Des promesses
«I. D’où se dérive l’obligation de remplir les promesses.
Ceux qui raisonnent sur des principes moraux innés, supposent que le sentiment de l’obligation des promesses en est un. Mais sans faire cette supposition, ou toute autre, aussi peu prouvée, nous pouvons déduire l’obligation de remplir les promesses, de la nécessité d’une telle conduite pour le bien être, ou l’existence même de la société humaine.
Les hommes agissent par espéranceExpectation. Nous n’avons pas de mot qui réponde précisément à celui-là. Trad.. L’espérance est le plus souvent déterminée par les assurances et les engagements que nous recevons de la part des autres. Si l’on ne pouvait compter sur ces assurances, il serait impossible de savoir quel jugement porter sur plusieurs événements futurs, ou comment régler sa conduite par rapport à ces événements. La confiance dans les promesses est donc essentielle dans les relations de la vie ; car sans elle la plus grande partie de nos actions procéderait au hasard. Mais il est impossible qu’il y ait de la confiance pour les promesses, si les hommes ne sont pas obligés de les remplir. L’obligation de remplir les promesses est donc essentielle pour le même but et dans le même degré.
Quelqu’un imaginera peut-être, que, si cette obligation était suspendue, il en résulterait des précautions générales, et une défiance mutuelle, qui produiraient le même effet. Mais, s’il considère combien, dans chaque moment de notre vie, nous sommes obligés de nous reposer sur la confiance que nous avons dans les autres ; et combien il est impossible de faire un seul pas, bien plus, de s’asseoir un seul moment, sans cette ferme confiance, il sera bientôt revenu de cette erreur. J’écris maintenant à mon aise, sans mettre en doute (ou plutôt très assuré de ce point, et n’y pensant pas), que mon boucher n’envoie à temps le mets que j’ai commandé, que son valet ne me l’apporte ; que mon cuisinier ne l’apprête ; que mon domestique ne le serve, et que je ne le trouve sur table à une heure. Cependant je n’ai pas d’autre assurance de tout cela que la promesse du boucher, et l’engagement ordinaire de son valet et du mien. Les mêmes motifs pèsent sur les relations les plus importantes de la vie sociale, comme sur les plus familières. Dans le premier cas, l’intervention de la promesse est formelle ; on la voit et la reconnaît : notre exemple tend à la faire reconnaître dans le second où elle n’est pas aussi manifeste.
II. Dans quel sens on doit interpréter les promesses.
Lorsque les termes d’une promesse ont plus d’un sens, la promesse doit être accomplie « dans le sens où celui qui l’a faite a reconnu qu’elle a été comprise par celui qui l’a reçue, dans le temps où elle a été faite. »
Ce n’est pas le sens dans lequel le prometteur voulait l’entendre, qui doit diriger toujours dans l’interprétation d’une promesse équivoque ; car, ainsi, vous exciteriez des espérances que vous n’auriez jamais entendues, et que vous ne seriez pas obligé de réaliser. Encore moins le sens dans lequel le receveurOn me permettra l’emploi de ces mots prometteur et receveur, sans lesquels ce passage aurait perdu de sa clareté. Trad. de la promesse l’a réellement comprise ; car suivant cette règle vous seriez entraîné dans des engagements que vous n’auriez jamais eu dessein de contracter. Il faut donc que ce soit le sens (car il n’en reste pas d’autre) dans lequel le prometteur crut que le receveur entendait sa promesse.
Ce sens ne peut jamais différer de la véritable intention du prometteur, lorsque la promesse est faite sans réserve et sans fraude : mais nous avons donné la règle dans la forme ci-dessus, pour ôter tout moyen d’évasion, dans le cas où le sens ordinaire d’une phrase, et la signification exacte et grammaticale des mots ne sont pas les mêmes ; et en général, dans tous les cas où le prometteur cherche à s’esquiver par quelque ambiguïté dans les expressions dont il s’est servi.
Timur promit à la garnison de Sébaste que, si elle voulait se rendre, il n’y aurait point de sang répandu. La garnison se rendit, et Timur fit enterrer vivants tous ceux qui la composaient. Timur remplit sa promesse dans un sens, et dans le sens où il l’avait entendue lui-même ; mais non dans le sens où la garnison de Sébaste l’avait réellement comprise, ni dans la sens que Timur savait bien être celui qu’entendait la garnison. Ce dernier sens était cependant celui dans lequel Timur était obligé de remplir sa promesse, suivant notre règle.
D’après l’exposition que nous avons donnée de l’obligation des promesses, il est évident que cette obligation se fonde sur l’attente que nous excitons, le sachant et le voulant. En conséquence, toute action, toute forme de conduite envers un individu, que nous savons exciter en lui quelque attente, est autant qu’une promesse ; et produit une stricte obligation, non moins que les assurances les plus expresses. Si nous prenons, par exemple, le fils d’un parent, si nous l’élevons pour une profession libérale, ou convenable seulement à l’héritier d’une grande fortune, nous sommes aussi fortement obligés de le placer dans cette profession, ou de lui laisser cette fortune, que si nous en avions fait une promesse signée de notre propre main. De même, un Grand qui encourage un client pauvre, un ministre d’État qui distingue et qui caresse à son lever un homme, dont la situation lui rend nécessaire une protection puissante, s’engage par une telle conduite à penser à lui. — Tel est le fondement des promesses tacites.
Vous pouvez, ou déclarer simplement votre intention actuelle, ou accompagner cette déclaration d’un engagement à vous y conformer, ce qui constitue une promesse complète. Dans le premier cas, vous avez rempli votre devoir, si vous avez été sincère, c’est-à-dire, si vous aviez réellement cette intention dans le moment où vous l’avez exprimée, quels que soient ensuite les motifs et la promptitude de votre changement. Dans le second cas, vous avez perdu la liberté de changer. Tout cela est bien clair. Mais il faut observer que la plupart de ces expressions, qui, dans un sens strict, ne contiennent qu’une déclaration de notre intention actuelle, ne laissent pas, par la manière dont on les entend ordinairement, de faire naître une attente, et par conséquent d’avoir la force d’une promesse absolue. Ainsi : « je destine pour vous cette place ; » — « j’ai l’intention de vous léguer ce domaine ; »— « je me propose de vous donner ma voix ; » — « je veux vous servir. » Bien que l’intention, le dessein, la volonté soient exprimés par des termes pris au présent, vous ne pouvez cependant vous en éloigner ensuite sans manquer à la bonne foi. Si donc vous voulez faire connaître votre intention présente, et cependant vous réserver la liberté de la changer, vous devez préciser votre expression par une clause additionnelle, comme « j’ai l’intention maintenant, si je ne change pas, » — ou telle autre. Et après tout, comme vous ne pouvez avoir d’autre raison pour manifester votre intention que celle de faire naître quelque espérance, un changement inutile, dans une intention manifestée, trompe toujours quelqu’un, et devient toujours injuste par cela même.
Il y a, chez un grand nombre de personnes, par rapport aux promesses, une certaine faiblesse qui les jette souvent dans de grands embarras. Par la confusion, l’hésitation et l’obscurité avec lesquelles ils s’expriment, surtout lorsqu’ils sont intimidés ou surpris, ils encouragent quelquefois des espérances, et s’attirent des demandes, auxquelles ils n’avaient peut-être jamais songé. C’est un défaut, moins d’intégrité que de présence d’esprit.
III. Dans quels cas les promesses ne lient point.
1. Les promesses ne lient pas, lorsque l’accomplissement en est impossible.
Mais observez que le prometteur est coupable de fraude, s’il s’aperçoit de l’impossibilité dans le moment où il fait la promesse. Car, lorsqu’un homme fait une promesse, il affirme, pour le moins, qu’il en croit l’accomplissement possible ; personne ne pouvant ni accepter, ni même comprendre une promesse sans celte supposition. Voici quelques exemples de ce genre. Un ministre promet une place qu’il sait être engagée, ou n’être pas à sa disposition. — Un père, en dressant les articles d’un contrat de mariage, promet de laisser à sa fille un bien, qu’il sait ne pouvoir aller qu’à l’héritier mâle de la famille. — Un marchand promet une cargaison, ou partie d’une cargaison, qu’il sait, par une information secrète, avoir péri en mer. Celui qui fait la promesse, comme dans les exemples ci-dessus, connaissant l’impossibilité, est justement tenu de donner une compensation. Hors de ces cas, il ne le doit pas.
Lorsque le prometteur lui-même fait naître l’impossibilité, il ne fait ni plus ni moins que manquer directement à sa parole ; comme lorsqu’un soldat se mutile, ou qu’un domestique se rend malade, pour rompre son engagement.
2. Les promesses ne lient point, lorsque l’accomplissement en est illégitime.
Il y a ici deux cas. Le premier, lorsque les parties connaissent l’illégitimité, dans le temps qu’elles font la promesse ; comme lorsqu’un assassin promet à celui qui l’emploie, de le défaire de son rival ou de son ennemi, un domestique de trahir son maître, un homme de procurer une maîtresse, ou un ami de prêter son assistance dans un plan de séduction. Les parties, dans ces cas, ne sont pas obligées d’accomplir la promesse, parce qu’elles étaient dans une obligation antérieure de faire le contraire. Qu’y a-t-il en effet ici pour les dégager de cette obligation antérieure ? leur promesse ? leur propre contrat ? leur propre action ? Mais une obligation dont un homme peut se libérer par sa propre action, n’est point une obligation véritable. C’est pourquoi le crime de ces promesses consiste à les faire et non à les violer. Si, dans l’intervalle entre la promesse et l’exécution, un homme fait des réflexions assez sérieuses, pour se repentir de ses engagements, il ne doit certainement pas les remplir.
Le second cas est celui où l’illégitimité n’existait pas ou n’était pas connue, au moment où la promesse fut faite ; comme lorsqu’un marchand promet à son correspondant étranger de lui envoyer une cargaison de blé dans une certaine époque, et qu’avant cette époque un embargo est mis sur les grains. — Une femme fait une promesse de mariage ; avant la célébration, elle découvre que son fiancé est d’un degré de parenté trop rapproché, ou qu’il a une épouse vivante. Dans tous ces cas, lorsque le contraire n’est pas manifeste, il faut toujours présumer que les parties supposaient l’objet de leur promesse légitime, et se fondaient sur cette supposition. La légitimité devient donc une condition de la promesse ; et là où la condition manque, l’obligation cesse. De ce genre était encore la promesse d’Hérode à sa belle-fille « qu’il lui donnerait tout ce qu’elle demanderait, jusqu’à la moitié de son royaume. » La promesse n’était point illégitime, dans les termes dont se servit Hérode ; et lorsqu’elle le devint par le choix de la belle-fille, qui demanda « la tête de Jean-Baptiste, » Hérode fut libéré de sa promesse par la raison que nous venons de donner, aussi bien que par celle que nous avons donnée dans le dernier paragraphe.
Et cette règle « que les promesses sont nulles, lorsque l’accomplissement en est illégitime, » s’étend aussi aux obligations imparfaites, par la raison que la règle comprend toutes les obligations. Ainsi, si vous promettez à un homme, soit une place, soit votre suffrage dans une élection, et qu’il se rende ensuite incapable ou indigne de l’un ou de l’autre, vous êtes libéré de l’obligation que vous impose votre promesse ; ou, s’il se présente un candidat plus digne, et que vous soyez engagé par serment, ou d’une autre manière, à vous diriger d’après les qualités des candidats, vous devez violer votre promesse.
Et ici je recommande, surtout aux jeunes gens, une précaution, dont la négligence jette souvent dans de grands embarras ; c’est de « ne jamais faire de promesse, dont l’accomplissement puisse devenir contraire au devoir. » Car, s’il en est ainsi, le devoir doit être rempli, même aux dépens de la promesse, et souvent aussi aux dépens de la réputation.
L’accomplissement ponctuel d’une promesse est regardé comme une obligation parfaite. Plusieurs casuistes ont établi, en opposition à ce que nous venons de dire, que lorsqu’une obligation parfaite et une obligation imparfaite sont en opposition, l’obligation parfaite doit prévaloir. Cette opinion n’est fondée que sur le sens apparent des mots parfait et imparfait, dont nous avons déjà fait remarquer l’inexactitude, dans ce cas. La vérité est que, de deux obligations contradictoires, celle-là doit prévaloir, qui est la première en date.
C’est l’illégitimité de l’accomplissement, et non l’illégitimité du motif, ou de l’objet de la promesse, qui la rend nulle ; ainsi un présent convenu, après que le suffrage a été donné, le prix de la prostitution, le payement de quelque crime, après que le crime a été commis, doivent être acquittés suivant la promesse. Car, par la supposition, le crime est commis, et ne le sera ni plus ni moins, par l’accomplissement de la promesse.
De la même manière, une promesse ne cesse pas d’être obligatoire, parce qu’elle a été faite par un motif illégitime. Un homme, du vivant de sa femme, et pendant qu’elle était malade, fit la cour, et donna des promesses de mariage à une autre femme ; l’épouse mourut, et l’autre femme demanda l’accomplissement de la promesse. L’homme, qui, sans doute, avait changé d’avis, eut ou, prétendit avoir des doutes sur l’obligation de cette promesse, et porta l’affaire devant l’évêque Sanderson, alors distingué par ses connaissances en ce genre. Sanderson écrivit une dissertation sur ce sujet, et décida que la promesse était nulle. D’après nos principes, il se trompa. Car, quelque criminelle que fût la passion qui avait conduit à la promesse, l’accomplissement, lorsqu’il fut exigé, était légitime, ce qui est la seule légitimité nécessaire.
Une promesse ne doit point être regardée comme illégitime, lorsque l’accomplissement ne produit pas d’autre effet que celui qui aurait nécessairement eu lieu, si la promesse n’avait pas été faite. Et voilà le seul cas dans lequel l’obligation d’une promesse puisse justifier une conduite, qui serait injuste, si la promesse n’avait pas été faite. Un captif peut légitimement recouvrer sa liberté, en promettant d’être neutre. Car, en recevant cette promesse, le gouvernement qui l’exige, ne reçoit rien, dont il n’eût pu s’assurer, par la mort ou par la détention du prisonnier. Cette neutralité devient donc innocente chez lui, bien que coupable chez un autre. Il est clair cependant que des promesses, qui tiennent lieu d’une détention, ne peuvent pas s’étendre plus loin qu’à une obéissance passive ; car la détention elle-même ne peut produire davantage. C’est sur ce principe encore que l’on ne doit point violer les promesses de secret, bien que le public pût retirer quelque avantage de cette violation. Il n’y a point dans ces promesses d’illégitimité, qui en détruise l’obligation ; car, comme le secret n’a été communiqué que sous cette condition expresse, le public ne perd rien par la promesse, qu’il eût pu gagner sans elle.
3. Les promesses ne lient pas, lorsqu’elles sont contradictoires à une promesse précédente.
Car alors l’accomplissement en est illégitime ; ce qui réduit ce cas au précédent.
4. Les promesses ne lient pas avant l’acceptation, c’est-à-dire, avant d’être connues de celui à qui elles sont faites ; car, lorsque la promesse est avantageuse, il faut toujours présumer que, si celui à qui elle est faite la connaît, il l’accepte. Tant que la promesse n’est pas communiquée, elle n’est qu’une résolution dans l’esprit du prometteur ; résolution qu’il peut changer à volonté. Il n’y a point d’attente excitée, il n’y a personne de trompé.
Mais, supposé que je déclare mon intention à un tiers, qui, sans autorisation de ma part, la découvre à celui qu’elle regarde, cette notification est-elle suffisante pour m’engager ? Non sans doute ; car je n’ai pas fait ce qui constitue l’essence d’une promesse ; — je n’ai pas volontairement excité une attente.
5. Les promesses ne lient point, lorsque celui qui les a reçues y a renoncé.
Cela est évident. Seulement, on peut quelquefois douter quel est celui qui les a reçues. Si je promets à B une place, ou une voix pour C ; comme à un père pour son fils ; à un oncle pour son neveu ; alors B est celui à qui j’ai promis ; celui dont le consentement seul peut me libérer de ma promesse.
Mais, si je promets ma voix à C par l’entremise de B ; c’est-à-dire, si B est le messager seulement pour faire parvenir la promesse à C ; si je lui dis, par exemple, « vous pouvez dire à C que je lui donnerai cette place, ou qu’il peut compter sur ma voix ; » ou si B est employé pour me porter la demande de C, et que je réponde de manière à y acquiescer, alors c’est à C que j’ai fait la promesse.
Les promesses, que l’on fait à une personne pour le bénéfice d’une autre, ne sont point annulées par la mort de la première. Car sa mort ne rend pas l’accomplissement impraticable, et ne suppose aucun consentement pour se désister de la promesse.
6. Les promesses erronées ne lient pas dans certains cas ; comme
1.° Lorsque l’erreur vient de la méprise ou de la fourberie de celui à qui elles sont faites.
Car la promesse suppose évidemment la vérité du récit que celui qui la demande fait pour l’obtenir. Un mendiant sollicite votre charité par le récit de la détresse la plus pitoyable ; vous promettez de le secourir, lorsqu’il reviendra. — Dans l’intervalle vous découvrez que son histoire n’est qu’un tissu de mensonges. — Cette découverte sans doute vous libère de votre promesse. Une personne qui a besoin de vos services, vous décrit l’affaire dans laquelle elle veut vous engager : — lorsque vous vous préparez à l’entreprendre, vous trouvez que le profit est plus petit et le travail plus grand, ou quelque circonstance importante, toute autre qu’elle ne l’avait dit. — Dans ce cas, vous n’êtes pas lié par votre promesse.
2.° Lorsque celui qui reçoit la promesse, entend qu’elle se fonde sur une certaine supposition ; ou lorsque le prometteur est persuadé que celui qui reçoit sa promesse l’entend ainsi ; si cette supposition se trouve ensuite être fausse, la promesse devient nulle.
Le meilleur commentaire de cette règle compliquée est un exemple. Un père reçoit de dehors la nouvelle de la mort de son fils unique : — bientôt après, il promet sa fortune à son neveu : — la nouvelle se trouve fausse. — Le père, suivant notre règle, est dégagé de sa promesse ; non pas seulement parce qu’il ne l’aurait jamais faite, s’il avait connu la vérité, — cette circonstance ne suffirait pas, — mais parce que le neveu lui-même comprit que la promesse ne se fondait que sur la supposition de la mort de son cousin ; ou du moins, parce que l’oncle crut que son neveu l’entendait ainsi. L’oncle en effet ne pouvait penser autrement. La promesse était donc fondée sur cette condition, d’après la croyance même du prometteur, et, comme il le pensait alors, d’après la croyance des deux parties : cette croyance est précisément la circonstance qui le libère. Le fondement de cette règle est qu’un homme n’est obligé de remplir que l’attente qu’il a fait naître de son propre gré ; toute condition à laquelle il avait l’intention de soumettre cette attente, devient donc une condition essentielle de la promesse.
Les erreurs, qui ne peuvent se ranger dans aucune de ces deux classes, n’annulent pas l’obligation d’une promesse. Je promets ma voix à un candidat. — Bientôt après, il se présente un autre candidat, pour lequel j’aurais assurément réservé ma voix, si j’avais su qu’il se présentât. Ici, comme dans les autres cas que je viens d’alléguer, ma promesse est fondée sur une erreur. Je n’aurais jamais fait une semblable promesse, si j’avais connu la vérité de toutes les circonstances, comme je la connais maintenant. —Mais celui à qui j’ai promis lie savait rien de tout cela ; — il n’a pas reçu la promesse comme soumise à une telle condition, ou comme procédant d’une semblable supposition ; — dans ce moment je n’imaginais pas moi-même qu’il y songeât. — Cette erreur, que j’ai commise, doit tomber sur ma tête, et ma promesse doit être rempliePour que cet exemple soit juste, il faut que les talités du candidat soient indifférentes pour la place. Trad.. Un père promet en mariant sa fille une certaine dot, croyant posséder lui-même un certaine fortune. En examinant de plus près, il trouve sa position moins aisée qu’il ne le croyait. Ici la promesse est encore erronée ; mais, par la même raison que nous avons donnée pour le cas précédent, elle doit néanmoins être accomplie.
Le cas des promesses erronées n’est pas sans quelque difficulté ; car accorder que toute méprise ou tout changement de circonstance détruit l’obligation de la promesse, c’est accorder une latitude, qui finirait par annuler toutes les promesses : de l’autre côté, presser tellement l’obligation, qu’il n’y ait rien à rabattre pour des erreurs manifestes et fondamentales, c’est, dans bien des cas, se jeter dans l’embarras et l’absurdité.
On a longtemps disputé, parmi les moralistes, si l’on est lié par des promesses extorquées par la force ou par la crainte. — L’obligation des promesses résulte, comme nous l’avons vu, de l’utilité et de la nécessité de la confiance que les hommes mettent en elles. La question si ces promesses sont obligatoires, se résout donc en celle-ci : est-il utile pour le genre humain que de telles promesses obtiennent la confiance ? Un voleur vous arrête, et ne trouvant pas sur vous la proie qu’il attendait, il menace de vous tuer ; il s’y prépare même : — vous lui promettez, de la manière la plus solennelle, que, s’il veut épargner votre vie, il trouvera une bourse pour lui dans un lieu désigné : — sur la foi de cette promesse, il vous laisse aller sans mal. Votre vie a été sauvée par la confiance qu’a eue le voleur dans une promesse arrachée par la crainte ; la vie d’un grand nombre d’autres peut être sauvée de la même manière. Voila une bonne conséquence. D’un autre côté, l’accomplissement de semblables promesses favoriserait beaucoup le vol, et pourrait devenir l’instrument d’extorsions illimitées. Voilà une mauvaise conséquence. C’est dans la balance de ces deux conséquences opposées que se trouve la décision de la question sur l’obligation qu’imposent ces promesses.
Il y a d’autres cas plus clairs ; comme lorsqu’un magistrat met en prison un perturbateur du repos public, jusqu’à ce qu’il promette de se mieux conduire ; ou lorsqu’un prisonnier de guerre promet, s’il est mis en liberté, de revenir dans un temps donné. Ces promesses, disent les moralistes, sont obligatoires, parce que la violence ou la contrainte était juste. La véritable raison est que l’utilité de la confiance en ces promesses est précisément la même que celle de la confiance aux promesses des personnes parfaitement libres.
Les vœux sont des promesses faites à Dieu. On ne peut pas en établir l’obligation sur le même principe que celle des autres promesses. Leur violation cependant trahit un défaut de respect pour la divinité, qui suffit pour la rendre coupable.
Il ne paraît pas que les vœux soit encouragés ou ordonnés par aucun commandement des révélations chrétiennes ; encore moins y trouve-t-on la permission de les violer, lorsqu’on les a contractés. Les quelques exemples de vœux que nous trouvons dans le Nouveau TestamentAct. XVIII, 18 ; XXI, 23. ont été fidèlement accomplis.
Les règles, que nous avons établies pour les promesses, peuvent s’appliquer aux vœux. Ainsi» le vœu de Jephté, pris dans le sens où il est généralement entendu, n’était point obligatoire, puisque l’accomplissement, dans cette circonstance, était illégitime.
Will Paley, Principes de philosophie morale et politique, ch. « Des promesses ». Traduits de l’anglais sur la XIXe édition par J. L. S. Vincent. Paris, 1817.