Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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27 août 2009

De quelques bibliothèques numériques

Classé dans : Actualité, Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 12:58

Quelques grands projets visent à mettre en ligne le patrimoine culturel français, européen ou mondial. Un petit tableau tente de mettre en regard quelques-unes des caractéristiques de quatre d’entre eux (pour autant que l’on puisse comparer). Les chiffres, quand il y en a, sont ceux qui sont affichés ou annoncés sur leurs sites respectifs.

Ces quatre projets n’ont pas été choisis au hasard : ils concernent tous, directement ou non, le patrimoine écrit français et font l’objet de l’intérêt actuel (qui est en général passager…) des médias :

· Gallica, mis en œuvre par la Bibliothèque nationale de France, et qui comprend une partie croissante de ses fonds numérisés ;

· Culture.FR, portail des collections patrimoniales françaises, mis en place par le ministère de la culture et de la communication ; il permet de localiser des documents détenus par les bases qu’il indexe (et donc d’y accéder via ces bases directement), d’une part, et a vocation de fournir les informations qu’il a collectées à Europeana ;

· Europeana, portail de la culture en Europe, projet en cours soutenu par l’Union européenne ; à l’instar du portail français, il est destiné à permettre de localiser des documents détenus par les bases qu’il indexe ;

· Google Books, qui comprend des livres numérisés provenant de grands fonds internationaux (principalement : bibliothèques) ; ce n’est pas un portail : les documents numériques sont stockés dans leur système.

Ce ne sont pas les seuls projets de ce genre : la Bibliothèque numérique mondiale est un projet culturellement et techniquement ambitieux porté par la Bibliothèque du Congrès. Il qui ne semble pas viser, a contrario, une exhaustivité ou une volumétrie aussi importante que ces quatre projets. Il est intéressant de trouver parmi leurs donateurs Google et Microsoft…

On n’insistera jamais trop sur la différence fondamentale – même si elle n’est pas directement visible pour l’utilisateur – entre une bibliothèque numérique au sens strict du terme et un portail : la première détient les documents que son moteur référence : elle peut donc en assurer un référencement, une présentation et un contrôle d’accès uniformes, et, le cas échéant, en indexer aussi les contenus (textuels, mais pourquoi pas image, vidéo ou musique).

Un portail s’apparente à un moteur de recherche : il ne détient pas de documents, mais uniquement les informations concernant des documents – qui peuvent être très sommaires (titre et auteur, par exemple) ou détaillés, allant jusqu’à l’indexation du contenu de ces documents, ce qui nécessite de sa part de les récupérer temporairement pour en extraire ce type d’information (ou, ce qui est moins commun, que le détenteur la lui fournisse). Le contenu n’étant pas stocké « dans » le portail, le lecteur n’est pas assuré d’y avoir toujours accès, même s’il y a trouvé une mention (c’est le même cas pour un moteur de recherche, qui peut répondre à une requête en indiquant un site, mais que, lorsqu’on clique pour y accéder, on s’aperçoit que le site a disparu ou n’est pas accessible ou a changé).

Autre détail qui ne manque pas d’importance, dans le contexte actuel : le fait qu’une bibliothèque numérique (comme Gallica, Google ou la Bibliothèque numérique mondiale) soit accessible sur l’internet n’implique pas forcément que ses documents soient référencés (ou indexés) par tel ou tel moteur de recherche ; et, s’ils le sont, que leur contenu (le texte du livre, par exemple) y soit aussi indexé, en sus des informations les concernant (titre, auteur…). C’est ainsi que les contenus des livres de Google Books sont indexés dans le moteur de recherche de Google – mais pas ailleurs… Ceci a pour conséquence de « forcer » l’internaute qui recherche des ouvrages à aller interroger soit le moteur Google, soit Google Books.

18 août 2009

« Quand Google défie l’Europe »

Classé dans : Actualité, Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 8:36

…il finit par gagner, contrairement à ce que souhaitait l’ex président de la Biblio­thèque nationale de France, Jean-Noël Jeanneney.

Ses prises de position, de principe (essentiellement : ne pas laisser s’instaurer une seule source – et d’autant plus commerciale –, donc forcément hégémonique, pour la diffusion du patrimoine culturel sur l’Internet) avaient amené à la mise en place du projet Europeana, qui vise à mettre en ligne un volume important du patrimoine culturel européen numérisé : livres, bien entendu, mais aussi images (tableaux, estampes…), musique et vidéo. Ce n’était pas une opposition absolue à Google, dont la BnF avait discrètement adopté le moteur de recherche, mais là c’est un revirement stratégique (résultant de considérations financières) et la BnF se rend à Canossa : selon La Tribune d’aujourd’hui (dixeunt Reuters et d’autres sources), la BnF serait en négociation avec Google pour numériser son patrimoine, suivant ainsi l’exemple – tant décrié à l’époque – de la bibliothèque municipale de Lyon.

Il sera intéressant de voir, si cette négociation aboutit, comment la bibliothèque numérique de la BnF, Gallica, évoluera : en volumétrie (qui n’avait pas beaucoup crû pendant longtemps) mais surtout en qualité (de la numérisation, des accès aux contenus – ergonomie et fonctionnalités). Et, par contrecoup, Collections, le portail des collections patrimoniales françaises mise en place par le ministère de la culture et de la communication, puis, de là, Europeana elle-même, que cette base est censée nourrir.

Le cercle est bouclé : Europeana, ayant émergé « contre » Google, sera consolidée par des contenus produits par ce qui se positionne comme « la » bibliothèque numérique mondiale. Finalement, Jeanneney avait raison…

Cette démarche s’inscrit dans la logique économique actuelle, celle de l’évolution vers une société de services : la BnF, n’ayant pas les moyens de s’offrir une numérisation maison, fait appel aux services (reconnus pour leur efficacité et pour leur qualité) de Google. Quant aux lecteurs, ils réduiront leurs achats de livres (qu’ils empruntaient déjà, pour certains), tout en augmentant leurs acquisitions du droit de les lire en ligne (triste cure d’amaigrissement pour les bibliothèques personnelles et publiques…), comme ça l’est déjà le cas pour la musique enregistrée ou les films. Résultat : les éditeurs réduiront d’autant plus leur production papier la demande baissant, cercle vicieux – ou plutôt spirale – dont on peut craindre les effets sur la disponibilité future de l’objet livre, dont la durée de vie sur les étagères de librairies se raccourcit, à l’instar de la présence de (bons) films sur nos écrans après leur sortie. On nous objectera que l’impression à la demande – à l’unité ! – s’y substituera. Le prix en sera sans doute plus élevé que celui d’un livre imprimé en série, mais surtout, la qualité de l’objet lui-même – du papier, de la couverture, de l’encre – ne sera plus au rendez-vous.

Il en est déjà ainsi aussi pour des usages plus matériels : si l’on pouvait louer quasiment de tout pour une certaine durée, il est de plus en plus possible de le faire à l’usage, pour les bicyclettes par exemple (les vélibs), et on nous le promet bientôt pour les voitures (les autolibs ?). Cette disparition annoncée de la propriété est un autre clin d’œil ironique à l’histoire et on ne peut résister au plaisir de faire appel à Google Books pour afficher l’origine de la célèbre phrase « Qu’est-ce que la propriété ? C’est le vol. »

Cette tendance à déléguer à plus compétent/capable que soi peut encou­rager non seulement les monopoles, mais la diminution de la créativité inhérente à la diversité. Érigée en principe, les effets pervers de cette démission (voire dé-mission) ne tarderont pas à se faire sentir : plus besoin d’apprendre à jouer du piano, de composer de la musique, d’écrire des poèmes, de photographier, de faire du théâtre en amateur – il y en a qui le font mieux ; l’amateur n’a plus de place face au professionnel, et le « petit » professionnel n’en a pas face au plus grand. C’est la place assurée à l’uniformisation et au nivellement. Et à la domination de tous par des « boîtes » hyperspécialisées. Brave New World.

13 mars 2009

Google Books, ou quand le mieux est l’ennemi du bien

Classé dans : Littérature, Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 3:13

Jusqu’à très récemment, on pouvait rechercher dans la fort riche et intéressante bibliothèque numérique de Google des ouvrages publiés avant ou après une certaine année : le formulaire d’interrogation avancée permettait de spécifier l’une ou l’autre (ou les deux). Dorénavant, on peut limiter la recherche au mois près (très utile pour une éventuelle intégration de leur service de presse numérisée à celui-ci) : ces deux cases sont remplacées par des menus déroulants, comprenant d’une part le nom d’un mois, de l’autre le quantième de l’année (et dont les intitulés n’ont pas été traduits, dans la version française de la page). Mais attention, il ne suffit pas de choisir ces dates, il faut en sus cocher l’option de recherche ciblée (ce qui n’était pas le cas dans la version précédente de l’interface) : si on oublie de le faire, ces dates sont purement et simplement ignorées.

Or la première année présente dans ce menu est 1776. Historique, il est vrai (c’est celle de la naissance de la patrie de Google), mais trop limitative : il y a nombre d’ouvrages bien plus anciens dans ce fonds, et l’utilisation de ces menus, tous deux obligatoires si l’on veut cibler la recherche sur une période particulière, ne permet plus de le faire comme auparavant : impossible, par exemple, de chercher un ouvrage publié au XVIIe s.

Heureusement qu’il est encore possible – pour ceux qui l’avaient remarqué auparavant – d’effectuer ce type de recherche ciblée en rajoutant date:1600-1699 dans le corps de la requête : c’est ainsi qu’on peut obtenir les documents souhaités.

Ce n’est pas la première ratée chez Google, cette année – même si celle-ci risque d’être moins remarquée (après tout, combien ont-ils de lecteurs de livres préhistoriques, pardon, pré-1776 ?) : l’étiquetage par Google de tous les sites web comme « risquant d’endommager votre ordinateur » en janvier, les pannes de Gmail en février et en mars, les plus récentes erreurs de partage dans Google Documents, le détecteur de gays du Google Phone (on croit rêver !)…

Comme quoi, la crise frappe tout le monde de folie, même les plus grands.

26 décembre 2008

Molière ? Cherche et tu trouveras.

Classé dans : Histoire, Littérature, Sciences, techniques — Miklos @ 20:26

« L’Illusion habite dans ces lieux (l’Elysée). » — Noël et Carpentier, Dictionnaire…, 1831.

« L’impunité commence par rendre les lois inutiles, et finit par les rendre ridicules. » — Ibid.

« L’évêque de Bellay définit [la politique], ars non tam regendi, quam fallendi homines (l’art de tromper les hommes, plutôt que l’art de les gouverner). » — Ibid.

« L’inconsistance des idées, du caractère d’un ministre, d’un gouvernement, sont des expressions très-claires. » — La Harpe, cité par Noël et Carpentier, ibid.

C’est en cherchant des utilisations du mot « encyclopédie » au XVIIe siècle que Google Books a renvoyé l’ouvrage suivant, qui ne manquera pas d’étonner les bibliophiles :

Selon la notice, il s’agit du Théâtre complet illustré d’un certain Théodore Comte Molière, publié par la Bibliothèque Larousse en 1669… Si la vignette indique bien M.DC.LXIX comme date – mais cela peut être trompeur, comme on le verra tout à l’heure – on y distingue les noms de l’auteur, « I.B.P. de Moliere », et de l’éditeur, « Iean Ribov ».

Le terme « encyclopédie » existait déjà au moins depuis un siècle : le Trésor de la langue française en fournit une citation tirée de chez Rabelais en 1532, et une autre assez curieuse datant de 1680, « mot qui a vieilli, & qui ne se dit guere que dans le burlesque » (Richelet, Dictionnaire françois). Voltaire, qui n’avait pourtant pas lu la Wikipedia, dit de l’Encyclopédie que c’est un habit d’harlequin, où il y a quelques morceaux de bonne étoffe, et trop de haillons. Cette information nous provient d’un ouvrage de Noël et Carpentier dont le titre ne peut que susciter l’irrépressible envie de le lire ou de le feuilleter : Philologie française ou dictionnaire étymologique, critique, historique, anecdotique, littéraire, contenant un choix d’archaïsmes, de néologismes, d’euphémismes, d’expressions figurées ou poétiques, de tours hardis, d’heureuses alliances de mots, de solutions grammaticales, etc. pour servir à l’histoire de la langue française, publié à Paris en 1831. On y trouve aussi des définitions et des citations qui sont toujours d’actualité (cf. en exergue), même si certaines sont assez surprenantes (celle qui suit est reprise par les auteurs quasi textuellement de l’Encyclopédie de Diderot) :

Larron, s. m. On appelait originairement de ce nom des gens plein de bravoure qu’on engageait par argent, et qui se tenaient aux côtés de ceux qui les avaient engagés ; ce qui les fit appeler laterones, et par ellipse latrones. (…) Mais l’indiscipline s’étant glissée parmi eux, ils se mirent à piller, à voler, et latro se dit pour voleur de grand chemin.

Mais revenons à l’ouvrage en question. Pierre Larousse, fondateur de la maison qui porte encore son nom, étant né en 1817, on voit mal comment il aurait publié ce livre quelque deux cents ans avant son Grand dictionnaire universel…. En fait, il s’agit du cinquième tome du Théâtre complet de notre Molière national (comme l’affiche sa page de titre), publié en 1909 (comme l’indique une mention marginale microscopique en toute dernière page), avec des notices et annotations d’un Théodore Comte. La vignette est la page titre de l’édition originale de 1669. Les informations fournies au lecteur en ligne – par un catalogueur fatigué ou un moteur inculte – confondent ces deux éditions que 240 ans séparent.

Cette édition-ci ne manque d’ailleurs pas d’intérêt pour l’extrait du catalogue de la Bibliothèque Larousse disponible alors (1909, pas 1669) :

On ne saurait trop vivement leur recommander de rééditer sans attendre :

et, pour ceux qui auraient résisté aux miroirs aux alouettes, cet opuscule :

Enfin, dans la collection Livres d’intérêt pratique, on leur suggère une version actualisée et moins sexiste de :

l’homme devant être informé, tout autant que la femme, des principes de l’hygiène.

Google Books ne fournissant en accès intégral que ce cinquième volume (tout en mentionnant les autres), il est intéressant de se tourner vers Gallica2. Après tout, cette édition n’est plus sous droits. Mais lorsque l’on y recherche le théâtre complet illustré de Molière, on en trouve les tomes 4, 5, 7, 8 et 11 (un prix sera décerné à la personne qui trouvera la formule mathématique ayant généré ces nombres entiers) d’une édition de la fin du XIXe siècle. Impossible de savoir ce qu’ils contiennent sans les consulter – en mode image uniquement, d’ailleurs. Quant à la recherche avancée où l’on indique « Molière » comme auteur et « théâtre complet » (même pas illustré) comme titre, elle répond : « Aucun document ne correspond aux termes de recherche spécifiés. » Quant à Europeana – qui est en version de test – elle ne propose encore aucun de ces volumes.

D’autres recherches fournissent des résultats parfois surprenants. Ainsi, si l’on souhaite trouver les versions intégrales des ouvrages en français dont l’auteur est Molière (avec l’accent), Google en fournit dix-neuf, mais si on limite la requête en y rajoutant que le titre doit comporter le mot « œuvres », il en trouve vingt-cinq… Ce n’est qu’en les consultant un à un qu’on constate qu’il s’agit en général de volumes choisis d’éditions complètes, non pas de l’ensemble. Quant à Gallica2, lorsqu’on lui demande tous les ouvrages dont Molière est l’auteur, elle répond avec une liste de 119 titres ; en affinant pour ne garder que les 77 de « Molière (1622-1673) (77) », on récolte 112 résultats, dont le premier est J2EE / Molière (Jérôme), publié en 2005, et dont l’auteur « connaît les arcanes de Java et J22 qu’il pratique depuis leur apparition… » Europeana fournit une liste de 107 résultats, dont la première page ne comprend que des « Oeuvres de Molière. Tome… », littéralement. Impossible de savoir de quel tome il s’agit sans cliquer une fois (et on n’en découvrira alors que le numéro), et de ce qu’il contient sans consulter la version (image) du document en question…

On ne boudera pas ces services : après tout, ils fournissent, chacun en son genre, un volume conséquent de contenus utiles, intéressants, informatifs ou curieux, autant pour l’amateur que le professionnel. Mais c’est ce volume lui-même qui y rend la recherche ardue, faute d’interfaces plus efficaces pour l’utilisateur : équivalences sémantiques, informations plus détaillées sur la nature des contenus dès le premier niveau des réponses, possibilités de regrouper, de trier et de filtrer, de rechercher dans les contenus, de les feuilleter facilement, de les annoter et de les télécharger, etc. Bien de documents risquent d’être tout aussi peu consultés que leurs originaux sur les étagères des bibliothèques partenaires si cet aspect n’évolue pas.

Pour en revenir à Google Books, on avait déjà signalé la fantaisie dans le signalement des dates d’édition de certains titres. Mais il ne s’agit pas toujours d’erreur de catalogueur ou de « La Machine » : la page de garde de l’ouvrage ci-dessous, consacré à la Marquise de Pompadour, affirme qu’il a été imprimé rue de la paix en 1658, près de 63 ans avant la naissance de son sujet et 143 avant celle de son auteur. Quant à la rue de la paix, adresse de l’éditeur, elle n’a été percée qu’après la révolution française. Ce n’est qu’une curieuse coïncidence, mais le corps de ladite Marquise avait été enseveli dans le caveau des Trémoille au cimetière du couvent des Capucines, au-dessus duquel a été tracée cette rue. Le livre a été réellement imprimé en MDCCCLVIII.

11 septembre 2008

Ça presse

Classé dans : Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 1:18

« Les pauvres yeux atterrés se firent violence pour retenir leurs grosses larmes. » — Eugène-Melchior de Vogüé, Les Morts qui parlent, 1899.

« Quotidianum da nobis hodie. »

« Si la presse n’existait pas, il faudrait ne pas l’in­ven­ter. » — Honoré de Balzac, « Les Jour­na­listes. Mono­gra­phie de la presse pari­sienne », in La Grande ville, nouveau tableau de Paris, comique, critique et philo­so­phique, t. 4, p. 87-208, 1843.

Gaudeamus igitur, Google communique sur son entreprise de numérisation en masse de milliards de pages d’articles de presse publiés dans des journaux depuis plus de 200 ans à la surface du globe et de les mettre en ligne indexés. Ils se sont aussi associés aussi avec quelques grands éditeurs de presse (à l’instar du New York Times et du Washington Post) qui détiennent déjà des archives numériques. Ces documents historiques se rajouteront à leur service d’accès à la presse quotidienne actuelle. On rêve des recherches et des découvertes qu’on pourrait y faire…

Entreprise démesurée ? En tout cas, à la mesure de son intention affirmée d’« organiser toute l’information du monde », et ils y mettent les moyens. L’annonce fournit l’adresse du nouveau service en version « beta » (c’est ainsi qu’ils avaient procédé pour le lancement d’autres projets). On peut effectuer des recherches dans les textes (et titres) des articles, la restreindre à une période spécifique, à ne vouloir obtenir que les réponses gratuites – certaines étant fournies par des archives payantes de partenaires du projet. Mais on n’a aucune indication claire du corpus disponible – il s’agit de toute évidence de quelques grands éditeurs américains, de documents juridiques de la Cour suprême (curieuse définition de la presse…) et d’un nombre de journaux nord-américains plus ou moins connus – ni de la période couverte – on retrouve quelques documents (une douzaine parmi les gratuits) datant du XVIIIe s., mais rien de systématique.

On aurait aimé lire les échos de la Révolution française dans la presse américaine de l’époque, mais rien n’est encore entré à ce sujet dans (la partie gratuite de) l’archive. En avançant dans le temps, on trouve trace de Napoléon ; ainsi, la Gazette de Pittsburgh datée du 26 mai 1807 rapporte les revers militaire de « l’invincible Napoléon » (italiques dans le texte) face aux Russes, et ajoute : « When tyrants meet with a reverse of fortune suspicion always haunts them. The invincible Napoleon imputing his want of success to his officers, is said to have accused several of them of treason. His former favorite Duroc is reported to have incurred his displeasure, and to have been sent back to France under an escort of gens d’armes. » À cette époque, le torchon brûlait entre les États Unis et Sa Majesté Britannique : le journal rapporte dans le même numéro que le Président [Jefferson] avait enjoint à un navire de guerre britannique de ne jamais entrer dans les eaux territoriales américaines, et que ce bâtiment avait enfreint à l’interdit.

Contrairement au service de livres numérisés, les contenus eux-mêmes ne sont pas forcément hébergés dans les serveurs de Google : c’est le cas pour les détenteurs d’archives numériques, que Google ne fait qu’indexer et référencer et y fournir l’accès (gratuit ou payant, selon le choix du partenaire). Par contre, Google numérise probablement des microfilms d’autres partenaires, et en héberge le résultat avec des degrés très variables de qualité : pour certains, il identifie de façon assez remarquable les contenus (mot par mot) et la mise en page (les titres), ce qui permet d’en retrouver le contenu, de l’afficher et de s’y déplacer aisément en glissant les pages à l’écran (pour autant qu’elles se soient chargée entièrement). Par contre, on y trouve des pages entières noircies, tachées, déchirées, illisibles et donc souvent inutilisables, comme on peut le voir ci-contre : il est patent que le traitement de masse, automatisé, n’est pas suivi d’un contrôle de qualité. Triste comparaison avec la haute qualité de leur numérisation de livres, et probablement due au fait qu’ici ils n’ont pas utilisé les journaux eux-mêmes mais des microfilms de qualité parfois très médiocre. En théorie, il aurait été utile d’en estimer l’état avant le procédé, et de revenir – si possible – à l’original papier si nécessaire, mais il ne semble pas que cela ait été effectué ; vu l’ampleur du projet, il est peu plausible que cela se fasse, et l’on serait alors condamné, dans ces cas, à accéder à une version dégradée d’une mauvaise photographie de l’original.

Un autre défaut, qu’on a aussi identifié dans leur rubrique de livres numérisés (mais dû probablement à d’autres raisons) est l’indexation incorrecte des dates des documents. Le Victoria Daily Standard daté de 1873 se retrouve classé en 1783, et des milliers de journaux, classés de 1600 à 1699, ont été publiés des centaines d’années plus tard (le Mckenzie River Reflection ne date pas du 10 juin 1664 mais du 10 juin 1994, le numéro de la Tribune qui annonce son édition web n’a probablement pas été publié le 4 janvier 1600…).

C’est donc effectivement une version « beta », et on peut s’attendre à – ou du moins espérer – que la qualité technique des contenus et la couverture des fonds (périodes, pays) s’amélioreront. On ne peut manquer d’établir quelques comparaisons superficielles avec des projets similaires. On se souviendra de l’annonce de la Bibliothèque nationale, le 16/2/2005, de numériser rétrospectivement la presse française couvrant la période 1826-1944, « les archives complètes des quatre premiers [Le Figaro, La Croix, L’Humanité et Le Temps] pourront être consultés sur l’internet dès le début d’année 2006 [… sur] Gallica ». On y trouve effectivement des titres en ligne, mais la consultation ne se fait que par date de parution et en « mode image » : il est impossible d’effectuer une recherche dans le contenu des articles, ce qui revient au mode de consultation des exemplaires papier. Quant à Gallica2, la version « beta » de la BnF, elle annonce bien sur sa page d’accueil « Nouveauté : retrouver les périodiques et la presse dans Gallica 2. Près de 1200 titres de périodiques », mais comment diantre fait-on pour les y retrouver rapidement, les feuilleter ou y effectuer une recherche ? Il semblerait qu’il faille, pour ce faire, aller dans la recherche avancée, cocher « périodique », indiquer son nom dans « titre », puis après quelques autres clics trouver finalement le journal en mode image (une recherche d’un mot très visible dans les contenus n’a rien donné). Pas évident…

Quant au projet de réseau francophone de bibliothèques nationales numériques, « né en 2006 parallèlement à la Biblio­thèque numérique européenne » (qui sera inaugurée sous le nom d’Europeana en novembre 2008), il a révélé au public son prototype de portail lors du Congrès mondial des bibliothèques et de l’information, il y a un mois. Par son entremise, on peut accéder aux documents numérisés par les partenaires ; en ce qui concerne la presse, on y trouve un nombre impressionnant de numéros (133 541 de France, 66 670 du Québec, 3639 du Luxembourg, 1311 de Haïti, etc.). Les documents provenant de France (et de Haïti) sont en fait fournis par Gallica (et non pas Gallica2) dans son interface traditionnelle et portent souvent la mention « Le document que vous avez demandé n’est pas accessible » tout en affichant son contenu… Ils ne sont donc pas (encore) indexés mot à mot, mais uniquement accessibles par date.

D’autres projets sont en cours. On lira ce qu’en dit le New York Times dans son article consacré au projet de Google. En tout cas, nous en sommes encore aux balbutiements de l’accès tout numérique aux archives de la presse. On suivra avec curiosité et intérêt ces divers projets qui se pressent (c’est le cas de le dire) pour être…

© Michel Fingerhut, 1985.

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