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28 avril 2012

« Je souis aimé d’elle, Dieu pouissant ! »

Classé dans : Actualité, Cinéma, vidéo, Histoire, Judaïsme, Langue, Musique, Shoah, Théâtre — Miklos @ 23:15

C’est ce qu’on pouvait entendre Hoffmann chanter il y a quelques instants sur la chaîne Mezzo, qui diffuse en ce moment Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, dans une interprétation du MET de New York sous la direction de James Levine. C’était en 2009, avant que les problèmes de santé n’obligent le chef à annuler nombre de ses concerts puis à annoncer qu’il ne redirigerait pas avant l’automne 2013.

Heureusement – si l’on peut dire… – la vidéo est sous-titrée en français. Non que cette version soit chantée en maltais, en russe ou en coréen, mais les accents de ces stars internationales de la scène – un Maltais dans le rôle d’Hoffman, une Russe dans ceux d’Antonia et de Stella, une Coréenne-Américain dans celui d’Olympia, et ainsi de suite – en rendent souvent la compréhension impossible quand elle n’est pas cocasse.

Offenbach, dit-on, avait un accent à couper au couteau : « L’accent d’Offenbach ! C’est le souvenir ineffaçable de son enfance colognaise et juive. Il avait treize ans quand il était arrivé à Paris ; il ne savait pas un mot de français. ». Je ne sais s’il lui était arrivé de chanter dans ses chefs-d’œuvre, archétypes de la Belle Époque, plus français que français, et dans lesquels la diction est aussi essentielle – c’est vrai pour la musique (classique) chantée en général, d’ailleurs – que la musicalité, mais il s’en était amusé : on se souvient de l’accent « allemand très prononcé » – c’est ce qu’indique le livret – de Frick le bottier de La Vie parisienne, qui, voulant embrasser Gabrielle la jolie gantière, lui sort comme argument : « nous sommes Allemands tous les deux, et… une chose qu’il faut remarquer, c’est que nous n’avons d’accent ni l’un ni l’autre ». Ils n’y sont d’ailleurs pas les seuls étrangers, il y a ce fameux Brésilien qui a de l’or et qui arrive de Rio de Janeiro.

Et qui leur fait réellement justice ? Ce sont les acteurs de la compagnie Renault-Barrault dans une interprétation historique à l’Opéra-Comique (à laquelle j’ai eu la chance et le bonheur d’assister) réunissant non pas des stars internationales du bel canto, mais la crème des acteurs français de théâtre : Suzy Delair, Simone Valère, Madeleine Renaud, Jean Parédès, Jean Desailly, Pierre Bertin, Jean-Pierre Granval, Jean-Louis Barrault… Enlevée, pétillante, voire coquine sans une once de cette vulgarité qu’on trouvera dans des productions assez récentes, après ça, comment en écouter une autre ? Fort heureusement, l’enregistrement, disponible alors sur un 33T dont la couverture se dépliait pour montrer une photo panoramique de la troupe sur la scène, a été réédité en disque compact. Un agzent allemand imité avec humour et finesse par un Français sonne à mes oreilles mieux qu’un accent français tenté par un Maltais, sans doute, dans ce genre de texte.

Pour Les Contes d’Hoffmann, c’est un autre enregistrement historique (disponible lui aussi en réédition sur disque compact) qui me ravit, là aussi si essentiellement français : Raoul Jobin, Renée Doria, Vina Bovy, Géori Boué, Renée Faure, Simone Borghese, Roger Bourdin… et… Bourvil lui-même, dirigés par ce grand chef qu’était André Cluytens, là aussi une production de l’Opéra-Comique dans ses grandes heures.

N’accusez pas le métèque que je suis de chauvinisme, même musical : j’adore les comédies américaines chantées par des Américains et les lieder de Schubert par Dietrich Fischer Dieskau. Chaque langue a son génie, et ici, il me semble qu’il n’y ait que des Français qui arrivent à faire justice à ces œuvres où la langue est si centrale, et d’ailleurs non pas uniquement par leur diction, mais aussi par le timbre de leurs voix, surtout celles des femmes.

L’accent est aussi ce qui a fait problème, pour moi, dans la remarquable performance théâtrale de Judith Magre qui tient, à 85 ans, la scène pendant une heure et demi dans un monologue, celui de Rose dans la pièce éponyme de Martin Sherman. Rose est juive, née dans un shtetl d’Europe de l’Est. Assise pour porter encore un deuil tel que cela se pratique traditionnellement chez les juifs, elle se remémore, au crépuscule de sa vie, les tragédies et quelques joies qui ont émaillé sa traversée des bouleversements de ce siècle passé, la menant d’un village de l’Ukraine au ghetto de Varsovie, puis sur l’Exodus vers la Palestine où elle ne pourra entrer et se retrouvera finalement aux États-Unis. Elle verra sa petite fille assassinée d’une balle dans le front devant ses yeux, ses maris disparaître les uns après les autres – mais c’est le premier, mort écrasé sous le poids d’une armoire dans le ghetto détruit, qu’elle regrettera toute sa vie, avec une telle force d’ailleurs qu’elle évoquera à deux reprises sa présence, réelle ou imaginée.

Le texte est (fort bien) traduit de l’américain, mais il « est » très juif américain, par la façon dont il évoque ces événements, par son émotion tord-boyaux (mais il y a de quoi), par son humour doux-amer et parfois grinçant ou tragique comme l’est souvent l’humour juif, par son style, par sa construction dramatique. Et l’accent de Judith Magre n’a rien d’américain ni de juif (ce « souvenir ineffaçable » resté dans le français d’Offenbach), ce qui se remarque dans sa prononciation de certains mots en yiddish ou en russe, et, plus généralement, par le manque de cette mélodie dans la voix si typique d’une personne originaire des milieux juifs d’Europe de l’Est qu’un Popeck sait fort bien (re)prendre quand il raconte des histoires juives, celle d’un Yidl mit’n fidl (« juif avec violon ») – titre d’une chanson yiddish qu’elle chantonne en fin de spectacle. Elle n’a rien d’une Molly Picon (brièvement mentionnée dans Rose), actrice du théâtre yiddish américain qui avait d’ailleurs tenu le rôle titre du film Yidl mit’n fidl dans lequel elle se déguise en homme musicien ambulant, et dont il existe des enregistrements de cette chanson (et bien d’autres). En tout cas, on ne peut dire de cette chanson-là que C’est ine chanson d’amour qui s’annvole, triste ou folle…, comme vient de le chanter le Hoffman Maltais.

Un commentaire »

  1. C’est amusant, je viens d’entendre un extrait de La Vie parisienne avec Madeleine Renaud et Pierre Bertin !!!

    Commentaire par Jeff — 28 avril 2012 @ 23:52

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