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6 octobre 2011

Les métrosexuels avant l’heure, ou, ce qui fait courir (aussi) les hommes

Classé dans : Histoire, Langue, Littérature, Société — Miklos @ 0:14

Pour éviter toute confusion, on précise d’abord qu’on ne parle pas ici des prédateurs sexuels qui hantent les longs couloirs vides de certaines stations peu avant l’heure du dernier métro. Il s’agira ici d’un terme récent, provenant directement de l’anglais, et dénotant

ce nouvel homme très attentif à son look [autre terme anglophone], très soigneux, le plus souvent épilé (au moins sur la poitrine), bronzé et toujours à la dernière mode. (…) le métrosexuel déteste être négligé ; il aime faire du shopping [ibid.], y compris dans les parfumeries, où il dépense beaucoup en crèmes antirides ; il choisit avec attention tous les détails de sa garde-robe (…)1

« Nouvel homme », dit-il ? Et pourtant, ce même auteur écrivait dans un précédent ouvrage2 qu’Oscar Wilde, « l’écrivain anglais bien connu (…), a été un métrosexuel avant l’heure. On se souvient de ses cols cassés et en dentelle, de ses cheveux ondoyants, de ses vestes extrêmement ajustées. »

Et cent ans avant Wilde, il avait déjà eu en France les Incroyables – et leur pendant féminin, les Merveilleuses (dont on avait récemment dévoilé – c’est le cas de le dire – les accoutrements extraordinaires) – ces « jeunes gens qui s’étaient arrogés le monopole du suprême bon ton, depuis le choix du costume jusqu’aux formes du langage. »3 On ne résiste pas au plaisir de laisser l’auteur poursuivre :

De longues tresses de cheveux tombant sur les épaules, et que l’on nomma oreilles de chien ; un peigne d’écailles relevant derrière la tête des cheveux dont n’approchaient plus les ciseaux, trop vulgaires, et qui devaient être coupés avec un rasoir ; des redingotes très courtes, avec des culottes de velours noir ou vert, tels furent les signes principaux auxquels on reconnaissait les élégants du jour. Leur manière de prononcer les mots ne les faisait pas moins reconnaître par sa singularité et son affectation. La lettre r était tombée dans leur disgrâce : ces messieurs, qui avaient désossé notre langue, ne donnaient que leur paole d’honneu, leur petite paole ; et leur racontait-on quelque chose qui les étonnait, ils s’écriaient : « C’est incoyable ! » Ce fut cette habitude qui leur fit donner dans la société le nom d’incroyables, tandis que la classe plus vulgaire les appela des muscadins. —En grande toilette, l’incroyable devait remplacer sa redingote courte par un habit à taille carrée et à grands revers ; un chapeau claque d’une dimension monstrueuse se trouvait sous son bras, et ses souliers pointus rappelaient les chaussures à la poulaine du moyen âge.

On se doute bien que ces métrosexuels d’alors – comme ceux d’aujourd’hui – devaient passer un temps fou à se bichonner. Or à peu près à cette époque, un dictionnaire des expressions vicieuses usitées dans un grand nombre de départements, et notamment dans la ci-devant province de Lorraine, affirme que se bichonner n’est pas français et qu’il faut utiliser, en lieu et place, s’adoniser (dont l’étymologie est évidente, mais à ne pas confondre avec atomiser bien que les adonisants utilisent souvent des atomisateurs), verbe qui a donné adoniseur, que l’on pourrait appliquer de nos jours au personnel d’instituts de beauté. L’exemple que fournit ce dictionnaire pour illustrer le bon usage concerne sans doute les Merveilleuses – « Cette femme est sans cesse à s’ajuster, à s’adoniser » – mais s’applique aussi bien à leur contre­partie masculine, les Incroyables d’alors et les métrosexuels d’aujourd’hui.

Ce verbe sera utilisé au cours du 19e s. (et tombera en désuétude plus tard) : le Trésor de la langue française cite son emploi chez Nerval, Châteaubriant, Sainte-Beuve ou Balzac, et en particulier chez Théophile Gautier, dans Le Capitaine Fracasse :

Si vous voulez accepter un vieux pédant de comédie pour valet de chambre, dit Blazius en se frottant les mains d’un air de contentement, je vais vous adoniser et calamistrer de la belle façon. Toutes les dames raffoleront de vous incontinent.

où l’on découvre le verbe calamistrer (se faire friser les cheveux, préoccupation de tous ceux qui ont les cheveux lisses, à l’inverse des têtes bouclées qui cherchent à se les défriser), et chez Victor Hugo qui décrit si bien l’éternel métrosexuel dans Les Misérables ainsi :

Il est impossible de s’imaginer que Dieu nous ait faits pour autre chose que ceci : idolâtrer, roucouler, adoniser, être pigeon, être coq, becqueter ses amours du matin au soir, se mirer dans sa petite femme, être fier, être triomphant, faire jabot ; voilà le but de la vie.

Enfin, on trouve dans le Gil Blas de Le Sage cette belle réflexion sur l’importance de cette activité aux âges de la vie :

L’envie que j’avais de paraître agréable à cette dame me fit employer trois bonnes heures pour le moins à m’ajuster, à m’adoniser ; encore ne pus-je parvenir à me rendre content de ma personne. Pour un adolescent qui se prépare à voir sa maîtresse, ce n’est qu’un plaisir ; mais pour un homme qui commence à vieillir, c’est une occupation.

Nihil novi sub sole.


1 Willy Pasini, Des hommes à aimer. Comprendre et gérer les fiancés, les maris et les amants. Trad. de l’italien. Odile Jacob, 2007.
2 Willy Pasini et Maria Teresa Baldini, Les 7 avantages de la beauté. S’améliorer sans se transformer. Odile Jacob, 2006.
3 Dictionnaire de la conversation et de la lecture, vol. 32. Paris, 1836.

Un commentaire »

  1. les zo’eilles » de chien ?

    Commentaire par francois75002 — 6 octobre 2011 @ 14:57

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