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16 novembre 2008

Life in Hell : miracles en Terre sainte

Classé dans : Histoire, Lieux — Miklos @ 16:36

« Ne t’approche point d’ici, déchausse tes souliers, car le lieu où tu es est une terre sainte. » — Exode, III:2.

« …et voici l’étoile qu’ils avaient vu en Orient qui alla devant eux (…) et quand ils virent l’étoile, ils en furent très joyeux. » — L’Évangile selon Saint Matthieu, III:9-10.

L’avion amorce sa descente. De loin, Akbar aperçoit la courbe gracieuse de la côte sur laquelle les Peuples de la mer avaient abordés pour envahir la Phénicie et dont le sable blanc s’enfonce doucement dans une Méditerranée d’un bleu aussi profond que celui des yeux d’Elsa. Mais rapidement des dents de la mer se dressent, tours de Babel et gratte-ciel impérieux de la métropole orgueilleuse. Qu’elle était belle, autrefois, celle qu’on appelait alors la petite Tel Aviv, née comme par miracle dans les sables il y a bientôt un siècle, parsemée de petits immeubles Bauhaus blancs, épurés et harmonieux, et maintenant délabrés ! Quant aux points de lumières qu’Akbar voyait scintiller au loin, il réalise que ce ne sont pas les étoiles de Bethlehem mais les feux éblouissants du terminal de l’aéroport. Fin connaisseur des Écritures, il se déchausse respectueusement au moment de descendre de l’avion. Il est surpris quand ses pieds touchent le sol : ce n’est qu’un banal tarmac et non pas la terre friable et riche du Croissant fertile qu’Abraham avait foulée en long et en large. Il renfile ses chaussures. Bienvenue en Israël.

« Et Jesus prit les pains, puis remercia Dieu, et les bailla aux disciples, et les disciples aux assis, et aussi des poissons, tant qu’ils en voulurent. » — L’Évangile selon Saint Jehan, VI:11-12.

En conduisant sa voiture de location, Akbar constate que le miracle de la multiplication des poissons à Tibériade se renouvelle chaque jour dans tout le pays : les chauffeurs israéliens n’ont de cesse de lui faire des queues de poisson, de déboîter soudain sans clignoter et de se glisser, à une vitesse deux fois plus grande que la limite autorisée, dans l’espace de sécurité qu’il veille à laisser derrière la voiture qui le précède, de doubler à droite sur la bande d’urgence même s’ils pourraient le faire à gauche – est-ce du fait de leur orientation politique, se demande Akbar, surpris. Si Einstein avait accepté la proposition de devenir le président du jeune État, il aurait été interloqué par le défi que ses conducteurs lancent aux lois de la physique : la vitesse du son y est plus rapide que celle de la lumière. Pour preuve : Akbar entend les klaxons des voitures qui l’enjoignent de démarrer avant même qu’il ne voie le feu de circulation passer au vert. Un miracle de plus dans ce pays qui défie les lois.

« [Abraham] vit trois hommes qui étaient vis-à-vis contre lui. Et quand il les vit, il leur courut au-devant, de l’entrée de sa tente, et fit la révérence, et dit : Monsieur, il te plaira de me faire ce plaisir, de ne passer point sans venir chez moi ton serviteur. On prendra un peu d’eau et vous laverez les pieds, puis reposerez sous un arbre. Et je prendrai un morceau de pain, duquel vous prendrez votre réfection, puis tirerez avant. » — Genèse, XVIII:2-5.

« Demandez la paix de toi, Jerusalem, que bien soit à qui t’aime. Paix soit en ton bolevard, bonheur en tes palais ! » — Le Sautier, CXXII:6-7.

Akbar s’attend à retrouver l’hospitalité légendaire d’Abraham chez ses descendants. L’hôtel Dan Gardens est magnifiquement situé au sommet du mont Carmel, dans une rue bien nommée, Bellevue : de sa fenêtre, il contemple la baie de Haïfa dont la courbe presque parfaite commence au port et s’éloigne à l’horizon jusqu’à Saint Jean d’Acre. Dommage qu’il ne puisse aussi apercevoir le temple Ba’hai et ses magnifiques jardins. D’ici, on ne voit que les toits du quartier Hadar situé à mi-hauteur de la montagne, autrefois bien achalandé ; depuis l’ouverture de grands centres commerciaux en périphérie de la ville, il a bien déchu et ressemble à ce qu’étaient les abords du port il y a cinquante ans (qui, eux, se rénovent et entrent de plein pied dans la branchitude) : petites échoppes grouillantes d’épices, de fringues et de vaisselle clinquante, façades autrefois belles et maintenant noircies et défigurées par des constructions de plastique et d’aluminium, elles mêmes en lambeaux. C’est le départ de l’hôtel qui sera quelque peu difficile, l’informatique de la réception ayant des difficultés à se mettre en marche le matin.

Sa chambre, à l’hôtellerie de l’Église écossaise de Jérusalem, donne sur les murailles de la vieille ville. Au soleil couchant, elle s’irradie d’une lumière dorée d’une grande douceur, qui fait oublier un moment la violence irrépressible que suscite le désir de s’accaparer ces lieux, matérialisation du divin pour les croyants des religions et de leurs multiples subdivisions incapables d’accepter l’autre : les Juifs veulent reconstruire leur Temple sur l’emplacement occupé par le Dôme du Rocher qu’Akbar aperçoit de sa chambre, lieu éminemment sacré pour l’islam qui en revendique la propriété absolue, tandis que les chrétiens de tous ordres se battent entre eux – à coups de poing s’il le faut – pour l’accès exclusif au Saint-Sépulcre. La porte vitrée qui donne sur la terrasse commune aux chambres voisines ne ferme pas – Akbar retrouvera-t-il ses effets après s’en être absenté ? –, et laisse passer les bruits de la circulation permanente sur la route qui longe l’hôtel. Le rideau qui la recouvre est diaphane : de la terrasse on voit tous les recoins de la chambre, et, au petit matin, Akbar est réveillé par les rayons du soleil levant.

Lorsqu’Akbar pénètre dans la chambre de l’hôtel Adiv à Tel-Aviv, il est saisi par l’odeur âcre de cigarette qui imprègne tissus et meubles. Il avait pourtant demandé par écrit une chambre non fumeur. Le réceptionniste s’excuse poliment en lui disant que c’est pourtant bien le cas – « mais pourquoi y a-t-il donc un cendrier tout propre sur la table », demande alors Akbar ? Le réceptionniste : « il ne doit pas appartenir à l’hôtel. » Mon œil, pense Akbar : la chambre vient d’être faite, s’il y avait des objets étrangers ils auraient été enlevés. « D’ailleurs, tout l’hôtel est non-fumeur », rajoute le réceptionniste. « Ahahaha ! », ricane Akbar silencieusement mais non moins amèrement : il avait remarqué à chaque étage un cendrier sur le palier devant l’ascenseur. Puis il s’aperçoit que la ventilation de la chambre est fort bruyante même lorsque le climatiseur est à l’arrêt (encore un miracle). Le technicien confirme : « Il y a un problème ; mais je ne peux le régler ce soir, je dois tout démonter ». Le réceptionniste, consulté une nouvelle fois, indique en s’excusant qu’il n’a aucune chambre de libre, et pourtant, Akbar constate qu’il continue à attribuer des chambres à de nouveaux arrivants (encore un miracle). Il traîne dans les rues de la ville pour éviter d’avoir à rester dans cette atmosphère puante et bruyante. La prochaine fois, il prendra un palace, fantasme-t-il.

« Le scribe voyage dans les pays étrangers. Il a fait l’expérience du bien et du mal parmi les hommes. » — Ben Sira.

Akbar constate que les terminaux des aéroports deviennent de plus en plus grands, à l’instar des avions (le sien n’avait pas été annulé en dépit de la grève d’Air France, dernier miracle avant de quitter la Terre sainte). Si celui de Tel Aviv est bien plus grand que ses prédécesseurs, il garde toutefois une taille praticable. Mais le terminal 2E de Roissy est cauchemardesque : couloirs infinis qui lui rappellent Brazil, escaliers qu’il faut monter puis descendre, train qui en relie deux ailes, des kilomètres à parcourir dans un bâtiment gigantesque et froid à l’architecture quelque peu néo-stalinienne… « Heureusement que je vais tous les jours à la salle de sport », se dit Akbar, « sinon je n’aurais pu en sortir avant le dernier RER. Vivement un tunnel sous la Méditerranée. »

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

4 commentaires »

  1. très chouette ce récit !

    Commentaire par betty. — 16 novembre 2008 @ 17:44

  2. Merci !

    Commentaire par Miklos — 16 novembre 2008 @ 18:15

  3. Très bien écrit … Dans un style carnet de voyage.

    Commentaire par Jean — 16 novembre 2008 @ 18:46

  4. Merci (bis) !

    Commentaire par Miklos — 16 novembre 2008 @ 21:08

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