Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

10 février 2023

La tolérance, oui, mais laquelle ?

Classé dans : Actualité, Littérature, Société, antisémitisme, racisme — Miklos @ 18:45

Henri de Toulouse-Lautrec, Au salon de la rue des Moulins, v. 1894.

Cette formule court les trottoirs rues – ou plutôt les écrans (mais aussi, on le verra, livres et journaux) –, souvent sans attribution, ou alors attribué à diverses personnes plus ou moins célèbres. Dénotant l’esprit intolérant de son auteur, on peut être étonné de la voir rattachée à certains dont l’ouverture d’esprit n’aurait pas… toléré de s’exprimer ainsi. On peut aussi s’étonner que des écrivains, des professeurs et d’autres sommités se soient retrouvées ainsi à côte de la plaque d’égout.

On trouvera ci-dessous un recensement des principales attributions.

Léon Bloy

Il y a des problèmes essentiels que les Français « nés malins », disait Voltaire (« nés malins et morts idiots », dit Claude Dauphin), des problèmes que les Français résolvent avec des boutades. Par exemple : « La tolérance, il y a des maisons pour ça » (Léon Bloy).

– Gilbert Cesbron, Ce qu’on appelle vivre, 1977.

Paul Claudel

C’est quand il fut directeur de l’Aurore, en pleine affaire Dreyfus, que Zola lui apporta un article qui allait avoir un prodigieux reten­tis­sement, non point parce que le romancier naturaliste l’avait intitulé, platement, « LETTRE À M. FÉLIX FAURE, PRÉSIDENT DE LA RÉPU­BLIQUE », mais parce que Clemenceau y avait lui-même substitué ce titre à l’emporte-pièce et à gros caractères : « J’ACCUSE… » devenu ainsi un réquisitoire im­pla­cable, paru en tête de son, journal, le 13 janvier 1898.

Zola ayant été traduit en Cour d’Assises, Clemenceau, cité à la barre des témoins de la défense, allait trouver des accents d’une admirable élo­quence. Montrant d’un doigt vengeur le Christ (peint par Bonnat) qui surplombait les fauteuils des magistrats en robe rouge, il avait clamé d’une voix tonnante : « La voilà la chose jugée ! On l’a mise au-dessus du juge pour qu’il ne fut pas troublé par cette vue. C’est à l’autre bout de la salle qu’il faudrait placer l’image afin qu’avant de rendre sa sentence, le juge eut devant les yeux l’exemple de l’erreur judiciaire que notre civilisation tient pour la honte de l’humanité ! »

Que l’on compare cette apostrophe à celle qu’osa proférer l’anti-dreyfusard, « grand chrétien », Paul Claudel (auquel Jules Renard rappelait la charité chrétienne, le respect et la tolérance dus à toutes les opinions, même si on ne les partage pas) et qui cria en grimaçant : « La tolérance, il y a des maisons pour cela… Oui, que l’on compare ces deux attitudes pour juger les deux hommes !

– André de Wissant (1895-1982),
Théâtre d’ombres, « Clemenceau », 1970.

Le Paul Claudel antidreyfusard et arrogant qui répondit à Jules Renard : La tolérance, il y a des maisons pour ça ! « mot » qui le peint tout entier. Ô charité chrétienne. (Henri Janson, soixante ans d’adolescence, 1971).

– François Dournon, Dictionnaire des mots
et formules célèbres
,
1994.

La tolérance ? Il y a des maisons pour ça !

Attribué à Paul Claudel.

– Alain Dag Naud, Dictionnaire (inattendu) des citations, 1983.

Au mot de « tolérance », je pense à la pensée tant de fois répétée que l’on attribuait à Paul Claudel à une époque où il n’avait pas découvert la Bible. La France était divisée par l’affaire Dreyfus, et il se trouvait alors du côté qui n’était pas favorable aux Juifs. Je ne sais lequel de ses amis lui ayant dit : « Mais Paul, que faites-vous de la tolérance ? — La tolérance ? Il y a des maisons pour cela », rétorqua-t-il.

– André Chouraqui (avocat, écrivain, 1917-2007),
L’amour fort comme la mort : une autobiographie, 1990.

Claudel : « La tolérance, il y a des maisons pour ça. »

– Alain Rey, Dictionnaire des expressions et locutions, 1997.

Claudel est un aérolithe. C’est un être venu d’ailleurs pour se camper sur cette planète, les pieds enfoncés dans la terre. C’est une cathédrale anachronique dans le siècle de Gide, de Valéry et de Malraux. Il refuse avec violence les homosexuels et les athées, rejetés sans ménagement dans les ténèbres extérieures. Il assimile, avec hardiesse – et avec ignorance -, le surréalisme à la pédérastie. Il foudroie non seulement Gide, mais Racine et Stendhal, coupables de ne pas répondre à l’idée qu’il se fait de Dieu et des hommes. Jules Renard rapporte son mot tonitruant : « La tolérance ? Il y a des maisons pour ça. » Le goût, la mesure, la médiocrité, les joliesses du style ou de la pensée, il les ignore avec superbe. Il est insupportable, magnifique et violent. C’est, selon Thibaudet, « le plus gros paquet de mer poétique que nous ayons reçu depuis Hugo ».

– Jean d’Ormesson (écrivain, journaliste, 1925-2017),
Une autre histoire de la littérature française, I, 1997.

Paul Claudel disait déjà à l’époque bénie des bordels : « La tolérance ? Il y a des maisons pour ça. »

– Jean-Pierre Friedman, Bréviaire du vieillard indigne, 2008.

Georges Clemenceau

Malgré le mot célèbre de Clemenceau – qui, à sa manière, était un puritain à l’américaine : « La tolérance, il y a des maisons pour cela. »

– Michel Crozier (sociologue, 1922-2013),
<Le Mal américain, 1984.

It may have been naive to expect a climate of tolerance in a place where ideas matter so much and carry stakes that we rarely observe elsewhere. As Clemenceau remarked: “La tolérance! La tolérance! Il y a des maisons pour cela.” (Maisons de tolérance are brothels that once enjoyed legitimate business status in France.) Fortunately, there are many mansions in the House of France.

– Laura Lee Downs and Stéphane Gerson (eds.),
Why France? American Historians Reflect
on an Enduring Fascination
, 2007.

« La tolérance ! La tolérance ! Il y a des maisons pour cela. » (Georges Clemenceau)

Dicocitations

Edgar Faure

Si l’on bafoue aveuglément autrui dans ce qu’il a de plus sacré, je dis comme Edgar Faure : la tolérance, il y a des maisons pour ça.

– Ali Smaoui, réponse à un article de Jeune Afrique, 2006.

François Mauriac

Certes, il faut s’époumoner… et parfois on pourrait croire que ceux qui le font hurle en mineur comme Mauriac à la fin de la guerre qui riait d’une voix à peine audible « la tolérance, la tolérance, il y a des maisons pour cela ! »

– Aleksandr Winogradsky Frenkel (archiprêtre orthodoxe
des traditions byzantines et sémitiques. Jérusalem, 1949-),
commentaire à un article de La règle du jeu, 3 septembre 2015.

Charles Maurras

Non. Je ne suis pas tolérant. Comme disait Jean-François Devay, la tolérance, il y a des « maisons » pour ça ! (En fait l’auteur de cette formule est Charles Maurras).

– André Harris (journaliste, 1933-1997),
Qui n’est pas de droite ?, 1978.

Marcel Pagnol

« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » comme disant Saint-Just. Et « la tolérance il y a des maisons pour ça » comme faisait dire Pagnol à César.

– auteur inconnu, commentaire, Doctissimo, 23 août 2013.

Marcel Proust

Non non mon ami, tu ne peux parler ainsi, il serait bon d’arrêter de se comporter en salafiste moyen : qui n’est pas de mon avis est voué aux gémonies. Ce cannaweeder défend un point de vue en l’argumentant, il est souhaitable de pouvoir ne pas être d’accord sans pour autant l’accuser de tous les maux collaborationnistes. Mais comme le disait Marcel Proust : « la tolérance, il y a des maisons pour ça ». Oh merdre Marthe Richard a fait fermer les bordels, il n’y a même plus de maisons pour ça …

– chauvelu, commentaire à un article de blog, 27 mars 2018.

Paul Valéry

Nul doute qu’on ne puisse mieux définir une société de liberté que comme un monde de tolérance. Or, s’agissant de manifester de l’attachement à ses convictions, on ne sera pas étonné que le mot ait classiquement suscité de l’ironie, jusqu’à une connotation péjorative, fût-ce sans aller jusqu’à la conclusion classique et certes un peu facile…, généralement attribuée à Paul Valéry, que la tolérance, il y a des maisons pour cela…

– Bernard Pacteau (professeur de droit public, 1946-),
« Synthèse », Tolérance & Droit. Journée d’études
de l’Institut Maurice Hauriou, 29 mars 2012.

Ma proposition de mauvaise foi vise précisément à montrer les limites de cette pseudo-valeur qu’est la tolérance. Poussée à l’extrême, elle s’autodétruit. S’il faut tout tolérer, alors il faut aussi tolérer l’intolérance – et non se battre contre elle. Si l’intolérance vous heurte et vous donne le désir de la combattre, c’est que vous n’êtes pas tolérant. Être tolérant, c’est supporter sans broncher ce qui nous dérange ; fermer les yeux sur ce que nous n’aimons pas, mais que nous acceptons de ne pas combattre, avec lequel nous nous résignons à cohabiter. « La tolérance, il y a des maisons pour cela », résumait Paul Valéry. Des femmes réduites à vendre leurs corps pour survivre, des hommes réduits à payer pour avoir des femmes, ce n’est pas très glorieux, mais on ferme les yeux : c’est toujours mieux que de mourir de faim ou de violer, c’est un moindre mal que l’on tolère en étant au mieux lucide et résigné, au pire indifférent. Tant que ça reste discret ; qu’il n’y en a pas trop ; que le seuil de tolérance n’est pas franchi.

– Sabine Sixous, « Il y a un type raciste dans ma famille,
qui m’exaspère. Mais peut-on être intolérant
avec l’intolérance ? », philosophie magazine, 30 août 2012.

Et la réponse est…

Claudel déjeune.

Il parle du mal que l’affaire Dreyfus nous a fait à l’étranger. Cet homme intelligent, ce poëte, sent le prêtre rageur et de sang âcre.

- Mais la tolérance ? lui dis-je.

- Il y a des maisons pour ça, répond-il.

Ils éprouvent je ne sais quel joie malsaine à s’abêtir, et ils en veulent aux autres, de cet abêtissement. Ils ne connaissent pas le sourire de la bonté.

Sa sœur a dans sa chambre un portrait de Rochefort et, sur sa table, La Libre Parole. Elle a envie de le suivre dans ses consulats.

Et ce poëte affecte de ne comprendre et de n’admirer que les ingénieurs. Ils produisent de la réalité. Tout cela est banal.

Il a le poil rare et regarde en dessous. Son âme a mauvais estomac. Il revient à son horreur des juifs, qu’il ne peut voir ni sentir.

– Jules Renard, Journal 1894-1904, 13 février1900.

Et pour conclure…

On rappellera que les maisons de tolérance ne sont plus tolérées depuis la loi du 13 avril 1946, dite loi Marthe-Richard.

23 mai 2022

Les Trois heures du Juif, récit.

Classé dans : Histoire, Judaïsme, Religion, antisémitisme, racisme — Miklos @ 1:17


Le prétendu meurtre rituel de Simonino, in
Hartmann Schedel, Liber chronicarum, Nürnberg, Anton Koberger, 1493, Trento, Biblioteca comunale (source). On remarquera la marque ovale en jaune sur les personnages et leurs noms « hébraïques » (Mayir, Samuel, Thobias, Israhel, Moyses…). Cliquer pour agrandir.

La curieuse histoire que l’on pourra lire ci-dessous, est parue le 1er mars 1838 dans le Journal des Jeunes Personnes sous la plume d’Ernest Fouinet, puis en 1840 dans L’Écho des vallées et, curieusement, le 11 mars 1841 dans la rubrique « Feuilleton » du Moniteur industriel (on se demande bien quel rapport il y a entre le sujet du récit et la thématique de la publication…). Elle relate un incident antisémite qui aurait eu lieu en 1563 dans la ville de Trente le jour de la fin de l’important concile éponyme, ville où l’on vénérait les restes d’un enfant de trois ans, Simonino, qui aurait été tué en 1236 par des Juifs à des fins rituelles.

Comme le précise un article fort bien intitulé Antisémitisme : Meurtre rituel de Simonino, « fake news » du XVe siècle et publié à l’occasion d’une récente exposition au musée diocésain tridentin, c’est en 1475 que Simonino avait disparu et été retrouvé mort (et non en 1236, comme le raconte l’histoire ci-dessous), et son « culte » aura duré jusqu’en 1965, date où son nom fut retiré du Martyrologue romain.

Le récit qui suit a donc été publié du temps où l’on vénérait encore Simonino. Si l’auteur se positionne très explicitement et clairement contre le violent antisémitisme cruel, immoral et fanatique, exhibé à l’encontre du « héros », Salomon, on y trouve tout de même deux ou trois passages quelque peu ambigus (« Ce n’était plus l’avare et cupide marchand juif, c’était le père éploré, en larmes, orphelin », « son enfant chéri, dont la blonde chevelure d’ange n’avait pas encore pris l’équivoque nuance judaïque »).


Trente, Journal des Jeunes Personnes, 1838.
Cliquer pour agrandir.

Si vous passez jamais à Trente, votre cicerone, après vous avoir lait admirer le long pont de buis sur l’Adige, qui n’a rien d’admirable en vérité que l’eau limpide et fraiche qui coule entre ses pilotis, ne manquera point sans doute de vous conduire à l’église de Saint-Pierre, devant une chapelle, pour vous montrer le corps d’un enfant de trois ans, conservé dans une chasse placée sur l’autel. Ému par l’aspect de cette touchante relique, vous vous empresserez d’en demander l’histoire ; c’est ce que le disert cicérone voulait, et il vous redira avec chaleur et passion comment, en 1236, les Juifs de la ville enlevèrent le petit Simonino, l’enfant unique d’un artisan, et le crucifièrent après lui avoir extrait tout son sang pour l’infâme célébration d’une de ces fêtes odieuses que la haine des fanatiques attribuait aux Juifs. « Rappelez-vous, signor, vous dira-t-il, ce canal qui amène les eaux de l’Adige en larges ruisseaux dans la plupart de nos rues et de nos maisons ; eh bien ! c’est un de ces ruisseaux qui porta le pauvre corps martyrisé jusqu’à la rivière dans laquelle le trouvèrent des pêcheurs. Les Juifs furent convaincus de leur forfait : trente-neuf furent pendus, appiccati, signor, répétera le cicérone avec enthousiasme, et notre saint Sixte IV canonisa le martyr Santo Simonino. Tous les autres Juifs furent bannis de la ville, bien entendu ; mais comme le commence souffrait de leur exclusion absolue, on leur a permis de venir. pour les affaires de leur négoce, passer chaque année trois heures à Trente ; maledetti. » C’est ce que le guide vous recontera avec plus ou moins d’éloquence, mais il ne vous apprendra peut-être point l’anecdote que voici :

Le 4 décembre 1563, la ville de Trente était dans un mouvement extraordinaire. Le concile qui s’y tenait depuis dix-huit années allait termimer ce jour-là sa dernière session, et, de tous les points, on voyait les archevêques, les évêques, les chefs d’ordres religieux, les théologiens, les ambassadeurs des puissances de la chrétienté, se rendre dans l’église de Sainte-Marie-Majeure, où s’était loujours tenu à Trente le vénérable congrès. Il fallait entendre les habitants, accourus dans les places ou sur le seuil de leurs portes, pousser, à l’aspect des prélats, les uns en litière, les autres sur des mules richement caparaçonnées, des exclamations italiennes mêlées de paroles germaniques. C’est par ce trait que Scaliger caractérise l’habitant de Trente, en ajoutant qu’il est Romain par l’intelligence, Allemand par l’âme. En effet, ce peuple a, comme les hommes du Tyrol et des Grisons, toute la vivacité d’esprit de l’Italien, gracieusement fondue dans la gravité méditative de l’Allemagne : c’est la charmante alliance des yeux bleus et des cheveux noirs.

On aurait pu remarquer, du reste, que la tristesse et la mélancolie du nord l’emportaient ce jour-là sur l’enthousiaste gaité du midi : tous les habitants, devenus en quelque sorte hôteliers, pour loger trois patriarches, trente-deux archevêques, deux cent trente évêques, douze généraux d’ordre, cent quarante-six théologiens, les ambassadeurs et la suite de tous ces hauts, savants ou saints personnages, les habitants voyaient avec un profond chagrin leurs palazzi ou leurs maisons de marbre blanc rougeâtre se vider tout-à-coup. La ville allait donc rentrer demain dans ce calme qu’elle avait oublié depuis dix-huit ans ! « Plus de loyers richement payés ! » se disaient les hôtelliers. « Adieu les gros bénéfices », murmuraient les aubergistes. Aussi se promettaient-ils de rançonner doublement les pauvres Juifs qui allaient arriver à Trente pour y passer les trois heures seulement qui leur étaient accordées.

Déjà ils arrivaient en abondance. Par les portes Santa-Croce, San-Marpino, dell’Aquila. affluaient à pied, à cheval, ou montés sur d’humbles ânes, des hommes coiffés de toques jaunes ou portant dans quelque partie de leur habillement cette couleur d’éternelle malédiction et d’infamie. Ce stygmate, que si longtemps l’Europe chrétienne imprima sur tout un peuple, fut l’acte non seulement d’une aveugle cruauté, mais encore d’une immoralité stupide : c’était corrompre et non réformer, c’était pervertir en humiliant, car rien ne rend méchant comme de se sentir devenu un objet de mépris et de haine.

Or, un de ces malheureux proscrits, après avoir franchi la porte San-Lorenzo, traversait le pont à grands pas, autant du moins que le lui permettait un enfant de six ans qu’il conduisait par la main et qui courait cependant plutôt qu’il ne marchait. Salomon son père était si pressé ! Dans les trois heures, il avait à aller d’un bout de la ville à l’autre, pour régler ses comptes avec divers marchands, et conclure certains arrangements qui ne pouvaient se traiter par correspondance. La précipitation de sa marche avait aussi pour lui cet avantage. qu’elle le dérobait aux injurieuses interpellations des passants, ou du moins au chagrin de les entendre. Il ne put cependant éviter les injures, tant italiennes que tudesques, dont une vieille femme l’accabla au moment où il arrivait près de la tour carrée, qui défend la ville à la tète du pont.

« Maledetto ! Birbone ! Verfluchter ! Jude ! comment oses-tu passer près de ce canal, où l’on a trouvé le corps du bienheureux Simonino ? y passer avec un enfant encore ! »

La voix et l’accent de cette vieille étaient d’une effroyable dureté, et Salomon hâta le pas sans tourner la tête : il était pâle, et tremblait au point que son enfant le plaignait de ce qu’il avait si grand froid ; il est vrai que l’air etait piquant, car l’hiver est très rude à Trente : mais c’est au cœur surtout que le pauvre Juif avait froid, pendant que la vieille fanatique lui parlait comme nous venons de l’entendre. Enfin, quand il se trouva au centre de la ville, au milieu de ses coreligionnaires, tous dans une incroyable activité comme lui, il se sentit rassuré, et ne craignait pas de s’arrêter pour dire quelques mots à des amis qu’il n’avait pas vus depuis de longues années, qu’il ne devait revoir qu’un instant.

Il était donc vivement occupé à causer d’une affaire importante au coin d’une rue, et son enfant aux roues fraiches et rosées, aux yeux bleus, son enfant chéri, dont la blonde chevelure d’ange n’avait pas encore pris l’équivoque nuance judaïque, jouait avec quelques cailloux de ceux qui servaient au pavage des rues. De temps à autre, Salomon se tournait vers lui pour lui adresser une caresse dans un sourire, et l’enfant lui rendait ce baiser avec amour. Cependant Salomon, tout entier à l’affaire dont il s’entretenait alors, était resté quelques minutes sans resarder derrière lui ou à ses pieds. Il se reprocha enfin d’avoir oublié un instant son enfant bien-aimé, et dirigeait vers lui un regard plein d’une inépuisable tendresse… Benïamin avait disparu.

— O ciel ! ne me parlez plus ! Que m’importent les affaires de ce monde ! Mon enfant ? où est mon enfant ? où est mon Benïamin ?

Il ne songeait plus à l’or qu’il venait recevoir à Trente, ni aux marchés arantageux qu’il devait conclure dans ces trois heures fatales… Il ne lui en restait plus que deux environ. — Que je trouve mon enfant avant tout, se dit-il, et que je meure de faim après. Ce n’était plus l’avare et cupide marchand juif, c’était le père éploré, en larmes, orphelin. Il lui vint une idée effrayante : Benïamin avait peut-être été jouer au bord de l’eau ; il y courut. Pas un batelier qu’il ne lui demandât son enfant.

— Avez-vous vu mon enfant ? il a des cheveux blonds, des yeux bleus comme ceux de sa mère Rachel, sa mère qu’il n’a plus.

Puis il courut par les rues, sondant de l’œil le canal qui les arrose presque toutes.

— Mon enfant !… mon fils bien-aimé ! donnez-le -moi, rendez-le-moi ! qui a vu mon enfant ?

— Ton enfant, Juif, ton enfant ! Est-ce que les Juifs ont des enfants, eux qui les tuent ? Où as-tu mis le bienheureux Simonino ?

Telles étaient les seules réponses qu’il reçut, réponses bien amères, bien cruelles ; mais que lui faisaient les outrages ? Il aurait tout enduré, tout supporté, trainé toutes les croix pour ravoir son Benïamin. Il fremissait en voyant ces canaux, — partout un péril pour son enfant,— ces canaux qui avaient porté le cadavre de Simonino !

— Qu’on me le rende, et je donnerai tout ce que j’ai amassé, tout ce que j’ai au monde, tout ce qui ne serait rien sans lui.

Sa douleur attendrissante n’excitait que les rires et les huées de ce peuple fanatique, et cependant le temps se passait vite, et Salomon n’avait point retrouvé son enfant.

Sa dernière heure venait de commencer ; il se mit à courir les rues, les places, les promenades, comme un chien qui a perdu son maître. Il entrait dans toutes les allées, dans toutes les boutiques, s’inquiétant peu des insultes qui l’accueillaient partout. Il osait même, au risque d’être lapidé, entrer dans les églises et les chapelles, foulant aussi aux pieds tous les scrupules religieux ; c’est que sa seule religion alors, c’était son enfant, l’enfant que Dieu lui avait donné.

Pendant que Salomon se débattait dans sa poignante angoisse, une scène d’une majestueuse solennité se passait dans l’intérieur de Sainte-Marie-Majeure ; les légats, au nombre de cinq, présidents du concile, venaient d’annoncer au triple rang d’évêques et d’archevêques, qui se développait devant eux comme un rang d’or, que le saint synode était terminé, et alors le cardinal de Lorraine venait de provoquer les acclamations des pères du concile.

— Au bienheureux Pie, notre pape et seigneur, pontife de la sainte Église universelle, beaucoup d’années et une éternelle mémoire !

Et les pères tombèrent à genoux pour appeler sur lui une vie longue et un impérissable nom dans l’aveuir.

— Aux papes défunts, à Charles V, empereur, au sérénissime empereur Ferdinand, aux révérendissimes légats et cardinaux, aux illustres orateurs, aux évêques de sainte vie, le salut éternel !

— Amen amen ! répondirent les pères.

— Au très saint concile œcuménique de Trente, foi inaltérable, et jurons d’observer ses décrets.

— Nous le jurons !

Et le grand crucifix de l’autel inclina, dit-on, la tête à ce solennel serment.

— Sur tous les hérétiques anathème ! anathème ! répétèrent en chœur tous les membres du concile, qui se forma ensuile en procession pour aller entendre un Te Deum d’actions de grâces à la cathédrale.

Le merveilleux salut du crucifix fut bientôt connu dans la foule, et avec la rumeur pieuse se répandit le cri d’anathème poussé contre les hérétiques. Les masses se passionnaient, se fanatisaient à ces bruits qui circulaient de bouche en bouche. Anathème aux hérétiques ! Anathème aux Juifs ! c’est la conséquence que l’on tirait de toutes parts à haute voix, et les malheureux enfants d’Israël se hâtaient de quitter la ville. La dernière heure était d’ailleurs accomplie, et ils voyaient qu’il n’eût pas été prudent de leur part d’élever sur ce point la moindre discussion en ce moment d’effervescence.

Salomon seul était insensible à cette effervescence populaire ; celle qui fermentait et bouillait dans sa poitrine était si violente ! Il n’avait pas retrouvé Benïamin, et déjà il avait parcouru, examiné, fouillé presque tous les quartiers et recoins de la ville ; car il n’avait plus à voir qu’une courte rue, au bout de laquelle était l’église de Saint-Pierre. Aurait-il méme le temps de terminer ses recherches, au bout desquelles était le bonheur ou le désespoir ? Déja quelques habitants, quelques gardes de la ville l’avaient arrêté pour lui dire :

« Juif ! La dernière heure est expirée !

— Mon enfant ! mon enfant ! j’ai perdu mon enfant, » leur répondit-il en les repoussant à plusieurs pas, tant sa marche était éperdue et effrénée.

Il courait donc comme un fou, les yeux égarés, les cheveux épars, la barbe sillonnée par les crispations de ses doigts ; il courait plus vite que la foule qui le poursuivait, car il venait d’entendre sortir du fond de l’église de Saint-Pierre un cri déchirant, une voix plaintive qui, pénétrante comme la foudre d’un courant électrique, passa de sa tête au cœur, à tout ce qui dans les entrailles d’un père sent et aime un enfant unique.

Qui était capable de le retenir alors ? Non, rien, rien. Il se précipita, malgré tous les obstacles dans la nef, vers la chapelle où se conserve le corps du bienheureux Simonino.

C’est cette circonstance qui mit le comble à la rage du peuple. Un Juif entrer dans l’église où étaient les restes de l’innocent martyr de la synagogue ! Ce ne pouvait être qu’une odieuse bravade, une insulte !

«  À mort ! à mort le Juif ! » s’écriaient déjà de nombreuses voix, et quel horrible fanatisme ! ces cris de mort pénétraient jusque dans le temple du Dieu clément ; mais Salomon était sourd à toutes ces clameurs ; il venait de retrouver là, devant l’autel de San Simonino, son enfant, son unique enfant, mais dans quel état, grand Dieu ! Étendu la face contre terre, les bras en croix sur la dernière marche de l’autel, garrotté à ne pouvoir faire un seul mouvement, et frappé de la main ou du pied par des hommes ou des femmes qui passaient devant lui.

Couper les liens qui retenaient Benïamin, les rompre, ce ne fut rien pour Salomon, dont la force était décuplée par l’exaltation, et pressant son enfant contre son cœur, il descendit de la nef à grands pas, sans que le peuple, stupéfait et anéanti par cet acte d’audace, eut encore songé à se jeter au-devant de lui. Cependant, comme il arrivait près du portail, la peur vint le reprendre ; car il entendait derrière lui la femme qui l’avait apostrophé d’une manière si menaçante sur le pont ; il l’entendait dire à demi-voix : « Meure cet impie, dont la race a tué Simonino ! » Et quand elle fut hors de l’église, toujours sur les pas de Salomon, elle répéta à haute voix ces paroles :

« Meurent ! meurent les juifs, qui prennent les enfants à leurs mères ! » redirent plusieurs femmes que le sentiment religieux porté à l’excès, et le sentiment de l’amour maternel, sauvage et sans frein, pouvaient rendre féroces. « Mort aux Juifs ! ».

— Qu’un le renvoie et qu’on garde son enfant… qu’on le baptise, s’écriait la portion la plus modérée de la foule, qui, cette fois, exaltée par les cris des femmes, barrait irrésistiblement le passage à Salomon.

— Non ! non ! disait le pauvre père avec un désespoir profond, ne m’enlevez pas Benïamin, le seul souvenir que m’ait laissé ma pauvre Rachel !

On allait cependant lui arracher son enfant, le tuer peut-être, et son père lui faisait un rempart de son corps. En ce moment la grande procession du concile, se rendant à la cathédrale, passait près de Saint-Pierre, et plus elle approchait, mieux le premier légat avait entendu la rumeur qui bruissait à la porte de l’église. Quand la tête du cortège solennel fut devant le portail, le légat demanda quelle était la cause de cette agitation que l’on voyait fomenter dans la foule.

« Un Juif dans l’église ; il a outragé la relique de San Simonino… qu’il meure… Non ! Non ! qu’on le chasse et qu’on garde son enfant pour le baptiser !

— Le faire chrétien malgré lui ! répondit le légat ; ce serait une intolérance cruelle et sans fruit pour la religion. Dieu n’a pas dit : Forcez les enfants de venir à moi ; il a dit : Laissez-les venir. Rendez à ce Juif son enfant, et peut-être, en se rappelant nos paroles et notre action, viendra-t-il un jour à nous. »

Le peuple obéit à l’arrêt miséricordieux du représentant du pape, et, pendant que le bienheureux père franchissait la porte San-Lorenzo, le concile tout entier se joignait au Te Deum d’actions de grâces.

Ernest FOUINET.

(Journal des Jeunes Personnes).

7 novembre 2021

Nouvelles du jour, ou, Elle va où, la France ?

Classé dans : Actualité, Société — Miklos @ 15:34

Nouvelles du jour : nombre de manifestants à Paris COP26 vs anti pass sanitaireCliquer pour agrandir

31 octobre 2021

« Tout homme est tiraillé entre deux besoins… 

Classé dans : Géographie, Histoire, Lieux, Société — Miklos @ 18:33

« Tout homme est tiraillé entre deux besoins, le besoin de la pirogue, c’est-à-dire du voyage, de l’arrachement à soi-même, et le besoin de l’arbre, c’est à dire de l’enracinement, de l’identité, et les hommes errent constamment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l’un, tantôt à l’autre ; jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’arbre qu’on fabrique la pirogue. — Mythe mélanésien de l’île du Vanuatu  »

Le mème cité intégralement ci-dessus circule depuis des années sur l’internet, sans aucune contextualisation ni source. Mais si l’on cherche bien, on trouvera un ouvrage passionnant sur ce thème, intitulé L’Arbre et la pirogue (non, tout de même pas L’Arbre est la pirogue), publié en 1986 aux éditions Orstrom. Il s’agit de la version légèrement remaniée d’une thèse pour le doctorat ès Lettres et Sciences Humaines, soutenue par Joël Bonnemaison en 1985, « fruit d’une recherche […] sur l’Archipel des Nouvetles-Hébrides, condominium franco-britannique devenu indépendant le 30 juil#let 1980 sous le nom de Vanuatu. L’ouvrage est intégralement et librement disponible en ligne sur le site de la base documentaire de l’IRD (Institut de recherche pour le développement).

On en citera ici deux extraits fort intéressants : le premier, tiré de l’introduction, qui présente les deux principales approches en sciences humaines, mais que l’on pourrait appliquer à bien d’autres domaines – peinture, sculpture, musique… Le second, tiré de la conclusion, résume sa vision du peuple mélanésien, arrivé en pirogue dans ses îles où il s’est enraciné tout en conservant la mémoire de son origine.

___________________________

Joël Bonnemaison
Les fondements d’une identité : territoire, histoire et société dans l’archipel de Vanuatu (Mélanésie).
Essai de géographie culturelle
1. L’arbre et la pirogue1 (extraits)
Éditions de l’Orstrom, 1986

Introduction générale

Deux types d’approche en Sciences Humaines sont possibles : l’une dite scientifique, l’autre qui peut être qualifié à la suite d’Edgar MORIN (1984) d’essayiste. Le premier relève d’un point de vue qui se veut « objectif  » et en quelque sorte extérieur à son sujet : autant que faire se peut il mesure, il quantifie, il analyse, il s’efforce de dégager des causalités, des structures et des systèmes, des lois et des règles qui renvoient elles-mêmes à des théories plus générales. Le second type d’approche est plus subjectif : il essaie à l’inverse de considérer l’objet de l’étude dans sa singularité et dans l’ordre de sa causalité interne, il cherche à saisir qualitativement la liberté du sujet qu’il étudie.

À l’affirmation de l’objectivité scientifique s’oppose dès lors le postulat de la subjectivité culturelle. Alors que la vision scientifique cherche souvent à écarter de son champ d’analyse tout ce qui, à ses yeux, ne relève pas de l’ordre de la raison pure et notamment les questions de finalité, la vision essayiste fait au contraire de l’étude de ces dernières le terme et la condition de son approche. Face à l’attitude culturaliste, les tenants de l’hypothèse scientifique ne manquent pas généralement de reprocher le manque de fondements scientifiques et les essayistes répondent qu’en considérant principalement les facteurs de détermination, on sous-estime l’autonomie possible des groupes et des sociétés, leur responsabilité et tout autant la subjectivité sous-jacente et les parti-pris du scientifique qui les étudie.

Au plus profond de sa vision, l’école essayiste cherche en effet à saisir les groupes humains dans leur liberté plutôt que dans leurs déterminations ; ce faisant elle considère des sujets sociaux qui ont leur sphère d’autonomie, leur propre projet et une marge plus ou moins importante de libre choix. Les phénomènes de représentation, les questions de sens et de valeurs, la dimension spirituelle et les attitudes de croyance, bref tout ce qui relève d’une certaine vision du monde, loin d’être écartés parce que « non-objectifs  » ou « non-scientifiques  », reviennent au contraire au premier plan. L’approche essayiste devient alors « humaniste  » ; elle pose comme une affirmation essentielle qu’il n’y a pas au fond de système social sans un choix de valeurs qui le commande et que ce dernier, loin de se réduire à être un simple vêtement culturel, forme une substance propre qui doit être abordée en tant que telle et pensée dans l’ordre qui est le sien. Le champ social devient dans cette perspective un champ complexe à faces multiples dont l’observateur fait lui-même partie : il n’est pas entièrement réductible à « l’analyse objective  »’ qui tend à ne voir en lui qu’un produit et il n’est jamais vraiment prévisible. La liberté des acteurs le caractérise tout autant et parfois plus que leur conditionnement.

Entre les prétentions de la démarche scientifique et les affirmations de la démarche essayiste, la bonne réponse consiste sans doute à se garder de certitudes trop tranchées. L’approche scientifique, objective et quantitative, peut être poussée jusqu’à son terme le plus ultime pour autant qu’elle sache mesure garder et ne prétende pas enfermer la totalité du réel dans sa seule vision, l’approche essayiste ou subjective est également tout autant légitime si elle sait raison garder et admettre qu’elle a besoin d’axes directeurs et des « gardes-fous  » que la première démarche peut précisément lui fournir. En somme, les deux démarches sont dans l’idéal complémentaires et s’épaulent l’une par l’autre ; ce sont souvent les excès de l’une qui permettent le développement de l’autre et inversement. Mais si la contradiction est féconde, il est rare que les auteurs arrivent à être à la fois de véritables scientifiques et de véritables essayistes, seuls les très grands parviennent à ce grand art qui consiste à coupler les deux démarches. C’est peut-être là le signe d’une limite de l’esprit humain que de ne jamais atteindre vraiment ce but, mais aussi sa valeur que de continuellement tenter d’y parvenir.

[…]

Conclusion

La métaphore de l’arbre et de la pirogue

Les îles sont toujours des déchirures, des fins de route, des rives d’inquiétude ; l’harmonie du monde s’y dissout dans le confinement de l’espace, les certitudes de l’esprit dans la brisure de la bordure. Une fois que l’on est à terre, que le bateau ou la pirogue sont repartis, le lien avec le grand mouvement du temps est rompu. Les îles sont des espaces sans temps. « Ce qui différencie l’île d’avec le jardin, c’est le temps. L’île est suspendue dans une espèce d’intemporalité  » écrit encore Michel TOURNIER (1979, p. 14). Seul reste l’espace, un espace étroit, un espace clos bordé par la grande mouvance des flots, un espace rare et dès lors un espace infiniment précieux, l’unique et seule valeur en fait.

Les peuples de pirogues qui découvrirent les îles du Vanuatu devinrent les sectateurs de leur espace. De ces terres brisées, sans liens, sans temps, ils firent leur seule vérité, dans ces horizons clos ils plongèrent un destin d’enracinement, enfin des lieux où ils atterraient et de leurs premiers cheminements ils firent des signes de fondation et les premières marques de leur identité.

C’est Michel SERRES qui, dans un texte fabuleux où il dialogue avec le paysage chinois (« Chine Lise  »), se décrit comme un paysan de la plaine de la Garonne et par là même comme un marin. Le ciel, dit-il, l’espace du ciel est le seul lieu possible de sortie de la plaine : « Par le haut, par en haut. Tous filent par en haut, comme nous, en plaine … planer vers le vertical reste la seule direction possible  » (M. SERRES, 1983, pp. 28-29).

Les hommes des îles mélanésiennes ne lèvent pas leur regard vers le ciel, ils le plongent dans la terre. Ils ne sont pas de plaine, mais d’île, non pas d’espace, mais de lieux. Leur regard creuse la terre plus qu’il ne cherche à planer dans le ciel. Ce sont des arbres, des arbres aux racines profondes qui creusent vers le bas, vers les assises magiques du monde. La vérité, la croyance de ces hommes se tient là, non pas dans l’étendue infinie du ciel, mais dans la profondeur vertigineuse du lieu et de la communion avec les entrailles de la terre, un ventre dont ils sont le sang.

Les lieux mélanésiens ne sont donc pas d’étendue, mais de profondeur. L’arbre est la métaphore de l’homme ; il ne s’élance vers l’infini du ciel que parce que ses racines cheminent dans la profondeur de la terre. L’homme qui se tient droit dans son lieu plonge avec lui dans l’assise sacrée de la profondeur. De même l’arbre croît verticalement, il ne s’agit pas pour lui de gagner en étendue, mais de s’enraciner. L’étendue est dès lors une valeur dérisoire, une valeur flottante, seul compte ce qui est vertical : la profondeur prime sur l’étendue.

Comme le paysage est ponctué d’arbres, l’espace est parsemé d’hommes-lieux. L’enracinement est sans doute la première des valeurs du peuple mélanésien. Mais si les lieux font les hommes, ce sont les routes qui font les lieux. Le peuple insulaire a conservé la mémoire de son origine, il est tout autant un peuple de voyage que de racines, un peuple de lieux qu’un peuple de routes.

La métaphore mélanésienne exprime cette dualité de l’origine. L’homme est un arbre, mais le groupe local est une pirogue. L’identité de l’homme est donnée par le lieu, mais sa pirogue le tire vers la route. La pirogue n’existe que grâce à la force du bois de l’arbre où elle est creusée – elle dépend donc des racines de l’arbre –, mais son destin est de suivre une route qui mène de lieu en lieu, d’île en île. Elle est donc une valeur-voyage, un « territoire errant  », qui tisse un lien entre les groupes locaux enracinés.

De chaque lieu partent des routes dont le tracé en étoile dessine des itinéraires collectifs : si l’homme seul doit rester rivé à ses lieux, il doit en groupe explorer les routes de sa pirogue. L’alliance extérieure est à ce prix et bien souvent l’alliance de mariage. Pas plus qu’il ne peut y avoir de lieu sans route, il ne peut y avoir d’homme sans pirogue. L’homme-arbre ne vit que par le groupe-pirogue qui lui donne les alliances nécessaires à sa survie et à sa reproduction. Chaque territoire de la Coutume est ainsi un segment de route, un nexus de lieux, un système d’arbres et de pirogues. L’espace insulaire est perçu comme la mer, le but n’est pas de le posséder, mais de s’assurer les moyens qui permettent de le parcourir. Les lieux eux-mêmes sont des grappes d’îles égrenées le long des routes que suit la pirogue. Chaque territoire est un archipel de lieux entouré par une étendue mouvante de terre ou de mer que les routes de pirogues parcourent jusqu’à d’autres îles-lieux qui font partie de l’horizon de l’alliance.

L’image de l’espace insulaire – l’île entourée d’eau que l’on atteint en pirogue – se reproduit dans les métaphores de l’organisation mentale de l’espace. Par la force de cette vision, l’espace déchiré de l’archipel redevient uni : l’homme de la pirogue peut enfin vivre sur l’île, comme s’il n’en était rien, comme si la rupture du lien n’avait jamais eu lieu, comme si, pour revenir aux termes de TOURNIER, « l’harmonie préétablie  » était enfin retrouvée. Il compense en effet le manque d’étendue de ses territoires par la profondeur de ses lieux, il oublie la finitude de son espace grâce à l’infinité de ses routes.

La société mélanésienne s’affirme tout autant comme une société de racines que de voyages : ses arbres sont des pirogues et ses pirogues sont des arbres. Les territoires mélanésiens sont des réseaux de lieux égaux et indépendants connectés par des cheminements d’alliance. S’il n’avait pas gardé au plus profond de son identité, cette ambiguïté initiale, l’homme des îles serait peut-être devenu fou. Les îles sont en effet les segments coupés d’un trajet-fondateur ; si le trajet meurt, chaque île revient à la solitude absolue de sa déchirure originelle. La société mélanésienne a cherché constamment à maintenir ouvert le lien qui permet le trajet. Elle a cherché à pallier le confinement de l’espace en diversifiant son territoire, en l’enrichissant d’autant de signes et de lieux-symboles qu »i1 lui était possible d’en inventer ; elle a cherché aussi à en briser les isolements physiques, en faisant de chacun de ses lieux un carrefour de routes.

Les sociétés de l’archipel sont donc des sociétés du réseau qui se sont construites dans un espace de relation aux structures fluides. Cette tentative consiste à redonner par la culture un lien que la nature refuse et à recréer un espace d’harmonie et de continuité dans un univers physique heurté par des ruptures. Peut-être le paradigme de la société océanienne traditionnelle tient-il dans cette recherche du lien culturel qui réunit ce que sépare la nature ; peut-être dès lors repose-t-il seulement sur la réponse de la culture dans le face-à-face qui la confronte à la nature. Les îles mélanésiennes dans ce cas ne se seraient jamais acceptées comme des îles ; elles restent ce qu’elles ont toujours été depuis le temps des origines, c’est-à-dire des pirogues.

Société du réseau et espace réticulé

La métaphore de l’arbre et de la pirogue participe à un mouvement de pensée qui définit une vision de l’espace qui se répercute elle-même sur la conception de la société. Dans la vision traditionnelle de l’espace, faite d’entrecroisements de routes, d’enracinements de lieux, qui se renvoient les uns aux autres, les territoires sont des nexus et l’espace lui-même est un système réticulé2, dont les mailles plus ou moins fines ou plus ou moins lourdes visent non pas à encadrer l’étendue mais à la parcourir.

L’espace réticulaire de la société traditionnelle s’organise à partir de chaînages de lieux qui sont autant des « chemins d’alliance  » (BENSA et RIVIERRE, 1981) que des territoires qui se succèdent le long d’un itinéraire. Le modèle en est donné par le « tissu de nexus  » de l’espace linguistique mélanésien ; les quelques 100 ou 120 parlers de l’Archipel ne correspondent pas à des aires linguistiques, mais à des segments qui s’emboîtent en chaîne, créant ainsi des cheminements d’intelligibilité qui quadrillent l’Archipel (TRYON, 1976). Les groupes mélanésiens sont du même ordre : ce ne sont pas des groupes clôturés par une « frontière  », mais des réseaux de petites sociétés locales en communication constante les uns avec les autres selon leurs relations de proximité.

L’espace dans la société mélanésienne traditionnelle n’est pas perçu par ses divisions, ou par ses limites, mais par ses relations de route ; certaines routes sont amicales et d’autres sont hostiles. Les lieux eux-mêmes tirent leur justification profonde non pas de leur stabilité, mais de leur position sur la route. On comprend dès lors pourquoi le groupe local se définit comme à Tanna par la métaphore de la pirogue, car c’est la route suivie qui en définitive fonde l’identité du groupe. L’espace réel de la pirogue se confond avec son trajet, avec la succession des segments mis bout à bout qui composent le chemin d’alliance. À chacun de ces segments correspond un territoire, c’est-à-dire un nodule, une maille plus ou moins stable et plus ou moins lourde, mais qui n’existe que par la relation structurelle qu’elle entretient avec les autres mailles du réseau.

Ici, point de lieux centraux. L’organisation de l’espace selon des cœurs vivants et des périphéries déprimées est une réalité nouvelle issue de la construction étatique coloniale et de l’impact des réseaux modernes de commerce et de production. L’espace de la coutume pose à l’inverse comme axiome que chacun des lieux qui se succèdent sur la route est l’égal des autres. Pour que la relation puisse se poursuivre, l’existence de chacun des segments de la route est en effet indispensable. Si l’un des chaînons saute, si l’un des lieux meurt, la route se brise : chaque lieu est donc l’indispensable complément de l’autre et par 1à son égal. La société du réseau ne peut fonctionner que par les connections multiples que chacun de ses éléments entretient en ordre successif avec les autres.

Si l’espace réticulaire est une structure nouée par un système fluide en « tissu de nexus  », il ne peut admettre de centre, par contre connaît-il des « fondations  », les seuls lieux peut-être qui forment dans cet univers mouvant des réalités véritablement stables. Les routes mélanésiennes convergent vers des carrefours où elles se nouent à d’autres, mais elles remontent aussi vers les lieux de fondation qui sont ceux de leur commencement. En ces lieux de départ, se tiennent les principes fondamentaux de l’origine. À la différence du Lieu central qui fait converger vers lui le reste de la structure, le lieu de fondation au contraire rejette vers l’extérieur les forces qui sourdent en lui ; loin de créer des périphéries, il recrée plus loin d’autres lieux, des « mêmes  », qui se succèdent en chaîne et portent son propre pouvoir ou une parcelle de celui-ci. Le lieu d’origine ou « primordial  », comme l’appelle M. ELIADE (1942),fonde dès lors l’espace et l’anime tout entier de son mouvement.

La route d’alliance mélanésienne continue de proche en proche. La pirogue mélanésienne a pour destin d’étendre sa relation d’alliance jusqu’aux plus lointaines limites de l’infini que lui indiquent les routes de son territoire. Cet horizon ne se boucle pas sur lui-même, le lien qu’il projette est littéralement sans fin.

Cette perception de l’espace saisi comme une route engendre la société du réseau. Ce type de société ne peut exister que parce qu’il repose en sous-jacence et en harmonie avec un espace réticulé. À tout prendre l’espace n’est pas ici un « produit  », il représente au contraire ce qui fonde la société et lui permet de se reproduire. En d’autres termes, comme l’écrivent F. PAUL-LEVY et M. SEGAUD « les configurations spatiales ne sont pas seulement des produits mais des producteurs de systèmes sociaux ou, pour faire image, n’occupent pas seulement la position de l’effet mais aussi celle de la cause  » (l983, p.19).

O
O O

Le système social mélanésien tire sa cohérence d’une harmonie féconde avec son système spatial : dans ce modèle les formes d’organisation sociale et les formes d’organisation de l’espace se répondent constamment.

Cet espace réticulé lié à une géographie du réseau correspond bien aux sociétés territoriales organisées selon le principe du maillage que décrit par ailleurs Claude RAFFESTIN dans sa « Géographie du pouvoir  » (1980). Le territoire est ici un lieu où l’unité sociale se fond dans une maille particulière de l’espace et se relie aux autres selon des relations de proximité.

Sans doute le modèle mélanésien du réseau peut-il s’appliquer à bien d’autres sociétés insulaires, mais au-delà même, il n’est pas sans dimension universelle. L’univers de la « nouvelle modernité  », celle des réseaux de communication va peut-être ressusciter dans nos propres relations fluides de proximité qui éclateront les frontières compactes issues du XIXème siècle. Le renouveau d’intérêt qui semble aujourd’hui se dessiner autour de la notion de territoire chez les architectes, les anthropologues (F. PAUL-LEVY et M. SEGAUD), 1983) ou les géographes (Cl. RAFFESTIN, 1980, J.P. FERRIER, 1982, M.C. MAUREL, 1984) en constitue des signes avant-coureurs. Nul doute qu’il n’y ait là une autre façon de penser l’espace et par là les modèles sociaux.

(…)

____________________

1. La version intégrale de l’ouvrage est disponible en ligne gracieusement dans la base documentaire de l’IRD (Institut de recherche pour le développement)..

2. Le terme d’espace réticulaire a été utilisé le premier par un philosophe logicien, G. SIMONDON, dans un livre paru en 1969 : Du mode d’existence des objets techniques (AUBIER, 1969). Gilles SAUTTER m’en a signalé l’existence

17 août 2021

Akbar s’en va-t-en guerre, mironton, mironton, mirontaine….

Classé dans : Actualité, Progrès, Sciences, techniques, Économie — Miklos @ 14:25

Cliquer pour agrandir.

Akbar se rend gare Saint-Lazare pour (évidemment) y prendre le train : il va rejoindre Jeff dans leur future maison de campagne. Avant le départ, il entre dans le petit magasin Relay qui se trouve sur le quai à proximité de la voie de départ. Il constate d’abord que plus de la moitié des étagères de livres ont disparu – le vendeur lui dit que ce n’est que le début – puis aperçoit un casque Scheider qui lui permet­trait d’écouter ses cours de russe dans le train sans déranger les voisins. Il l’achète.

Une fois installé dans la voiture (on lui a dit que « wagon », ce n’est pas pour les humains), il branche ledit casque sur son téléphone, et constate qu’il n’entend le son que d’une oreille – et pourtant il n’est pas encore sourd. Il traficote la connexion, rien n’y fait. À l’arrivée, il teste le casque de Jeff sur son téléphone : ouf, il n’est pas sourd. Il essaie sa nouvelle acquisition sur le téléphone de Jeff : oui, il y a un problème !

À son retour quatre jours plus tard, il essaie de rendre le casque au Relay où il l’avait acheté : refus du magasin de le reprendre. Il doit s’adresser au constructeur… ce qu’il fait. Celui-ci répond qu’il ne rembourse rien, qu’il faut s’adresser à… Relay, qui le renvoie alors vers Lagardère, leur maison-mère. Celle-ci confirme le refus de remboursement. Relay en remet une couche, écrivant que « Dans le cadre de nos conditions commerciales, nous ne sommes pas tenus de vous rembourser ». Conditions écrites où ? Et la loi alors ?

Après trois semaines de va-et-vient entre ces « marques », et bien qu’il souffre en général de vertige en hauteur, Akbar se dit qu’il en a assez d’être manipulé comme une balle de ping-pong. Il décide d’escalader l’attaque : il s’adresse alors à SignalConso, un des services du Premier Ministre. Celui-ci lui répond rapidement, deman­dant une preuve d’achat, qu’il envoie par retour de mail.

Est-ce le début de la fin ? Que nenni : SignalConso lui répond « Je suis désolée mais nous ne répondons qu’aux questions relatives aux difficultés techniques rencontrées avec le site »… Encore un embrouillamini entre deux services, ronchonne Akbar : il avait pourtant bien répondu au mail qui lui demandait un justificatif, mais celui-ci provenait d’évidence d’une adresse destinée au support technique… Impossible de savoir comment répondre pour que la réponse arrive au bon service.

Plus tard, un nouveau mail de SignalConso lui demande s’ils peuvent l’appeler. Il répond par la positive et fournit son numéro : aucun appel ne viendra, ni aucune réponse à ses mails ultérieurs.

Le lendemain, en désespoir de cause, il appelle la DGCCRFDirection générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, dont dépend SignalConso. Après une looooongue tirade de plus d’une minute, le répondeur lui annonce qu’il y a moins de dix minutes d’attente. Une minute plus tard, le répondeur lui annonce qu’il y a moins de dix minutes d’attente. Une minute plus tard, le répondeur lui annonce qu’il y a moins de dix minutes d’attente. Et ainsi de suite, jusqu’à la fin des dix minutes, où le répondeur lui dit que, puisqu’il y a plus de dix minutes d’attente, il est prié de rappeler. Et le répondeur coupe la communication…

Akbar ne renonce pas : il renseigne un formulaire de réclamation (pas facile) sur le site de la DGCCRF, et la réponse qui s’affiche dit (on abrège la réponse) que sa plainte sera examinée dans les 15 jours ouvrés, bla, bla, bla… et donc jamais, se dit Akbar in petto.

Voilà où il en est à cette heure. On verra bien quelle suite sera donnée à cette rocambolesque affaire.

Akbar commande au BHV Rivoli un beau, un grand, un confortable lit pour l’une des chambres de la future maison de campagne. Les vendeurs du service literie, très aimables, l’informent qu’il sera appelé la veille de la livraison pour en préciser le créneau horaires.

Quelques semaines plus tard, Akbar reçoit deux messages vocaux « urgents » en provenance du service de livraison, concernant l’enlèvement d’un matelas à Paris le jour-même.

Aucun enlèvement n’avait été demandé ni prévu – ni à Paris ni en province – et la livraison devait avoir lieu… en province. Akbar rappelle le service, le dit à la responsable qui lui répond que cette livraison en province n’est pas son affaire.

Le lendemain, les livreurs se présentent à la future maison de campagne sans qu’on en ait été prévenus, heureusement que Jeff était sur place. Ils avaient bien avec eux le lit qu’Akbar avait choisi et payé, mais, en sus, un matelas qui n’avait pas été commandé… Par honnêteté – ils auraient pu ne rien dire, garder le matelas et le donner à un proche –, Jeff le leur a signalé. Les livreurs repartent avec.

Plus tard, la même personne du service livraison qui avait appelé Akbar le rappelle, lui demandant si le matelas qui avait été livré par erreur en province avait été bien repris par le livreur… Le comble, se dit Akbar in petto : voilà que le service livraison ne sait pas ce qu’il livre et délivre.

Akbar et Jeff s’accordent sur le modèle de sèche-linge à acheter chez Ubaldi pour leur future maison. Quelques jours plus tard, le service livraison apporte la bête, la déposent emballée sur une palette devant la maison, ne font signer aucun papier et repartent. Tant bien que mal, Jeff l’installe avec l’aide de proches.

Une semaine plus tard, il est informé de la livraison imminente dudit sèche-linge. Perdu, il appelle Akbar. Ensemble mais à distance ils examinent la situation. Il s’avère finalement que le sèche-linge livré précédemment est légèrement différent de celui commandé : cela ne se voit pas à l’œil nu, ce n’est que le numéro du modèle qui est différent et quelques caractéristiques de performance.

Ils discutent entre eux de la conduite à adopter. Oui, ils pourraient ne rien dire, se retrouver avec deux machines pour le prix d’une et donner l’autre à un proche ou la revendre sur le Bon Coin, mais, comme pour le matelas superfétatoire (mot qu’Akbar apprécie), ils rejettent cette approche qui ne serait pas honnête. Ils s’accordent pour refuser la seconde livraison, et informer le vendeur qu’ils garderont la machine livrée précédemment (qui est légèrement moins chère que celle commandée et dont les performances sont plus que satis­fai­santes), lui demandant de leur fournir attestation et garantie pour ce modèle (et leur rembourser la différence). Accepteront-ils, n’accep­teront-ils pas (parce que peut-être ce modèle était destiné à un autre de leurs clients) ?

Voilà où ils en sont à cette heure. On verra bien quelle suite sera donnée à cette rocambolesque affaire.

Le Péruvien Huascar (qui est bien devenu pour Akbar ce qu’Étienne de la Boétie était pour Montaigne : un ami) s’est envolé avant-hier au Pérou avec Jaspe, sa compagne française. Quelques heures après son départ, il envoie un message à Akbar l’informant qu’ayant fait escale (prévue) à São Paulo, ils y restent bloqués : le Pérou interdit tout vol en provenance du Brésil, du fait de la situation sanitaire catas­tro­phique dans ce pays. Comment se fait-il qu’ils n’en aient pas été prévenus au départ de Paris ?, se demande Akbar.

Plus important : Huascar a besoin de l’aide d’Akbar : ayant quasi­ment vidé son compte en banque pour avoir des espèces pendant son voyage, voilà qu’il fait face à d’autres dépenses qu’il aurait à régler avec sa carte, ce qui mettrait son compte à découvert.

Ni une ni deux, Akbar se précipite sur le site de son compte bancaire, pour tenter de lui faire un virement immédiat. Mais voilà, le site de HSBC semble perclus de rhuma­tismes : le passage d’une page à l’autre, s’il a finalement lieu, prend plus d’une minute, et s’il n’a pas lieu, affiche que la destination n’existe plus, pour réappa­raître quelques minutes plus tard. Après de longs moments de frustration, Akbar appelle leur service télé­pho­nique qui, lui, ô miracle, s’exclame Akbar in petto, répond rapidement et aima­blement, et aide Akbar patiemment à finaliser le transfert.

Banques, je vous hais, repense Akbar.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos