Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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17 décembre 2005

Les nouveaux maîtres du monde

Classé dans : Politique, Publicité, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 22:09

C’est Google qui semble avoir raflé le gros lot sous le nez de Microsoft – 5% des actions d’AOL pour la coquette somme d’un milliard de dollars. Mais le prix que les fans de Google payeront, eux, sans le savoir, sera bien plus élevé : un meilleur placement des contenus d’AOL dans les réponses que ce moteur fournit aux affamés du Web, qui se rajoute à la place prééminente qu’il accorde à la publicité (pour le moment, encore distincte, elle, des réponses).

Et pourtant, comme l’avaient analysé deux spécialistes déjà en 1998 :

« Le modèle actuel des moteurs de recherche à vocation commerciale est basé sur la publicité. Le business model de celle-ci ne correspond pas toujours aux critères de choix de contenus de qualité pour l’utilisateur (…). Pour ces raisons et comme le montre l’histoire des médias, il nous semble que les moteurs de recherche financés par de la publicité seront biaisés, de façon inhérente. Il est donc crucial d’assurer l’existence d’un moteur de recherche transparent et situé dans le secteur universitaire. » (Reporté par Nick Carr dans son excellent blog.)

Il s’agit de Sergey Brin et de Larry Page, les co-fondateurs de Google. Comme quoi, leurs principes n’ont pas résisté longtemps à l’appât du lucre. Disons-le clairement et une fois pour toutes : Google est biaisé. J’avais d’ailleurs écrit en février 2005, à la suite de leur annonce de création de ce qui serait la bibliothèque numérique mondiale :

« L’omniprésence de Google impose sa vision. La somme des connaissances est telle qu’elle nécessite des partis pris, explicités ou non : c’est vrai dans le virtuel comme dans le réel, pour les moteurs de recherche comme pour les journaux ou les bibliothèques. Mais les partis pris des moteurs de recherche, dans la sélection et dans la présentation de leurs sources, incluent, à grande échelle, des considérations commerciales (notamment pour ceux qui sont cotés en bourse) et technologiques (sélection des sources, critères de recherche, algorithmes, mesures de pertinence…), qui priment sur le devoir d’information du public ou celui de préservation, de diffusion et de valorisation du patrimoine humain (culturel, scientifique). Un des critères les plus pernicieux de sélection des sources en est leur popularité ; ce hit parade n’est pas un critère de qualité mais il devient le principal critère de pertinence dans le monde massifié de la mondialisation numérique, où le maître-mot de son darwinisme est la statistique et le chiffre d’affaire. »

Leur stratégie de mainmise sur « toute l’information au monde » a été explicitée – il s’agit bien de contrôle : la façon dont on y accède, d’une part, mais aussi l’utilisation de leur contenu personnel et privé (l’analyse des courriels, par exemple). Ce qui n’est pas sans soulever périodiquement des tollés de la part d’organismes, voire de pays– que ce soit sur la violation du respect de la propriété intellectuelle (les photos dans Google News, les livres sous copyright dans Google Print), ou de la sécurité nationale (les photos dans Google Earth). Et pourtant, le particulier (le consommateur de Google) ne semble pas s’en émouvoir, lui, tandis qu’il est concerné au premier chef par ce monopole croissant et inquisiteur, qui, soit dit en passant, le dérange bien moins que ceux, passés ou présents, d’IBM, de Microsoft ou de Coca Cola.1

Est-ce parce que l’information, de nature immatérielle, fait moins peur ? Est-ce que la mémoire est si courte, pour oublier ce à quoi ont servi des « fichiers » infâmes en des temps loin d’être encore révolus ? En tout cas, c’est l’une des raisons pour lesquelles la mise en œuvre de sources d’information et de savoir alternatives2 et indépendantes pour leur fonctionnement des lois du marché est essentielle. Un tel contre-pouvoir a besoin, pour faire levier, d’un soutien conséquent et durable, de ceux que peut fournir la puissance publique dans le cadre de ses missions citoyennes. Si cette mise en œuvre requiert des moyens importants, ceux-ci ne pourront que bénéficier à la recherche et au développement, et donc aux industries, qui s’y seront impliquées. Cette démarche ne profitera pas uniquement au citoyen en lui accordant la liberté de choisir ses sources et de s’informer honnêtement, mais aussi à la construction collective de la culture et du savoir, ainsi qu’à l’économie des pays qui s’y seront attelés.


1 Bien au contraire, il voudrait encore étendre son emprise, lorsqu’il conseille de leur remettre les fonds que les bibliothèques nationales européennes souhaitent numériser. Qui ne seront accessibles – recherche comme contenus – que via le moteur de Google, et qui ne pourront être indexés par nul autre moteur de recherche.

2 Il ne s’agit pas « lutter contre » Google, mais de proposer des alternatives valables et viables.

11 novembre 2005

Le difficile passage à l’acte

Classé dans : Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 19:02

La presse se fait écho de la décision de la British Library de faire affaire avec Microsoft, pour la numérisation de « 25 millions de pages de contenus courant 2006 ». Même si «  [l]a Grande-Bretagne offrira bientôt un nombre d’ouvrages numérisés équivalent à celui que propose dès à présent Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF », comme le dit le communiqué de la BnF, il est probable que la technologie qui sera utilisée permettra d’y effectuer des recherches et de consulter les contenus de façon bien plus aisée et efficace que ne le permet Gallica (quand bien même cette belle entreprise ne date pas d’hier, déjà alors des critiques s’étaient élevées – dont la mienne – concernant certains choix).

Microsoft a des atouts certains, et pas uniquement financiers ou technologiques : du côté scientifique, Stephen Robertson, grand spécialiste de la recherche dans les contenus, dirige le groupe Information Retrieval and Analysis au laboratoire de recherche de Microsoft à Cambridge. L’entreprise a d’ailleurs décidé de rendre visible et plus européenne son activité de recherche (à l’heure où d’autres entreprises se « délocalisent » en quittant la France), puisqu’elle s’est accordée avec l’Inria pour ouvrir un centre de recherche commun dans un laboratoire près de Paris qui accueillera une trentaine de chercheurs.

L’ouverture de Microsoft vers des secteurs qui ne sont pas si marchands que ça vaut la peine d’être étudiée : son alliance, au sein de la Open Content Alliance, avec l’Internet Archive ne va-t-elle pas couper l’herbe sous le pied d’un autre projet national, celui de l’archivage du Web, qui risque de devenir caduc si une, ou des, archives fiables et efficaces du Web se constituent rapidement ?

On ne peut évacuer l’aspect temporel des projets de cette nature, en invoquant la nécessité de réfléchir et de choisir avant d’agir. Il est d’ailleurs peu probable que la British Library n’ait pas réfléchi (ni, d’ailleurs, les universités qui avaient choisi de faire l’affaire avec Google). Mais il semble que la France ait souvent une difficulté quasi organique de passer de la réflexion (qui est souvent fort brillante) à l’action (dans ce domaine comme dans d’autres), de traduire des principes théoriques en projets concrets et réalistes ; comme il n’y a pas de brevets sur les annonces et les idées, il ne faut pas s’étonner de se faire damer le pion dans de telles circonstances.

Dans un article publié en mai, j’analysais la démarche de Google et j’évoquais la nécessité de travailler en réseau plutôt que sous forme d’une organisation monolithique (pour toutes sortes de raisons – l’efficacité en étant une) – celle qui semblait émerger autour du projet d’une bibliothèque numérique européenne. Il n’est toujours pas clair, d’ailleurs, ce qui se fait en France et en Europe dans ce domaine, les signaux publics étant souvent contradictoires : comité français ? groupe[s] de bibliothèques nationales ? et la récente annonce, que j’avais relayée, des plans de la Commission européenne « pour créer des bibliothèques numériques européennes », critiquant les « efforts dispersés » d’initiatives dans les états membres ?

Si, en mai, je pouvais conclure en disant « Entre temps, Google avance », depuis, d’autres ont avancé au-delà des effets d’annonce. Il n’est pas étonnant que la British Library ait décidé de passer à l’acte.

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