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13 novembre 2010

Une souris verte

Classé dans : Littérature, Musique, Peinture, dessin — Miklos @ 16:36

Les Chinois comptent les années au moyen d’un cycle de 60, qu’ils forment de deux cycles, l’un dénaire, répondant à des noms de couleurs et dont la première est le vert, et l’autre duodénaire, répondant aux noms des animaux de leur zodiaque et qui commence par la souris. Ces douze animaux sont représentés par des génies guerriers, diversement armés, et ayant chacun une tête qui répond à leur nom. Ainsi, Kia-tseu, la souris verte, première année du cycle composite, est représentée sous la forme d’un homme couvert d’une cotte de mailles, armé d’une hache et ayant une tête de souris1.

Chez nous autres Français, tout commence par une révolution et se termine par une chanson : il semblerait que ce petit animal étrange – serait-il venu de Mars, vu sa couleur ? –, joliment illustré par Benjamin Rabier, soit apparu dans une chanson à l’époque de la Révolution française, et ait eu une connotation franchement coquine (là où il y a une souris, le chat n’est pas loin, et la queue de la souris… on ne vous fait pas un dessin, on vous conseillera plutôt d’écouter Brassens).

Chez nos voisins d’outre-Manche, il n’y a pas une, mais trois souris, qui courent. Elles ne sont pas vertes mais aveugles, et poursuivent la fermière qui leur a coupé la queue par derrière (“Three blind mice2, see how they run! They all ran after the farmer’s wife, Who cut off their tails with a carving knife…”). Cela vous rappelle quelque chose ? Eh oui, chez nous, les souris étant moins belliqueuses qu’au pays de Margaret Thatcher, ce sont trois gros rats dans trois gros trous (on n’ose imaginer lesquels) qui courent après la fermière qui leur a fait subir ce sort indigne d’un mâle. A-t-on jamais vu traiter de cette manière / Trois gros rats… ?

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre charmant rongeur. Le principe d’une comptine, c’est la rime et le rythme qui prévalent, le sens vient après, et il est souvent tiré par les cheveux, voire carrément absurde, ce qui sert à en cacher les sous-entendus pour les oreilles jeunes ou chastes ; cette liberté fait d’ailleurs son charme. Ici, dès le début, on a déjà deux variantes :

Une souris verte
Qui courait dans l’herbe
Je l’attrape par la queue,
Je la montre à ces messieurs.

et :

Une souris verte
Qui court dans l’herbette
Si je l’attrape par la queue,
Je la montre à ces messieurs.

Quant à la suite, ça peut être bref et classique :


Un, deux, trois,
tournez-vous comme ça.

ou :


Une belle pomme d’or,
Tirez-vous dehors.

Ou plus long et franchement plus intéressant (citons-la en entier) :

Une souris verte
Qui courait dans l’herbe
Je l’attrape par la queue,
Je la montre à ces messieurs
Ces messieurs me disent :
Trempez-la dans l’huile,
Elle deviendra une anguille,
Trempez-la dans l’eau
Ça fera un escargot
Tout chaud.
 
Je la mets dans mon chapeau
Elle me dit qu’il fait trop chaud
Je la mets dans mon tiroir
Elle me dit qu’il fait trop noir
Je la mets dans ma culotte
Elle me fait trois petites crottes.
Je la mets dans ma chemise,
Elle me fait trois petites bises.

On peut en voir ici une interprétation très convaincante.

Ces curieuses métamorphoses ne devaient manquer d’intéresser les scientifiques, pour lesquelles ce charmant rongeur n’est souvent qu’un animal de laboratoire auquel on fait subir tous les outrages : Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien qui s’intéresse aux sciences en général, à l’épistémologie et à la philosophie mais aussi à l’éducation et à la littérature, nous a donné3 cette version, summum du genre :

Une souris blanche
Dans une cage étanche
Je la grille à petit feu
Je la montre à ces messieurs
Ces messieurs me disent
Laissez-la sans air, laissez-la sans eau
Ça fera d’originaux travaux.
 
Une souris grise
Pour une analyse
Je la fends par le milieu
Je la montre à ces messieurs
Ces messieurs me disent
Ôtez lui le cœur, ôtez-lui l’cerveau
Ça fera un résultat nouveau.
 
Une souris brune
Il n’y en a plus qu’une
Je la montre à ces messieurs
Ces messieurs me disent
Faites des jumeaux, faites des trumeaux
Ça fera le succès du labo.
 
Une souris noire
Au laboratoire
Je lui prends un de ses œufs
Je le montre à ces messieurs
Ces messieurs me disent
Changez-lui ses gènes, changez le noyau
Ça fera un très joli crapaud.
 
Une souris teinte
Dans un labyrinthe
Je la truque un petit peu
Je la montre à ces messieurs
Ces messieurs me disent
Greffez lui du poil, greffez lui d’la peau
Ça fera un artefact très beau.
 
Une souris verte
Qui courait dans l’herbe
Je regarde ses petits yeux
Je la cache à ces messieurs
Ces messieurs me disent
Donnez-nous des rats, donnez-nous des veaux
Il nous faut des animaux tout chauds.

(si vous pensez qu’il a fumé quelque chose avant d’écrire ça, vous vous trompez. Voyez plutôt ce que ça aurait donné si ç’avait été le cas).




1 Source : Les Deux cousines, roman chinois. Traduction nouvelle et commentaire philologique et historique par Stanislas Julien. Paris : Librairie académique Didier et Cie. 1864.

2 Titre d’un polar d’Agatha Christie. Le film franco-britannique de Mathias Ledoux, Une Souris verte (2003), est sorti outre-Manche sous le titre Three Blind Mice. C’est loin d’être le seul des romans de Christie à être nommé d’après une comptine anglaise (“Hickory Dickory Dock”,“ A Pocketful of Rye”, “One, Two, Buckle My Shoe”, “Five Little Pigs”, “Sing a Song of Sixpence”…).

3 In Alliage, n° 7 à 9, p. 71. Association Anaïs, 1991. Merci à l’auteur de nous avoir fourni les vers manquants.

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