Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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24 mars 2005

Le Chameau et les bâtons flottants

Classé dans : Littérature, Nature — Miklos @ 1:40

Le premier qui vit un chameau
S’enfuit à cet objet nouveau ;
Le second approcha ; le troisième osa faire
Un licou pour le dromadaire.
L’accoutumance ainsi nous rend tout familier :
Ce qui nous paraissait terrible et singulier

S’apprivoise avec notre vue
Quand ce vient à la continue.
Et puisque nous voici tombés sur ce sujet,
On avait mis des gens au guet,
Qui voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s’empêcher de dire
Que c’était un puissant navire.
Quelques moments après, l’objet devint brûlot,
Et puis nacelle, et puis ballot,
Enfin bâtons flottants sur l’onde.
J’en sais beaucoup de par le monde
À qui ceci conviendrait bien :
De loin, c’est quelque chose; et de près, ce n’est rien.

Jean de La Fontaine

24 février 2005

À propos de Lewis Carroll, d’Alice et d’autres merveilles

Classé dans : Littérature — Miklos @ 1:04

L’auteur d’Alice aux pays des merveilles (dont il a écrit au moins 3 versions différentes – la page reproduite ci-dessous provient du manuscrit de 1886) – le Révérend Charles Lutwidge Dodgson (1832-1898), plus connu sous son pseudonyme de Lewis Carroll – est sans conteste le maître du nonsense britannique, de l’humour pince-sans-rire, créateur d’univers absurdes et pourtant si réels, qui ont fasciné et continuent à fasciner jeunes et vieux, psychanalystes, mathématiciens et astrophysiciens, grands écrivains (Joyce, Borges…), philosophes et musiciens.

On sait moins qu’il a d’autres textes à son actif : De l’autre côté du miroir et ce qu’Alice y trouva – bien plus élaboré que l’autre Alice, jeu d’échecs presque métaphysique dans lequel se trouve le magnifique Jabberwocky, poème en une langue inventée dont la musique en fait pressentir le sens – mais aussi La Chasse au Snark qui relate en vers la poursuite de cet animal fabuleux (qui n’était qu’un Boojum, vous savez), chef-d’œuvre de l’absurde ; Euclide et ses rivaux, traité humoristique sur les mathématiques ; d’autres ouvrages plus scientifiques (notamment un traité sur les déterminants) ; des poèmes, des lettres… et des photographies de jeunes filles prépubères habillées, pour certaines, légèrement, ce qui a suscité de nombreuses hypothèses sur sa sexualité – inexistante, sans doute, mais arrêté à l’état infantile1 ? pire, potentiellement pédophile ? En tout état de cause, il était rarement à l’aise dans le monde des adultes.

On sait encore moins que Carroll était mathématicien et logicien. Ce n’est pas étonnant : ses univers oniriques sont aussi abstraits et rigoureux que ceux d’un Lobatchevski (mathématicien russe, inventeur d’espaces non-euclidiens, utilisés entre autres dans la théorie de la relativité) – refuge idéal pour un adulte à l’âme d’un enfant inadapté à la société de ses pairs et refusant de grandir (même s’il mange du gateau qui lui intime Mange-moi). Les enfants (de tous âges) perçoivent intuitivement des mécanismes parfois très profonds du fonctionnement de cette société, qu’ils reproduisent métaphoriquement dans leur univers imaginé ; ainsi, le constat d’Alice, se trouvant derrière le miroir, que pour se rapprocher de la montagne il faut aller en sens inverse, n’est-il pas une des façons que l’on a d’aborder un problème qui semble insoluble : ne pas y penser, tenter d’en détourner son attention, et soudain se trouver plus près de sa solution ?

24/02/05, 08:39

Musique, mathématiques et échecs, trois mondes régis par des règles précises qui permettent de créer des univers abstraits et déinscarnés (donc inhumains, ou du moins déshumanisés), parfaits et fort complexes (et d’en transgresser les règles)… ce qui expliquerait pourquoi il arrive qu’on excelle dans plus d’un de ces domaines – et donc la question qui se pose si la psychologie des grands génies dans ces domaines est souvent infantile. George Steiner dit : the common bond between chess, music, and mathematics may, finally, be the absence of language (ce qui est une caractéristique de l’enfant qui ne maîtrise pas le langage comme peut le faire l’adulte). Les avatars moderne et simplifié de ces refuges : science fiction, jeux de rôles, mondes virtuels…? (À suivre)


1 Ce même aspect de sexualité infantile se retrouve chez Dali, lui aussi grand inventeur d’univers rêvés.

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