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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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28 mai 2019

Un cimetière bien mal placé…

Classé dans : Géographie, Histoire, Lieux — Miklos @ 22:23

Quartier de Saint Nicolas des Champs, plan de Merian, 1615. Quartier de Saint Nicolas des Champs, plan de Merian, 1615.
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Le Plan de Paris sous Louis XIII de Mathieu Mérian (1615) est intéressant à plus d’un égard, comme le précise l’ouvrage Les Plans de Paris – Histoire d’une capitale de Pierre Pinon et Bertrand Le Boudec (2004) :

[C’est] un des derniers grands plans de Paris à vol d’oiseau, mais il est en même temps nouveau car, par le choix d’un angle de vue plus faible, il se rapproche davantage d’une vue oblique, d’un profil même, que d’un plan. […] Comment Merian est-il parvenu à cette exactitude et à ce réalisme, servis par un graphisme remarquable ? Par le format d’abord, bien supérieur à celui des plans de Münster ou de Braun. Par un levé plus précis.

Pas si précis que cela, quand on y regarde de près : ce plan situe le cimetière Saint Nicolas (dépendant de l’église voisine Saint Nicolas des Champs, en rouge dans le plan ci-dessus) entre les rues gr. S. Ladre (actuellement Grenier Saint Lazare), Trace Nonnain (ou Transnonain, actuellement Beaubourg) et Monmorency (actuellement Montmorency), alors que le quatorzième feuillet du plan dit de Turgot (dessiné par Louis Bretez entre 1735 et 1739, cf. ci-dessous) le place entre les rues de Mont-Morenci (Montmorency), Transnonain (Beaubourg) et – comme il se doit – du cimetière St Nicolas (actuelle rue Chapon). Curieusement, dans le plan de Mérian, la rue du cimetière St Nicolas y figure correctement, tandis que c’est le cimetière éponyme qui s’en est écarté.

Quartier de Saint Nicolas des Champs, plan de Turgot, 1735-1739. Quartier de Saint Nicolas des Champs, plan de Turgot, 1735-1739.
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On est en droit de se demander pourquoi ce cimetière ne jouxte pas l’église dont il dépend. On en trouve l’explication dans le Paris ancien et moderne, ou, Histoire de France divisée divisée en douze périodes appliquées aux douze arrondissements de Paris, et justifiée de Jean de Marlès (1838) :

Nous parlerons ailleurs de l’église Saint-Nicolas-des-Champs, aujourd’hui comprise dans le sixième arrondissement ; nous devons nous borner ici à faire mention de son ancien cimetière, qui se trouvait à quelque distance de l’église même. Jusqu’à l’an 1220, c’était la cour de Saint-Martin-des-Champs qui avait servi de cimetière pour Saint-Nicolas ; mais cet emplacement était étroit, malpropre, incommode ; il n’était point fermé et ne pouvait l’être ; les chevaux et d’autres animaux s’y introduisaient ; le repos des religieux était d’ailleurs troublé par les fréquents enterrements. […] Tant d’inconvénients réunis engagèrent les religieux de Saint-Martin et les prêtres de Saint-Nicolas à demander de concert à l’évêque de Paris la translation de ce cimetière ; ce que ce prélat accorda. Alors Saint-Nicolas obtint un emplacement clos de murs, situé près de la rue Chapon et appartenant aux religieux. Le curé de Saint-Nicolas et ses paroissiens s’obligèrent de leur côté à faire un chemin ou rue qui conduisît au nouveau cimetière. Cette rue, qui porte encore le nom de rue du Cimetière-Saint-Nicolas, fut ouverte immédiatement (1220). Une chapelle fut construite, suivant l’usage, dans ce cimetière sur lequel se sont élevées, depuis la révolution, plusieurs maisons particulières.

Cette erreur affecte aussi la localisation du couvent des Carmélites qui se trouvait face à l’entrée du cimetière sur la rue Transnonain, entre les rues Chapon et Courtaut Vilain (actuellement Montmorency) et qui se retrouve décalé d’une rue dans le plan de Mérian. Le Guide alphabétique des rues et monuments de Paris à l’usage des voyageurs et des parisiens de Frédéric Lock (1855) en dit ceci, à propos de la rue Chapon :

Au XIIIe siècle on la trouve sous les noms de rue Robert-Begon, ou Beguon, ou Capon ; on l’a appelée aussi du Coq. Son nom actuel parait être celui de quelque particulier. Dans cette rue était un couvert de Carmélites, établi en 1619 dans l’ancien hôtel des évêques de Châlons. Il s’étendait du n° 13 de la rue Chapon, en suivant la rue Transnonain (aujourd’hui Beaubourg), jusqu’au n° 10 de la rue Montmorency. Ce couvent, supprimé en 1790, a été démoli.

La rue Chapon, terminée autrefois rue Transnonain (Beaubourg), a été, en 1851, prolongée jusqu’à la rue St-Martin par l’adjonction de la rue du Cimetière St-Nicolas, ainsi nommée parce qu’elle conduisait au cimetière de la paroisse St-Nicolas des Champs;  elle allait de la rue Beaubourg à la rue St-Martin.

Soit dit en passant, à propos du curieux nom d’une des rues bordant ce pâté de maison, la rue Courtaut-Vilain, voici ce qu’on peut lire dans Paris, Versailles et les provinces au dix-huitième siècle de J. L. M. Dugast de Bois-Saint-Just (1817) :

M. de Mandat avait un très-bel hôtel, dont la porte d’entrée par la cour donnait sur la rue Chapon, et une autre par les jardins, sur la rue Courtaut-Vilain. Mais ayant reçu une lettre dont la suscription était : À M. de Mandat, Chapon par devant, Courtaut-Vilain par derrière, il fut si piqué de cette plaisanterie, qu’il mit tout son zèle à demander le changement de nom de ces deux rues. Il ne gagna cependant que la moitié de son procès. La rue Chapon continua de porter le même nom ; l’autre prit celui de Montmorenci, malgré l’opposition sérieuse d’un propriétaire qui, s’appelant M. Vilain, prétendait que ses ancêtres avaient donné le nom à cette rue, et était enchanté qu’on lui écrivît : A M. Vilain, hôtel Vilain, rue Courtaut-Vilain

Enfin, à propos du plan de Turgot susmentionné, voici ce que dit l’ouvrage de Pinon et Le Boudec :

Paradoxalement, le plus connu des plans de Paris est un plan à contre-courant. Devenu un indispensable outil de travail administratif, le plan géométral offre le défaut d’être moins parlant aux yeux du public que les premières vues à vol d’oiseau. Michel-Étienne Turgot, Prévôt des Marchands, saisit cet enjeu de communication et décide, quatre-vingts ans après leur abandon, de commander un nouveau plan perspectif, “[Considérant] que les différents plans qui, jusqu’à présent, ont été levés […] quelque exacts qu’ils puissent être dans les proportions, et justes dans les mesures, ne sont absolument pas capables de satisfaire la curiosité des sujets du Roi et des étrangers et que pour y parvenir, il serait à propos de la représenter en vue perspective et élévation.” »

Pour les touristes, donc… Puis ce mode de représentation en perspective a de nouveau disparu, pour ne réapparaître que très récemment (merci Toto) dans Google Maps, comme on peut le voir ci-dessous pour la vue actuelle du même quartier (où l’on a indiqué la localisation du cimetière, . Il faut dire qu’à une échelle comparable les noms des rues sont bien plus difficiles à lire…

Quartier de Saint Nicolas des Champs, Google Maps Quartier de Saint Nicolas des Champs, Google Maps.
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On laissera le lecteur curieux trouver d’autres incohérences dans le plan de Merian (et il y en juste à proximité).

4 mai 2019

Coïncidence, ou, Un bon usage des Usages du Monde

Classé dans : Histoire, Livre — Miklos @ 20:45


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De curieuses, parfois réellement étranges, coïncidences émaillent mon quotidien ; elles surviennent sans prévenir, illuminent, telles des comètes, de leur longue traîne née parfois dans un lointain passé ma vie, puis disparaissent en laissant la trace d’un certain merveilleux. En voici une.

Biblio-FR était le nom d’un forum de discussions (diffusé par courrier électronique) créé en septembre 1993 par Hervé Le Crosnier à l’intention de « bibliothécaires et documentalistes francophones, et toute personne intéressée par la diffusion électronique de l’infor­mation documentaire ». Devenue vite populaire, les échanges s’y sont multipliés, sans pour autant crouler sous les pourriels du fait du filtrage effectué manuellement, message par message, par son créateur (c’est ce succès croissant qui a finalement causé sa fermeture définitive en 2009, comme on en a parlé à cette occasion). Elle m’a rendu de grands services professionnels, mais celui qui fait l’objet de ce récit est d’une toute autre qualité.

En juin 1998, 137 messages s’y étaient échangés, chacun d’eux pouvant regrouper un certain nombre d’annonces distinctes. Voici comment s’est présentée à moi la liste des trois premiers jours de ce mois-là :

En en parcourant rapidement les intitulés pour n’ouvrir que ceux qui seraient susceptibles de m’intéresser, voici que l’un d’eux – surligné ici en jaune – me saute aux yeux : je détenais depuis mon enfance un exemplaire des Usages du Monde – Règles du savoir vivre que la dite baronne avait rédigés en 1899 dans la Villa Aimée (sic), ouvrage que je feuillette de temps à autre en me délectant de ces usages d’un monde qui n’est plus le nôtre sauf dans certains milieux surannés ; je ne dois d’ailleurs pas être le seul à y trouver plaisir, Jean-Luc Lagarce lui a consacré une pièce éponyme.

Soit dit en passant, l’auteure de ce grand classique d’une littérature de genre (qu’une autre baronne honore aussi de sa plume) et qui a eu un succès incontestable (cf. le tirage indiqué en bas à gauche de la page de titre) n’était pas plus baronne que la baronne de Gondremarck dans La Vie parisienne d’Offenbach (d’ailleurs interprétée par Madeleine Renaud dans la formidable version historique qu’en a donné la compagnie Renaud-Barrault et que j’ai eu la grande chance de voir).

J’ouvre le message en question, et voici ce que j’y lis :

C’était avant la naissance du Je-sais-tout numérique francophone (apparu sur la toile d’araignée en 2001), au temps où l’on demandait des renseignements autour de soi, à ses amis, connaissances et collègues et où l’on consultait les dictionnaires qui ornaient les étagères des bibliothèques. Vrai, rares sont ceux qui en parlent, et encore plus rares ceux qui mentionnent l’année de son décès (1911) : le Bibliographic Guide to Psychology (US, 1980), le Boletín de la Biblioteca Nacional (Pérou, 1980) voire une microfiche de la Bibliothèque du Congrès (US, 1979), pas plus faciles à localiser et à consulter que ce bref entrefilet du périodique Le Gil Blas du dimanche 20 août 1911 (disponible à la BnF), qui annonçait :

Mais ce qui me saisit de stupéfaction, c’est la signature : le nom de famille et l’adresse, à quelques numéros près mais dans le même boulevard (ici partiellement obscurcies pour préserver la vie privée des personnes en question) me rappellent ceux que j’avais vus bien des années plus tôt dans un carnet d’adresses qui avait appartenu à ma mère (décédée en 1997) en le feuilletant par curiosité : c’étaient ceux d’Anne M., une amie avec laquelle elle avait fait des études peu avant la guerre, sans doute en 1937, quelque 60 ans plus tôt. Je ne sais si elles s’étaient revues depuis – la guerre ayant forcé ma mère à se cacher, puis, quelques années plus tard, son départ en Israël avec mon père –, mais elles avaient gardé un lien épistolaire épisodique dont il me reste les lettres d’Anne (c’était bien entendu avant l’avènement du courrier électronique, dont les traces seront, à certains égards, bien moins tangibles).

Je m’empresse d’envoyer le courriel suivant à l’auteur de ce message :

et la réponse, toute aussi surprenante, ne se fait pas attendre :

« Troublant » n’est pas peu dire. Mais il aura fallu, pour que cette coïncidence prenne corps, qu’Elsa Z. ait utilisé pour envoyer cette annonce le compte postal électronique de sa mère, Gildas, qui portait non pas son propre nom de femme mariée, mais son nom de jeune fille, et donc le nom d’Anne tel qu’il apparaissait dans ce vieux carnet d’adresses… Sans cette cascade tout à fait improbable de conditions, le rapprochement n’aurait pu se faire dans mon esprit.

De son côté, si Anne M. s’est souvenue de ma mère lorsqu’Elsa lui a annoncé son déménagement rue des Gravilliers, à deux pas de chez moi, c’est pour la raison suivante :

Peu de temps après, j’ai pu rendre visite à Anne M., toujours vaillante à plus de 80 ans. Elle se souvenait très bien de ma mère malgré le temps passé. Bien que nous ne nous étions jamais rencontrés, une étrange familiarité – toute respectueuse de mon côté – s’est immédiatement établie, par personne absente interposée, si je puis dire. À cette occasion, j’ai aussi fait la connaissance de Gildas et Elsa, et montré aux trois femmes la lettre dans laquelle Anne annonçait à ma mère la naissance de Gildas.

J’ai revu Anne une ou deux fois avant sa disparition quelques années plus tard.

Les traces numériques de cette histoire – le message initial sur la liste de diffusion, les premiers échanges de courriel entre Elsa et moi – ont été bien plus ardues à retrouver que les archives papier – en l’occurrence, le carnet contenant la mention manuscrite de l’adresse de sa grand-mère Anne (et même son nom de jeune fille).

Pour les premières, il m’aura fallu de nombreuses heures passées à tenter de fouiller dans des anciennes sauvegardes, la plupart illisibles du fait de l’obsolescence du logiciel de sauvegarde et du format du disque pour finalement trouver les premiers échanges avec Elsa, ce qui m’a permis de les dater, ce qui s’est avéré essentiel pour retrouver l’annonce initiale : les archives de la liste Biblio-FR sont encore accessibles en ligne, mais la fonction de recherche n’est plus opérationnelle, il n’était plus possible que de parcourir le tout, heureusement classé par date.

Quant au carnet d’adresses, il se trouvait à sa place, dans un tiroir à proximité : en moins de deux minutes, j’ai retrouvé l’information, sans aucun outil informatique…

En décembre 2018, donc bien des années plus tard, je suis invité à dîner par Thomas N., ami dont j’avais fait connaissance il y a bien une trentaine d’années, lors d’un de ses passages à Paris. Dans le fil de la conversation, je lui parle de cette coïncidence. en mentionnant le nom de famille, M., qui avait attiré mon attention. Et voilà que Thomas s’exclame qu’il connaît une Julie M., qui est une de ses plus proches amies…

Après quelques rapides vérifications, il s’avère que Julie est la cousine germaine d’Elsa. Je l’avais rencontrée, ainsi que son père, chez Anne.

À se demander quel sera le prochain rebondissement.

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