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12 novembre 2010

Le racisme ordinaire d’Agatha Christie

Classé dans : Littérature, antisémitisme, racisme — Miklos @ 18:54

Il y a trente ans, les étrangers domiciliés ou métèques vivaient chez nous sans enfreindre trop ouvertement la réserve que leur commandait leur état. Ils s’enfermaient volontiers dans l’exercice des professions où les portaient leurs aptitudes et qui sont principalement la banque et l’enseignement de la philologie. Les citoyens, qui vivaient du travail agricole, industriel et commercial, et qui s’enorgueillissaient d’une apparente prépondérance en Europe, n’eussent pas supporté, d’ailleurs, que leurs hôtes leur devinssent incommodes et prétendissent les dominer. — Gabriel Syveton, « Le complot des Métèques », in Le Correspondant, 1899.

Le hors-série n° 11 de la revue Lire est consacré à Agatha Christie, dont on avait tout dévoré adolescent, je dis bien tout : polars, évidemment (on y a adoré les personnages de Tommy et Tuppence, trop rares, et retrouvé avec plaisir Miss Marple, tandis qu’Hercule Poirot commençait sérieusement à nous lasser), mais aussi romans psychologiques (écrits sous le nom de Mary Westmacott) et autobiographie. Sa vaste production (73 romans, 160 nouvelles, 17 pièces de théâtre pour la plupart adaptées de romans ou de nouvelles), n’égale tout de même pas en nombre de titres celle de sa non moins célèbre compatriote Barbara Cartland (plus de 700 ouvrages), mais en a dépassé de loin ses tirages.

À la lecture systématique de son œuvre romanesque, on en arrive à en deviner les rouages, et l’un des plaisirs de ce type de lecture n’est plus l’effet surprise, disparu avec cette prise de conscience, mais au contraire, de constater que tout se déroule inéluctablement, comme prévu. Pour qui aura lu aussi son autobiographie, on y retrouve des paysages, des lieux et des objets qui meublent ses romans, tel ce petit cheval à bascule.

Ce que l’on avait remarqué aussi – et l’un des articles de Lire en parle –, c’est ce « racisme ordinaire » (titre de la page que Marc Ringlet lui y consacre) et paternaliste de l’auteur. Est-ce, comme le suggère le magazine, le fait de l’époque (l’entre-deux-guerres) auquel se rajouterait l’influence de son « milieu culturel, bourgeois et colonialiste » (on pense aussi au Tintin d’Hergé, mêmes causes, mêmes effets) ?

Quoi qu’il en soit, il est récurrent. On a encore en mémoire – c’était si frappant – la description caricaturale qu’elle fait d’un personnage juif : son regard (“Behind the counter a Jew—a small Jew with cunning eyes”, in Why the Light Lasts, 1924), ses traits, la couleur jaune de sa peau (on ne peut manquer de penser à une certaine étoile de la même couleur), gras et bien habillé et, comme de bien entendu, dans la finance (“That was the damnable part about Jews, you couldn’t deceive them about money, they knew!” in Ten Little Niggers, 1939).

Forcément étranger (il ne peut être britannique même s’il en parle parfaitement la langue), forcément oriental (juif, grec, portugais ou sud-américain, tous les mêmes), il en a tous les traits (“a large round head, faintly yellow face, and mournful dark eyes” comme elle l’écrit en 1977 dans son autobiographie à propos d’un hôtelier à Alep). Agatha Christie n’est pas Shakespeare et son Juif n’est pas Shylock mais bien plus de son époque à elle, digne de figurer sur une couverture de Der Sturmer.

Agatha Christie aimait bien reprendre des personnages secondaires apparus dans un roman et les faire figurer, en arrière-plan, dans un ou plusieurs textes ultérieurs. L’article de Julien Bisson dans ce numéro de Lire, « Le petit monde d’Agatha », en mentionne quelques-uns, les plus sympathiques ou amusants. Mais il omet le singulier, souvent utile et vaguement antipathique Mr Robinson, qui n’a de britannique que le nom. Suivons ses apparitions :

The man who came into the room did not look as though his name was, or could ever have been Robinson. It might have been Demetrius, or Isaacstein, or Perenna – though not one or the other in particular. He was not definitely Jewish, nor definitely Greek nor Portuguese nor Spanish, nor South American. What did seem highly unlikely was that he was an Englishman called Robinson.

He was fat and well dressed, with a yellow face, melancholy dark eyes, a broad forehead, and a generous mouth that displayed rather overlarge very white teeth. His hands were well shaped and beautifully kept. His voice was English with no trace of accent.

Cat Among The Pigeons, 1959.

Mr. Robinson smiled. He was a fat man and very well dressed. He had a yellow face, his eyes were dark and sad-looking and his mouth was large and generous. He frequently smiled to display over-large teeth. « The better to eat you with, » thought Chief Inspector Davy irrelevantly.

His English was perfect and without accent but he was not an Englishman. Father wondered, as many others had wondered before him, what nationality Mr. Robinson really was.

At Bertram’s Hotel, 1965.

He added: “You know Mr Robinson, don’t you? Or rather Mr Robinson knows you, I think he said.”

“Robinson?” Sir Stafford Nye considered. “Robinson, an English name.” He looked across to Horsham. “Large, yellow face?” he said. “Fat? Finger in financial pies generally?”

He asked: “Is he, too, on the side of the angels – is that what you’re telling me?”

“I don’t know about angels,” said Henry Horsham. “He’s pulled us out of a hole in this country more than once. People like Mr Chetwynd don’t go for him much. Think he’s too expensive, I suppose. Inclined to be a mean man, Mr Chetwynd. A great one for making enemies in the wrong place.”

“One used to say ‘Poor but honest’,” said Sir Stafford Nye thoughtfully. “I take it that you would put it differently. You would describe our Mr Robinson as expensive but honest. Or shall we put it, honest but expensive.” He sighed.

Passenger to Frankfurt, 1970.

The room seemed to be mainly filled by an enormous desk. Behind the desk sat a rather enormous man, a man of great weight and many inches. He had, as Tommy had been prepared for by his friend, a very large and yellow face. What nationality he was Tommy had no idea. He might have been anything. Tommy had a feeling he was probably foreign. A German, perhaps? Or an Austrian? Possibly a Japanese.

Or else he might be very decidedly English.

“Ah. Mr Beresford.”

Mr Robinson got up, shook hands.

Postern of Fate, 1973.

Un antisémitisme de bon aloi, en quelque sorte, et qui s’exprimera ainsi sur près de cinquante ans, inchangé, comme le milieu petit-bourgeois dans lequel elle a vécu et où se passent ses intrigues, comme les bonnes vieilles formules qui ont fait le succès de son auteur. Et contrairement aux autres personnages de Christie, Robinson ne vieillit pas. Et pour cause : c’est un archétype, lui.

Un commentaire »

  1. [...] d’un polar d’Agatha Christie. C’est loin d’être le seul de ses romans nommé d’après une comptine anglaise (“Hickory [...]

    Ping par Miklos » Une souris verte — 13 novembre 2010 @ 16:57

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