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22 août 2009

De Sisyphe à Baudelaire

Classé dans : Littérature, Sciences, techniques — Miklos @ 18:41

Dans la page que la Wikipedia française en français consacre à Sisyphe, on lit qu’il « fut une source d’inspiration non seulement pour de nombreux écrivains, mais également pour les (sic) autres artistes ». Suit une liste – courte – qui mentionne deux peintres – Polygnote et Franz von Stuck (vous connaissez, vous ?) – un sculpteur – Jules Desbois (vous connaissez, vous ?) – , une manga, une bande dessinée, l’essai de Camus (impossible de le rater, celui-là) et une mention dans un vers de Baudelaire.

Cet article ne cite aucun des grands textes de l’antiquité qui en parlent – Homère ou Platon (le dialogue de Socrate et d’un certain Sisyphe), Sénèque et Horace, par exemple. Des peintres, l’article passe sous silence le Titien auquel on doit un magnifique Sisyphe (au Prado), ainsi qu’Ether Schwabacher (élève d’Arshile Gorky et dont l’œuvre est exposée dans les grands musées américains). Pas si nombreux que cela, les « nombreux » écrivains et artistes qui s’en seraient inspiré, mais tout de même…

En littérature, on en trouve quelques-uns dont la notoriété (ou son manque) égale celle des « autres artistes » cités dans l’article. En voici deux dont la proximité du prénom de l’un avec le nom de l’autre n’est qu’une amusante coïncidence.

Le poète Ponce-Denis Écouchard-Lebrun (1729-1807), dit « le Pindare français » (un de ses contemporains n’écrit-il pas : « Le Brun, digne héritier de la lyre immortelle… Toi qui nous rends Horace et Tyrtée et Pindare… »), a laissé une ode, Contre Sisyphe. Contre, parce que « des timides Vertus son Audace se joue », et « son or contagieux diffame ce qu’il touche. »

Charles Pierre, comte Gaspard de Pons (1798-1860) est un poète (et militaire) aujourd’hui oublié, mais qui a entretenu une correspondance avec certains de ses collègues et amis en littérature toujours présents dans notre patrimoine littéraire, à l’instar de Balzac ou de Vigny qui le présenta à Hugo, dont il devint ami. Ce dernier écrit d’ailleurs, à son propos, « Les compositions de Gaspard de Pons, ou se trouvent des vers saillants, sont comme ces tableaux chinois, à couleurs vives, mais sans ombres. » (Carnets, 1820-1821). Dans Le Rocher de Sisyphe (1835), de Pons écrit :

Malgré le poids du Temps sous lequel je fléchis
Et son immensité qu’à pas lents je franchis,
A ses rêves mon cœur se livre sans défense,
Et parfois je sens poindre une seconde enfance
Sous mes cheveux, déjà légèrement blanchis.
 
Ainsi de l’avenir l’obscur hiéroglyphe
Fait briller à ma vue un prestige divin ;
Je souris et je roule en vain
Le fatal rocher de Sisyphe,
Jusqu’au sommet du mont d’où l’homme épouvanté
Qui s’élevait au ciel, à la félicité
Par ses vœux et ses espérances,
Retombe dans l’éternité,
Dans l’éternité des souffrances.

Baudelaire n’évoque lui aussi le rocher de Sisyphe – dans Le Guignon (Les Fleurs du mal, 1855), dont Mallarmé reprendra le titre en 1862 – que comme métaphore, celle du long et dur labeur qu’est la vie du poète :

Pour soulever un poids si lourd,
Sisyphe, il faudrait ton courage !
Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage,
L’Art est long et le Temps est court.

Peut-être faut-il voir aussi ici dans le choix du personnage (et non pas de son sort, cette fois) l’affinité d’un transgresseur – Baudelaire, dont les Fleurs du mal le feront condamner pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs – à un autre – Sisyphe, puni pour avoir défié les dieux.

Quant à l’article que la Wikipedia consacre à Baudelaire, on peut y lire que c’était un « écrivain majeur de l’histoire de la poésie mondiale ». On ne s’attardera pas sur le style de l’article souvent lourd ou naïf (« il a aussi extrait la beauté de l’horreur », « … comme le postule si bien le titre de son Recueil [sic] Les Fleurs du Mal », « Les Fleurs du Mal, 1.861 edition, une édition illustrée », etc.) selon la main du rédacteur, examinons simplement quelques-uns des faits qui y sont mentionnés.

Le lecteur apprend tout d’abord que la mère du poète s’appelle « Caroline Archenbaut-Defayis (Dufaÿs ou Dufays, par corruption) », et, quelques lignes plus loin, « Caroline Archimbaut-Dufays ». Sans doute une corruption de la main qui a rajouté cette mention…

Passons au père, dont l’article donne pour date de naissance 1769, et précise qu’à la naissance de son fils il « est alors sexagénaire ». Or le petit Charles étant né en 1821, et 1821-1769=52, le papa était plutôt un jeune quinqua. Notre lecteur court consulter la page le concernant, et y lit qu’il était en fait né en 1759… Que fait-on, on prend la moyenne ?

Pour conclure, citons Baudelaire : « La poésie ne peut pas, sous peine de mort ou de défaillance, s’assimiler à la science ou à la morale ; elle n’a pas la Vérité pour objet, elle n’a qu’Elle-même » (in Sur Edgar Poe). Et la Wikipedia, alors, qu’a-t-elle pour objet ?

Un commentaire »

  1. [...] Akbar prend une bonne résolution, celle de retourner à la salle de sport, chaque jour, sans excuses ni louvoiements. C’est un labeur herculéen : se tirer hors du lit à pas d’heure, partir de chez soi à l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, pédaler vers l’horizon – qu’il n’attendra jamais, puisque qu’il fait du sur place – ou tirer lassablement des poids qui reviennent aussitôt à leur point de départ à l’instar du rocher de Sisyphe. [...]

    Ping par Miklos » Life in Hell: These strong and silent Frenchmen on flying trapezes. — 22 août 2009 @ 18:45

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