Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

8 décembre 2012

Individualisme de masse

Classé dans : Peinture, dessin, Publicité, Société, Économie — Miklos @ 22:20


Individualisme de masse.
(cliquer pour agrandir)

Why do you have to be a non-conformist like everybody else? — James Thurber.

Il y a là, constamment en germe, un indi­vi­dua­lisme de masse, retenez bien le mot : un indi­vi­dualisme de masse dont nous n’avons pas fini de sentir les effets. — Pierre Gascar, Les Bêtes, suivi de Le Temps des Morts. NRF Gallimard, 1953.

Les marques – de vêtements, de voitures, d’ordinateurs et de gadgets électroniques, de vins, de cigares, d’hôtels… bref, de produits commerciaux –, sont la quintessence même du conformisme : « je porte (possède, utilise, mange) du …, donc je fais partie de ceux qui sont dans le vent puisqu’ils en portent (possèdent, utilisent, mangent) aussi ».

Quelle que soit l’originalité de l’objet, il est souvent produit lui-même à des milliers, voire des millions d’exemplaires identiques ; on ne peut donc qu’être amusé de voir qu’une marque de sièges design propose un modèlePrototype d’un objet destiné à la fabrication industrielle en série [...]. TLFi qui s’appelle Chaise Non Conformist.

Plus il y aura d’acheteurs et de fans, plus la rentabilité pour la marque sera au rendez-vous. La publicité n’hésite pas à faire appel à des people (on n’ose imaginer à quels coûts) pour en vanter les mérites, et monsieur Tout-le-monde (et madame aussi), rêvant de célébrité, se précipitera sur l’objet en question, comme si sa possession lui conférait un peu de cette aura. Le logo étant souvent visible, l’acheteur se transformera du même coup en paneau publicitaire ambulant, tout gratos pour la marque.

Une autre stratégie de valorisation d’une marque consiste à utiliser la rareté, celle de l’exemplaire réellement unique ou numéroté, qui n’est à la portée que de quelques heureux élus, ce qui se saura et contribuera à la notoriété de la marque, et, par là, au succès commercial de ses produits grand public. Cette double démarche se retrouve par exemple celle de la haute couture et de ses prêts-à-porter.

Entre les deux – l’unique et le clonage en masse – se placent les « options de personnalisation » destinées à donner au client le sentiment qu’il peut se choisir, voire concevoir lui-même, le produit réellement unique, à partir d’un nombre fini de combinaisons qui se répéteront donc et qui n’auront garde de masquer la filiation commune à la marque.

Comme quoi, le non-conformisme n’est finalement que très relatif : il distingue ceux qui n’ont pas l’objet – seraient-ce les vrais non-conformistes ? – de ceux qui le possèdent et qui, d’une certaine façon, se ressemblent tous. Il en va de même, plus généralement, en ce qui concerne les comportements socialement normés : des minorités qualifiées à certains égards de non-conformistes exhibent, en interne, des conformismes parfois très poussés.

Il en ressort que, pour prétendre au titre de non-conformiste absolu, il faut être un anti-modèle parfait, incopiable et inimitable, nonpareil. Invisible, donc.

4 décembre 2012

Grand bal du printemps

Classé dans : Histoire, Langue, Peinture, dessin — Miklos @ 2:25


Adolphe Dillens : Allant à la kermesse, ca. 1870. (
source)
Cliquer pour agrandir.

Selon les Archives historiques et littéraires du Nord de la France et du Midi de la Belgique d’Antoine Leroy et al. (1829), « Kermesse ou Karmesse dérivent du tudesque kerkmis, kirchmess, kirmiss ou kirmess, composé de Kerk ou Kirch, église, et de mis ou messe, foire. » et désignait, ainsi que Ducace ou Dédicace, la fête anniversaire de la dédicace d’une église.

On trouve le mot Kermesse dans un texte datant de 1595 avec une note de bas de page qui en explique le sens – plus festif et laïc que celui qu’on vient de voir –, ce qui laisse présumer que son usage n’était pas encore commun en français :

… ou comme les peintres de Flandre, quand ils peignent les Kermesses de Village1, où l’excellent est de n’y mettre une seule morgue, geste, ni contenance, qui ne soit inepte & ridicule. »

Supplément aux Mémoires de Condé, troisième partie, ou Apologie pour Jehan Chastel, Parisien, exécuté à mort, & pour les pères et écoliers de la Société de Jésus, bannis du Royaume de France. Contre l’arrêt de Parlement donné contre eux à Paris, le 29 décembre anno 1594, par François de Vérone Constantin. 1595.

_______
1 Kermes.] Ce sont les foires, qui se font tous les ans dans les villes & villages des Pays Bas, & où se rendent beaucoup de baladins, pour divertir le peuple.

Cet ouvrage au titre (et à l’attribution) si curieux est de la main d’un certain Jean Boucher et non pas de celle de François de Vérone qui n’a pas existé, ni surtout de celle de Louis ier de Bourbon, prince de Condé, chef des protestants et oncle du futur Henri iv, mort assassiné à Jarnac en 1569. Son sujet en est Jean Châtel, coupable d’avoir tenté d’assassiner Henri iv en 1594 et écartelé pour ce fait. Ce jeune homme de 19 ans ayant été élève des Jésuites, on les accusa d’avoir suscité son acte, ce pourquoi les professeurs de son collège furent bannis, et l’un d’eux même brûlé en place de Grève, d’où la deuxième partie de ce titre à tiroirs.

Quant à Jean Boucher, il n’avait pas été convaincu par la récente abjuration solennelle du roi – l’année précédant cette tentative de meurtre – en conséquence de quoi il avait appelé le peuple à le rejeter : il n’est donc pas si étonnant qu’il soit parti à la défense de l’homme qui avait voulu l’assassiner, comme d’ailleurs il avait approuvé le meurtre de son prédécesseur Henri iii contre lequel il avait eu une dent longue autant par écrit qu’à partir de sa chaire, à tel point que :

«Le 30 décembre [1587], le roi [Henri iii] manda venir au Louvre sa Cour de parlement et la Faculté de théologie, et fit aux docteurs une âpre réprimande, en la présence de la Cour, sur leur licence effrénée et insolente, de prêcher contre lui et contre toutes ses actions ; même touchant les affaires de son État : et s’adressant particulièrement à Boucher, curé de Saint Benoît, l’appela méchant, et plus méchant que défunt Jean PoisleConseiller au parlement de Paris sous Henri III., son oncle, qui avait été indigne conseiller de sa Cour : et que ses compagnons, qui avaient osé prêcher contre lui plusieurs calomnies, ne valaient guère mieux ; mais qu’il s’adressait particulièrement à lui, pour ce qu’il avait été si impudent que de dire en un sermon qu’il avait fait jeter en un sac en l’eau Burlat Théologal d’Orléans, combien que le dit Burlat fût tous les jours avec lui et ses compagnons, buvant, mangeant et se gaussant […]. »

Pierre de l’Estoile, Journal de Henri III roi de France et de Pologne, ou Mémoires pour servir à l’histoire de France. 1744.

Pierre de l’Estoile nous raconte en passant qui était ce Jean Boucher :

«Jean Boucher, curé de Saint Benoît, fut un des quatre premiers Ligueurs, et devint même un des plus furieux : il était né à Paris en 1551 d’une bonne famille dans la robe. En 1581, il faut prieur de la Sorbonne et recteur de l’Université ; il soutint au Parlement la même année le droit de l’Université sur le Parchemin et les Parcheminiers. En 1582 et 1584 il fut lecteur, c’est-à-dire professeur en théologie : en 1585 et 1586, il devint un des premiers Ligueurs, et dans la suite, il fut du nombre des Seize. Dès que dans ces temps de troubles on voit une action violente ou cruelle, on peut dire que Jean Boucher y a part. Et lorsque la ville de Paris fut soumise à l’obéissance du roi, le 22 mars 1594, il fut obligé d’en sortir avec toutes les troupes espagnoles. Retiré en Flandres, il y fait en 1595 l’horrible livre de l’Apologie pour Jean Châtel, livre qui contient un abus continuel de l’Écriture sainte, et qui, par un fanatisme outré, tend à la destruction de tout gouvernement. […] Ce séditieux fugitif ne mourut que le 21 février 1646, âgé de 95 ans. »

Il se pourrait donc que ce soit Jean Boucher qui, réfugié aux Pays-Bas, ait importé du flamand le mot qui a donné kermesse en français, même si l’on trouve dans des textes français antérieurs des références au terme flamand (« …comme sont les processions en été qu’ils appellent Kermis… », dans Description de tout le Païs-Bas de Lodovico Guicciardini, publié en 1568).


Joop Geesink : Kermesse fantastique. Amsterdam, 1951. (
source)
Cliquer pour agrandir.

3 décembre 2012

Oy vey ! ou, quand le mieux est l’ennemi du bien, ou encore, au-delà du charabia

Classé dans : Langue, Littérature, Sciences, techniques — Miklos @ 2:06


Cliquez pour agrandir.

Soleil lâche la corde les murs ne dansent plus
Soleil laisse aux oiseaux des voies impénétrables.
— Paul Éluard, Fin d’un monstre (1938).

Les traducteurs automatiques n’auront de cesse de nous surprendre. On s’est habitué, voire résigné, au charabia, parfois amusant, souvent incompréhensible, qui émaille, depuis la nuit des temps (informatiques) les résultats de leurs piteux efforts linguistiques. La sémantique n’est pas leur fort, et on n’est plus étonné de les voir encore traduire de l’anglais « Fruit flies like an apple » par « Les mouches des fruits comme une pomme » en confondant le verbe flies (« vole ») et la préposition like (« comme ») avec le substantif (« mouches ») et le verbe (« aiment ») correspondants… ce qui n’est tout de même pas moins bizarre mais tout aussi cocasse que l’autre confusion possible, « Le fruit vole comme une pomme » (à l’instar du « Time flies like an arrow »).

Mais là, il y a tout de même de quoi être sidéré. L’original est un article de Forverts, journal américain en langue yiddish, qui parle du colloque international Permanence du yiddish, qui s’était tenu les 12 et 13 novembre à l’Unesco à Paris et où j’avais animé une table ronde à laquelle participait l’auteur de cet article. Le paragraphe en question traite de l’une des deux allocutions d’ouverture, et comme on peut le comprendre tant bien que mal de la traduction, celle-ci avait été donnée par « Prof. Natalia Krynicka ». Sauf que…

Sauf que dans le texte en yiddish le nom de l’orateur est « Prof. Itskhok Niborski », ce que tous les participants pourront confirmer (ainsi que les photos prises sur les lieux). Comment diable cet interprète robotisé de Google (qui n’était pourtant pas présent à ce colloque) a-t-il fait pour substituer à ce nom celui d’une des participantes à ma table ronde (qui s’était tenue le lendemain de l’allocution en question) et qui n’apparaît pas à proximité dans ce texte ?

Les voies des robots informatiques sont parfois encore plus impénétrables que celles que le soleil laisse aux oiseaux (ou que le texte lui-même de ce poème).

2 décembre 2012

The nakid truth

Classé dans : Actualité, Littérature, Médias — Miklos @ 12:57

L’actuel duc de Cambridge – j’ai nommé le prince William, fils aîné de l’héritier de la couronne britannique – doit se demander quelle nouvelle tuile tombera sur son auguste tête.

Après les récentes frasques de son jeune frère (on ne peut s’empêcher de penser au titre du roman The Trouble With Harry de Jack Trevor Story, publié en 1949) qui aurait exhibé ses bijoux de famille en petit comité (ce qui a immédiatement fait le tour de la planète), voici qu’un inconnu chevauche la statue équestre du précédent titulaire du titre, vêtu du même célèbre costume sans pour autant être ni duc ni a fortiori grand duc, même s’il se trouve plus haut placé que le duc en question. Ce dernier, d’ailleurs, ne suit pas du regard ce que lui indique le jeune homme : il semble plutôt contempler les bijoux en question.

Rien d’étonnant, les mœurs britanniques sont différentes des nôtres (et de celles des Russes) :

«Il y avait des corps nus, en tant que biologiste je peux dire que le sexe tel qu’il est montré au public londonien ne correspond pas à la réalité. […] Nous nous trouvions dans la cuisine qui donne sur un jardin. Je n’ai pas compris pourquoi les Anglais se promènent nus et s’embrassent. Ils sont très sérieux. Au lever du jour, d’autres Anglais nus sont venus par le jardin. »

Rafaël Pividal, Pays sages. Roman. 1977.)

Pour tenter de faire le Point sur un imProglio

Classé dans : Actualité, Médias — Miklos @ 10:11


Cliquer pour agrandir

La page d’accueil du Point indique ce matin que le second article le plus populaire parmi ses nouvelles est celui intitulé « Henri Proglio assigné en justice par son fils » (qui, selon ce qu’on peut en voir, s’appellerait, lui aussi, Henri, comme il était d’usage d’ailleurs chez les rois de France). Une presse dite sérieuse n’a d’ailleurs pas manqué de relayer cette information, comme on peut le voir ci-dessus.

Or, si vous voulez consulter l’article sur le site du Point, il s’avère que « La page que vous recherchez n’existe pas », tandis que sur celui de L’Expansion s’affiche un message (qui n’est pas passé sous l’œil vigilant de ses correcteurs – ou peut-être il n’y a plus que des correcteurs automatiques, qui, eux, ne savent pas toujours faire la différence entre a et à) qui indique que la page aurait été déplacée et qui propose des outils pour retrouver l’information, mais sans succès.

Serait-ce son contenu qui était déplacé ? Les amateurs de théories conspirationnistes ne manqueront de s’exclamer, « Mais que nous cache-t-on ? ». Ceux qui consulteront la Wikipedia n’y trouveront aucune mention dudit fils.

Face à ces failles du savoir, on ne peut que conclure provisoirement que la vérité est ailleurs et qu’à défaut d’avoir fait le point il ne nous reste que des points de suspension, ou, pour faire plus savant, en considérant ces traces comme des symptômes, invoquer Lacan : « Le symptôme représente le retour de la vérité dans les failles du savoir. »

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos