Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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28 avril 2025

Mal citer un auteur, c’est ajouter au malheur de ce monde (bis)

Classé dans : Littérature — Miklos @ 15:34

Cette citation apocryphe attribuée à M. Proust se trouve quasiment à l’infini (on n’a pas compté) sur l’Internet et n’a de cesse de s’y reproduire, jusqu’à en arriver dans des publications sérieuses, à l’instar du Bulletin mensuel de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, dans l’article « Analyse du paysage » de Jean-Paul Legros (t. 48, année 2017, p. 9)1.

Ce que Proust a réellement écrit, in « La Prisonnière » (t. 5 de La Recherche) – et non pas dans « Du côté de chez Swann », comme le fait une autre citation apocrypheest ceci : « Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est ; et cela, nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil ; avec leurs pareils, nous volons vraiment d’étoiles en étoiles. »

Non seulement cette citation apocryphe raccourcit consi­dé­rablement l’original, mais le dénature : pour Proust, le « bain de Jouvence » n’est pas dans la recherche de nouveaux paysages (tel bien de touristes contemporains) ni de nouveaux regards (un nouveau regard ne fait pas forcément voir autrement, il peut confirmer le regard précédent), mais dans la pose d’autres regards – le sien propre et celui d’un ou de cent autres – sur l’univers qui nous entoure.

Ce que je comprends fort bien pour ma part : je fais régulièrement des parcours quasi identiques dans Paris, mais jamais je ne m’ennuie. Je comprends maintenant que je les vois, à chaque fois, quelque peu autrement – et ce d’autant plus quand je suis accompagné et que le regard de l’autre me fait voir ce que je n’aurais pas forcément remarqué, ou que j’aurais remarqué différemment.

Pour conclure, j’aurais pu citer Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde », sauf que ce n’est pas ce qu’il avait écrit

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1. L’Académie des sciences et lettres de Montpellier s’est empressée de corriger son exemplaire numérique de l’article en question.

17 avril 2025

La fin de « selfie »

Classé dans : Langue, Photographie, Sciences, techniques — Miklos @ 17:26

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«Le vocabulaire propre aux nouvelles technologies progresse rapidement. L’exercice de votre profession vous amène sûrement à constater ce phénomène.

À titre d’exemple, le mot selfie apparaît en 2004 sur la plateforme Flickr. Il renvoie à l’idée de se prendre en photo à l’aide d’un téléphone intelligent, d’une tablette ou d’un appareil photo numérique. L’usage de ce mot se répand en 2012 grâce aux réseaux sociaux populaires. En 2013, le terme selfie connaît une croissance de 17 000 %, selon le Oxford Dictionary. Guy Bertrand,» premier conseiller linguistique à Radio-Canada, vous suggère de remplacer cet anglicisme par « auto­photo­graphie », « auto­photo », « auto­portrait » ou « égo­portrait ».

Benoît Béland, Guide de communication orale et écrite, 2015.

«Polyphoto, Autophoto, Photomatic, etc…. sont des noms donnés à des appareils destinés à produire auto­ma­ti­quement plusieurs poses ou, livrant presque instan­ta­nément un nombre déterminé d’épreuves.

Si vous n’avez pas été « qualifié » pour obtenir d’un démarcheur une démons­tration d’un de ses appareils, peu importe ! Nous n’avons pas la prétention de nous substituer à un courtier, mais tout simplement de vous mettre en garde contre l’exploitation des dits appareils.

Les Sociétés (la plupart étrangères) qui font le négoce des appareils Polyphoto ou similaires s’intéressent bien plus de trouver des clients chez les photographes ou même chez ceux qui ne sont pas du métier, que de savoir si les appareils placés avec contrat ou non, répondent aux besoins de la clientèle.

À cela naturel­lement et en bon commerçant vous nous» répondrez que ce n’est pas votre affaire, que les curieux ont toujours tort et que les Photographes Qualifiés n’ont besoin de personne pour leur donner des conseils.

L’Objectif, 1er novembre 1935.

«Cette année, le vrai succès est pour le camelot en plein vent ; le camelot, installé sur une table qu’éclaire une bougie dans du papier. Celui-là est le centre de groupes toujours nombreux qu’attirent son boniment et souvent l’originalité de la marchandise qu’il débite.

‒ Demandez, crie l’un d’eux, demandez l’autophoto ! Pour dix centimes vous aurez un appareil photo­graphique au moyen duquel vous obtiendrez votre portrait comme celui de toutes vos connaissances. Mon appareil est mon exclusive propriété, j’en suis le seul et unique inventeur. L’autophoto et la manière de s’en servir pour deux sous ! Et tenez, messieurs, ne croyez pas, vu la modicité de son prix, qu’il soit imparfait, quant au fonc­tion­nement.» Y a-t-il dans l’honorable assistance une personne qui veuille ce soir, offrir sa photo­graphie à un parent, un ami ? Pour cette fois seulement, j’expé­rimente gratui­tement.

Le Petit Marseillais, 2 janvier 1889.

3 avril 2025

Le propre de l’homme (et de la femme), hélas…

Classé dans : Littérature, Société — Miklos @ 11:25

«On est des êtres tribaux, Septième, a-t-il dit. La division est le propre de l’homme. Et de la femme. On a ça dans le sang. As-tu déjà consulté une carte des courants migra­toires ? On a commencé en Afrique, tous sem­blables, et on s’est tirés dès que possible, bravant tem­pêtes, océans, bêtes, famine. Pourquoi ? Par envie de voyager ? Pour voir Paris au prin­temps ? Non – parce qu’on ne se serait pas supportés une seconde de plus. L’enfer, c’est les autres, disait Sartre, mais Cro Man l’aurait dit bien plus tôt s’il avait maîtrisé le langage. Ou Cro Woman. Un jour, Septième Seltzer, écoute-moi bien, tout le monde aura sa propre nation. Pas chaque peuple mais chaque individu. C’est le seul moyen pour qu’il ou elle soit satisfait(e). Seltzerland. Village Rosen-bloom. Bourg Abdullah. Hernandezville. Des carrés d’un mètre de côté, divisés de façon uniforme sur toute la surface du globe, entourés de murs de trois mètres de haut hérissés de fil de fer barbelé et de drapeaux colorés, chacun dans son carré chantant des hymnes entraînants à la gloire de son carré, mon carré est le meilleur, Dieu l’a élu parmi tous les carrés, ce mètre carré est à moi et que Dieu vienne en aide à celui qui tentera de me le prendre. Et tu sais ce qu’on voudra après ?

— Des armes ?

— On en a déjà, a fait remarquer Rosenbloom. On voudra des histoires, des contes, des légendes. Sur les souffrances de notre carré, l’oppression qu’il a subie, sur nos périples de la dernière chance, sur la lutte courageuse de notre fondateur pour faire de notre carré le champion des carrés et sur les odieux ennemis qui n’ont eu de cesse jusqu’à ce jour de vouloir nous l’arracher. Au Seltzerland, des histoires circulent sur les immondes Rosenbloom; dans le village Rosenbloom, tout le monde rêve de rayer les Abdullah de la carte. Et Abdullah, penché par-dessus son mur pour voir les Hernandez emménager dans le carré d’à côté, se dit : Mon carré ne va plus valoir un clou. On est obnubilés par nos carrés, par notre peuple, par nos passés. Ce qui explique que l’homme n’a pas d’avenir. Ni la femme. Ça, c’est la mauvaise nouvelle.

»— Et la bonne ?

— C’est un marché en pleine expansion, a répondu Rosenbloom […]

Extrait de Maman pour le dîner de Shalom Auslander (trad. Catherine Gibert, 10/18, 2023)

2 avril 2025

Apprendre à écrire avant de l’enseigner…

Classé dans : Langue, Médias, Éducation — Miklos @ 23:52

Cliquer pour agrandir.

Ne serait-il pas utile que Le Monde apprenne à écrire avant de vouloir nous l’enseigner (pour la modique somme de 1 500 €) ?

18 mars 2025

Family, I love you!

Classé dans : Arts et beaux-arts, Humour, Sciences, techniques, Théâtre — Miklos @ 2:36

Source: ImageFX. Click to enlarge.

My brother-in law had, on the paternal side, a first cousin whose maternal uncle had a father-in-law whose paternal grandfather had married as his second wife a young native whose brother he had met on one of his travels, a girl of whom he was enamored and by whom he had a son who married an intrepid lady pharmacist who was none other than the niece of an unknown fourth-class petty officer of the Royal Navy and whose adopted father had an aunt who spoke Spanish fluently and who was, perhaps, one of the granddaughters of an engineer who died young, himself the grandson of the owner of a vineyard which produced mediocre wine, but wh had a second cousin, a stay-at-home, a sergeant-major, whose son had married a very pretty young woman, a divorcee, whose first husband was the son of a loyal patriot who, in the hope of making his fortune, had managed to bring up one of his daughters so that she could marry a footman who had known Rothschild, and whose brother, after having changed his trade several times, married and had a daughter whose stunted great-grandfather wore spectacles which had been given him by a cousin of his, the brother-in-law of a man from Portugal, natural son of a miller, not too badly off, whose foster brother had married the daughter of a former country doctor, who was himself a foster-brother of the son of a forrester, himself the natural son of another country doctor, married three times in a row, whose third wife was the daughter of the best midwife in the region and who, early left a widow, had married a glazier who was full of life and who had had, by the daughter of a station master, a child who had burned his bridges and had married an oyster woman, whose father had a brother, mayor of a small town, who had taken as his wife a blonde schoolteacher, whose cousin, a fly fisherman had married another blonde schoolteacher, named Marie, too, whose brother was married to another Marie, also a blonde schoolteacher whose father had been reared in Canada by an old woman who was the niece of a priest whose grandmother, occasionally in the winter, like everyone else, caught a cold.

— Eugene Ionesco, The Bald Soprano.

Version française ici.

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