Miklos
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24 février 2005

À propos de Lewis Carroll, d’Alice et d’autres merveilles

Classé dans : Littérature — Miklos @ 1:04

L’auteur d’Alice aux pays des merveilles (dont il a écrit au moins 3 versions différentes – la page reproduite ci-dessous provient du manuscrit de 1886) – le Révérend Charles Lutwidge Dodgson (1832-1898), plus connu sous son pseudonyme de Lewis Carroll – est sans conteste le maître du nonsense britannique, de l’humour pince-sans-rire, créateur d’univers absurdes et pourtant si réels, qui ont fasciné et continuent à fasciner jeunes et vieux, psychanalystes, mathématiciens et astrophysiciens, grands écrivains (Joyce, Borges…), philosophes et musiciens.

On sait moins qu’il a d’autres textes à son actif : De l’autre côté du miroir et ce qu’Alice y trouva – bien plus élaboré que l’autre Alice, jeu d’échecs presque métaphysique dans lequel se trouve le magnifique Jabberwocky, poème en une langue inventée dont la musique en fait pressentir le sens – mais aussi La Chasse au Snark qui relate en vers la poursuite de cet animal fabuleux (qui n’était qu’un Boojum, vous savez), chef-d’œuvre de l’absurde ; Euclide et ses rivaux, traité humoristique sur les mathématiques ; d’autres ouvrages plus scientifiques (notamment un traité sur les déterminants) ; des poèmes, des lettres… et des photographies de jeunes filles prépubères habillées, pour certaines, légèrement, ce qui a suscité de nombreuses hypothèses sur sa sexualité – inexistante, sans doute, mais arrêté à l’état infantile1 ? pire, potentiellement pédophile ? En tout état de cause, il était rarement à l’aise dans le monde des adultes.

On sait encore moins que Carroll était mathématicien et logicien. Ce n’est pas étonnant : ses univers oniriques sont aussi abstraits et rigoureux que ceux d’un Lobatchevski (mathématicien russe, inventeur d’espaces non-euclidiens, utilisés entre autres dans la théorie de la relativité) – refuge idéal pour un adulte à l’âme d’un enfant inadapté à la société de ses pairs et refusant de grandir (même s’il mange du gateau qui lui intime Mange-moi). Les enfants (de tous âges) perçoivent intuitivement des mécanismes parfois très profonds du fonctionnement de cette société, qu’ils reproduisent métaphoriquement dans leur univers imaginé ; ainsi, le constat d’Alice, se trouvant derrière le miroir, que pour se rapprocher de la montagne il faut aller en sens inverse, n’est-il pas une des façons que l’on a d’aborder un problème qui semble insoluble : ne pas y penser, tenter d’en détourner son attention, et soudain se trouver plus près de sa solution ?

24/02/05, 08:39

Musique, mathématiques et échecs, trois mondes régis par des règles précises qui permettent de créer des univers abstraits et déinscarnés (donc inhumains, ou du moins déshumanisés), parfaits et fort complexes (et d’en transgresser les règles)… ce qui expliquerait pourquoi il arrive qu’on excelle dans plus d’un de ces domaines – et donc la question qui se pose si la psychologie des grands génies dans ces domaines est souvent infantile. George Steiner dit : the common bond between chess, music, and mathematics may, finally, be the absence of language (ce qui est une caractéristique de l’enfant qui ne maîtrise pas le langage comme peut le faire l’adulte). Les avatars moderne et simplifié de ces refuges : science fiction, jeux de rôles, mondes virtuels…? (À suivre)


1 Ce même aspect de sexualité infantile se retrouve chez Dali, lui aussi grand inventeur d’univers rêvés.

9 commentaires »

  1. Merci pour ce bel article !

    Un point, juste : à ma connaissance, le Jabberwock est dans "De l’autre côté du mirroir" : poème trouvé par Alice sur un livre (inversé, bien sûr) du monde du mirroir, et dont Humpty Dumpty donnera une interprétation des premières strophes. Il est possible qu’il soit aussi dans la Chasse au Snark, que je n’ai pas encore eu l’occasion de lire.

    La page jointe à votre post est un autographe de Carroll ?

    Commentaire par kliban — 24 février 2005 @ 1:49

  2. Oups, c’est évidemment de l’autre côté du miroir, et pas dans le Snark. Ayant écrit cet article en faisant autre chose, je me suis mélangé les pinceaux (faute d’autre chose). Merci de me l’avoir signalé, je corrige de ce pas.

    Quant à l’image, oui, c’est une page du manuscrit de Carroll datant de 1864.

    Commentaire par miklos — 24 février 2005 @ 1:53

  3. "I will take you back to wonderland" Paul Young

    Commentaire par nezorizoro — 24 février 2005 @ 4:04

  4. Grand admirateur d’Alice comme mon ami le monstre shakespearien, j’ai lu des biographies, des analyses littéraires et psychologiques de ces livres.
    Lewis Carroll professeur de mathématique à Oxford et grand amateur d’énigme oui.
    Pédophile certainement : il aimait prendre les enfants en photo et dans la mesure du possible nus et sans la présencce des adultes. Un album de son travail existe.

    Quant aux diverses interprétations je jubile parfois de ce qu’on peut trouver dans ses romans. le non-sens oui mais pas seulement. C’est la période où on commence à parler de psychanalyse et un scène est fabuleuse pour ça… laisser moi vous la conter:

    La scène du Joyeux non-anniversaire :

    les personnages : Alice, le chapelier fou, le lapin et le loir endormi. Chacun de ces trois personnages ont une signification précise : le lapin : la male reproducteur, le chapelier fou : la société moralisatrice anglaise qui cherche à garder dignité et couvre chef, le loir : le conflit entre le corps et l’esprit.

    Les personnages sont disposés de telle sorte autour de la table qu’une horloge marquerait 17h heures l’heure du thé en Angleterre, et en ces temps victoriens, on ne rigole pas avec.

    La scène s’emballe, les personnages changent de place, Le chapelier a une crise de démence, le loir se réveille, Alice prend la place du lapin et trouve au fond de la soucoupe une petite goutte de lait au milieu du thé…

    Bien sur on pourrait dire que ce n’est là que fantasme de psychiatres, ce serait mal connaïtre le penchant pronnoncé de l’auteur pour les énigmes.

    le non-sens oui, mais pas seulement : un regard sur le monde victorien (le lapin en retard omnubilé par l’heure cf le combat de l’époque pour l’heure gmt) et un roman d’initiation, qui ne fait que raconter le passge d’une petite fille à l’age d’une jeune femme.

    Bref des passages qui regorgent de trésors dont on n’a pas fini de parler.

    Commentaire par marsel — 24 février 2005 @ 7:35

  5. Il existe aussi un autre livre assez étrange de Lewis Carroll : " Sylvie et bruno. " Je te souhaite un bon retour… Miklos…

    Commentaire par phedre — 24 février 2005 @ 7:35

  6. Merci, Phedre. J’ai – et je n’ai pas lu – S&B ; j’avais lu une critique qui parlait surtout de son côté moralisateur. On verra, un jour p’têt…

    Commentaire par miklos — 24 février 2005 @ 8:44

  7. http://...

    Commentaire par klendal — 24 février 2005 @ 20:10

  8. Klendal: il aurait bien de mentionner et l’auteur (Carroll) et le traducteur (Frank L. Warrin, en 1931).

    Commentaire par miklos — 24 février 2005 @ 20:14

  9. [...] de la conversation. Les traditions dans ce domaine se perdent, c’est un fait que nous avons constaté. À la conversation classique on préfère dorénavant le chat (sauf les [...]

    Ping par Miklos » Exercices de style (IV), ou, cherche et tu trouveras — 8 septembre 2010 @ 0:48

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