsqu’on s’en rapproche, on distingue des individus filant à droite ou à gauche, à contresens de la circu­lation ou perpen­di­cu­lairement que les feux soient au vert ou au rouge, sur la chaussée comme sur les trottoirs, se glissant dans le moindre interstice, même entre Jeff et Akbar, dans le but unique d’avancer en évitant les obstacles tout en klaxonnant à tout bout de champ, tandis que les marchandes ambulantes – à bicyclettes surchargées au point de ressembler à un éléphant ou portant avec une démarche déhanchée bien particulière leurs marchandises sur deux lourds plateaux accrochés en balancier aux deux extrémités d’une barre de bois posée en équilibre sur leurs épaules – et les autres piétons traversent imperturbablement ce flot qui les contourne en les frôlant, à défaut de négocier les trottoirs occupés par les cuisines de rue et leurs clients assis à croupetons sur de minuscules tabourets, aspirant bruyamment les nouilles qu’ils extraient avec des baguettes d’un bol fumant, cernés de scooters garés en rangs d’oignon serrés.

La myriade d’îles de la baie d’Along plongée dans une épaisse brume sont colorées d’une infinie palette de gris et leurs silhouettes aux formes fantasmagoriques, dolichocéphales pour certaines dont une coiffée d’une petite pagode, dentelées comme les Dolomites et aux profils parfois curieusement humains pour d’autres, roches sombres nues ou couvertes de végé­tation, inhabitées à part par quelques singes guettant les bananes que leur lance Akbar, falaises tombant à pic dans l’eau ou rivages bordés d’une plage de sable fin, rochers plantés sur la mer tels des châssis de décors de théâtre les uns derrière les autres et entre lesquels évoluent tels des vaisseaux fantômes les innombrables jonques de touristes, les barques des pêcheurs lançant leurs filets et celles des magasins flottants aussi bien achalandés qu’une petite épicerie de quartier partis à l’abordage des navires ancrés dans la baie pour s’en détacher une fois l’affaire conclue, tandis qu’un large rapace noir plane silen­cieu­sement dans les airs à l’affût d’un quelconque poisson.

(À suivre)

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

27 janvier 2012

The snows of yesteryear are gone with the wind

Classé dans : Cinéma, vidéo, Langue, Littérature, Musique — Miklos @ 22:48

In his essay Villon: The genius of the tavern, Irish writer Robert Lynd (1879-1949) attributes to Pre-Raphaelite poet Dante Gabriel Rossetti the phrase “But where are the snows of yesteryear”, his beautiful rendering in English of “Mais où sont les neiges d’antan ?”. It is the nostalgic refrain of the Ballade des dames du temps jadis of François Villon (ca. 1431-1463?), “poet, pimp and pickpurse” (as Swinburne qualified him), and for whose title Rossetti provides a surprisingly pedestrian and approximate interpretation. Here is what Lynd has to say:

No one has ever celebrated the inevitable passing of loveliness in lovelier verse than Villon has done in the Ballade des Dames du Temps Jadis. I have heard it maintained that Rossetti has translated the radiant beauty of this ballade into his Ballad of Dead Ladies. I cannot agree. Even his beautiful translation of the refrain,

But where are the snows of yesteryear,

seems to me to injure simplicity with an ornament, and to turn natural into artificial music.

He then goes on to criticize Rossetti’s translation which he qualifies as “the beautiful writing of an exercise”, adding that “One sees how Rossetti is inclined to romanticize that which is already romantic beyond one’s dreams in its naked and golden simplicity”.

Yet this particular verse is not only very aptly translated, it is also quite a literal rendering of the original, almost word for word: antan means last year (from vulgar Latin ant anu, from ante annum), and, by extension, years past, both which are the meanings of yesteryear.

So one is left wondering as to Lynd’s qualification of Rossetti’s translation of this particular verse as artificial and adding a useless ornament. Maybe he had in mind Louisa Stuart Costello’s translation (in her Specimens of the Early Poetry of France, 1835):

Where is fled the south wind’s snow?

This surprising (mis)translation can only be attributed to a failing eyesight: Costello confused antan with autan, as it shows in her quoting the refrain in French before her rendering in English of the poem:

Autan denotes in French a southeastern cold wind. It is not to be confused with autant (meaning as much as), which happens to be the initial word of yet another strikingly elegiac refrain of a ballade of the same Villon (from his 1461 Testament):

Autant en emporte le vent

It is known to many more people than those who have ever heard of Villon in either language, as it has been used to render into French the title of Margaret Mitchell’s best-seller and that of the eponymous movie starring Clark Gable and Vivien Leigh, Gone With The Wind.

But this verse must have made a strong impression almost as soon as Villon penned it: it appears as the first verse of an anonymous poem which composer Pierre de la Rue (ca. 1450-1518) put in music:

Autant en emporte le vent
Qu’il n’a qu’un baiser seulement,
Combien qu’il soit donné de bouche,
Si le cueur ne donne la touche,
Ou y met son consentement,
Autant en emporte le vent.

(source)

4 janvier 2012

Amadis le bien gaulé

Classé dans : Actualité, Danse, Langue, Musique, Médias — Miklos @ 15:25

La critique musicale de Libération de ce jour consacre un double-page à Amadis de Gaule, opéra de Jean-Chrétien Bach, œuvre « à la charnière du baroque et du classique (…), chaînon manquant entre Gluck [et Mozart] » qui se donne actuellement à l’Opéra-Comique.

Si l’article trouve la mise en scène un peu trop minimaliste, on peut constater, au vu de l’extrait ci-dessus, qu’elle a certains aspects « éventuellement comique[s] ». C’est aussi le cas du texte du second paragraphe, dont la césure est éventuellement gay friendly, elle aussi. Un spectacle qu’on recommande donc à Christine Boutin (ou à son conseiller).

N’ayez pas peur

L’année 2012 sera l’une des meilleures de mémoire d’homme. Vous en doutez ? Il suffit d’écouter les candidats aux élections présidentielles.

Vous souvient-il (sur un air connu) d’un quidam qui promettait en 2007 monts et merveilles et avait pris quinze engagements, parmi lesquels « une démocratie irréprochable », « vaincre le chômage », « augmenter le pouvoir d’achat », etc. ?

Il s’avère que c’est plutôt le contraire qui s’est réalisé (emploi du passif par euphémisme). La crise ? Une crise de nerfs permanente de ce quidam (qui, comme le dit Gaino en personne, « gère tout à l’affect. La contrepartie de l’affect, c’est la brutalité »). Casse-toi

Or maintenant, voilà que tout le monde nous promet que ça ira vraiment mal, du climat écologico-météorologique à celui de l’emploi, d’une croissance des impôts et des charges inversement proportionnelle aux revenus au « travailler-plus-pour-gagner-moins, d’une désertification des campagnes à une urbanisation délirante, tout ceci assorti de conflits de plus en plus virulents pour s’accaparer les ressources essentielles en voie de disparition, pour culminer, le 21 décembre, par la fin du monde selon les Mayas (à ce propos, on vous suggère d’aller voir leurs masques à la Pinacothèque, ils font encore plus peur que leurs prédictions).

Eh bien, puisque les statistiques ne trompent pas, elles, contrairement aux prophètes de malheur qui n’ont de cesse de le faire, rien de cela ne devrait avoir lieu, puisque c’est toujours l’inverse qui se passe finalement. On peut donc s’attendre à ce que la Terre refroidisse (juste un peu pour sauvegarder les ours blancs) et que le Sahara refleurisse, que tout le monde mange et boive à sa faim et que les maladies incurables ne le soient plus, que le loup et l’agneau vivent en bonne entente et que l’homme aime son prochain comme lui-même, enfin qu’il fasse tellement bon ici bas que les bienheureux préféreront quitter le Paradis pour se réinstaller parmi nous en repeuplant les campagnes tels les post-soixante-huitards d’antan en y faisant renaître labourage et pâturage bio, ces vraies mines et trésors du Pérou, car s’il est vrai que les campagnes peuvent vivre sans les villes, les villes ne peuvent pas vivre sans les campagnes. Que du bonheur.

On peut toujours rêver.

3 janvier 2012

Il y a 150 ans, déjà… (et bien avant aussi)

Classé dans : Actualité, Langue, Société, Économie — Miklos @ 0:06

Banque : Opération financière dont la portée est exagérée bien au-delà de sa valeur. — Les nombreuses faillites de banquiers menant le train le plus opulent, ont dû faire naître la nouvelle acception de ce mot. — Cette étymologie nous paraît plus naturelle que celle de banc ou tréteau de charlatan, avancée par quelques philologues.

« Ah ! c’est une bonne banque. » — Labiche.

Banque : Étalage de promesses mensongères : — Toute la banque dont l’essai est inutile avec l’homme de lettres qui attend sa semaine pour manger. » — Goncourt.

Banquiste : Charlatan, faiseur de banques.

« Les rois banquistes, caparaçonnés de paillons. » — P. Borel, 1833.

« Je doute fort que le nouvel exploiteur soit dans mes idées. — Qui est-ce ? — Une espèce de banquiste nommé Vernouillet. » — E. Augier.

Bouillon : Mauvaise opération, passe dangereuse.

« Le métier est rude à la Bourse, sans parler des soucis et des bouillons. » — Mornand.

« Bouillon, mot en usage dans la librairie pour peindre une opération funeste. » — Balzac.

« Il a bu un fameux bouillon » : manière burlesque de dire qu’un marchand a fait une perte considérable. — Dhautel, 1808.

Carotter, tirer une carotte : Obtenir par fraude quelque chose. (…)

Carotteur, tier : Expert en l’art de tirer une carotte.

« Les missives carottières destinées aux banquiers que nous a donnés la nature. » — La Bédollière.

Chou colossal : Entreprise destinée à tromper le public par des promesses ridiculement alléchantes.

Coup de pistolet : « Alléché par l’exemple et la perspective de quelques bénéfices énormes, et qui par cela même représentent la mort de milliers de gens, un novice vient tirer un coup de pistolet à la Bourse (c’est l’expression pour désigner une opération isolée et sans suite, un coup de main). » — Mornand.

Déveine : Malheur constant dans une série d’opérations quelconques. C’est le contraire de veine qui signifie au propre le filon de la fortune. On dit veinard.

« Il paraît que la banque est en déveine. » —About.

Homme de paille : Homme couvrant de son nom des actes, des écrits qui n’émanent pas de lui. Le journalisme et la finance emploient fréquemment l’Homme de paille.

Lorédan Larchey, Les excentricités du langage. Quatrième édition singulièrement augmentée. Paris, 1862.


Honoré Daumier : Le Banquier. Appelé capacité financière parce qu’il n’est autre chose qu’un récipient, un coffre exclusivement propre aux finances.
Le Charivari, 16 octobre 1835.

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