Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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24 mars 2013

Le Roy, c’est moy, au cas où vous ne le sauriez pas

Classé dans : Architecture, Histoire, Photographie, Sculpture — Miklos @ 12:13


Le Roy, c’est moy. Place des victoires, 23 mars 2013.
Cliquer pour agrandir.

1 janvier 2013

Au gui l’an neuf !


Statue Au-gui-l’an-neuf au jardin des Tuileries.
(Source : Ministère de la Culture – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine –
diffusion RMN)

Le baron Jérôme Pichon (1812-1896) a été un grand amoureux – et collectionneur – de livres, ce qu’il a exprimé dans une lettre à Georges Vicaire :

Depuis ma plus tendre jeunesse, j’ai aimé, adoré les livres ; et, comme tout homme qui aime, j’ai tout aimé d’eux, le fond et la forme. Plus tard, j’ai appris à apprécier leur reliure et leur provenance. Quel charme de tenir dans ses mains un livre élégamment imprimé, revêtu d’une reliure contemporaine de son apparition, donnant la preuve, par un signe quelconque, qu’il a appartenu à un personnage illustre ou sympathique, et de penser qu’en touchant ce volume qu’il a touché, lu, aimé, on entre avec lui dans une mystérieuse communion.

Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été élu président de la Société des bibliophiles françois en 1844 et réélu chaque année jusqu’en 1894, où il se retira pour raisons de santé… Cette société a tenu ses assises dans la bibliothèque ou les salons de l’hôtel de Lauzun, que Pichon avait acheté en 1842. C’est peu dire que le quartier n’était pas à la mode, voici ce qu’il en dit en 1885 :

J’achetai ma maison du quai d’Anjou, je pourrai dire à la risée presque universelle comme pour le Petrone. Pouvait-on aller demeurer à l’Île Saint-Louis ! Et comment meubler une pareille maison ! Mais je laissai dire et je poursuivis mon chemin. On vint chez moi par curiosité, puis on trouva qu’après tout on pouvait vivre à l’Île Saint-Louis, puis après m’avoir blâmé, on me loua, on me vanta et… il y a 43 ans que j’y suis.

Son intérêt pour la demeure lui venait-il de son grand-père maternel, le célèbre architecte Brongniart ? On pourra lire d’autres détails intéressants sur sa vie et son œuvre dans la Notice qu’a écrite Georges Vicaire après le décès de Pichon.

Les deux chansons ci-dessous sont de circonstance : ce sont des aguillenneufs (ou anguilaneu, auguilaneuf, a(n)guillaneuf, (a)guillanné(e)…), tirés de son ouvrage Noëls de Lucas le Moigne, curé de Saint-Georges du Puy la Garde en Poitou, publiés sur l’édition gothique par la Société des Bibliophiles françois. On y a joint les Noëls composés (vers 1524) par les prisonniers de la Conciergerie et [de] deux Aguillenneufs tirés du recueil des Noëls du Plat d’argent. À Paris, imprimé par Ch. Lahure avec les caractères de la Société des Bibliophiles françois, MDCCCLX, in-16. IX-XVI et 172 pp. Tiré à 29 exemplaires pour les membres de la Société, plus 2 exemplaires pour le dépôt légal.

Ces Noëls étaient bien plus coquins – l’époque le voulait, le permettait – que leur nom ne le laisserait supposer à nos contemporains. En voici quelques titres (dont le sens doit avoir aussi changé avec le temps, mais on ne peut s’empêcher de rêver) :

– Ung petit coup en attendant.

– Crac, crac, jamais ne m’aviendra.

– Le branle de Saumur.

– Alons, alons, gay.

– Le mignon qui va de nuyt.

– Monsieur vault bien madame.

– Tire tes chausses, Guillemette.

– Mon cueur joliet, fringue sur la rose.

– Sy j’ayme mon amy.

– Amours, mauldit soit la journée.

– En contemplant la beaulté de ma mye.

Quant à Nicolas le Moigne, (ou Lemoigne), c’était un intéressant personnage. Voici ce qu’en disent Henri Lemaître et Henri Clouzot, dans leur préface à Trente noëls poitevins du xve au xviiie siècle (Niort et Paris, 1908) :

Le plus ancien de ces poètes populaires, Lucas Lemoigne, curé de Saint-Georges et de Notre-Dame-du-Puy-la-Garde en Poitou, ne nous a laissé que son nom. Encore n’est-il pas certain qu’il n’ait pas pris un pseudonyme, comme Jean Daniel, l’organiste d’Angers, qui signait Mitou. Dans ce cas, nous n’hésiterions pas à reconnaître dans ce curé de Saint- Georges, le « vieux oncle, seigneur de Saint-Georges, nommé Frapin », qui selon Rabelais avait « faict et composé les beaux et joyeux Noels en langage poictevin ». Guil. Frapin, personnage véritable, était réellement grand oncle de l’auteur de Pantagruel, puisque la grand’mère maternelle de Rabelais, Andrée Pavin, s’était remariée à un Frapin. Il vivait à la fin du xve siècle, ce qui correspond assez bien à l’allure générale du recueil. Le ton fort gaillard de certaines pièces suffirait à expliquer qu’il n’ait pas publié l’ouvrage sous son nom.

[Aguillenneuf]

Nous sommes bons compaignons,
Qui venons a vostre porte,
Sans que nully se deporte,
Tous jours irons de mieulx en mieulx,
Et chantons tous aguillenneuf.
Libraires et imprimeurs
Nous sommes tous d’une sorte,
Qui bien bouvons des vins meurs.
Mais que force on en aporte,
Faictes nous ouvrir la porte
A ceste vieille d’an neuf.
Et donnez-nous Aguillenneuf.

Si avions force ducatz
Et des nobles à la rose,
Point ny chanterions si bas,
Chascun de nous dire l’oze.
Vostre bource soit descloze ;
Donnez-nous ennuyt d’aneuf,
Nous en dirons : Aguillenneuf.

Nous ne viendrons de cest an :
Faictes la distributive ;
Que Dieu vous garde de malan !
Qui pour la viveos iniveos.
Nous crirons tous à voix vives,
A plein gosier franc et neuf :
Donnez-nous tous Aguillenneuf !

Aguillenneuf
Sur le chant Puisqu’en amours

Aguilleneuf, de cœur joyeulx,
Tous ensemble l’on vous demande
Plaine d’une bourse d’escus vieulx ;
Nous les prandrons, et sans amende,
Pour resjoyr toute la bende :
Si vous plaist de les mectre en jeu,
Nous en dirons : Aguillenneuf.

Nous sommes plusieurs compaignons
Assemblez et d’une alliance,
Qui tous deliberé avons
De tresbien garnir nostre pance.
S’il vous plaist, vous ferés l’advance,
Car nous n’avons pas, par grant adveu,
Puis nous dirons : Aguillenneuf.

Parquoy n’avons cause de rire :
Donnez-nous poulles ou chapons,
Esclairez près pour nous conduyre ;
Donnez de quoy rostir ou frire,
Ou ung jambon pour mettre au feu :
Nous en dirons : Aguillenneuf.

D’andouilles point nous ne voulons,
Nous ne ferons pas grans prieres :
Pour mieulx faire, nous laissons :
Gardés-les à vos chamberieres ;
Frotés-leurs-en bien le darriere,
Et vous aurés partie on veu ;
Puis nous en dirons : Aguillanneuf.

Adieu, filles aux blancs tetins,
Et frisquettes chamberieres ;
Que d’andouilles et gros boudins
L’on vous puisse faire crouppieres !
Vous en seriez beaucoup plus fieres
Quant vous auriez senty le jeu ;
Et donnés-nous Aguillanneuf.

Amen.

26 décembre 2012

Life in Hell: leçon d’architecture en anglais pour touristes espagnols

Classé dans : Actualité, Architecture, Arts et beaux-arts, Langue — Miklos @ 18:13


Akbar et une touriste devant le Centre Pompidou (
source)

Alors qu’Akbar déambule devant le Centre Pompidou, une jeune femme accorte l’accoste et lui demande poliment avec un certain accent español :

– ¿Do you speak English, please?

– Yes, Ma’am, lui répond-il avec son plus pur accent cornellienAdj. De l’université Cornell (État de New York).

– ¿Can you please tell me how to get from here to the Pompidou Center?

– …, lui répond-il sans mot dire mais d’un geste éloquent qui n’est pas sans rappeler celui de Bonaparte devant les pyramides d’Égypte.

– ¡But I thought the Pompidou Center was an old building, that’s what I was looking for! s’exclame-t-elle interloquée.

– But this is an old building, répond-il britishment imperturbable. It is 30 years old, even.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

1 juillet 2012

Un demi-siècle avant Escher…

Classé dans : Architecture, Littérature, Peinture, dessin — Miklos @ 16:54

« Or, parmi les constructions archi­tec­tur­ales qui symbolisent le mieux nos idées, rien n’est plus sédui­sant, plus compli­qué cependant, sous son apparente simplicité, que l’éta­blissement d’un escalier. Les architectes d’autrefois l’ont bien compris et ils se sont attachés à réaliser sur ce point des merveilles. Tantôt ce sont, comme à Chambord, deux escaliers enchevêtrés l’un dans l’autre, qui ne permettent point à une personne qui monte de rencontrer celle qui descend ; tantôt ce sont de curieux escaliers gothiques dont les savantes hélices semblent résoudre tous les problèmes de la géométrie transcendantale. Ce sont aussi, parfois, et plus simplement, des escaliers compliqués comme il en existe encore dans certaines vieilles maisons provinciales, qui s’entrecroisent savamment et qui desservent chacun certains étages déterminés. Lorsque l’on s’engage à tort dans l’un des deux escaliers, on n’aboutit point à l’étage que l’on voulait, on se trouve au-dessus ou au-dessous, et il faut un certain effort d’imagination pour retrouver le dessin général de ce labyrinthe.

Tout ceci, cependant, s’explique rapidement, pour peu que l’on y prête quelque attention, et l’on retrouve bientôt les raisons de cet illogisme apparent dans la superposition de constructions d’âges différents, réunies au cours des siècles.

Autrement angoissant est le problème de l’escalier qui, après une succession indéniable de marches, vous ramène à l’étage d’où l’on est parti. Ce sont des choses dont on sourit la première fois, en croyant à une erreur passagère ; ce sont des problèmes qui deviennent effrayants lorsqu’on s’obstine à en chercher la solution suivant les principes primitifs de la géométrie euclidienne à trois dimensions.

Et j’avoue, pour ma part, que j’éprouvai un réel soulagement le jour où je compris que si de pareils escaliers pouvaient exister, leur possibilité ne se concevait que dans un espace à quatre dimensions et que cela seul suffisait à donner une explication définitive du problème. Et bientôt, ce fut même avec un plaisir étrange que je parcourus quelques-unes de ces demeures invisibles, conçues par la géométrie transcendantale, où les étages se confondent, où le premier n’est pas nécessairement au-dessous du quatrième, ni le troisième au-dessus du rez-de-chaussée. » — Gaston de Pawlowski, Voyage au pays de la quatrième dimension. Paris, 1912. [On peut (doit !) lire ce texte, accessible en fin de ce billet.]


M. C. Escher, Montée et descente (détail). Lithographie. 1960.

26 novembre 2011

Quelles vieilles cloches !

Classé dans : Architecture, Histoire, Langue, Musique — Miklos @ 2:30

De 1976 à 1980, le fils du compositeur britannique Jonathan Harvey, Dominic, était choriste à la cathédrale de Winchester. Le père assistait souvent aux répétitions de la maîtrise, et ce qu’il y entendait – la nature même des sons – a inspiré certaines de ses œuvres ultérieures, comme il le relatait dans un entretien à la BBC. En 1980, il compose Mortuos plango, vivos voco (« je pleure les morts, je parle aux vivants »), très belle œuvre (dont on peut écouter un extrait ici), qui combine les sons de la plus grande cloche de la cathédrale et la voix de l’enfant âgé alors de douze ans (et leurs transformations électroniques). Il poursuit :

Sur cette immense cloche noire est inscrit en belles lettres le texte suivant : Horas avolantes numero, mortuos plango, vivos ad preces voco (« je compte les heures qui s’enfuient, je pleure les morts, j’appelle les vivants à la prière »). La cloche compte le temps (chaque section commence par un son de cloche à une hauteur différente) : c’est un son « mort » malgré toute la richesse de sa sonorité ; l’enfant représente l’élément vital. La cloche entoure le public ; il est, en quelque sorte, en elle : l’enfant « vole » autour tel un esprit libre.

Dans La voix au-delà du chant : une fenêtre aux ombres (nouvelle éd., 2006), Danielle Cohen-Lévinas fournit le texte décorant la cloche dans son intégralité :

Horas avolantes numero, mortuos plango : vivos ad preces voco : Jam Georgi Sexti jubeor resonare Coronam : regis et inscriptum nomen adornat opus. MCM XXXVII.

Ceci permet de dater la cloche : 1937, à l’occasion, comme le rajoute la mention, du couronnement de George VI (le père de la reine Elisabeth), le 12 mai 1937.

Or la première partie du texte, celle d’où Harvey a tiré le titre de son œuvre, est bien plus ancienne. On la trouve en exergue d’un célèbre poème de Friedrich Schiller publié en 1799, Das Lied von der Glocke (« Le chant de la cloche »), sous une forme quelque peu différente :

Vivos voco. Mortuos plango. Fulgura frango

(« J’appelle les vivants. Je pleure les morts. Je repousse les éclairs. » – cette troisième faculté de la cloche était fort utile avant l’invention de Benjamin Franklin). Le poète y décrit avec forts détails techniques la fonte d’une cloche, procédé qu’il devait bien connaître : sa famille habitait à proximité d’une telle fonderie, dont le fils du patron était un ami de classe de Schiller, qui s’était aussi renseigné en lisant un ouvrage consacré à cette activité. (Source : Schiller Institut)

L’inscription campanaire en question est en fait bien plus ancienne encore, puisqu’on la trouvait – ce que devaient savoir les fondeurs de cloche de tout temps – sur une des cloches de l’un des deux temples de Schaffhouse, en Suisse, fondue en 1486. Voici ce qu’en dit Antoine Bruzen de la Martinière dans son Grand dictionnaire géographique et critique (tome 9, Venise, 1737) :

Schaffhouse, Ville de la Suisse, Capitale du Canton de même nom (…). Les Rues y sont grandes, belles, propres & larges. Les Maisons y sont bien entretenues, & presque toutes peintes, & marquées de quelque enseigne. On y voit deux Temples considérables, le Munster, ou 1’Eglise de l’ancien Couvent, qui est un bel Edifice, soutenu sur douze grosses Colonnes de pierre, toutes d’une pièce, à l’honneur des douze Apôtres : elles ont 17 pieds de haut, 9 de tour, & 3 de diamètre ; celle qui doit représenter Judas a d’un côté la figuré d’une tête fendue. Le Clocher a entr’autres une Cloche, qui pèse 96 quintaux, & a 29 pieds de tour : elle fut fondue l’an 1486. Elle a l’Inscription que voici  : Vivos voco, Mortuos plango, Fulgura frango. Durant la Catholicité, on voyoit dans cette Eglise, sous une Arcade un Colosse de 22 pieds de haut, qu’on appelloit le grand Bon-Dieu de Schaffhouse, qui fut érigé l’an 1447. On y alloit en pèlerinage, & il y avoit de grandes indulgences pour les Pèlerins. On l’abbattit l’an 1529. lorsque la Ville embrassa la Réformation.

Une autre source (De campanis templorum, de Paul Christian Hilscher, Leipzig, 1692) indique à deux reprises qu’une version quelque peu différente se serait aussi trouvée sur l’une des cloches de St. Thomas à Leipzig (où Bach avait joué) mais cette information, qui ne précise pas la date de la mention, n’est corroborée dans aucune autre source :

Vivos voco, mortuos plango, tonitrua quoque frango
Jesus Christus, Sanctus Thomas, Sancta Maria Magdalena ora pro nobis
.

La cloche en question repoussait donc non seulement les éclairs, mais aussi le tonnerre.

Des variantes de cette inscription se retrouvent – ou retrouvaient avant la Révolution – sur des cloches en France, telle :

Laudo Deum verum, plebem voco, congrego clerum,
Defunctos ploro, pestem fugo, festa decoro

à Bussière-Boffy (1606 ; source : Nicole Lemaître, « Société et vie religieuse du début du xvie au milieu du xviie siècle », ReSET, 2008-2009) ou sur Emmanuel, le bourdon de Notre-Dame de Paris, fondu en 1685 et baptisé en présence de Louis XIV. Une inscription similaire se trouvait sur la seule cloche de la cathédrale de Rouen qui ait survécu à la Révolution.

Cette formule n’était pas uniquement connue en Europe continentale. Un ouvrage fort utile pour les amateurs de conversation, publié en Angleterre en de nombreuses éditions dans les années 1630-1640 sous le titre de A Helpe to Discourse : or more Merriment mixt with serious Matters; Consisting of Witty, Philosophical, Grammatical, &c. Questions and Answers, as also Epigrams, &c. Together with the Countreyman’s Counsellor, &c., cite un poème en latin de cuisine que l’on pouvait trouver sur des cloches et qui comprend encore une autre variante de cette formule :

En ego campana, nunquam denuntio Vana,
Laudo Deumverum, plebem voco, congrego clerum,
Defunctos plango, vivos voco, fulmina frango,
Vox mea, vox vitas, voco vos ad sacra venite.
Sanctos collaudo, tonitrua fugo, funera claudo,
Funera plango, fulgura frango, Sabbatha pango;
Excito lentos, dissipo ventos, paco cruentos.

Profitons pour signaler que la plus ancienne cloche de Paris, plus vieille encore que celle de Schaffhouse, se trouve dans le clocher de l’église de Saint-Séverin, qui indiquait, au xve siècle, le couvre-feu aux collégiens de l’Université (in Jacques Hillairet, Connaissance du vieux Paris : rive gauche et les îles. Gonthier, 1954). L’inscription qu’elle porte n’a aucun rapport avec celles que nous venons de voir, mais elle ne manque pas d’intérêt, comme on peut le voir ici :

J’ai l’honneur de vous adresser les renseignements que vous m’avez demandés sur la cloche ancienne de Saint-Séverin. C’est, comme vous le savez, en travaillant à la monographie dont vous avez bien voulu me charger, que j’en ai fait la découverte, En disant découverte, je me sers sans doute d’une expression quelque peu ambitieuse ; mais peut-être aussi est-elle justifiée, car aucun écrivain, que je sache, n’a fait mention de cette cloche, et elle était complètement inconnue de toutes les personnes à qui j’ai eu l’occasion d’en parler. Il est facile d’ailleurs de s’expliquer comment, quoique se trouvant à Paris même, elle n’a point encore été signalée au monde archéologique : c’est que, pour constater qu’elle est gothique, il faut pouvoir atteindre jusqu’à sa partie supérieure où se trouve l’inscription qui en établit la valeur. Or, pour cela, comme elle occupe entièrement la largeur du campanile où elle est suspendue, il faut sortir tout le corps hors des baies de ce campanile, ce qui, à quarante et quelques mètres, de terre, n’est ni sans difficulté, ni sans danger, et ce que, par conséquent, on ne tente pas de faire sans y être obligé. La cloche de Saint-Séverin est plus ancienne d’environ un siècle que la flèche du clocher elle-même. Elle n’a point de battant et paraît n’avoir jamais servi que de timbre pour les heures, usage auquel elle est encore destinée. Le son en est clair ; elle donne l’ut dièze, La forme en est élégante, comme vous le montre le dessin très-rigoureux que je vous en ai remis. Elle a 0m,85 de diamètre à sa partie inférieure, et 0m,70 de hauteur, si l’on n’y comprend pas la couronne qui a 0m,17.

Ce qui fait surtout de la cloche de Saint-Séverin un monument vraiment digne d’intérêt, c’est la curieuse inscription qui est gravée en relief, autour de son cerveau. Cette inscription, qui forme deux lignes courant entre des filets d’une fonte assez peu nette, est composée de huit vers, de huit syllabes chacun. Elle est aussi complète qu’on peut le souhaiter ; car elle donne la date (1412) de la cloche, son nom, celui de l’artiste qui l’a fondue, ceux de ses parrains, et enfin sa provenance. Étant parvenu à en prendre un estampage en papier, je l’ai étudiée, et, aidé par le savant M. Paulin Paris, qui a eu l’obligeance de m’éclaircir les trois ou quatre mots qui étaient restes obscurs pour moi, je suis parvenu à la lire complètement. La voici donc, sauf, bien entendu, les erreurs que j’ai pu commettre, et qu’il sera facile à MM. les membres du Comite des arts, à qui je vous prie de la soumettre, de rectifier sur l’estampage même. Je souligne les lettres qui paraissent être en trop et je mets entre parenthèses celle qui semble avoir été omise.

Mil cccc xii annee
des aumosnes des bonnes gens
pour orloge fuz donnée
et daucuns des p[a]roissiens
de Saint Seuerin fuz cy posée
qui lors estoient marregliers
pour y servir — ay nom MaceeDu latin Mathaea, féminin de Mathaeus, Mathias..
Robert Caorn fa li premiers
Regnault Lecleclerc et Ih. Sandrin
et puis de Caville Thomas
me fist de métal pur et fin
ainnsi co[mme] me veoir pourra.

J’ai figuré par une ligne pointée, sur mon dessin, le profil intérieur de la cloche ; vous remarquerez que, assez épaisse vers son bord inférieur, elle est, au contraire, fort mince vers le milieu de sa hauteur. Cette disposition avait évidemment pour but d’économiser le métal, et de l’économiser de façon à ce que cela ne pût être facilement constaté.

Telles sont, Monsieur, les observations que j’ai pu recueillir sur la cloche de Saint-Séverin. Ce n’est pas sans quelque satisfaction, je l’avoue, que j’en ai constaté l’existence, le monument dont vous m’avez confié l’exploration étant tellement connu qu’il n’y avait guère lieu d’espérer que je pourrais y rencontrer quelque chose de neuf ; mais je m’estimerai surtout heureux si vous êtes assez bon pour accueillir ma communication et si les membres du Comité veulent bien penser qu’elle n’est pas tout à fait indigne de leur attention.

Adolphe Berty, « Lettre à Albert Lenoir », citée in Bulletin archéologique publié par le Comité historique des arts et monuments, vol. 4, p. 423. Paris, 1847-1848.

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