Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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21 septembre 2012

Qui langue a, à Rome va. (Dicton)

Classé dans : Langue — Miklos @ 9:50

Les accents sont de ces mélodies très familières ancrées au plus profond de nous. Il suffit que je passe non loin d’un groupe de touristes pour que j’identifie la langue qu’ils parlent, sans même distinguer ce qu’ils disent, parfois sans même la connaître ni a fortiori la comprendre, au timbre de la voix et à l’intonation, à l’ouverture ou à la fermeture de certaines voyelles ou à la nasalisation de diphtongues, au roulement des r ou au chuintement des s, à l’accen­tuation des syllabes, à leur phrasé. Il suffit parfois d’un mot, voire d’une syllabe, la toute première, pour reconnaître la langue maternelle d’une personne qui s’adresse à moi en français : quand Benny, que je ne connaissais pas alors, est entré dans mon bureau en me disant Bonndjour !, je lui ai répondu Shalom !, et nous avons débuté notre conversation en hébreu. N’arrive-t-on pas à reconnaître parfois une sonate de Scarlatti ou une valse de Chopin, une œuvre de Philip Glass ou un tango argentin dès la première mesure, quand bien même lorsqu’on ne les avait encore jamais entendus auparavant ? Il en va ainsi des langues.

Depuis ma naissance, j’ai respiré un air imprégné d’accents de tant de diasporas, à commencer au berceau par ceux de mes parents puis en Israël par la multiplicité des origines de ses habitants. Ces accents étaient non seulement musique à mes oreilles mais goût à ma langue comme toutes ces cuisines que les Juifs errants avaient apportées avec eux  : dès que j’ai commencé à parler, je les ai imitées de mieux en mieux sans en connaître souvent les langues (ce qui me dessert dans des pays où je vais en visite, lorsque je demande mon chemin avec un parfait accent mais ne peux comprendre la réponse) : le hongrouah (difficile à rrrrrestituer par écrit, regardez donc la vidéo ci-dessus) ou l’accent si bwitish, si distingué, d’Abba Eban (alors ministre des affaires étrangères), lui qui avait fait ses études à Oxfo’d (ou est-ce Cambwidge ?) – Guy, avec lequel je m’amusais à singer ces personnalités, le faisait bien mieux que moi –, l’accent roumain plus populaire, l’espagnol très tonique, le yiddish (lequel, celui du litvak ou le poylish, variantes aussi reconnaissables que les accents régionaux en français ?) si… si… Le yiddish, c’est la langue de mes tréfonds, il est inqualifiable.

Comme je l’avais déjà raconté, le premier accent que j’ai entendu était celui de mon père qui, né en Pologne, avait grandi dans le polonais, le yiddish puis l’hébreu (parlé, pas uniquement liturgique), et pour qui le français qu’il parlait avec ma mère (qui, elle, venait d’Odessa et n’avait appris le français qu’à l’adolescence tardive à son arrivée en France) était sa cinquième ou sixième langue. Il avait un mal fou avec les u (qu’il prononçait parfois ou, parfois i), avec les i qu’il arrivait à nasaliser ; quant aux diph­tongues, n’en parlons pas : son oui sonnait parfois vi, parfois bi. À moi, il me parlait en hébreu, « sans accent », ce qui ne veut rien dire, on a toujours un accent, mais quand c’est celui de la majorité, on dit que ce sont les autres qui en ont.

C’est en Israël que j’ai finalement appris à aimer l’anglais, grâce à un instituteur génial dont j’ai parlé ailleurs, de ces maîtres qui peuvent influencer durablement le cours d’une vie en bien comme en mal. Il avait pourtant un accent polonais (quand j’ai suffisamment connu cette langue au point de pouvoir y faire des calembours, j’ai dit de lui He used to Polish our English - en prononçant Polish avec un o long, ce qui veut dire « polonais » et non pas « polir »). Quand je suis parti étudier aux USA, j’avais un assez bon semblant d’accent (et de vocabulaire) pseudo-british, et avais tenté de résister à son améri­ca­nisation, ce qui était ridicule, à Rome il faut faire comme les Romains (il est vrai que j’avais aussi fait du latin, mais à Rome il suffit de parler avec les mains). Revenu en France, je parlais ma langue maternelle, le français, avec un tel accent qu’on me prenait pour un Yankee. Si, après bien des efforts, je suis arrivé à m’en débarrasser, il m’en reste toujours des traces dans les interjections, dans quelques expressions ou tournures de phrase. Et les faux amis se pressent à mes lèvres quand je suis vraiment fatigué.

Avant ce retour, j’étais venu passer un an à Paris à la suite de mon directeur de thèse, américain. J’avais sous-loué une chambre dans son appartement en attendant d’en trouver un pour moi. Un jour que je rentrais à la maison, il me dit – en anglais, il n’était jamais arrivé à maîtriser le français à l’exception des dialogues parfois amusants de la méthode Assimil – que la concierge (c’était avant qu’elles ne deviennent des gardiennes, puis ne finissent par disparaître) lui avait dit quelque chose qu’il n’avait pas très bien compris, il devait s’agir d’un problème avec la cuisine. Parti me renseigner, il s’avère que c’était ma cousine qui m’avait laissé un message. Confusion de moindre conséquence que celles entre « cou », « cuit » ou… « cul », par exemple. J’aurais dû lui recommander la lecture de l’ouvrage ci-contre…

2 commentaires »

  1. sans oublier l’accent français en hébreu, so cute !

    Commentaire par Jeff — 22 septembre 2012 @ 21:13

  2. l’accent français est considéré cute dans pas mal de langues, je suppose celles où l’accent tonique n’est pas sur la dernière syllabe…

    Commentaire par Miklos — 22 septembre 2012 @ 21:17

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