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7 mars 2013

Un roman d’actualités

Classé dans : Actualité, Histoire, Littérature, Photographie, Politique, Société — Miklos @ 1:41

« Les romans de Gaston Leroux n’ont rien perdu de leur charme désuet ni ses nouvelles de leur éclat mystérieux. » — Miklos, La musique qui tue, 2005.

La mort – la Mort – est omniprésente chez Gaston Leroux : c’est une grande dame en noir au parfum envoûtant dont on n’aperçoit que l’ombre, accompagnée d’une musique lancinante, celle du violon du Fantôme de l’Opéra au cimetière de Perros-Guirec éclairé à minuit par la lune d’une « lumière qui ne pèse rien », celle de la vielle qui joue « la chanson qui tue », ou encore du crapaud qui sort de la bouche de la Carlotta, bouche « créée pour l’harmonie, cet instrument agile qui n’avait jamais failli, organe magnifique, générateur des plus belles sonorités, des plus difficiles accords, des plus molles modulations, des rythmes les plus ardents, sublime mécanique humaine à laquelle il ne manquait, pour être divine, que le feu du ciel qui, seul, donne la véritable émotion et soulève les âmes ».

Le principal protagoniste de ces fascinants romans est l’attachant reporter – on dirait journaliste investigateur, de nos jours – Rouletabille, qui enquête sur les morts qui frappent notamment les femmes qu’il aime – sa mère, sa femme… – et d’autres affaires mêlant souvant le sordide au politique voire au diplomatique. Son ami Sinclair est le Dr Watson d’un bien plus sympathique Sherlock Holmès que celui de Conan Doyle – après tout, il tient aussi un peu d’un Arsène Lupin – mais tout aussi « raisonnable ».

Dans Le Crime de Rouletabille – dont on sait bien, avant même d’avoir ouvert le livre, qu’il ne peut en être l’auteur, ce qui n’empêche pas de dévorer avidement ce roman à rembondissements qui ne manque pas d’humour (la scène de pickpocket dans le train de nuit est hilarante tout en ne ménageant pas le suspense) –, le voici accusé de l’assassinat de sa femme : « Ivana Vilitchkov, d’une étrange beauté, appartenait à l’une des plus illustres familles de Sofia, qui avait été mêlée de façon atroce aux malheurs tragiques de Stamboulof et de ses amis. Tous ces incidents sont connus. Tous les journaux ont reproduit le récit des scènes sanglantes qui, en marge du conflit des Balkans, avaient été comme le sinistre prologue d’une radieuse union consacrée à la Madeleine au milieu du Tout-Paris. »

L’actualité de l’époque – on est en 1921 –, y est à peine voilée. C’est en 1895 que Stepan Stamboulof, ex-premier ministre de Bulgarie, est assassiné à Sofia. Le nom du personnage de la courtisane-espionne Théodora Luigi résonne comme celui de Mata Hari, exécutée quatre ans auparavant, tandis que celui du comte de Mornac évoque sans peine celui du duc de Morny, l’intrigue du roman se déroulant à Deauville.

Mais en lisant aujourd’hui ce roman, on peut aussi être frappé par certaines descriptions qui ne sont pas sans ressembler à des événements contemporains. En voici quelques passages.

L’affaire DSK

En réalité, Roland Boulenger a-t-il eu du génie ? Nous le saurons peut-être prochainement. Je l’ai toujours cru un peu faiseur. Assurément il ne savait point être simple. Il était trop bel homme et avait la parole trop fleurie. Son charme était certain. Les femmes en raffolaient et ses conférences auxquelles elles ne comprenaient rien étaient le rendez-vous des élégantes, comme au temps de Caro. Avec cela, il était très mondain, ce qui ne l’empêchait pas de travailler douze heures par jour. Son esprit d’invention se répandait dans tous les domaines. C’était là son crime.

[…]

Roland Boulenger qui n’était guère plus âgé que sa femme, avait eu et continuait d’avoir les plus belles aventures du monde. Il ne perdait son temps en rien : chacun savait cela et Thérèse (c’était le nom de Mme Boulenger) n’ignorait point que son époux menait de pair le travail et le plaisir. Il n’y mettait point toujours de la discrétion. Elle était la première à en sourire, et si elle souffrait, cela ne se voyait guère. À une allusion un peu trop précise de ses amis qui tentaient de la plaindre, elle répondait : « Oh ! moi, il y a longtemps que je ne suis plus qu’un pur esprit ! J’aime Roland pour son intelligence et pour son grand coeur d’honnête homme. Le reste n’a pas d’importance, c’est des bêtises ! »

[…]

Roland Boulenger survint. Il paraissait plein d’entrain et ses yeux brillaient d’un éclat nouveau. Il était vraiment beau, d’une beauté mâle, intelligente et pleine d’une forte séduction. Je l’enviai. Celui-là faisait souffrir les femmes.

L’affaire Pistorius

« Thérèse avait le moyen, par la femme de ménage, de pénétrer dans la villa. Les autres ont peut-être entendu ouvrir la porte et se sont peut-être trouvés tout à coup devant Thérèse. Il faut admettre que ces trois personnages étaient dans un état à ne mesurer ni leurs gestes ni leurs paroles. Dans son cauchemar d’opium, Roland s’est-il cru menacé ou a-t-il cru que Théodora l’était, ce qui me paraît plus normal ? Le bruit fait à la porte par Thérèse l’avait certainement fait venir avec son revolver… et il ne fait plus de doute, hélas, que le revolver a servi… Il est même à présumer que s’il n’a servi que deux fois c’est que Thérèse le lui a arraché des mains peut-être… Quand l’agent est arrivé, Roland venait de refermer la porte peut-être… quand il a entendu l’agent, il l’a rouverte !… sûrement… »

[…]

– Le drame, quoi que tu en dises, continua Ivana, paraissait tellement simple que l’enquête la plus sommaire pourrait dès lors le résumer. Elle fut encore plus rapide qu’on ne pouvait l’espérer et c’est tout juste si le commissaire central posa, dans le particulier, si l’on peut dire, deux ou trois questions à Thérèse qui avait retrouvé sa pleine connaissance et qui confirma qu’elle s’était trouvée en présence d’Henri II. « Il était fou ! a-t-elle dit, je ne lui en veux pas ! » À la suite de quoi le commissaire eut une longue conversation avec Roland et je crois bien que l’on est en train de s’entendre pour bâtir de toutes pièces un accident… Ces messieurs de la police et du parquet qui sont enfermés en ce moment dans une pièce du premier étage y travaillent…

Deauville alors comme maintenant

« Mon cher Sainclair, j’allais chez toi. Nous t’emmenons à Deauville.

– À Deauville ! m’écriai-je, Ivana qui aime tant la vraie campagne… Je ne vois pas Ivana à Deauville. Elle déteste les snobs ! »

[…]

Le soir, après dîner, nous allâmes au Casino. On était en pleine saison. C’était une folie. Où donc tous ces gens trouvent-ils tant d’argent ? Mais vous pensez bien que je ne vais pas faire le censeur ni découvrir une salle de baccara. Dans le privé, j’ai vu en quelques coups de cartes passer des centaines et des centaines de mille francs. Mais ce qui me stupéfiait le plus, c’était la richesse des toilettes des femmes et leur tranquille indécence. Je sais bien que je suis vieux jeu, vieux Palais, tout ce que l’on voudra, mais il y a des limites à tout.

La nature humaine

Ce n’était pas pourtant un méchant homme, ce M. HébertLe juge d’instruction dans l’affaire., et comme on dit, il n’aurait pas fait de mal à une mouche, bien qu’il eût envoyé pas mal d’assassins à la guillotine, mais il trouvait tout naturel qu’un mari trompé tuât autour de lui comme un sauvage ! C’est extraordinaire, comme, par certains côtés, nous tenons encore à l’âge des cavernes.

[…]

Ainsi le joli monsieur qui accompagnait La Candeur n’était autre que l’illustre Vladimir !… dont j’avais entendu tant parler… qui avait partagé avec les deux reporters de si curieuses aventures au cours de la guerre des Balkans… Un très joli garçon, d’une moralité au-dessous de tout, mais brave et capable d’un dévouement à toute épreuve, lui aussi, pour Rouletabille. Enfin je n’ignorais pas que dans le moment, veuf d’une vieille dame millionnaire qui avait trahi ses espérances lors de l’ouverture du testament, il courtisait, pour le bon motif, une jeune artiste endiamantée du théâtre des Capucines, éblouie par le chic d’un fiancé qui prétendait descendre d’une des plus nobles et des plus riches familles de Kiev à laquelle la paix du monde et la ruine du bolchevisme allaient incessamment rendre son antique prospérité. En attendant, Mlle Michelette des Capucines lui payait ses cigarettes.

La presse

Les journaux tirèrent encore, ce jour-là, des éditions spéciales, à profusion. Les petits canards du soir s’en donnèrent à cœur-joie, inventant les incidents les plus plaisants et les plus grotesques, donnant des détails aussi extraordinaires que précis sur la façon dont Rouletabille s’était débarrassé de ses gardiens. Le Courrier de cinq heures affirma qu’on avait vu Rouletabille se promenant en plein boulevard sans être inquiété. Le Paris laissa entendre que rien de tout cela ne serait arrivé sans la complaisance du gouvernement qui avait tout intérêt à ménager, non point le reporter de L’Époque, mais L’Époque même, journal à très gros tirage ? Quand à L’Époque, ce journal relatait les faits sans aucun commentaire.


La presse en action.
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