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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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15 décembre 2008

Strong but silent

Classé dans : Cinéma, vidéo, Histoire, Société, Théâtre — Miklos @ 1:25

« Les silencieux ne sont pas forcément des penseurs. Il y a des armoires fermées à clef et qui sont vides. » — Madeleine Brohan

« …but she herself was merely a Sphinx without a secret. » — Oscar Wilde

Madeleine Brohan, « fille de cette Suzanne Brohan tant aimée, tant applaudie, et la sœur d’Augustine, la comédienne par excellence, un écrivain sans le vouloir, une grande dame dans son salon, une femme unique »1 est une actrice précoce : « Dans un feuilleton dramatique de cette époque, nous lisons qu’elle avait alors dix-sept ans [à ses débuts remarqués dans Les Contes de la Reine de Navarre, pièce écrite pour elle par Eugène Scribe]… Est-ce possible ? puisqu’elle n’en a que vingt-cinq aujourd’hui, seize ans plus tard. »1

Elle était belle, de cette beauté de l’« opulente et élégante bourgeoisie parisienne »2. Plus vache, Théodore de Banville s’étend : « Les yeux larges et brillants sous de riches sourcils, la bouche sensuelle et chaste, la lourde chevelure, le profil serein et superbe, tout est d’une beauté rare. Le nez seul est peut-être un peu, — mais ceci est une nuance, — un tout petit peu, un très-petit peu fort ; mais l’éclat des trente-deux dents blanches est irrésistible. Des mains royales. La stature et la poitrine beaucoup trop accomplies pour une comédienne, car la vraie actrice doit être maigre comme un manche à balai, pour représenter un bon mannequin à costumes ! Mais on fait ce qu’on peut. » À se demander si la gravure que l’on voit ici représente la même personne… Ou alors, c’est que sa stature et sa poitrine s’étaient fort accomplies au cours des quelque dix années qui séparent l’estampe (1855) de la description qu’en fait Banville (1866).

Les critiques de l’époque sont partagés, ils aiment ou ils n’aiment pas et n’y vont pas par quatre chemins pour le dire. On retiendra ce qu’en écrit Nestor Considérant en 1856 : « Elle possède toutes les qualités de la grande comédienne : un organe admirable, harmonieux et plein ; une diction élégante et sobre, peut-être parfois un peu trop rapide; une grande sobriété dans le geste, qu’elle trouve toujours juste et de bon goût; une noblesse, une sévérité irréprochables dans les attitudes, et pardessus tout la vérité, la simplicité, la chaleur, qui part de l’âme et qui fait tout l’artiste. » Jules Claretie résume : « c’était Madeleine, la spirituelle, vaillante, aimable, applaudie, et toujours belle Madeleine Brohan ».

Madeleine Brohan est nommée sociétaire de la Comédie-Française en 1852 et crée plus tard le rôle titre des Caprices de Marianne de Marivaux. En fin de carrière, elle connaîtra dans Le Monde où l’on s’ennuie d’Édouard Pailleron un grand succès.3 Cette pièce a d’ailleurs connu une seconde vie en 1934 grâce au film éponyme de Jean de Marguenat (avec André Luguet, Pierre Dux, etc.).

À lire les critiques de l’époque, elle était aussi connue pour son esprit, non seulement sur scène mais à la ville. La citation en exergue est intemporelle et résonne avec le propos d’une belle nouvelle d’Oscar Wilde. Elle s’applique de façon lapidaire – et quasi littérale – aux habitués de la salle de sport du quartier. Ces armoires à glace, qu’elles soient trapues ou hautes, sont pour la plupart d’un mutisme (de glace, même dans le sauna) à l’égard de tout inconnu qui les saluerait (ce qu’elles ne font jamais d’elles-mêmes) lorsqu’il les croise à l’entrée ou les côtoie dans le petit espace vital du vestiaire. Rarement, un grognement en guise de réponse, sans même se retourner vers l’interlocuteur. Mais entre elles, ces armoires se mettent à babiller d’une voix de tête toute aussi surprenante que leur silence. Rien à voir avec la diction élégante et la sobriété du geste de Madeleine Brohan…

Madeleine Brohan est curieusement liée à une affaire dont l’écho a perduré. La petite villa qu’elle habitait à Chatou fut la scène d’un meurtre dont le souvenir éclipse celui de l’artiste. En 1882, la maison fut louée par un certain Marin Fenayrou, à propos duquel Octave Mirbeau écrivait : « il est laid, il est abject, il est pharmacien, il est tout ce que vous voudrez, soit. Mais il est marié, et… trompé et, à ces deux titres, il est sacré. » Couple mal assorti : Gabrielle est mariée à l’âge de dix-sept ans par sa mère à Marin qui en a trente. Le mari s’empresse de virer sa belle-mère de la maison de famille et de l’affaire qu’elle lui a transmises. Il est brutal, rusé, joueur et paresseux, la jeune femme est sentimentale. Cinq ans après leur mariage, elle devient la maîtresse de Louis Aubert, un apprenti de vingt-et-un ans qui venait d’arriver dans l’affaire. Il y prend un tel ascendant qu’il rompt avec son patron et s’en va en 1880. Fenayrou l’assassinera en 1882, après avoir appris l’infidélité de sa femme.4

Albert Bataille relate l’affaire dans ses Causes criminelles et mondaines de 1882. Le président de la cour d’Assises devant lequel ils ont comparu, Anatole Bérard des Glajeux, en parle dans ses souvenirs. Elle est reprise après guerre dans la série de bandes dessinées à épisodes Le Crime ne paie pas publiées dans France-Soir dans les années cinquante, et c’est un des quatre épisodes du film éponyme de Gérard Oury, sorti en 1962 avec Pierre Brasseur (Marin), Annie Girardot (Gabrielle) et Christian Marquand (Louis).


1 Félix Savard.
2 Charles Monselet.
3 Que la Wikipedia confond avec son autre pièce, Le Monde où l’on s’amuse.
4 D’après A Book of Remarkable Criminals, par H.B. Irving.

15 septembre 2008

Life in Hell : le dernier homme

Classé dans : Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 3:00

« Il vaut mieux passer à la Poste hériter qu’à la postérité. » — Alphonse Allais1

« En 1576 les messagers royaux furent autorisés à se charger du port des correspondances privées, et ainsi naquit ce grand service public de la poste, qui désormais se développa régulièrement. » — Marcel Marion, Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIe siècles, 1923.

Akbar n’est pas content. Sa tentative d’effectuer un don en ligne à une association à laquelle il contribue depuis longtemps avait échoué malgré ses tentatives répétées, et il craignait d’avoir été débité autant de fois. Il avait écrit à l’organisme qui ne lui avait jamais répondu tout en continuant à lui envoyer des appels à sa générosité. Il va leur écrire une lettre recommandée, cette fois.

Akbar n’est pas content : il doit aller à la poste. Autrefois, il y avait un bureau dans son quartier. Puis celui-ci a fermé, et il a fallu se rendre dans un local vieillot et poussiéreux situé dans l’arrondissement voisin, aux queues interminable. Il y avait quatre ou cinq guichets (mais un ou deux agents) ; répartis comme ils l’étaient dans deux ailes de l’agence, il était impossible de savoir si l’on avait choisi la bonne file d’attente ou non. Puis cette poste avait fermé « pour travaux » et Akbar devait se trimbaler jusqu’à celle du Louvre, immense hall où l’on se sent aussi petit qu’un personnage de Sempé (pas le claveciniste mais le dessinateur).

Jusqu’à la récente réouverture de ce bureau. Akbar le découvre les yeux émerveillés : flambant neuf, couleurs claires, guichets accueillants, présentoirs garnis, on se croit aux Amériques. Il cherche le formulaire pour lettre recommandée parmi ceux en libre service : il n’y en a pas. Au moment où il s’approche du seul guichet occupé par un préposé, celui-ci s’éclipse. Akbar se souvient de la fameuse phrase de Ponson du Terrail : « La Marquise allait enfin s’expliquer, quand la porte en s’ouvrant lui ferma la bouche », mais il n’est plus aussi content qu’en entrant.

Voyant le désarroi qu’il ne se prive pas d’afficher, une employée accorte au sourire flambant neuf (une nouveauté, dans l’agence ; cela avait aussi dû faire partie des ravalements de façade) s’approche. Elle lui explique que ce formulaire n’est pas mis à disposition du public (contrairement au passé), il faut le demander – elle se fera un plaisir de le lui remettre – et, voyant qu’il tient à la main plusieurs autres lettres à cacheter, précise qu’elle ne vend pas de timbres à l’unité (ce qui se faisait auparavant) : c’est soit le carnet soit La Machine À Côté, qui, elle, est disposée à le servir (sauf pour le formulaire dont il a besoin). Akbar est encore moins content.

Se disant qu’un carnet lui éviterait de revenir au moins neuf autres fois à cette agence – et ne craignant pas le sort de la pauvre Clara, les timbres dorénavant autocollants –, il en demande deux à la femme souriante. « Vous en voulez de beaux ? », demande-t-elle sans se départir de son sourire. Il opine (il ne lui serait jamais venu à l’idée d’en demander des laids), en colle sur les enveloppes non recommandées et les tend à la postière. Les beaux timbres ont si peu l’air de timbres que la dame croit d’abord qu’il n’a pas collé les timbres qu’elle vient de lui vendre, mais se reprend rapidement et les lui rend, en expliquant à Akbar qu’elle ne peut les prendre : il faut qu’il les dépose dans la boîte qui se trouve hors de l’agence, « à droite en sortant vous marchez jusqu’à ce que vous les voyez ».

Il s’y retrouve en même temps qu’un autre malheureux qu’il avait remarqué du coin de l’œil dans l’agence : la préposée souriante avait passé un long moment à lui expliquer le fonctionnement de La Machine au lieu de lui fournir le timbre dont il avait besoin – ce qui lui aurait pris dix fois moins de temps : mais ce n’était pas le but du jeu, il faut apprendre aux clients à se passer du personnel coûte que coûte (pour baisser ce qu’ils coûtent). Le pauvre hère dit à Akbar que pour lui c’était bien plus compliqué que pour les jeunes générations si familières de « ces » machines.

Akbar, étonné – l’homme semble pourtant jeune, et d’ailleurs les jeunes générations, n’envoyant plus de lettres, n’ont nul besoin de ces machines –, compatit, et se met à rêver au brave new world dans lequel on entre de plein pied, celui habité par des robots bien plus efficaces et aimables que les employés, ronds de cuirs, vendeurs, ouvreuses, marchands, machinistes de bus ou de métro, musiciens et chefs d’orchestre2 ; celui où l’écran est le passage obligé pour tout contact humain sans d’ailleurs que l’on puisse vraiment savoir si, à l’autre bout, il y a encore un homme ou déjà un humanoïde.

Akbar n’est plus content du tout. Il n’est pas encore un golem, lui. « Moi non plus ! », déclare Jeff.

1 On trouve aussi « J’aime mieux aller hériter à la poste que d’aller à la postérité. » (attribué à Louis Auguste Commerson – que la Wikipedia française confond Allais-grement avec l’explorateur Philibert Commerson – dans un ouvrage publié un an avant la naissance d’Alphonse Allais), et, selon Évène, à Alexandre Breffort.
2 Sur le remplacement progressif des musiciens (et bientôt de leur public) par des robots, cf. l’article de la Lettre d’information de IAML (p. 10-11). Depuis, d’autres inventions ont conforté cette tendance.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

27 août 2008

Les références du Monde

Classé dans : Actualité, Musique — Miklos @ 22:39

« Bon navet se sème en juillet. » — Dicton populaire.

Florence Foster Jenkins doit sa notoriété à avoir été le parangon de la cantatrice désaccordée et désinhibée : aux antipodes de la planète de ceux qui prétendent à l’oreille absolue, elle chantait absolument faux, et – ce qui la distingue de tous les autres amateurs du même acabit – avait les moyens de le faire en public, et pas n’importe où : elle arriva même à donner un récital à Carnegie Hall. Le disque The Glory (???) of the Human Voice, disponible depuis de longues années, a préservé la trace de son interprétation si particulière d’une dizaine d’arias. Peut-on vraiment l’écouter entièrement, et plus encore le réécouter ? pour une oreille musicale, c’est atroce, et pour tous, c’est le comble de la dérision. Autrement dit, l’antithèse de l’humour. « Avant l’apparition de l’humour, on riait sans vergogne des handicaps », dit Alain Finkielkraut lors d’un entretien publié dans le Magazine Littéraire de cet été consacré à « L’humour, cette insoutenable légèreté des lettres ». Il ajoute : « La France d’aujourd’hui (…) ne veut plus Perceval, mais Jacquouille. . . . Le rire qui revient actuellement, c’est précisément tout ce que l’humour a su congédier et qui fait retour aujourd’hui par une forme de spirale, pour le liquider sous ses sarcasmes satisfaits. . . . Ce rire-là n’est pas solitaire : il est malgré tout une variante du lynchage. Il est le rire de tous ceux qui se regroupent pour se moquer de ce qui ne leur ressemble pas »

Il n’est donc pas très surprenant qu’un récent DVD soit consacré à Jenkins. Il se vendra bien : il est dans l’air du temps, et surtout, Le Monde lui consacre un article (25.8.2008), bien qu’il soit, selon le critique, « un peu ennuyeux dans sa forme et son récit ». Pourquoi alors en parler, est-ce du fait que l’on soit encore en été, saison des navets ?

Mais il n’y a pas que le choix du sujet qui nous interpelle à la lecture de l’article. Il commence ainsi :

On ne peut faire mieux que Wikipedia, l’encyclopédie d’Internet, pour présenter l’une des chanteuses lyriques les plus célèbres du XXe siècle : « Florence Foster Jenkins (1868-1944) était une soprano américaine, célèbre pour son incapacité totale à chanter correctement. »

Si le terme « l’encyclopédie d’Internet » est curieux (« Internet » devenu un label de marque reconnue, à l’instar de « l’encyclopédie Britannica » ou de « l’encyclopédie Larousse »), ce qui l’est encore plus est ce en quoi cette citation varie de l’original malgré les guillemets : la WP française écrit : « Florence Foster Jenkins (26 novembre 1868 – 1944) est une soprano américaine. . . . », tandis que la WP anglaise annonce : « Florence Foster Jenkins (July 19, 1868–November 26, 1944) was an American soprano. . . . », comme le font d’ailleurs toutes les autres versions, de l’allemand au suédois : le 26 novembre est le jour de son décès, non pas celui de sa naissance. Le reste de l’article que consacre la WP française à Jenkins sonne, mutatis mutandis, aussi mal que les arias de la dame en question : il est patent que c’est une traduction littérale et laborieuse de la version anglaise qui en conserve les tournures tout en y rajoutant des faux amis (interview traduit par entrevue et non pas par entretien, etc.).

On est aussi étonné que l’encart consacré aux « chanteurs de série B ou C » dans cet article du Monde ne mentionne pas la géniale soprano Cathy Berberian, à la voix agile et polymorphe – de Monteverdi à Stravinsky et Berio (son mari, pendant un temps), aux Beatles et aux BD (Stripsody que l’on peut écouter sur le site qui lui est consacré), via les chansons populaires italiennes, Debussy ou Kurt Weill – qui a parodié Jenkins en interprétant à sa façon l’aria Nymphs and Shepherds de Purcell avec un brio extraordinaire. Berberian avait un tempérament solaire et joyeux, ainsi qu’une grande intelligence musicale : il est donc d’autant plus remarquable qu’elle ait pu chanter intentionnellement faux, et avec une telle exubérance. Du grand art. On ne pourra que conseiller à ceux en mal de musique et d’humour d’acheter le CD magnifiCathy – the many voices of Cathy Berberian.

17 juin 2008

Retour en arrière vers le futur

Classé dans : Progrès, Publicité, Sciences, techniques — Miklos @ 19:21

« (…) il [le philosophe en son Ecclésiaste] dit que, bien qu’arrive parfois quelque chose qui semble nouveau, cela pourtant n’est pas quelque chose de vraiment nouveau, mais est arrivé dans des siècles fort antérieurs bien qu’il n’en demeure aucune mémoire ; car, comme il le dit lui-même, il n’est aucune mémoire des choses anciennes chez ceux qui vivent aujourd’hui, et de même aussi la mémoire des choses d’aujourd’hui n’existera plus pour ceux qui viendront plus tard. » — Spinoza, Traité Théologico-politique (cité par Pierre Macherey, « Spinoza, la fin de l’histoire et la ruse de la raison », in Spinoza: Issues and directions. The Proceedings of the Chicago Spinoza Conference, 1990).

« Quant à la toile d’araignée, c’est aussi un fil qui lie, d’autant plus efficace qu’il enferme sa proie pour ne plus jamais la relâcher. » — Francine Saillant et Françoise Loux : « “Saigner comme un bœuf” : le sang dans les recettes de médecine populaire québécoises et françaises », in Culture vol. XI n° 1-2, 1991.

Dans sa dernière lettre d’information FYI France consacrée à la globalisation de Wikipedia, Jack Kessler évoque « plusieurs commentaires fort intéressants [sur les listes de diffusion Biblio-FR et COLLIB-L], pour et contre mais de façon croissante situés vaguement entre ces deux extrêmes, émergent dans les discussions actuelles, tandis que c’était la passion qui y régnait au début ».

Il est utile de rappeler que les discussions à propos de la Wikipedia ont débuté dans le forum des bibliothécaires francophones en 2004, et qu’alors comme aujourd’hui elles concernaient en général (i) ses aspects participatifs, (ii) le volume de ses contenus et (iii) la qualité de ses contenus (couverture – exhaustivité – et exactitude – véracité). Ce n’est pas en France que le débat sur la WP avait commencé : pour le mettre en contexte lors de son émergence ici, j’avais cité l’article de Hiawatha Bray qui soulevait déjà la question de la nécessité d’un « processus éditorial formel », voire d’un « comité éditorial composé d’experts dans des domaines divers » pour obtenir une meilleure qualité.

Il me semble que, contrairement à ce que soutient Jack Kessler, les discussions n’ont pas vraiment évolué, puisque la Wikipedia n’a pas réellement évolué dans ses modes de fonctionnement, quelle qu’en soit l’opinion que l’on en a. Il est plus intéressant de constater son effet : des encyclopédies « établies » s’installent de façon croissante sur l’internet, baissent les prix de l’accès, voire le fournissent gratuitement (à l’instar de l’Encylopaedia Britannica – pendant un an, pour ceux qui écrivent en ligne – et, plus récemment, Larousse). Ceci ne « tuera » pas la WP – il serait futile de le souhaiter1 – mais fournit déjà une alternative bien nécessaire ; mais seront-elles aussi bien indexées que la WP dans Google, porte d’entrée unique à tous les contenus du réseau pour la grande majorité des internautes ?

Il est aussi intéressant d’établir des parallèles avec Google dans ses intentions totalisantes (pour ne pas dire hégémoniques : « toute l’information du monde pour un accès universel », que Jack Kessler avait détaillées après avoir participé à la réunion de ses actionnaires) et dans ses rapports avec la publicité. Concernant cette dernière, Nick Carr (dont je cite régulièrement le blog extrêmement intelligent et perceptif) nous avait rappelé en décembre 2005 que les fondateurs de Google avaient « mis en question la compatibilité de la publicité avec la mise en service d’un moteur de recherche efficace et non biaisé », allant jusqu’à les citer : « Nous prévoyons que les moteurs de recherche financés par la publicité seront biaisés de façon inhérente vers les publicistes et non pas vers les besoins du consommateur ». On sait ce qu’il en est advenu.

Wikipedia a aussi une relation chaotique à la publicité. Suite à l’article que j’avais consacré au séminaire public de Sciences Po autour du livre Révolution Wikipedia. Les encyclopédies vont-elle disparaître ?, la présidente de la Fondation Wikimedia, Florence Nibart-Devouart, avait réagi en affirmant que « Wikipédia n’a jamais utilisé la publicité, contrairement à la quasi totalité du contenu que l’on trouve sur internet. Depuis 7 ans, nos millions de pages sont dépourvues de la moindre publicité. » Mais qu’en est-il de l’accord de partenariat signé en 2005 entre WP et Answers.com qui concerne la syndication de contenus WP et le partage de revenus de publicité entre ces deux partenaires ? Qu’en est-il des réactions très virulentes des Wikipediens à l’apparition en 2006 du logo de la fondation Virgin Unite sur les pages de la Wikipedia (suite à un don). Il est vrai qu’en 2005, elle écrivait déjà « I generally do not support use of advertisment » (« En général, je ne soutiens pas l’utilisation de la publicité », formulation qui laisse plus de perspectives que son affirmation de l’année précédente, selon laquelle « The products are to be provided to the public free of charge and with no advertising » (« Les produits [Wikimedia] doivent être fournis gratuitement et sans publicité »). C’est oublier ce que son prédécesseur, Jim Wales, avait déclaré en 2001 : « Il y aura un jour de la publicité sur la Wikipedia. Soit ça, soit on devra trouver une autre façon de financer, mais je n’en connais pas. Ça ne sera pas pour bientôt : à cette date du 9 novembre 2001, je pense qu’il faudra encore attendre six mois ou un an. » Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Google et la Wikipedia sont des phénomènes sociaux et économiques qui soulèvent les questions du sens profond de la notion de liberté, des frontières mouvantes entre démocratie et médiocratie, de l’individualisme croissant dans la cité et de son effet sur le tissu social, et, à l’inverse, de la traçabilité et de l’inscription accrues de l’individu dans les réseaux numériques de tous ordres (internet2, téléphoniques, RFID, cartes de crédit et autres) – qui se densifient avec les innovations technologiques, et de la réduction de la constitution et de l’accès à la culture et aux savoirs à des clics et à des statistiques. Et le politique, dans tout ça ? Il est souvent utile, pour avoir une perspective qui dépasse le présent perpétuel et l’avenir radieux, de relire les classiques : Joseph Schumpeter3 (l’économiste) et Jacques Ellul4 (le sociologue), et, plus près de nous, Philippe Breton.


1 Certains observateurs ont noté des tendances intéressantes dans son évolution.
2 Il est finalement prémonitoire que le terme web dénote principalement, et soit illustré par, une toile d’araignée…
3 See e.g., Joseph Schumpeter: Capitalism, Socialism and Democracy, 1942, ou Lucien-Pierre Bouchard: Schumpeter – La Démocracie désenchantée, Michalon, 2000.
4 La technique ou l’enjeu du siècle, Armand Colin, 1954 (republished 1990). In English: The Technological Society, Knopf, 1964.

Looking backwards into the future

Classé dans : Progrès, Sciences, techniques — Miklos @ 15:03

“She said: What is history?
And he said: History is an angel
being blown backwards into the future.
He said: History is a pile of debris
And the angel wants to go back and fix things
To repair the things that have been broken.
But there is a storm blowing from Paradise
And the storm keeps blowing the angel
backwards into the future.
And this storm,
this storm is called Progress.”
 
— Laurie Anderson, The Dream Before (for Walter Benjamin)

In his recent FYI France newsletter dedicated to “Wikipedia gone global”, Jack Kessler speaks of “Some very interesting comments [on two mailing lists, Biblio-FR and COLLIB-L], too, both pro and con plus an emerging majority of muddled-middle, are appearing in the current discussions, where there was only passion back when we all started out on this.” It is worth remembering that the discussion about Wikipedia had started, in the French-speaking librarians’ list (Biblio-FR), in 2004 with a few messages which were, then as now, about (i) its participatory nature, (ii) the volume of its contents, and (iii) the quality of its contents (accuracy and coverage). In that context, I had quoted Hiawatha Bray’s article which had already raised the issue of a “formal editorial process”, even of an “editorial board staffed with experts in various fields” needed to achieve better accuracy.

All things considered, the discussions haven’t changed much, as Wikipedia hasn’t really changed much in the way it operates, for better or for worse, depending on one’s opinions. More interesting to me is the fact that, as a result, an increasing number of “established” encyclopaedias went online, and provided one with more affordable, even free, access. This won’t “kill” the Wikipedia1 – it would be preposterous to call for this – but it will provide a much-needed alternative.

It is also interesting to make a parallel with Google, regarding its all-encompassing goals (we remember Jack Kessler’s report of its shareholders’ meeting in May 2005) and its relation to advertising. Regarding the latter: as Nick Carr – whose illuminating articles about both these phenomena are worth reading – had reminded us in December 2005, Google’s founders had “called into question whether ads were compatible with effective, unbiased search”, quoting them to have written:

“We expect that advertising funded search engines will be inherently biased towards the advertisers and away from the needs of the consumers”.

The rest is history.

Wikipedia had had an uneasy relation with advertising as well. Following a public seminar held last January at Sciences Po (the degree-granting French Institute for Political Sciences) with the authors of a book written about Wikipedia, Florence Nibart-Devouard, the current Chair of the Board of Trustees of the Wikimedia Foundation, commented on an article I had written about this seminar2 by saying (my translation) that “Wikipedia never used advertising (…)”. Yet she failed to mention the October 2005 partnership agreement between Anwers.com and the Wikimedia Foundation, according to which “Answers will create a software-based co-branded version of Answers.com to be called 1-Click Answers, Wikipedia Edition, from which advertising revenues will be split with The Wikimedia Foundation. Wikipedia will create a Tools page on its English-language site to promote useful tools that access Wikipedia, and 1-Click Answers, Wikipedia Edition, will receive charter placement on that page.” It is worth noting that in her 2004 candidacy she had written: “The products are to be provided to the public free of charge and with no advertising”, while in 2005 she seemed to have subtly shifted her position, when she wrote “I generally do not support use of advertisement”. A year later, the inclusion of the logo of Virgin Unite (the charity arm of Richard Branson, owner of the Virgin brand, which had donated money to the Wikimedia Foundation) on WP had raised opinionated and endless discussions.

Let us all remember what Ms. Nibart-Devouard’s predecessor, Jim Wales, had written as early as in 2001: “Someday, there will be advertising on Wikipedia. Either that, or we will have to find some other way to raise money, but I can’t think of any. This is not coming soon. As of today, November 9, 2001, I would say that this is at least 6 months to (more likely) 1 year away.” Never too late.

Both Google and WP are social and economic phenomena which also address the shifting meanings of democracy vs. mediocracy, of the (imagined?) increased freedom of the individual from constraints in the Polis and the resulting loosening of the social fabric, coupled with the (not imagined) increased traceability of the individual in the networked digital worlds (internet, cell phone, RFID, credit cards and others) which is becoming denser with every technological innovation, and the subjection of taste and knowledge to statistics and mass behavior. But this is not new: it is worth (re)reading Jacques Ellul3 (on technology and society) and Joseph Schumpeter4 (on economy and democracy), and, more recently, Philippe Breton (on the utopia of communication).


1 Some observers note interesting trends in its evolution.
2 Which no one from WP attended, despite the fact it had been publically announced and was open to the public (that’s how I attended).
3 La technique ou l’enjeu du siècle, Armand Colin, 1954 (republished 1990). In English: The Technological Society, Knopf, 1964.
4 See e.g., Joseph Schumpeter: Capitalism, Socialism and Democracy, 1942, or Lucien-Pierre Bouchard: Schumpeter – La Démocracie désenchantée, Michalon, 2000.

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