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2 août 2011

Mais qui porte vraiment la culotte, à Paris ?

Classé dans : Actualité, Histoire, Société — Miklos @ 21:25

Cette femme porte le haut de chausses, porte des chausses, porte la culotte, Elle est plus maîtresse dans sa maison que son mari. — Dictionnaire de l’Académie française, 1835.

Les Parisiennes qui portent la culotte doivent en demander l’autorisation de la police avec raisons médicales à l’appui selon une loi du 26 brumaire de l’an IX (17 novembre 1799) encore en vigueur, nous apprend l’agence Reuters. D’autres pays à la pointe du progrès ont aussi des lois quelque peu curieuses ; ainsi, à Jasper (Alabama), il est interdit à un homme de battre sa femme avec un bâton dont le diamètre est supérieur à celui de son pouce ; à Nogales (Arizona), on ne peut porter des bretelles ; en Californie il faut posséder un permis de chasse pour être autorisé à poser un piège à souris, tandis à Hartford (Connecticut) on n’a pas le droit de dresser un chien, ni – aucun rapport – d’embrasser sa femme un dimanche, alors qu’à Eureka (la si bien nommée, au Nevada), les hommes qui portent moustache ne peuvent embrasser de femmes – ni la leur ni d’autres, non seulement les dimanches mais tous les autres jours de la semaine. Le Massachusetts, à la pointe de la morale (bien qu’il ait interdit la fête de Noël dès 1659), ne permet pas aux couples (même mariés) de dormir nus dans des chambres louées (bed-and-breakfast, par exemple) et exige un certificat médical pour ceux qui voudraient prendre un bain. On pourra se délecter à la lecture d’une liste assez exhaustive de ces ordonnances amé­ri­caines toujours en vigueur.

Mais revenons aux femmes empantalonnées. Cette loi parisienne et inique mettait fin à un trop bref âge d’or, de quelques années à peine, où les femmes s’étaient délectées à porter des falzars. Dans son ouvrage La Française du Siècle. Modes Mœurs Usages (1886), Octave Uzanne décrit, dans son premier chapitre (« Nymphes et Merveilleuses »), l’effet libératoire qu’a eu sur la société la sortie de la Terreur au lendemain du 9 Thermidor. « Logiquement, on peut dire que la frontière du XVIIIe siècle est franchie et qu’une ère nouvelle commence avec toutes les transformations de mœurs, de langage, de costumes qui marquent l’évolution normale de la France vers un nouveau Régime. (…) Aussi n’est-il point étonnant de voir en tous lieux renaître le plaisir, les jeux, l’allégresse après une si longue contrainte ; la confusion est partout ; on sent qu’on vit dans l’interrègne de la morale ; on s’étourdit, on s’oublie, on se grise, on s’abandonne, on se donne avec facilité et sans prendre garde aux moyens. La femme, principalement, a conscience qu’elle vient de reconquérir ses droits les plus charmants. » Et il cite Lous-Sébastien Mercier1 qui parle de façon assez coquine de l’accoutrement extravagant de certaines Merveilleuses (et, en passant, nous informe de la façon originale qu’avait le comte d’Artois de se culotter et de se déculotter) :

« Quel bruit se fait entendre ? Quelle est cette femme que les applaudissements précèdent ? Approchons, voyons. La foule se presse autour d’elle. Est-elle nue ? Je doute. Approchons de plus près ; ceci mérite mes crayons : je vois son léger pantalon, comparable à la fameuse culotte de peau de Mgr le comte d’Artois, que quatre grands laquais soulevaient en l’air pour le faire tomber dans le vêtement, de manière qu’il ne formât aucun pli, lequel, ainsi emboîté tout le jour, il fallait déculotter le soir en le soulevant de la même manière et encore avec plus d’efforts ; le pantalon féminin, dis-je, très serré, quoique de soie, surpasse peut-être encore la fameuse culotte par sa collure parfaite ; il est garni d’espèces de bracelets. Le justaucorps est échancré savamment et sous une gaze artistement peinte palpitent les réservoirs de la maternité. Une chemise de linon clair laisse apercevoir et les jambes et les cuisses, qui sont embrassés par des cercles en or et diamantés. Une cohue de jeunes gens l’environne avec le langage d’une joie dissolue. Encore une hardiesse de Merveilleuse, et l’on pourrait contempler parmi nous les antiques danses des filles de Laconie : il reste si peu à faire tomber que je ne sais si la pudeur véritable ne gagnerait pas à l’enlèvement de ce voile transparent. Le pantalon couleur de chair, strictement appliqué sur la peau, irrite l’imagination et ne laisse voir qu’en beau les formes et les appas les plus clandestins ;… et voilà les beaux jours qui succèdent à ceux de Robespierre ! »

Pantalon, dit-il ? Collant couleur chair carrément coquin ! Culotées, ces charmantes créatures. Pas étonnant que les prémices du « nouveau Régime » qu’évoque Uzanne, le Premier Empire, se soient accompagnées d’un retour à l’ordre moral dont cette interdiction est l’une des manifestations (mais qui, comme on peut le voir dans l’illustration ci-dessous, ne semble pas avoir eu un effet immédiat).

La sénatrice Maryvonne Blondin – qui siège à Paris (en pantalon ?) mais représente le Finistère – a déposé une proposition de loi demandant l’abrogation de ce texte. Jusqu’ici, la préfecture de police avait résisté à ces efforts qui remontent à 1887. Mais est-ce vraiment nécessaire ? Certains observateurs notent un retour actuel vers la pudeur : « De nos jours, nous constatons que les corps se rhabillent un peu plus. Notamment chez les plus jeunes, avec le délaissement du slip de bain pour les shorts. » constate le sociologue Jean-Didier Urbain, et ce n’est pas que pour se protéger du soleil (la différence entre slip et short est négligeable, sur ce point). De là à ce que les femmes acceptent de revenir, d’elles-mêmes, à la jupe, à la robe, voire au niqab… pardon, une autre loi en vigueur l’interdit.


1 Auteur – très prolifique – entre autres du Tableau de Paris avant la Révolution française et du Nouveau Paris (en 1798), ainsi que d’une utopie, L’an deux mille quatre cent quarante, rêve s’il en fût jamais, que nous avions déjà évoquée.

3 commentaires »

  1. [...] il avait déjà eu en France les Incroyables – et leur pendant féminin, les Merveilleuses (dont on avait récemment dévoilé – c’est le cas de le dire – les accoutrements extraordinaires) – ces « jeunes gens [...]

    Ping par Miklos » Les métrosexuels avant l’heure, ou, ce qui fait courir (aussi) les hommes — 6 octobre 2011 @ 0:14

  2. [...] Mercier autant pour sa vision de la bibliothèque du futur (en 2440, pas moins) que pour son regard sur les pantalons féminins à la mode (très serrés et couleur de chair, de [...]

    Ping par Miklos » Nonpareil — 10 décembre 2012 @ 2:10

  3. On vient d’apprendre que c’est fini :

    Finies les robes et les jupes ! Depuis jeudi dernier, les Parisiennes sont enfin autorisées à mettre des pantalons. Il aura fallu attendre la date du 31 janvier 2013 pour que le ministère des droits des femmes n’abroge -de façon implicite- l’ «ordonnance concernant le travestissement des femmes » qui leur faisait encourir, depuis plus deux siècles, l’emprisonnement.

    (Source : Le Parisien, 2/2/2013.

    Commentaire par Miklos — 3 février 2013 @ 12:47

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