Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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20 août 2009

Life in Hell: These strong and silent Frenchmen on flying trapezes.

Classé dans : Actualité, Loisirs, Société — Miklos @ 20:59

Akbar prend une bonne résolution, celle de retourner à la salle de sport, chaque jour, sans excuses ni louvoiements. C’est un labeur herculéen : se tirer hors du lit à pas d’heure, partir de chez soi à l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, pédaler vers l’horizon – qu’il n’attendra jamais, puisque qu’il fait du sur place – ou tirer lassablement des poids qui reviennent aussitôt à leur point de départ à l’instar du rocher de Sisyphe.

Il s’y rend peu avant l’ouverture, créneau moins fréquenté qu’à d’autres moments de la journée où il y a foule et où règne le tintamarre lancinant et assourdissant de la musique techno sur laquelle se trémoussent les acharnés de la gymnastique en groupe.

À cette heure, arrive le jeune musclor piercé de partout et tatoué en plus ; malgré son apparence de figue de Barbarie, il n’a rien d’un barbare : il salue chacun gentiment, d’une voix douce, bavarde de tout et de rien (et surtout de son régime bio et des salles qu’il fréquente deux fois par jour), et, une fois prêt, se lance vers les haltères et les autres instruments de musculation qui lui arrachent des soupirs, des gémissements puis des ahans d’intensité croissante, jusqu’au geste final accompagné d’un cri primal de jouissance pour l’effort qu’il vient de fournir. Sans clous, agrafes et autres métaux il serait mignon.

Presque au même moment arrive une jeune femme aux traits orientaux et habillé d’un collant qui montre avantageusement sa silhouette de sportive. Pas une once de graisse, des muscles bien proportionnés. Elle, elle ne dit bonjour à personne et ne répond pas quand Akbar la salue. Pourtant, elle n’est pas muette, Akbar l’a entendu parler. Elle se place devant la porte de la salle, au plus près, pour être sûre d’être la première à y entrer, la fixe pour ne pas manquer l’instant où elle s’entrouvrira. Elle s’y insère alors et se précipite vers le tapis de course sur lequel elle se lance avec obsession.

Akbar commence à faire de la bicyclette, et se concentre sur la télévision installée sur le guidon, à défaut de pouvoir contempler un paysage bucolique islandais ou patagonien. Tout pour tenter de détourner son attention de l’effort qu’il fournit, et de l’envie d’arrêter. Il regarde en général la chaîne Planète, qui diffuse depuis trop longtemps pour son goût, la série documentaire Que le meilleur gagne (Last Man Standing), des reportages sur un groupe de jeunes athlètes qui voyagent dans le monde – de l’Amazonie à la Mongolie, de la Papouasie au Mexique – pour y participer aux rituels de concours traditionnels d’endurance tribaux. Leurs efforts surhumains encouragent, malgré tout, Akbar à poursuivre les siens.

Le petit médecin râblé à la retraite qui arrive peu après est très aimable. Il aime bavarder, c’est un brésilien. Il ne peut se passer de la salle, dit-il, qui le met en forme pour le reste de la journée. Il se rend posément vers une bicyclette, l’ajuste calmement, et commence à pédaler, sans hâte. Il y reste tout le temps qu’Akbar passe dans la salle, il arrivera loin, lui.

Après la bicyclette, Akbar pratique la traction verticale, et veille ainsi à renforcer ses muscles dorsaux et à développer sa capacité respiratoire, plus discrètement toutefois que le jeune musclor, puis il se rend au hammam. Il y trouve parfois un Hercule, moniteur dans la salle, ou un habitué qui s’y entoure d’une pile de serviettes et d’habits (est-ce sa laverie ?) tout en marmonnant sans cesse. Ces deux-là et les autres habitués qu’il lui arrive de croiser, que ce soit dans la proximité du vestiaire ou du hammam, ne s’abaissent à dire bonjour. Exceptionnellement, il leur arrive de répondre à demi-mot, étonnés qu’un outsider ait osé leur adresser la parole pour les saluer. Entre eux, ils papotent et se racontent leurs aventures. C’est, finalement, une caste comme une autre… On n’est jamais l’égal des autres, nu ou habillé, se dit Akbar, en enfilant rapidement ses habits pour quitter au plus vite cet étrange lieu. Et pourtant, il y reviendra le lendemain.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

7 commentaires »

  1. Jeff en a aussi ras-le-bol de cette émission de Planète. Oui, en effet, la clientèle des salles de gym n’est pas toujours très conviviale, c’est assez français. Cela tient peut-être aussi à deux choses. Une réserve naturel, qui conduit chacun à protéger son territoire alors que le deshabillé le rend d’autant plus vulnérable, et la crainte que dans ce lieu, toute marque de sympathie ou de politesse puisse être interprétée

    Commentaire par francois75002 — 20 août 2009 @ 21:51

  2. Akbar est donc d’accord avec Jeff pour Planète, mais il ne l’est pas sur les raisons du manque de politesse (il ne s’attend pas à de la « convivialité » à son égard de leur part) des habitués de sa salle à lui. Ils sont très conviviaux entre eux, sans beaucoup de réserve… c’est plus un phénomène de groupe et qu’Akbar constate aussi hors de ce contexte-là. Oui, c’est français, et cela ne correspond pas à l’image utopique de la « politesse française ».

    Commentaire par Miklos — 20 août 2009 @ 21:58

  3. Ce serait dommage qu’Akbar ait complètement tort mais Jeff a tout à fait raison ! Ce genre de salle favorise des pratiques plus égoconcentrées que conviviales, surtout quand il n’y a pas de coach et que chacun s’occupe de son entraînement ! Je conseille donc à Akbar de dire bonjour avant d’entrer et plutôt au revoir dans les autres situations !

    Commentaire par colomba — 23 août 2009 @ 8:46

  4. Mais c’est ce qu’il fait, chère Colomba ! Ne dit-il pas, à deux reprises, qu’on ne lui répond pas ou uniquement à demi-mot ? Ca ne le décourage pas, mais il ne peut s’empêcher de le remarquer.

    Quant aux pratiques égoconcentrées, ce n’est pas exactement ce que remarque Akbar (du moins dans les vestiaires), lorsqu’il parle des « castes » dont les membres papottent entre eux…

    Commentaire par Miklos — 23 août 2009 @ 11:10

  5. La thèse de Jeff rejoint, elle, celle de Baudelaire :

    J’aime le souvenir de ces époques nues,
    Dont le soleil se plaît à dorer les statues.
    Alors l’homme et la femme en leur agilité
    Jouissaient sans mensonge et sans anxiété,
    Et, le ciel amoureux leur caressant l’échine,
    Exerçaient la santé de leur noble machine.

    Cybèle alors, fertile en produits généreux,
    Ne trouvait point ses fils un poids trop onéreux,
    Mais, louve au cœur gonflé de tendresses communes,
    Abreuvait l’univers à ses tétines brunes.
    L’homme élégant, robuste et fort, avait le droit
    D’être fier des beautés dont il était le roi,
    Fruits purs de tout outrage et vierges de gerçures,
    Dont la chair lisse et ferme appelait les morsures !
    Le poète aujourd’hui, quand il veut concevoir

    Ces natives grandeurs, aux lieux où se font voir
    La nudité de l’homme et celle de la femme,
    Sent un froid ténébreux envelopper son âme
    A l’aspect du tableau plein d’épouvantement
    Des monstruosités que voile un vêtement ;
    Des visages manqués et plus laids que des masques ;
    De tous ces pauvres corps, maigres, ventrus ou flasques,
    Que le Dieu de l’utile, implacable et serein,
    Enfants, emmaillotta dans ses langes d’airain ;
    De ces femmes, hélas ! pâles comme des cierges,
    Que ronge et que nourrit la honte, et de ces vierges
    Du vice maternel traînant l’hérédité
    Et toutes les hideurs de la fécondité !

    Nous avons, il est vrai, nations corrompues,
    Aux peuples anciens des beautés inconnues :
    Des visages rongés par les chancres du cœur,
    Et comme qui dirait des beautés de langueur ;
    Mais ces inventions de nos muses tardives
    N’empêcheront jamais les races maladives
    De rendre à la jeunesse un hommage profond,
    — A la sainte jeunesse, à l’air simple, au doux front,
    A l’œil limpide et clair ainsi qu’une eau courante,
    Et qui va répandant sur tout, insouciante
    Comme l’azur du ciel, les oiseaux et les fleurs,
    Ses parfums, ses chansons et ses douces chaleurs !

    Commentaire par Miklos — 23 août 2009 @ 12:05

  6. Merci Colomba. Ton bon sens paysan remet toujours tout à sa juste place.

    Commentaire par francois75002 — 23 août 2009 @ 21:23

  7. [...] lecteur assidu des aventures de notre héros, vous n’êtes ni étonné, ni stupéfait : vous le saviez [...]

    Ping par Miklos » Life in Hell : ça ne rigole pas — 15 avril 2010 @ 0:22

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