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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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17 avril 2011

Life in Hell : « Chaque fois qu’on perd une habitude, il semble qu’on perde quelque chose de la vie » (Victor Hugo)

Classé dans : Cuisine, Danse — Miklos @ 3:06

Jeff et Akbar sortent ravis du spectacle de « danse nerveuse, chaleureus » (sic) que le ballet de Lorraine vient de donner au Théâtre de la Ville : deux pièces du chorégraphe Paulo Ribeiro, qui mettent en scène dix hommes dans White Feeling et trente hommes et femmes dans Organic Beat : alternances de mouvements énergiques et d’immobilité suspendue, debout ou couché au sol, de danse en solo, en duo – sensuels ou combatifs –, en groupes structurés et d’effet de foule d’apparence désordonnée qui se recompose en lignes, en carrés, en cercles : la forme n’est jamais loin du chaos, le désordre suit souvent l’organisation ; une utilisation intéressante et poétique des ombres des danseurs projetés sur l’une des parois, et de la vidéo qui, filmant les corps qui glissent à plat sur le sol et les projetant sur une autre paroi leur redonnent la verticalité, on dirait une illusion d’optique. On pense évidemment au magnifique, à l’extraordinaire et fondateur Dance, de Lucinda Childs (œuvre créée en 1979 !), où la vidéo fait perdre d’autres repères, ceux de la dimension : les danseurs « réels » semblent n’être que des nains minuscules, tandis que leur image, projetée sur un immense écran, les représente dans une taille qui semble tout à fait normale. Et si la musique chez Childs était celle de Bob Wilson, ici, dans Organic Beat de Ribeiro, c’est John Cage. Filiation, clin d’œil ou innovation, qu’importe, c’est le résultat qui compte.

Jeff et Akbar sont donc ravis, mais pour des raisons absolument opposées, ou du moins complémentaires : Jeff a aimé surtout la seconde partie de White Feeling, qui est celle qui a laissé Akbar sans feeling. Ils s’accordent sur deux points : d’une part, les notes de programmes sont nulles, elles ne parlent pas des œuvres mais du contexte politique, naïvement et avec des poncifs éculés ; d’autre part, il est temps de se mettre quelque chose sous la dent. Akbar demande d’un air faussement naïf :

— Où veux-tu manger ?

— Je ne sais pas, et toi ? répond Jeff encore plus faussement naïvement.

— Je connais un certain restaurant… dit Akbar d’un air absolument faussement vague.

Ils se rendent donc dans ce certain restaurant de tartes flambées alsaciennes à volonté. Diane, la grande et souriante serveuse (qui doit faire de la chasse à ses moments perdus, ce qui expliquerait son port altier, se dit Akbar), leur indique la table qu’ils occupent d’habitude dans une partie quelque peu à l’écart du brouhaha central, mais au moment où ils vont s’y installer, deux clients leur passent devant et l’investissent.

— Pas de problème, fait Jeff, bon prince.

Il ne sait pas encore, malheureux prince, qu’il y aura un problème. Diane leur indique une autre table bien plus centrale. Ils s’y installent.

— La carte a changé, les prévient Diane, il n’y a plus la tarte flambée que vous prenez d’habitude, dit-elle à Akbar.

Jamais deux problèmes sans trois, aurait dû penser Akbar, pourtant féru de romans d’Agatha Christie. Mais il a la tête ailleurs (pas vraiment à l’instar de Louis XVI, on tient à le préciser tout de même).

C’est en sirotant l’Edelzwicker qui précède (de loin) l’entrée qu’Akbar remarque que l’autre entrée – celle de la salle – est grande ouverte, et qu’en conséquence on commence à ressentir la chute de température (à la table à côté, deux enfants grelottent et claquent des dents, ce qui rappelle la musique de Cage qu’ils ont entendue tout à l’heure), mais surtout à sentir les effluves de la fumée des cigarettes en provenance de la « terrasse » (terme désuet qui désigne la salle principale des fumeurs par laquelle tous les non-fumeurs doivent passer au moins deux fois, et dont l’aération principale donne en général sur la salle des non-fumeurs). Il demande à une serveuse si l’on peut refermer les deux portes de cette entrée, tel qu’elles le sont d’habitude. Je vais demander, répond-elle.

Dix minutes plus tard, les portes sont toujours grandes ouvertes, et si la température externe continue à chuter, à la table de nos compères cela commence à chauffer. Akbar redemande la même chose avec un peu plus d’insistance à une autre serveuse, et finalement Diane se pointe en disant qu’il y a un problème avec la porte, mais qu’ils vont en fermer une partie.

Aussitôt dit, presque aussitôt fait, et l’effet ne tarde pas à se faire sentir : la senteur de la cigarette baisse d’un chouia tandis que la température croît péniblement de quelques millièmes de degrés.

L’entrée sortie, on passe aux choses sérieuses. Akbar trouve un palliatif à sa tarte habituelle, tandis que Jeff, ragaillardi par les derniers événements, prend celle du jour, qui porte bien son nom de tarte bonne humeur.

Eh bien, il aura suffi de l’engloutir pour qu’elle passe, la bonne humeur : soudain, un vent coulis glacial les frappe : on dirait un courant d’air polaire, un blizzard, qui se dirige vers eux en provenance de la porte restée ouverte.

Le sang de Jeff (à son habitude) ne fait pas cinquante tours, son sang ne fait pas vingt tours (j’abrège pour ne pas fatiguer le lecteur) : son sang ne fait qu’un tour. Ni une ni deux, il se lève en lançant à Akbar : On s’en va. Ils se dirigent vers la caisse, ils payent, et quand Diane, qui leur a fait un « geste commercial », leur propose une nouvelle carte de fidélité (celle d’Akbar étant finie), Jeff répond : Inutile, on ne reviendra pas. Aussi sec que le vin d’Alsace !

Diane s’excuse encore, dit que la porte ayant été réparée, il est plus difficile aux serveurs de l’ouvrir lorsque, chargés comme des baudets, ils vont servir la terrasse. Et donc, pour rendre la vie plus facile aux serveurs, on laisse les portes grandes ouvertes. Comme ça, les clients partiront plus vite, du fait du service accéléré et de la température glaciale, se dit Akbar, tout bénéf pour le resto qui pourra donc servir encore plus de couverts. Autant aller dans un fast food (alsacien, pour le coup).

— J’étais énervé ? demande Jeff à Akbar.

— …, lui répond-il.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

2 commentaires »

  1. Oh c’est marrant, on fait un peu ça sur notre blog, mais sans logiciel:)

    Commentaire par Scim — 23 avril 2011 @ 20:26

  2. On fait c’qu’on peut avec c’qu’on a…

    Commentaire par Miklos — 23 avril 2011 @ 20:29

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