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15 février 2005

« Sombres dimanches – une anthologie en noir »

Classé dans : Musique — Miklos @ 0:47

Sombre dimanche… les bras tous chargés de fleurs
Je suis entré dans notre chambre le cœur las
Car je savais déjà que tu ne viendrais pas
Et j’ai chanté des mots d’amour et de douleur.
Je suis resté tout seul et j’ai pleuré tout bas
En écoutant hurler la plainte des frimas…
Sombre dimanche…
 
Je mourrai un dimanche où j’aurai trop souffert
Alors tu reviendras mais je serai parti…
Des cierges brûleront comme un ardent espoir
Et pour toi, sans effort, mes yeux seront ouverts
N’aie pas peur, mon amour, s’ils ne peuvent te voir
Ils te diront que je t’aimais plus que ma vie…

Sombre dimanche…

La chaîne de télévision Mezzo diffusait ce soir le concert qu’a donné le saxo­phoniste Brandford Marsalis (frère de Wynton et accom­pa­gnateur occa­sionnel de Tina Turner ou de Sting) dans le cadre du festival Jazz à Vienne, en compagnie de ses acolytes, le pianiste Joey Calderazzo, le bassiste Eric Revis et le batteur Jeff « Tain » Watts.

Soudain, mon attention est attirée par le morceau qu’il se met à jouer, reconnaissable dès ses toutes premières notes : il s’agissait de Sombre dimanche, chanson que j’ai découverte et déchiffrée enfant dans une musique en feuille datant de 1951, et dont la couverture, illustrée d’un saule pleureur, disait (c’est ce qui avait dû me fasciner) la célèbre chanson interdite à Budapest.

Puis silence radio jusqu’au concert des 25 ans du génial quatuor Kronos, où je suis stupéfait de les entendre jouer cet air en bis, l’annonçant comme « mélodie populaire d’Europe centrale » – ce que je savais qu’elle n’était pas. Comme David Harrington me dit ne pas en connaître l’origine, je décide de mener ma petite enquête.

Un long travail de détective m’a permis de découvrir la genèse de cette chanson et d’en faire une discographie (sous le titre de cet article). Créée par Rezsö Seress dans les années 1930 (intitulée Szomorú vasárnap en hongrois), il l’aurait jouée d’un seul doigt au piano (c’est ce qu’il savait faire), à l’occasion de la rupture qu’il venait de subir. C’est là que fiction et réalité commencent à créer une légende urbaine qui a longtemps perduré : cette chanson aurait suscité ou accompagné une longue suite de suicides, d’abord en Hongrie (pays où le taux de suicides est un des plus élevés en Europe), puis dans les pays où cette mélodie – toute simple, mélancolique ou lancinante mais loin d’être macabre – s’est répandue au fil de ses traductions et aurait été interdite à certaines périodes (ce qui n’est pas prouvé). En tout état de cause, son auteur s’est suicidé en 1968.

Sunday is gloomy, my hours are slumberless.
Dearest, the shadows I live with are numberless.
Little white flowers will never awaken you,
Not where the black coach of sorrow has taken you.
Angels have no thought of ever returning you.
Would they be angry if I thought of joining you?
Gloomy Sunday.
 
Gloomy is Sunday; with shadows I spend it all.
My heart and I have decided to end it all.
Soon there’ll be candles and prayers that are sad, I know.
Death is no dream, for in death I’m caressing you.
With the last breath of my soul I’ll be blessing you.
Gloomy Sunday.

Mais cette diffusion s’est accompagnée aussi d’une quantité d’interprétations de grande qualité et variété de genres (j’en ai recensé plus d’une soixantaine) : en France, de la grande Damia à un Serge Gainsbourg déjanté : aux Etats-Unis, elle a été rendue célèbre (sous le titre de Gloomy Sunday) par Billy Holliday – plus mélancolique que sombre -, puis a été reprise par le très grand chanteur noir Paul Robeson, puis par une pléthore d’interprètes – tels Sarah McLachlan, Elvis Costello, Sinéad O’Connor ou Marianne Faithful. L’une des plus remarquables est la déchirante interprétation de Diamanda Galás, chanteuse américaine d’origine grecque (qui a aussi écrit et chanté une élégie extraordinaire à la mémoire de son frère mort de sida). Dans le genre jazz et blues, il y a Charles Brown, Jimmy Witherspoon, Hal Russell ou Artie Shaw, mais surtout Stan Kenton, dont l’interprétation haletante est splendide. Enfin, pour les amateurs de gothique, il y a même Christian Death…

Un film éponyme est récemment sorti en Allemagne et a été diffusé sur Arte, où il illustre de façon quelque peu romancée l’histoire, qui ne manque pas de romance elle-même, de cette mélodie, qui n’a pas fini de faire chavirer des cœurs et chanter et jouer des musiciens de tous genres.

Un commentaire »

  1. Billie Holliday ne fut pas la première à l’interpréter en anglais (en 1941) ; ce fut sans doute Paul Robeson en 1935, puis Paul Whiteman et Johnny Hauser en 1936.

    Voir ici l’interprétation originale et celle de Gainsbourg.

    Commentaire par Miklos — 12 mai 2007 @ 13:02

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